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Chapitre II : Le tourisme français en Italie

Carte 4. Distribution des préférences des touristes français par région italienne

1. Un tableau de l’Italie

Les touristes peuvent trouver en Italie de nombreux éléments favorables au déroulement agréable de leurs vacances, dont les plus fréquemment évoqués sont le cadre naturel et la richesse du patrimoine. Les guides, qui ne peuvent que s’attacher à vanter les charmes de la destination qu’ils présentent, ne manquent pas d’en faire un inventaire aussi complet que possible.

Tous mettent en exergue la beauté et la variété des paysages. Il est ainsi écrit dès premières lignes du Guide Michelin :

« L’Italie, c’est un paysage aux lignes pures et nobles. Baignant citées anciennes, montagnes, lacs, baies harmonieuses, une lumière merveilleuse, toute dorée, épure les lignes, magnifie les formes et, par son éclat, met la joie au cœur. »453

C’est avec le même enthousiasme, associant esthétisme paysager et bonheur, que le guide Marabout invite ses lecteurs au voyage :

« Avec l’Italie, vous allez vers le soleil, le ciel pur, les fleurs, les fruits, la joie de vivre ».454

Toutes les pages consacrées aux beautés naturelles de l’Italie insistent sur la symbiose entre le paysage et le climat. Paul Lechat observe dans le guide Petite planète que « la douceur du climat est un attrait puissant »455

. L’ensoleillement et les températures souvent clémentes valent à l’Italie la réputation de « pays du printemps éternel » pour le Guide vivant de l’Italie, qui note toutefois que « les surprises peuvent être déconcertantes »456

.

Mais surtout, Les guides rivalisent d’emphase pour décrire la diversité des spectacles offerts par la nature. Pour le Guide vivant de l’Italie :

452 L. ZEPPEGNO, op. cit., p. 11.

453 Guide Michelin, op. cit., p. 3.

454 Vacances en Italie, coll. « Marabout-Flash », éd. Gérard et Co, 1959, p. 7.

455 P. LECHAT, op. cit., p. 170.

« Il est difficile de trouver une région grise, monotone ou désagréable »457.

Du nord au sud, chaque région, chaque site, est digne d’intérêt et propose des vues susceptibles de ravir tous les goûts. Les touristes les moins aventureux trouvent dans le Nord de l’Italie des régions qui, comme le Piémont, offrent, selon le Guide Michelin, « des horizons familiers »458

. De même, le guide Petite planète remarque, à propos de la Lombardie, qu’« un Français du Nord ou de l’Est ne se sent nullement dépaysé de ce décor d’abondance agricole et industrielle »459

. Dans la partie septentrionale de la Péninsule, les lacs se présentent, d’après

le même guide, comme des « lieux de séjour d’un agrément exceptionnel »460

. Le point de vue est largement partagé.

D’une manière unanime, il est souligné que le dépaysement est plus grand dans la partie méridionale du pays. Jack Chargelegue note, dans L’Italie 25 francs par jour, que « de Tarente à Reggio de Calabre, voici des paysages où quelquefois l’on voit déjà poindre l’Afrique »461

. Parcourir le Mezzogiorno, « d’une beauté merveilleuse »462

selon le Guide Larousse, invite les touristes à la « découverte »463

et à une plus grande « solitude »464

. Dans cette région, « la plage de Reggio de Calabre se situe dans un des plus beaux décors de la Méditerranée », et ne présente pas, selon Jack Chargelegue, les défauts des rivages de l’Adriatique ou de la côte ligure, « appropriés en grande partie par les établissements de bains » et « surpeuplés ». Mais, c’est la Sicile qui recueille les plus grandes faveurs des cicérones. Pour le Guide bleu comme pour le Guide Larousse, elle est « la plus belle île de la Méditerranée »465

.

Outre le cadre paysager, la richesse patrimoniale figure au premier plan des attraits de la Péninsule. Nous avons vu que certains guides se consacrent pleinement à tracer des itinéraires qui prennent pour seules étapes les monuments et les musées, pour lesquels ils proposent des descriptions souvent très détaillées. L’architecture sert fréquemment de point d’ancrage à des mises en perspective historique. Par la place qui lui est accordée, le patrimoine architectural en vient à se confondre avec une part de l’identité italienne.

