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Le dernier profil de récoltant est celui de récoltant-alternatif. Si très peu de professionnels s’inscrivent dans ce profil, il traduit d’autres approches et visions de cette activité et de questionner la dynamique de groupe. Leur motivation pour la récolte des algues est fondamentale, peut-être encore plus que pour les autres profils, car elle va fortement orienter leurs pratiques et tous les choix économiques, administratifs, etc. Pour eux, la récolte des algues est un choix réfléchi, lié à des aspirations écologiques, un attrait pour la mer, mais surtout à une volonté de construire une activité économique autour de ressources naturelles locales à destination de la consommation humaine. C’est pour ces raisons que leurs projets s’articulent autour d’une maîtrise du processus : de la récolte à la vente. Ces professionnels partagent certaines caractéristiques relevées par Benoit Leroux pour les agriculteurs biologiques, qu’il nomme également « alternatifs ». Il explique:

« Les agriculteurs biologiques [alternatifs] se sont investis dans ce type de production et ce style de vie principalement par conviction écologique, mais aussi, et cela forme un tout selon eux, pour vivre du travail de la terre, en famille, de manière à combiner l’autonomie et l’échange local, la défense de l’environnement par l’activité paysanne. Ils partagent ainsi en commun de fortes aspirations environnementales et politiques qui se manifestent avant leur installation et déterminent le type d’investissement consenti, leurs choix de lieux de vie et de production. L’ensemble de ces aspirations écologiques, de sobriétés économiques et d’autonomie s’accorde généralement à leurs pratiques. » (Leroux, 2011, p. 177)

Les professionnels de ce profil sont uniquement des hommes, divisés en deux cohortes d’âges, entre 30 et 35 ans et entre 50 et 60 ans. Originaires des communes proches de leurs zones de récolte, ils n’ont pas de membre de leur famille dans la filière des algues. Ils ont également un capital plus faible que les autres récoltants, mais ils mobilisent plus facilement leur réseau de connaissance, partageant leurs visions dans d’autres professions agricoles ou ostréicoles. Leur parcours scolaire est variable, mais dans une optique professionnalisante avec une dimension environnementale importante. Leur apprentissage du métier fait également appel à leur réseau et s’appuie sur un ensemble de rencontres notamment de professionnels en activité. Ils s’informent régulièrement avec de la littérature scientifique et des guides naturalistes. Si leur apprentissage est plutôt solitaire, ils ont une volonté de faire de la promotion de leur métier. C’est dans ce cadre qu’ils participent à de nombreuses manifestations autour de la récolte des algues – en plus de leurs stands où ils vendent leurs produits —, et que régulièrement ils embauchent, pour de courtes durées, des jeunes qui souhaitent s’installer comme récoltant ou invitent de simples curieux. Cette mise en avant de leur activité passe par la dimension alimentaire des algues. Tous ces professionnels sont d’ailleurs des consommateurs réguliers, presque quotidiens d’algues. Ils sont également amenés au travers de ces manifestations à échanger avec des scientifiques spécialisés dans la récolte des algues.

Concernant leur inscription au sein de la filière, ces professionnels ont un statut d’auto-entrepreneurs ou sont affiliés à la MSA. Quelques récoltants travaillent occasionnellement avec des entreprises de transformation sur des contrats très spécifiques et ponctuels. Les alternatifs ont une récolte diversifiée, en moyenne ils collectent une dizaine voire une vingtaine d’algues.

Leur activité se répartit tout au long de l’année et s’articule avec les productions annexes. Ils ont tous une seconde activité de production de coquillages (huîtres et palourdes) ou d’algoculture qui s’intègre dans leur fonctionnement et dans la valorisation de leurs produits. Tous les récoltants-alternatifs

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récoltent, transforment et vendent leurs algues sur les marchés ou dans le réseau des biocoops sous diverses formes : paillette d’algues séchées, tartares d’algues, condiments, etc. Comme B. Leroux a pu le montrer, leurs pratiques se focalisent sur la qualité et la diversité de leur production en opposition à une logique de pensée quantitativiste (Leroux, 2011). Ils vont travailler sur des superficies plus petites que les autres récoltants, sur lesquelles ils reviennent plusieurs fois dans l’année et ils y prélèvent toutes les espèces d’algues dont ils ont besoin grâce à des outils comme des ciseaux ou des couteaux. La démarche est qualitative et prend en compte le rapport entre l’algue et le récoltant en plus des pratiques « respectueuses» à l’image des propos de ce récoltant-alternatif :

« Moi c’est cueillette plutôt qu’arrachage. Même si la dulse, elle repousse plus ou autant. Quand tu prends tes ciseaux, tu respectes l’algue. On a essayé d’arracher, tu te sens animal, destructeur. Alors qu’avec tes ciseaux, tu n’as pas la même énergie, plus respectueuse. C’est sûr que ça va plus vite, tu remplis plus ton sac. Mais tu entends les crampons que tu casses. Et puis quand on coupe, on n’a pas besoin de trier après. »

Ces démarches ne sont pas très bien perçues, en particulier par les récoltants-héritiers qui – comme les agriculteurs font « référence au nombre de quintaux produits à l’hectare» -, évoquent souvent les « tonnages par marée ou par saison» pour marqueur différentiel. Par exemple, suite à une prise de position lors d’une commission algues de rive d’un récoltant-alternatif, un couple de récoltants- héritiers expérimentés exprime leurs désaccords avec le récoltant-alternatif cité ci-dessus :

R-héritier 1 : « Je ne sais pas si tu as entendu lors de la réunion, mais il y a un jeune qui vient aux réunions et qui dit qu’il faut les couper aux ciseaux. »

R-héritier 2 : « Il est illuminé cet homme-là. »

R-héritier 1 : « si tu fais 50 kilos dans ta journée [lève les yeux au ciel] s’il arrive à vivre avec ça tant mieux pour lui. On fait [souffle et hésite] 3 voire 4 tonnes sur la saison. »

Si quelques récoltants-alternatifs sont marginalisés par les professionnels de profils différents en raison de leurs pratiques, d’autres sont reconnus pour leur implication dans le fonctionnement de la filière et pour leurs engagements pour la profession.

