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Le premier profil de récoltant d’algues de rive relève d’un paradoxe. Bien que majoritaire (environ la moitié de l’effectif des récoltants), il nous été presque impossible d’échanger avec eux. C’est donc le croisement d’observations et les échanges avec d’autres personnes (professionnels, administratifs, scientifiques, etc.) qui nous ont permis de construire le profil. Pour le récoltant-occasionnel, la récolte des algues de rive est une source de revenus complémentaire parfois indispensable.

Il s’agit majoritairement d’hommes, mais aussi de femmes, dans une classe d’âge très large allant de 16 à 60 ans, voire plus, habitant dans les communes littorales. Identifier ce profil par des critères matériels ou extérieurs est difficile. Dans plusieurs activités de collecte de coquillages, les outils ou les tenues vestimentaires étaient des éléments de reconnaissance entre groupes professionnels ou amateurs, entre braconniers et légitimes, entre locaux ou touristes (Chlous-Ducharme, 2005). Ces critères ne sont pas pertinents dans ce cadre. Ces individus utilisent des outils similaires aux autres récoltants. Comme un grand nombre de récoltants, bien qu’illégal, il se sert de son bateau personnel dédié à la plaisance et de sa voiture personnelle. Se fondant dans la masse, l’échange avec lui ou la désignation par une tierce personne sont les moyens les plus efficaces pour l’identifier.

L’occasionnel peut être affilié à deux statuts administratifs. Le plus répandu est celui de TESA (Titre Emploi Simplifié Agricole), mais tous les TESA ne rentrent pas dans ce profil. Une partie d’entre eux s’inscrivent dans le profil des récoltants-héritiers que nous évoquerons par la suite. Plus rarement, les récoltants-occasionnels sont affiliés à l’ENIM, car ils sont pêcheurs professionnels ou goémoniers embarqués. D’autres n’ont pas de statut et continuent à collecter illégalement des algues.

Leur activité est ponctuelle, comprise dans la période estivale entre juin et septembre et uniquement durant les périodes de grandes marées. Elle est aussi géographiquement restreinte : les secteurs de récolte sont souvent proches de leurs habitations ou du port dans lequel est amarré leurs bateaux et les zones de séchages sont situées dans le jardin familial. L’activité du récoltant-occasionnel se concentre sur quelques espèces d’algues. Les deux principales sont Chondrus crispus et Mastocarpus stellatus, regroupées dans une même catégorie dénommée de plusieurs manières sur les côtes bretonnes le « liken »-« pioka »-« petit goémon ». Cette récolte a toujours été une activité fournissant des revenus complémentaires, parfois conséquents aux familles :

« C’était une petite économie parallèle, c’était le petit plus. C’est comme le fils du restaurateur qui donne un coup de main ou le fils de l’agriculteur qui va au marché. Avant, tout le monde le récoltait, les jeunes et les vieux. C’est des gens simples [non péjoratif pour elle] qui le font, ceux qui sont un peu démerdent, ils vont faire autre chose. […] On a franchi un cap avec les statuts et les fiches de paye, même si les gens ne le faisaient plus ou presque plus, aujourd’hui c’est pire. Et du coup, il y a des gens qui le vivent mal. » (Une jeune habitante impliquée dans la vie locale) Jusqu’à l’instauration des statuts en 2008, cette activité inscrite dans les habitudes locales était un appoint. Mais avec l’instauration d’une réglementation et un encadrement de cette pratique, notamment par l’obligation de déclaration des revenus, celle-ci s’est professionnalisée. Alors, les récoltants-occasionnels ont diversifié leurs pratiques et aujourd’hui récoltent d’autres espèces plus rentables et avec une forte demande comme Palmaria palmata.

159 Cas particuliers des goémoniers embarqués

Dans ce profil sont inclus des goémoniers embarqués qui récoltent des algues de rive. Leur motivation principale est liée à des difficultés financières ponctuelles. Contrairement aux autres personnes présentées ci-dessus, ces professionnels sont plus identifiables et acceptent d’échanger sur leurs situations et leurs pratiques. Au travers de leurs expériences, nous allons mettre en lumière les caractéristiques propres du profil récoltant-occasionnel.

Patrick et Sabine93sont deux goémoniers embarqués en activité. Patrick est un goémonier expérimenté puisqu’il a commencé, il y a 27 ans. Après un bac général, il passe son permis de navigation (PCM) en candidat libre afin d’être en mesure d’embarquer sur des navires de pêche. Ensuite, pendant trois ans, il se forme sur le bateau de son père, lui-même goémonier embarqué. Si à l’époque rien ne l’y obligeait, car « on pouvait embarquer comme ça», il obtient son certificat de capacité, « le capacitaire», diplôme post-école, lui permettant d’être patron sur son bateau. L’attrait pour ce métier vient comme pour beaucoup de goémoniers par le père, déjà dans la profession :

