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3. L’algue une ressource à valoriser et à conserver

3.2. Des ressources à la gestion

Ressource est un concept commun à de nombreuses disciplines, mais chacun semble avoir son acception du terme. Les économistes Pierre Boude et Christian Chaboud écrivaient en 1993 « II est très difficile de trouver des définitions du concept de ressource dans les écrits des économistes, comme dans les écrits des autres disciplines » (Boude & Chaboud, 1993, p. 270). Pour les géographes, il s’agit de l’un des termes les plus ambigus de la géographie (Brunet et al., 1993). Si des efforts de définition ont été faits dans ces deux disciplines45, elles ont également apporté avec les autres sciences humaines

45 M. C. Cormier-Salem dans le Dictionnaire de l’environnement (2007) « une ressource naturelle est une matière première reconnue comme nécessaire aux besoins essentiels de l’activité humaine. Cette notion est contingente à l’état des technologies qui lui confèrent une valeur économique. Il est habituel de répartir les ressources en deux

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un regard critique sur les sciences biologiques qui ont une place majeure dans les questions de gestion qui s’impose dès lors que l’on aborde les ressources. Un retour sur cette notion aujourd’hui commune, va nous permettre de comprendre dans quel contexte s’inscrivent les recherches scientifiques sur les algues.

Le biologiste Barton Worthington définissait dans un document pour UNESCO, les ressources naturelles comme « tout ce que l’homme peut tirer de n’importe quelle partie de l’univers pour s’en servir » (Worthington, 1964, p. 2). François Ramade réactualise cette définition, dans son Dictionnaire encyclopédique de l‘Écologie comme « les diverses ressources minérales ou biologiques nécessaires à la vie de l’homme et, partant, à l’ensemble des activités économiques propres à la civilisation industrielle » (cité par Dupré, 1996, p. 23). Dans une optique de gestion, afin de conserver ces ressources pour l’homme, la démarche des sciences naturelles consiste à produire de la connaissance sur les ressources et leurs milieux puis interroger les modes d’exploitation de celles-ci et les perturbations engendrées dans l’environnement (Weber et al., 1990). Quatre facteurs influençant les modes d’exploitation et de gestion sont pris en compte : la production de matière, l’énergie nécessaire à cette dernière (ces deux premiers facteurs relevant plutôt d’une réflexion théorique sur la chaîne trophique), l’espace (c’est-à-dire les multiples échelles du lieu de vie de l’individu à l’aire de répartition de l’espèce) et les dimensions temporelles (du cycle biologique de l’espèce à la succession des espèces au sein de l’écosystème) (Ibid). Ces facteurs sont liés à la variabilité de la ressource sauvage, variabilité qui a longtemps été sous-estimée, le caractère inépuisable46 des ressources, en particulier marines, étant une idée largement partagée jusqu’à sa remise en question au début du 20e siècle (Revéret & Dancette, 2010). Pour éliminer l’incertitude liée aux variations saisonnières, deux voies sont proposées par les sciences de la gestion. La première tend à maîtriser les variations par le contrôle des facteurs intrinsèques et extrinsèques à la ressource. La mise en culture permet ainsi la sélection génétique, le contrôle de la productivité de matière (la reproduction, croissance, protection, etc.) et limite les facteurs biotiques et abiotiques (concurrence, maladies, accès aux besoins). Comme nous l’avons montré, le statut de ressource a été attribué aux algues et elles sont alors qualifiées de cultivées ou de naturelles, spontanées, voire sauvage (Lerat, 2013). La différence entre les deux, porte comme l’expliquent Jacques Weber et ses collègues sur la possibilité ou non d’accélérer la reproductibilité de la ressource, par exemple en effectuant de la sélection génétique, et donc d’artificialiser le système comme dans l’algoculture (Weber et al., 1990). Pour la récolte des algues sauvages, l’action de l’Homme peut conduire à altérer ou préserver la reproductibilité en lien avec la pression de ramassage. Puisque la culture n’est pas toujours réalisable, la seconde voie a pour objectif d’anticiper et de prévoir cette reproductibilité. Pour cela, de nombreux modèles de dynamique des populations s’appuyant sur l’accumulation et le traitement de grandes quantités de données et de variables stochastiques ont été utilisés pour gérer les stocks à l’optimum (Ibid). Parallèlement des mesures pour réguler l’exploitation ont été mises en place à différentes échelles faisant appel à des outils ou des politiques très variés :