Joël une approche globale de la profession : récolter, cultiver, transformer, valoriser et diffuser Âgé d’une cinquante d’années, Joël se présente comme un récoltant professionnel d’algues de rive et aquaculteur revendiquant ainsi une pluriactivité :

« Je fais de l’aquaculture en général, j’élève des coquillages huîtres, moules, coques et palourdes. Pour les algues, je cultive une espèce, Undaria pinatifida et je commence la porphyra. Sinon je récolte à pied, j’ai une autorisation sur tout le département du Finistère. »

Originaire de la côte du Sud-Finistère, il s’est naturellement tourné vers la mer. Après une longue expérience professionnelle dans le domaine du nautisme, au début des années 2000, il décide de se reconvertir en gardant son intérêt pour la mer, par conviction personnelle :

« J’ai eu envie de m’installer moi, de faire une activité locale, économique qui apporte de l’emploi si possible, mais l’idée c’était de relocaliser l’économie. Parce que ça marche un peu sur la tête et être maître de ce que je fais. Même si ce n’est pas forcément vrai, mais au moins je choisis mes contraintes. »

Il choisit alors d’obtenir un diplôme de responsable d’exploitation aquacole. Pour cela, il réalise une formation au Centre d’études du milieu et de la pédagogie appliquée, aujourd’hui Agrocampus-Ouest à Beg Meil dans la baie de Concarneau. Au cours de cette formation il consolide ses connaissances sur

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le milieu maritime qu’il a acquis pendant les années passées en mer. Il apprend les techniques d’élevages et la gestion d’entreprise. Ce n’est qu’en 2003, le temps d’obtenir les finances, qu’il s’installe à son compte.

« J’ai commencé directement par les coquillages et les algues. Au début, je voulais faire que les algues, mais en faisant une étude j’ai vu qu’il fallait que je fasse aussi des coquillages. J’ai choisi cette multiactivité même si ce n’est pas facile. Mais ce qui me conforte dans mes choix, c’est quand on voit les problèmes de mortalité des huîtres depuis 6 ans. L’année dernière, j’ai eu 70 % de mortalité ça fait mal, donc ça permet d’atténuer le coup. »

Il collecte également des moules, des coques, des palourdes et des bigorneaux qu’il vend en direct sur les marchés et des huîtres destinées à une biocoop lors de la période de Noël. Si les coquillages ont longtemps représenté deux tiers de son chiffre d’affaires et les algues un tiers, la forte demande en algues et la mortalité des huîtres ont rééquilibré le ratio.

Sa pluriactivité et sa diversité se retrouvent aussi dans sa pratique autour des algues. Joël possède également une concession d’algoculture. Sur 1,5 hectare en mer à la sortie du Guilvinec, il cultive Undaria pinatifida appelée aussi « wakamé». Il a également fait des tentatives de culture de Porphyra. Ses activités aquacoles (coquillages et algues) et son histoire personnelle l’ont implanté dans le sud Finistère, ce qui le contraint pour la récolte des algues. Récoltant plus d’une vingtaine d’espèces d’algues, il est un des plus diversifiés dans la profession. Sa pratique et sa localisation lui demandent un secteur de travail très étendu. Ainsi, il fréquente et connaît presque toute la côte du Finistère. Il doit connaître où toutes les algues dont il a besoin poussent et où elles sont en quantité suffisante, par exemple Palmaria palmata, « la dulse » :

« La dulse, dans le sud Finistère, il n’y en a quasiment pas. Si, un peu en baie de Douarnenez, mais ce n’est pas accessible. En plus, il faut y aller à pied, c’est 10 minutes de marche après il faut revenir avec des algues sur le dos. Donc ce n’est pas facile du tout. Il y a eu aussi un peu entre la Torche et Raguénez. Par contre dans le Nord-Finistère il y en a beaucoup plus. » Cette diversification se retrouve aussi dans les circuits de transformation et les débouchés. Il collecte Himanthalia elongata, du « pioka » et du « goémon noir » pour de grosses entreprises de transformation. Cette partie est variable en fonction de la quantité d’algues et des demandes des entreprises. Il a toutefois quelques contrats reconduits chaque année. Ces algues peuvent être livrées fraîches ou sèches. Ses techniques de séchage s’adaptent en fonction des algues et des commandes. Il travaille également avec des professionnels de bouche – car c’est aussi un grand consommateur d’algues – ou avec des entreprises spécialisées dans la recherche de procédés et de molécules destinées à la médecine et à l’aquaculture. Enfin, il transforme une partie de sa récolte par divers procédés – gros sel, séchées ou en conserve – soit environ 4000 bocaux par an. Ses produits sont vendus sur quelques marchés et au travers d’un circuit de biocoop.

Contrairement à la majorité des professionnels, Joël a un fort intérêt pour la communication, l’échange avec le grand public. Il a animé de nombreuses conférences, mais aussi des classes vertes auprès des scolaires, ce qui lui apporte une autre vision de sa pratique et de son métier

« Après la chance que j’ai eue, c’est d’animer des classes vertes et donc j’ai peut-être une connaissance légèrement supérieure à la moyenne des récoltants. Quand tu as des terminales ou des étudiants, tu es obligé de savoir certaines choses. J’ai développé aussi toutes les questions de la représentation des algues avec les classes plus jeunes, car souvent les algues c’est « berk » et donc le toucher est important. »

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