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Chaque collecteur d’algues possède un « statut administratif ». Ce statut lui permet, grâce à une cotisation, de bénéficier d’une couverture sociale et de droit pour la retraite. Comme le soulignent Mesnildrey et ses collègues (2012), le statut social des collecteurs d’algues est une question qui mérite d’être soulevée. Au-delà de la législation différente qu’il induit, il s’agit d’un moyen d’existence et de reconnaissance en tant que collecteurs d’algues vis-à-vis de l’administration, des autres acteurs de la filière, mais aussi au sein de ce groupe de professionnels. Les acteurs de la filière distinguent quatre «

statuts administratifs» : ENIM, MSA, salarié d’entreprise et TESA.

Le premier statut est celui dit « ENIM». Mis en place au 17e siècle, il fournit un « régime spécial aux gens de mer »88par l’affiliation à l’Établissement National des Invalides de la Marine (ENIM), leur donnant accès aux droits sociaux (assurance maladie, retraite, allocations familiales). Ce statut est donc partagé par l’ensemble des professionnels embarqués à bord d’un navire de pêche et il concerne dans la filière algues une quarantaine de marins, principalement ceux dont les navires sont localisés dans le port de Lanildut et sur la côte du Nord-Finistère. Essentiel pour les populations du littoral et pour les collecteurs d’algues embarqués puisqu’il les définit comme « gens de mer », ce statut a favorisé la structuration de la filière des algues en mer. Avant les années 1970, un faible nombre de collecteurs d’algues œuvrait sous ce statut, toutefois, il est devenu un préalable après l’instauration des différentes réglementations dans les années 1980 (Frangoudes & Garineaud, 2015). Les professionnels embarqués ont tous ce statut, mais également quelques récoltants d’algues de rive – seulement cinq – en raison des expériences professionnelles précédant leur activité actuelle. Ils choisissent de le conserver afin de pouvoir pratiquer plusieurs activités et pour les avantages sociaux plus intéressants que les autres statuts comme l’explique ce professionnel :

« Tout ce qui est goémon poussant en mer, c’est réservé au statut ENIM, bateau de pêche et droit d’équipage. C’est pour ça que j’ai gardé mon statut ENIM, car tu peux faire du scoubidou, l’algoculture, l’ostréiculture. Tout ce qui est embarqué. Quand on a mis en place les statuts pour la récolte les algues de rive, j’ai demandé que l’ENIM soit inclus, à l’époque j’étais le seul, comme ça j’ai pu garder mon statut. Et pour la retraite, c’est mieux. Alors qu’à la MSA tu peux cotiser 20 ans et tu n’auras rien au bout ou comme les paysans 400 euros par mois. » (Un récoltant d’algues de rive et d’algue en bateau)

Avec le renouveau des activités de collecte des algues sur la rive, de nouvelles catégories émergent afin d’encadrer cette profession. Elles sont définies officiellement à partir de 2009, mais elles n’ont pas l’historicité du statut ENIM. Ces nouvelles catégories ne sont pas à proprement parlé des statuts administratifs. Certains professionnels sont affiliés à la MSA en leur nom propre et d’autres sont salariés d’une entreprise de commercialisation-transformation d’algues, affiliée au régime général. Lorsqu’il s’agit de contrat saisonnier, ils bénéficient des Titre Emploi Simplifié Agricole ou TESA, régime répandu dans le monde agricole.

88 Colbert fonde en 1673, le fonds des invalides de la marine. Quelques années après une pension puis progressivement un statut social particulier pour les gens de mer est instauré. L’organisation administrative actuelle de l’ENIM date de 1930 mais a connu de multiples réformes. Aujourd’hui, environ 30 000 marins actifs et 120 000 pensionnés sont concernés. L’histoire de ce statut est détaillée sur le site de l’ENIM : http://www.enim.eu.

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Cette répartition en quatre « statuts » est opérée par tous les acteurs de la filière et en particulier l’administration comme le montre les propos d’une chargée de mission de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM) organisme en charge de la partie législative de l’activité des algues de rive :

« Avant 2009, les trois quarts c’était non déclaré. Donc on a mis des statuts différents. Ça se met en place lentement, car c’est des récoltes ancestrales, elles sont là depuis longtemps. Il y a environ 50 autorisations individuelles, dont 36 individuelles, pour les récoltants MSA ou ENIM. C’est les historiques. Après il y a 14 entreprises et 3 entreprises avec des TESA [Titre Emploi Simplifié Agricole]. On a 300 TESA. Mais ça ne veut rien dire, il y en a qui sont dans 2 entreprises, d’autres qui sont embauchés une journée. Dans les faits, il y a 150 personnes, je pense, au plus fort de la saison. […] Une entreprise a une autorisation pour un certain nombre de salariés permanent. Et sinon, il y a des entreprises qui embauchent des saisonniers, des TESA. »

