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géographique de l’immigration italienne

Carte 2. répartition des origines régionales

A. L’engagement syndical et politique

2. Un « parti italien » : le PCF

Le renouvellement de l’accord de 1958 en 1964 et 1968 consacre la réussite d’une entreprise qui rompt avec la tradition syndicale française. Jusqu’alors, en effet, l’assistance aux migrants relevait exclusivement des sociétés de secours mutuels, contrôlées parfois par le patronat et souvent par les missionnaires catholiques. L’action de la CGT s’inscrit donc aussi dans une stratégie politique plus globale visant à contrecarrer l’influence des milieux catholiques sur l’immigration italienne. Dans cette perspective, elle conjugue ses efforts avec ceux qui sont menés par les autres membres de la famille communiste, en premier lieu le Parti.

Cette connexité avec le PCF procure par ailleurs un atout supplémentaire dans la mobilisation de l’immigration italienne sur le terrain de la lutte syndicale. Les très nombreuses passerelles entre la centrale syndicale et le parti permettent, au niveau du recrutement, un mouvement de va-et-vient par lequel chacun profite du pouvoir d’attraction de l’autre212

.

2. Un « parti italien » : le PCF

Si, comme l’écrit Georges Marchais, « depuis toujours, le Parti communiste français

attache une très grande importance au problème de l’immigration »213

, la ligne politique en ce domaine n’a pas été linéaire. Elle a oscillé entre la nécessité d'un engagement en faveur des immigrés, en vertu du principe de l'internationalisme prolétarien, et l’opposition à l'introduction d'une main-d'œuvre étrangère accusée de contribuer, selon l'expression de Maurice Thorez, à la paupérisation absolue de la classe ouvrière. Depuis le milieu des années cinquante, le PCF s’est toutefois engagé plus fermement dans la défense et la représentation des intérêts des migrants. Dans le cadre de cette politique volontariste à l’égard de l’immigration, les Italiens jouissent d’une considération particulière, fondée sur la mémoire de l’antifascisme. Dans l'esprit des communistes, l'immigré italien demeure avant tout un

211 CAC 880 312/8, ministère de l’Intérieur, note des Renseignements généraux : « Activité commune CGT-CGIL dans l’immigration italienne », 10 mars 1965. La structure de l’INCA est en 1965 la suivante : un bureau national de liaison INCA/CGT au siège de la CGT, cinq bureaux régionaux (Paris, Douai, Lyon, Marseille, Villerupt) et seize « bureaux d’assistance ». Aux cinq bureaux régionaux s’ajoutent 58 permanences départementales, de zones ou d’entreprises, ainsi qu’un réseau de 200 militants de la CGT, « correspondant INCA » dans les entreprises où les immigrés italiens sont nombreux. Cf. L. GANI, op. cit., p. 233.

212 Un témoignage, recueilli lors d’une enquête sur l’émergence d’élites locales dans la population immigrée italienne de la seconde et troisième génération dans les départements du Lot-et-Garonne et de la Gironde, indique : « Ici à l’usine, c’est la CGT qui dominait, il en fallait un qui fonce, alors comme j’étais au PC, je me suis investi ici [...] » (S. FESCIA-BORDELAIS, « L’immigration italienne et l’émergence d’élites locales », in A. BECHELLONI, M. DREYFUS, P. MILZA (dir.), op. cit., p. 302).

213 A. VIEUGUET, Français et immigrés : le combat du Parti communiste français, Paris, Éd. Sociales, 1975, p. 7.

antifasciste avec qui l'on conserve le souvenir d'une lutte partagée et qui, de ce fait, mérite qu'on lui tende la main.

L’amélioration des conditions d’accueil et d’encadrement au sein du parti est, de fait, une préoccupation constante. La première mesure d’importance est adoptée par le XVIIe

congrès, à la suite d’un rapport présenté au Bureau politique en avril 1964 par Georges Marchais, secrétaire à l’organisation et à ce titre en charge du dossier de l’immigration214

. Elle prévoit l’inscription dans l’article VII des nouveaux statuts de la réactivation des groupes de langue215

. L'immigration italienne est familière de ce type de structure qu'elle a animé par le passé avec une telle vitalité que le PCF a rencontré les plus grandes difficultés à les maintenir sous son contrôle, en raison notamment de l'influence exercée par le Parti communiste italien216

.