Certes, les grandes villes sont associées dans l’imaginaire collectif à leurs principaux monuments – le cas le plus évident est sans aucun doute celui de Pise et sa tour – mais au-delà de ce phénomène, qui n’est pas propre à l’Italie, le peuple italien lui-même est assimilé à ses réalisations. On peut ainsi lire dans le guide Petite planète :

457 Ibid., p. 49.

458 Guide Michelin, op. cit., p. 11.

459 P. LECHAT, op. cit., p. 170.

460 Ibid.

461 J. CHARGELEGUE, op. cit., p. 348.

462 Guide Larousse, op. cit., p. 93.

463 Ibid.

464 J. CHARGELEGUE, op. cit., p. 36.

« Les Italiens sont les maîtres de la pioche, de la truelle et de l’équerre, des maîtres bâtisseurs. Ce n’est pas un hasard si, encore aujourd’hui, les ouvriers du bâtiment piémontais et calabrais sont si nombreux sur les chantiers où se construisent nos maisons et nos ports. »466

Pour le Guide Michelin :

« Les Italiens sont maçons dans l’âme. »467

On ne peut que s’interroger avec une grande perplexité au sujet de l’effet valorisant de ce type de rapprochement sur la représentation de la condition ouvrière des Italiens, notamment émigrés en France.

Toujours est-il que les « villes d’art » les plus célèbres font l’objet dans les guides d’un traitement particulier et occupent un très grand nombre de pages. Rome, Florence, Venise et Naples sont décrites dans des publications spécifiques qui témoignent de l’intérêt porté à ces cités468

. Selon le Guide bleu, Florence est « après Rome, la ville la plus intéressante d’Italie »469

, tandis que Venise est « une ville à part, peut-être la plus étrange du monde »470

. Tous les auteurs ne tarissent pas d’éloges et leurs propos n’appellent guère de commentaires. Ils ne font que reproduire des jugements esthétiques relativement consensuels, notamment en ce qui concerne le génie des artistes de la Rome antique et de la Renaissance. En revanche les monuments et les œuvres créés au cours des périodes suivantes laissent davantage de place à une diversité d’appréciation. Si le baroque est généralement très apprécié et abondamment décrit, notamment à travers le foisonnement des monuments religieux élevés à cette époque, du point de vue artistique, le XIXe

siècle et même le XXe

siècle ne recueillent que bien peu de

notations admiratives ou seulement favorables. Après le XVIIIe

siècle, il semble que l’intérêt historique l’emporte nettement sur l’intérêt esthétique des vivenda. Cela s’explique en grande partie par le peu de considération dont jouit l’art italien contemporain. Paul Lechat, pourtant sensible aux charmes de la modernité, note :

« [Au XIXe siècle] un nouveau style, sévère, froid et régulier, se développe, en réaction contre la liberté d’inspiration et les fantaisies plastiques du baroque. Mais ce néo-classicisme manque de vigueur et d’originalité. Ni les architectes, ni les sculpteurs de cette époque ne réussissent à insuffler une vie nouvelle aux formes antiques qu’ils imitent

466 P. LECHAT, op. cit., p. 47.

467 Guide Michelin, op. cit., p. 16.

468 Nous avons relevé dans les répertoires de la Bibliothèque nationale pour la période 1958-1969, dix guides sur Rome, quatre sur Florence, trois sur Venise et sur Naples.

469 Guide bleu, op. cit., p. 386.

sans génie. […] Rares sont les peintres et les sculpteurs de cette époque qui échappent à la médiocrité académique. »471

S’il trouve, pour sa part, que les artistes italiens du XXe

siècle sont parvenus à retrouver « l’inspiration du grand style »472

, il n’est pas suivi en ce sens par de nombreux guides culturels qui ne mentionnent que très peu d’œuvres contemporaines. Les itinéraires proposés par le Guide Michelin, qui présente un succin résumé des temps forts de chaque étape, ne

mentionnent aucun monument postérieur au XVIIIe

siècle. Néanmoins, de manière générale, les villes italiennes semblent attirer avant tout les touristes par leur patrimoine artistique et historique.