« J’ai baigné dedans […] et puis gamin, on passait notre temps dans la grève. Je n’ai pas repris le bateau de mon père, j’ai fait un bateau neuf. Mais, j’ai commencé avec lui. » (Patrick) Si pour Patrick la collecte des algues de rive a débuté dès son enfance en accompagnant son père et il admet y trouver un certain plaisir, elle n’a pas eu cependant le même attrait que la récolte en bateau. Après une période d’arrêt durant ses études, c’est lors de son installation en tant que goémonier qu’il a repris la récolte des algues de rive. L’argument financier était la principale raison. La dureté de ces pratiques l’a conduit à arrêter dès que sa situation s’est améliorée :

« Avant, je faisais ça quand financièrement c’était dur. […] Au début, quand je me suis installé, j’ai eu besoin d’argent et puis quand tu en as, tu arrêtes vu comme c’est dur. » (Patrick)

Pour lui, la récolte des algues de rive s’inscrit dans plusieurs dimensions. Elle correspond à un moment familial, renvoyant à son enfance et à son père, aux vacances avec un réel plaisir. Par la suite, cette pratique est associée à une situation professionnelle parfois délicate devenant une source de revenus complémentaires.

Lors des premiers terrains d’enquête en 2012, la récolte des algues de rive était rarement pratiquée par les goémoniers, sauf dans leur jeunesse. Toutefois, en 2014, il est apparu que plusieurs goémoniers avaient repris cette activité en raison du contexte difficile. En effet, les conditions climatiques hivernales exceptionnelles ont eu un fort impact sur la ressource algale, affectant les situations économiques, après deux saisons fastes lors desquels de nombreux investissements avaient été faits. Patrick a quant à lui intensifié son activité :

« Je le faisais fin août et un peu en septembre d’habitude. Mais là, j’ai commencé plus tôt [en 2014]. J’ai fait 7 jours de liken depuis le début de la saison. J’ai commencé en juillet et je le fais aussi les samedis. »

Le parcours de Sabine est différent de Patrick, mais elle se trouve dans une situation similaire. Si son grand-père était goémonier, 2014 n’est que sa troisième saison dans la profession. Après une longue expérience professionnelle, elle décide par choix de se tourner vers la récolte des algues et la pêche,

93 Pour faciliter la lecture tout en gardant l’anonymat de personnes enquêtées, nous avons modifié les prénoms. Afin de garder une correspondance sociologique, nous nous sommes basés sur le travail du sociologue Baptiste Coulmont (Coulmont, 2015).

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métier que son mari exerce déjà depuis presque vingt ans. Contrairement à Patrick, lorsqu’elle se présente, c’est avec une optique de pluriactivité, explicitant les bateaux dont elle dispose : un pour les laminaires et un second les algues de rive.

« J’ai un goémonier [un bateau pour la récolte des laminaires] à l’Aber Ildut. On fait un peu d’hyperborea, mais on a commencé, il y a 1 an et demi au port du Vilh et cette année j’ai acheté une petite plate en aluminium pour faire l’algue de rive en plus, le pioka. »

C’est également en raison du contexte de l’année 2014 avec une faible biomasse en algue, qu’elle pratique cette activité. Les prix faibles et l’investissement matériel et humain nécessaire pour la récolte et le séchage n’incitent pas les personnes à se lancer comme elle l’explique :

Sabine : « on verra bien, mais vu la situation cette année, on est à moins 80 % de perte du chiffre d’affaires pour la laminaire. Donc… Pas trop de prévision, cette année. Si la laminaire était comme les deux dernières années, je ne pense pas que j’aurais fait le pioka. C’est dur physiquement pour ce que l’on gagne. On sort juste un petit salaire, on ne peut pas payer de charges. »

CG : « Est-ce que tu envisages de faire d’autres algues de rive ? »

Sabine : « Il y a le goémon rouge [Palmaria palmata], mais je ne connais pas. Peut-être un jour avec mes fils. Je ne sais pas. […] Il faut avoir le bateau, il faut avoir de quoi les transporter, les sécher. Ils prennent des jeunes à partir de 16 ans, mais ils n’ont pas leurs permis à cet âge. C’est assez compliqué. Et puis le prix, ça n’aide pas. C’est 1,40 euros le kilo sec [rouge]. Ce n’est pas cher. Avec 500 kilos de mouillés vous faites 135 kilos de secs. Et pour faire 500 kilos en une journée, il faut être vraiment balaise. En moyenne, c’est plutôt 300 ou 400. Et puis, il faut l’essence. Et aux mortes-eaux, vous ne pouvez faire que 200 kilos. »

Par marée, Patrick affirme pouvoir faire presque 600 kilogrammes avec une démarche similaire. En 2015, Patrick et Sabine ont continué, mais dans une moindre mesure cette récolte. Leurs nombres de journées ont diminué et Sabine vend à un dépositaire les algues fraîches qui lui se charge de faire le séchage.

Pour les goémoniers embarqués, la récolte à pied n’est pas au cœur de leur profession, et ils ne considèrent pas tous les récoltants d’algues de rive comme légitimes, mais elle joue un rôle important en particulier lors des périodes difficiles économiquement.

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