La reconstitution des groupes de langue ne manque pas de poser la question des relations entre les deux « partis frères » sur le terrain de l'immigration, d'autant que le PCI n’a pas abandonné ses prétentions à maintenir des liens avec les militants exilés217

. Or, le PCF exige depuis la fin de la guerre une intégration sans ambiguïté des immigrés au sein de ses propres structures, dont il entend assumer la pleine direction comme en témoigne le rapport de 1964.

En dépit de cette incompatibilité apparente, le différend s'estompe devant les intérêts de chacun. Le succès de la ligne politique définie par les communistes français impose nécessairement de lever l'hypothèque d'une attraction concurrente, tandis que les communistes italiens, conscients de l’importance électorale que représente l’apport des voix des émigrés, sont enclins à la conciliation. Celle-ci est favorisée, au début des années soixante, par la nette amélioration des relations entre les deux partis, après une période de profondes divergences à propos du processus de déstalinisation218

. Les discussions entamées en mars 1956 aboutissent enfin à la signature à Rome, par George Marchais et Giorgio Amendola, le 10 novembre 1965, d'un protocole d’accord sur l’activité dans l’immigration italienne en France.

Ce document fondamental, car déterminant précisément les voies à suivre, élabore les bases d’un compromis indispensable à la collaboration. Il y est ainsi écrit :

« En tant que partie de la classe ouvrière et des masses travailleuses françaises, les émigrés italiens sont intéressés d’une manière vitale aux luttes économiques, sociales et politiques des travailleurs français et des émigrés des autres nationalités [...]. En même

214 Le texte du rapport est publié dans France nouvelle, 28 avril 1964, p. 18.

215 Les Cahiers du Communisme, juillet 1964, p. 145.

216 Cf. L. CASTELLANI, « Un aspect de l’émigration communiste italienne en France : les groupes de langue italienne au sein du PCF (1921-1928) », in P. MILZA (dir.), Les Italiens en France de 1914 à 1940, Rome, Ecole française de Rome, 1986, p. 195-221.

217 Sur cet aspect, voir le travail très complet de Laurent LAVIGNE, Le PCF, obstacle de la politique du PCI

envers les Italiens de France, 1945-1970, mémoire présenté à l'IEP Paris, 2001.

218 Cf. M. LAZAR, Maisons rouges : Les Partis communistes français et italien de la Libération à nos jours, Paris, Aubier, 1992.

temps, les émigrés italiens représentant toujours une partie de leur peuple, sont intéressés aux luttes économiques, sociales et politiques qui ont lieu en Italie et sont engagés à contribuer à un changement radical de la vie politique et à une transformation des structures sociales du pays. »219

En retour de la reconnaissance et de l'appui accordés aux immigrés italiens afin qu'ils accomplissent leur « devoir civique » au pays, ainsi que le réclame l’article 48 de la Constitution italienne, le PCF se voit attribuer l'entière responsabilité de la direction politique. L'accord stipule en effet que le PCI « recommandera à ses adhérents et militants émigrés en

France de donner leur adhésion et de militer au PCF »220

. Le bénéfice que tirent les dirigeants communistes français de cet accord est donc non seulement important dans le domaine du contrôle organisationnel mais aussi sur un plan psychologique puisqu'ils disposent désormais d'une délégation officielle de leurs homologues transalpins, ce qui favorise le ralliement des migrants.

Dans cette double perspective, le PCF possède un autre atout qu'il entend développer : la présence à tous les échelons de son organigramme d'Italiens ou de Français d'origine italienne. Les portes des écoles des cadres leur sont désormais ouvertes plus largement. Certains occupent des responsabilités à la commission centrale de la MOI, comme Marius Apostolo, Charles Barontini ou Mario Fornari, qui signent de nombreux articles sur l'immigration dans la presse communiste. Les fonctions les plus élevées sont occupées par des Français d’origine italienne à l'image Joseph Sanguedolce, membre du comité central. Dans le département de la Meurthe-et-Moselle, ils tiennent trois postes sur cinq au secrétariat fédéral, cinq sur sept au bureau fédéral et seize sur trente-trois au comité fédéral221

.

Ce processus d’incorporation des Italiens à différents niveaux de la hiérarchie du parti est grandement facilité par la présence ancienne en France de bon nombre d’entre eux. Bien intégrés, parfois naturalisés, ils sont en effet mieux disposés à franchir un pas supplémentaire dans leur engagement militant. Parmi ceux qui ont obtenu la nationalité française, certains n’hésitent pas à briguer des mandats électoraux, en particulier dans les régions à forte concentration italienne. Une enquête menée dans l’arrondissement de Briey, en Lorraine, lors des élections municipales de 1959, montre que sur les 163 candidats élus d’origine italienne, 79 (soit 48 %) sont membres du PCF, représentant 40 % des élus communistes de l’arrondissement222

. En Lorraine, le parti communiste fait figure de « parti italien »223

et la remarque vaut également pour une partie de la région parisienne224

.