Naples occupe, dans cet ensemble, une place à part : ville d’art reconnue, parmi les plus visitées de la Péninsule, son attrait ne relève pas des mêmes ingrédients qui font le succès de Florence ou de Venise et ne conduit pas au même consensus. Si la cité méridionale a su

séduire par le passé Stendhal ou Alexandre Dumas473

et plus récemment Roger Peyrefitte474

ou encore Dominique Fernandez, un jeune normalien agrégé d’italien, également critique littéraire à l’Express et à France Observateur, qui lui consacre de très belles pages dans Mère Méditerranée475

, les guides font preuve de moins d’engouement. Le Guide Larousse y voit une « incohérente ville populaire »476

, tandis que dans l’Italie 25 francs par jour, elle est considérée comme une « ville triste industrialisée » où « les embouteillages atteignent à la perfection »477

. À dire vrai, plus que la ville, c’est le comportement de ses habitants qui suscite les commentaires. Le Guide bleu, peu enclin à évoquer la dimension humaine des régions visitées, fait pour l’occasion une exception et l’on peut y lire :

« La vie populaire s’étale presque partout, à chaque instant, avec une extrême liberté et une surprenante fantaisie. De l’aube jusqu’au crépuscule, et parfois bien avant dans la nuit, le voyageur est frappé non seulement par le bruit assourdissant de la circulation mais aussi par les rumeurs constantes de cette cité où tout est voix, cri ou chant. »478

En des termes moins choisis, le marquis de Sade écrivait à la fin du XVIIIe

siècle à propos l’étape napolitaine de son Voyage d’Italie :

471 P. LECHAT, op. cit., p. 77.

472 Ibid.

473 Cf. Y. HERSANT (éd.), op. cit., p. 580-603.

474 R. PEYREFITTE, op. cit. L’auteur parle d’une « ville merveilleuse » (p. 20).

475 D. FERNANDEZ, op. cit. p. 7-46.

476 Guide Larousse, op. cit., p. 93.

477 J. CHARGELEGUE, op. cit., p. 295.

« C’est avec douleur, j’en conviens, qu’on voit le plus beau des pays de l’univers habité par l’espèce la plus abrutie »479.

Si l’insulte n’a plus cours, il reste que c’est à Naples que la perception de la différence entre Français et Italiens est la plus vive. Paul Lechat rapporte le témoignage d’une touriste, Madame M., qui, de ce point de vue, est caractéristique :

« Quand nous sommes arrivés à Naples, quelle horreur ! Quel chahut, quelle bousculade ! C’est sale. Les gens ont l’air misérables. J’avais à peine mis les pieds hors de la gare que j’étais assiégée par sept faquins qui se disputaient mes valises. »480

À l’évidence, Naples présente comme principal défaut… d’être habitée. Mais c’est aussi ce qui fait son charme et qui y attire de nombreux touristes désireux d’observer une ville « typiquement » italienne, on pourrait dire typiquement méridionale. Le dépaysement pouvant être brutal, les guides prennent le parti d’en avertir leur lecteur, de les préparer au choc de la rencontre avec le Sud, non sans perpétuer ainsi une multitude de clichés sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

L’ambiguïté de la relation aux populations autochtones ne se limite d’ailleurs pas aux descriptions de Naples. La manière dont Paul Lechat présente la « Ville éternelle », destination culturelle par excellence, nous semble aussi significative des représentations et des comportements touristiques :

« À Rome, dès qu’on a quitté les grandes artères et le circuit des palais, des églises et des souvenirs historiques, on pénètre dans un monde qui n’est guère réjouissant. »481

En effet, les monuments, laïques ou religieux, et les musées constituent, à la lecture des guides, autant de balises circonscrivant un territoire touristique au-delà duquel s’étend un univers qui demeure, à bien des égards, inconnu. La vie socio-économique des habitants est fort peu évoquée et il est donc intéressant de s’attarder quelque peu sur la manière dont est abordé un aspect essentiel de l’Italie contemporaine : la modernité (notamment à travers les activités industrielles).