Il existe alors trois grandes catégories : les récoltants en leurs noms affiliés à l’ENIM ou à la MSA, les récoltants salariés d’une entreprise et les récoltants occasionnels. Si la première est nominative, les deux autres catégories de professionnels (salariés et occasionnels) sont liées aux entreprises de transformation. Bien qu’elles aient une licence, rares sont les entreprises qui ont un salarié uniquement dédié à la récolte. Elles préfèrent traiter directement avec des professionnels dont certains leur revendent la totalité de leur collecte :

« J’ai un CDD saisonnier pour la récolte, on va dire d’appoint, et j’ai [un employé] qui a une licence, mais vu qu’il est responsable de production, ce n’est pas son boulot d’aller à la récolte. Par contre, je n’ai pas de TESA. C’est vrai qu’ils peuvent apporter des avantages au niveau des charges sociales, mais on a préféré le choix du CDD, car il permet d’aller plus loin dans la saison. […] J’achète tout à des professionnels. Je travaille avec une petite dizaine, mais ils ne travaillent pas que pour nous. Si on prend le cas de [X et Y], ils ne travaillent que pour nous, mais ce n’est pas leur seule activité. » (Un directeur d’une entreprise de transformation) Le statut TESA permet aux récoltants occasionnels de bénéficier d’un cadre juridique et fiscal pour l’exercice de leur activité, encadrée par un système de gestion des pêches. Il a été mis en place afin de répondre aux besoins de certaines entreprises qui sont spécialisées dans la récolte du « pioka». Cette récolte est longtemps restée pratiquée durant la période estivale par des adolescents, des personnes retraitées ou sans profession afin d’obtenir un complément de revenus. La mise en place de contrat de travail et l’obligation de déclaration des revenus sont deux éléments qui ont modifié les profils des travailleurs saisonniers en resserrant la tranche d’âge des pratiquants et en excluant les personnes qui faisaient cette activité seulement quelques marées ou parce qu’elles n’étaient pas déclarées.

Aujourd’hui, si la durée du travail n’a pas évolué — les TESA peuvent travailler pour une durée de trois mois maximum — il est possible pour eux de récolter d’autres espèces d’algues ce qui n’est pas sans conséquence sur les prix, sur les relations avec les autres récoltants. Les « TESA », comme les nomment les autres récoltants, sont mal perçus et de nombreux conflits apparaissent. L’émergence des différents statuts contribue à rendre visibles ces tensions entre les sous-groupes et en particulier avec les travailleurs saisonniers. Dans leur rapport, Lucile Mesnildrey et ses collègues relevaient que « cette solution ne semble toutefois pas satisfaisante et que des solutions alternatives sont encore recherchées » (Mesnildrey et al., 2012, p. 29). C’est encore le cas en 2017.

Cependant, avoir un statut n’est pas le seul critère déterminant en particulier pour les professionnels ENIM et MSA, pour obtenir une autorisation délivrée par la DDTM :

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« Il faut être affilié, soit à EMIN soit à la MSA. Il faut avoir une attestation de commercialisation, c’est-à-dire, avoir un projet que les algues soient achetées ou qu’il y ait un projet de transformation. Mais surtout, il faut qu’il y ait de la place. L’arrêté de 2012 fixe une stabilisation du nombre de récoltants et vu que personne n’est parti en 2013, il n’y a eu aucune autorisation délivrée en 2014. Il y a 11 refus. » (Une chargée de mission de la DDTM)

Ici, est mis en exergue le fait que ce qui est déterminant dans la dynamique du groupe, ce ne sont pas les prérequis statutaires, mais c’est le nombre de licences disponibles. S’il a été atteint en 2014, il a été depuis réévalué et quelques nouvelles licences ont été délivrées. Toutefois, ce groupe de professionnels est stable, avec très peu de nouveaux entrants. Les principales rotations interviennent au travers de personnes récoltants en tant que TESA.

Aujourd’hui, nous sommes en présence d’une filière au nombre restreint d’acteurs qui a connu des changements et des changements structurels importants. Les collecteurs d’algues ne constituent cependant pas un groupe unique au vu des cadres administratifs. Deux grands groupes émergent :

 celui des goémoniers définis par leur pratique de récolte en bateau et leur statut de marins pêcheur avec le statut unique ENIM

 celui des récoltants d’algues de rive est beaucoup plus diversifié comme en témoignent la complexité et la diversité des statuts administratifs.

Mais ces statuts, sont-ils le reflet de la réalité ? Permettent-ils de décrire de façon dynamique et de mieux connaître ce ou ces groupes de professionnels ?

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