catégories : les ressources naturelles renouvelables, capables de se régénérer à l’échelle du temps humain (comme les populations d’espèces animales ou végétales) et les ressources non renouvelables qui en sont incapables […]». 46 Nous pouvons également évoquer une phrase attribuée à Thomas Henry Huxley, 1884, alors qu’il était président de la Royal Society et inspecteur de la pêche : « La pêche au cabillaud, la pêche au hareng, la pêche à la sardine, la pêche au maquereau, et probablement toutes les grandes pêcheries maritimes constituent des ressources inépuisables ; rien de ce que nous faisons n’affecte réellement la quantité de poissons ». Huxley, T. H. (1884)

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quotas, licences, taxes, techniques de l’exploitation, etc. (Dupré 1996 ; Hubert & Mathieu 1992 ; Weber et al. 1990).

Si la gestion des ressources demande des pratiques et des savoirs naturalistes spécifiques, elle est très souvent uniquement associée aux sciences de la nature or les ressources sont une construction sociale (Ibid). En s’appuyant sur la définition proposée par François Ramade (page précédente), l’ethnologue Georges Dupré s’interrogeant sur l’existence des ressources naturelles et montre comment pour des écologues les ressources appartiennent à un ensemble préexistant, extérieur aux sociétés, et sont donc quantifiables (G. Dupré, 1996). Ainsi, les éléments du milieu sont des ressources utiles, utilisées, rares (et donc précieuses), etc. qu’au regard du système de valeurs propre à chaque société, système duquel dérivent des conditions techniques, politiques et économiques d’usage de ces ressources (G. Dupré, 1996; Hubert & Mathieu, 1992; Weber et al., 1990). Par exemple la notion de rareté si souvent mise en avant n’a aucune existence naturelle, elle liée à l’intensité de l’exploitation, et elle est un fait culturel basé sur un système de valeurs (Weber et al. 1990). Dans leur analyse du terme ressource au travers des différentes disciplines, l’écologue Bernard Hubert et la géographe Nicole Mathieu expliquent comment la dimension sociale est abordée par l’écologie :

« L’utilisation [de la notion de ressource] est un moyen commode de prendre en compte les activités humaines sans avoir vraiment à en rendre compte. La notion de « ressources » n’intervient que pour faire un pseudo-constat de la diversité biologique ou du risque de raréfaction des « ressources génétiques », dans un discours qui glisse aisément vers la notion de patrimoine pour déboucher sur la proclamation de la nécessité de « conserver » et de « protéger la nature » » (Hubert & Matthieu, 1992, p. 2-3)

Un autre point soulevé par le questionnement sur le terme ressource est la dimension économique. B. Hubert et N. Mathieu expliquent comment la définition de ressource est aujourd’hui construite sur la pensée des économistes puisqu’elle se base sur les multiples usages qui en sont faits et par rapport à leurs valorisations. Ces éléments introduisent plusieurs problématiques comme celles de l’appropriation (au sens propriété privée ou collective) et des conflits d’usage, de la nature des interactions et de la concurrence, des marchés, voire même de construction du patrimoine naturel (Hubert & Mathieu 1992 ; Weber et al. 1990).

Ainsi, la notion de ressource ne peut être abordée uniquement par le point de vue des sciences naturelles. Les différents auteurs cités sont unanimes quant au rôle de l’interdisciplinarité comme moteur pour les recherches sur les ressources. Le glissement — de la nature à la biodiversité en passant par les ressources — n’est pas seulement sémantique, c’est aussi un changement de paradigme (Blandin, 2009). À l’image de la classification du monde vivant qui a permis aux naturalistes un découpage dans l’immensité de la nature, les notions de biodiversité et de ressources naturelles fractionnent cette nature en entités mobilisatrices et flexibles pouvant s’intégrer au sein d’une problématique gestionnaire (Milanovic, 2011). Nous pouvons alors nous questionner sur le cas des algues. Puisque cette ressource naturelle sauvage a subi ce changement de paradigme, qui sont les acteurs scientifiques impliqués dans ce changement ? Et comment se traduit-il aujourd’hui dans le contexte de récolte des algues en Bretagne ?

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