Le Guide Michelin fait exception, parmi les guides les plus diffusés, en attirant l’attention de ses lecteurs itinérants sur « un grand nombre de réalisations qui étonneront le visiteur : bonification des terres, barrages, usines et immeubles ultra-modernes »482

. Il y est

479 Cité in Y. HERSANT (éd.), op. cit., p. 572.

480 P. LECHAT, op. cit., p. 142.

481 Ibid., p. 105. L’auteur ne se pose pas ici en détracteur de la manière de vivre des Italiens, mais tente au contraire d’attirer l’attention de ses lecteurs sur les difficultés sociales des populations urbaines, trop souvent passées sous silence et ignorées des touristes.

également noté que « l’économie italienne poursuit actuellement une évolution qui va en faire

une des plus modernes d’Europe. »483

Ces aspects ne sont toutefois que fort peu développés hors des pages réservées à la présentation générale du pays. Tout juste est-il précisé, à l’abord des grandes villes du Nord, qu’il s’agit de cités industrielles :

« Milan, capitale économique de l’Italie, est une grande ville moderne, par ses buildings et ses banlieues industrielles. Mais elle garde de son passé des témoignages artistiques de premier ordre. »484

Le propos est parfois plus détaillé, mais dans des ouvrages destinés à un public plus restreint. Le plus disert sur la modernité de l’Italie est Doré Ogrizek :

« L’Italie n’a pas fini d’étonner le monde. Une nouvelle civilisation est en train d’y naître sous nos yeux. Les étrangers de plus en plus nombreux chaque année, qui vont y passer leurs vacances, découvrent avec des sentiments divers que l’Italie n’est pas seulement un immense musée […] mais aussi une grande nation industrielle, en passe de régler rapidement des problèmes qu’on disait insolubles il y a dix ans. Ils vont à Venise en voyage de noces, se penchent à la fenêtre du train et aperçoivent d’abord les raffineries du pétrole de Marghera ; au milieu des paysages de Toscane, ils voient fumer les centrales pétrochimiques de Larderello ; s’embarquent pour Capri, ils trouvent la côte de la baie de Naples occupée par des usines et des chantiers de construction navale. »485

Au contraire, certains guides déplorent cette réalité qui vient défigurer ou cacher les véritables trésors urbains, qui ne peuvent qu’être anciens :

« Nous arrivons à Gênes qui avait beaucoup souffert des bombardements de 1944 mais qui a retrouvé, dans une activité de plus en plus bruyante, la splendeur de ses demeures patriciennes. […] C’est dans ces quartiers du port qui gardent le reflet de la Gênes puissante et magnifique du moyen âge et de la Renaissance et qui sont, tout à la fois, sordides et secrets, que nous trouvons les souvenirs émouvants de sa primitive grandeur. […] Cette grandeur de Gênes, c’est au palais S. Giorgio qu’on en aura le plus profondément le sentiment, bien qu’il ait perdu dans des restaurations et des agrandissements successifs une partie de son caractère. Il aurait fallu le voir quand la façade postérieure donnait directement sur la mer, au lieu d’être précédée de docks, et était entièrement peinte. »486

483 Ibid., p. 17, chapitre « Économie ».

484 Ibid., p. 37.

485 D. OGRIZEK, op. cit., p. 198.

Certes, cette réalité ne peut échapper aux touristes, au moins au cours des trajets les menant vers des sites attractifs, mais la faible place qu’elle occupe dans les guides ainsi que la référence à un sentiment d’étonnement voire de déplaisir, lorsqu’elle est évoquée, en dit long sur les représentations stéréotypées d’un pays figé dans le passé. Le Guide Michelin ne se trompe pas en affirmant en préambule :

« Aujourd’hui des armées pacifiques de touristes mettent leur pas dans ceux de Du Bellay, de Montaigne, de Goethe, de Byron, de Chateaubriand, de Stendhal et des innombrables artistes venus puiser aux sources de la civilisation occidentale. »487