219 Le texte de l’accord est publié dans les Cahiers du Communisme, décembre 1965, et dans L’Humanité, 11 février 1966.

220 Ibid.

221 CAC 880 312/8, ministère de l’Intérieur, note des Renseignements généraux : « L'immigration italienne et l'élection présidentielle », 24 novembre 1965.

222 S. BONNET, C. SANTINI, H. BARTHELEMY, op. cit., p. 45-71.

223 G. NOIRIEL, Longwy…, op. cit., p. 359.

Le parti tire de ce fort contingent de cadres italiens et d'élus d'origine italienne un double profit. Tout d’abord, cela permet d’assurer la pérennité, parfois menacée, des structures mises en place. En 1965, George Marchais s’inquiète à ce propos de voir des groupes de langue péricliter faute d’un investissement suffisant des responsables des fédérations225

. Les représentants de l’immigration, une fois rendus responsables, apportent une meilleure garantie de poursuivre l’activité auprès de leurs compatriotes et par conséquent d’appliquer scrupuleusement les directives du bureau politique. Ces cadres et ces élus présentent aussi l’avantage de constituer de puissants vecteurs d’attraction par leur insertion dans les divers réseaux de la communauté italienne au travers desquels ils diffusent à la fois le discours communiste et l’image positive de leur intégration réussie grâce à leur engagement.

Du côté des migrants italiens, l’appartenance à la classe ouvrière prédispose à accorder une oreille bienveillante à la propagande communiste qui, comme celle de la CGT, se développe sur le thème de « l’égalité Français-immigré »226

. La plupart des revendications sont rassemblées dans une proposition de loi instituant un statut des immigrés, déposée en avril 1967 par le groupe communiste à l’Assemblée nationale227

. Les Italiens ne font pas l’objet d’un traitement singulier à une exception près : la demande de facilités à accorder aux travailleurs italiens pour leur retour dans la Péninsule à l'occasion des élections. Sur cette question pèse évidemment le poids de la collaboration avec le PCI pour qui l'enjeu est de taille. Or, les Italiens de France n’apportent, au regard de l'importance des effectifs, qu’une maigre contribution lors des différents scrutins qui scandent la décennie228

. Pour les communistes français, la responsabilité de cette situation incombe au gouvernement et au patronat accusés d’entraver le chemin des urnes.

Le travail effectué à destination de l’immigration italienne par le PCF et la CGT, en collaboration avec leurs homologues transalpins (PCI et CGIL), conduit à des résultats, certes difficilement quantifiables, mais indubitables dans le processus d’intégration et de rapprochement avec au moins une large frange de la population française : les ouvriers. Pour Serge Bonnet :

« Le militant communiste italien est le plus intégré, le mieux adapté et même le mieux assimilé à la société locale »229.

225 Cahiers du Communisme, n°11, novembre 1965, p. 127.

226 Y. GASTAUT, L’Immigration et l’opinion…, op. cit., p. 222.

227 J.-C. SCAGNETTI, Le Parti communiste français et l’immigration (1964-1981), mémoire de maîtrise, université de Nice, 1997, p. 60-64.

228 Le bureau émigration du PCI estime qu'au cours de cette période, leur apport est de 140 à 175 000 voix sur le million que rapporte l'ensemble des émigrés italiens. L. LAVIGNE, op. cit., p. 66.

229S. BONNET, Les Ouvriers migrants quotidiens des usines sidérurgiques de l’agglomération de Longwy

Toutefois, si la gauche communiste exerce une emprise croissante, elle n’occupe pas seule le champ sociopolitique de l’immigration italienne. Elle y croise et affronte l’influence traditionnelle et multiforme des milieux catholiques. Certes, ces derniers disposent d’un appareil politique moins structuré, du fait de la place plus marginale de la Démocratie chrétienne dans le paysage politique français, mais leur force de pénétration s’appuie sur des réseaux constitués dans le domaine syndical et associatif qu’il est parfois difficile de dissocier. C’est donc sur ce terrain ouvert que se développe principalement la rivalité entre les deux grands pôles d’agrégation de l’immigration italienne.