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En 1960, le sous-directeur du Peuplement au ministère de la Santé Publique, estime que l’immigration italienne « peut être considérée comme l’un des éléments les plus positifs de l’harmonie qui caractérise les relations franco-italiennes depuis la Deuxième Guerre mondiale »321

Globalement, il serait fallacieux de lui opposer un démenti. La question migratoire ne fait plus, à partir des années cinquante, l’objet de contentieux diplomatiques entre les deux pays. La commission mixte instaurée par l’accord de mars 1951, qui se réunit régulièrement depuis, voit certes, à l’occasion, s’exprimer des divergences de vues, mais les deux délégations travaillent dans un esprit de concertation et de coopération qui donne à leurs travaux une efficacité certaine. Chacune des deux parties a pris la mesure de l’intérêt du mouvement migratoire transalpin. Néanmoins, du côté français, les bonnes intentions à l’égard des migrants italiens ne trouvent pas toujours un parfait prolongement dans les mesures adoptées dans le cadre d’une politique d’immigration où domine l’exigence d’établir un contrôle strict des flux. La rigidité des procédures de recrutement et les réticences à appliquer la réglementation communautaire ont pu constituer un frein à un plus grand développement de l’immigration italienne tout en contribuant, de manière non-exclusive, à détourner les émigrés vers d’autres pays.

Il n’en demeure pas moins que les Italiens constituent au cours de cette période une des plus importantes communautés étrangères en France. L’importance des effectifs ne provoque pourtant pas de tensions entre cette communauté et les Français. Les Italiens ne font plus l’objet d’un rejet xénophobe et les quelques manifestations d’italophobie qui ont marqué l’immédiat après-guerre n’ont plus cours. En témoigne, par exemple, le passage dans le vocabulaire populaire français de l’appellation de « macaroni » à celle de « rital »322

, qui apparaît moins péjorative323

. Ils bénéficient d’une image d’immigrés modèles se soumettant sans difficultés aux exigences de l’assimilation, objectif affiché par les autorités et soutenu par l’opinion. Le sentiment de proximité culturelle, souvent exprimé par les divers relais d’opinion, joue en leur faveur, renforcé par le contraste avec l’immigration maghrébine à

321 A. WOLFF, « L’émigration italienne en France », Les Cahiers français. Documents d’actualité, n°47, février 1960, p. 21.

322 R. DAMIANI, « L’image des Italiens dans le Nord-Pas-de-Calais (seconde moitié du XIXe et XXe siècle), op.

cit.

323 L’absence de référentiel, puisque le terme « rital » est une altération inexpliquée du mot italien, atténue le caractère déterminé et discriminant de l’appellation.

l’étrangeté plus accusée. En outre, ce regard bienveillant s’explique par une bonne insertion dans le tissu socio-économique français au sein duquel leur situation ne cesse d’évoluer favorablement au point d’offrir à un nombre croissant d’entre eux des perspectives d’ascension sociale. Ils recueillent en effet les fruits de la croissance à laquelle ils apportent par leur travail une contribution reconnue. Les migrants italiens investissent également le champ sociopolitique, même si cette nouvelle marque de leur intégration est inégalement appréciée.

Les lignes de force de cette approche globale ne doivent toutefois pas masquer la diversité des situations, dont nous avons tenté de rendre compte, et qui ne sont pas sans incidences sur les contacts entre Italiens et Français. Plusieurs paramètres de différenciation sont ainsi apparus au cours de notre étude. Le premier et sans doute le plus évident est celui du temps de la migration. Si la présence italienne est ancienne, il existe néanmoins une stratification de générations migrantes qui se sont installées par vagues successives. Le deuxième est celui de l’origine régionale qui distingue nettement les Méridionaux. Le troisième est celui de la situation socioprofessionnelle.

Dans les années soixante, nous avons observé que contrairement à ce que pourrait le laisser penser l’image d’un vieux courant migratoire, les Italiens arrivés au cours des années d’après-guerre ne sont pas les moins nombreux. Ces derniers profitent de la tradition migratoire qui facilite leur accueil. Toutefois, il est évident qu’ils connaissent une période d’adaptation, certes réduite, mais au cours de laquelle ils exposent plus visiblement les marques de leur origine. Origine qui se manifeste plus ostensiblement parmi les Italiens provenant du sud de la Péninsule aux caractères socioculturels perçus, non sans préjugés, plus distinctement. D’autre part, l’image sociale des immigrés est étroitement liée à leur activité professionnelle qui influe sur leur mode de relation avec la société d’accueil. Ainsi, leur appartenance massive au monde ouvrier et artisanal les inscrits au niveau inférieur de la hiérarchie sociale, reconnaissant l’utilité de leur apport à l’économie française tout en les maintenant à un rang subalterne. Ces trois paramètres sont souvent imbriqués dans la mesure où les derniers arrivés sont majoritairement d’origine méridionale et qu’ils trouvent à s’employer dans des activités les plus pénibles, réclamant un faible niveau de qualification et donc peu valorisées. De même, les Italiens du nord de la Péninsule, dominant les courants migratoires les plus anciens, voient s’ouvrir progressivement leur horizon socioprofessionnel au cours des années soixante.

Cette diversité des situations implique donc une diversité des contacts entre Français et Italiens. Mais, dans l’ensemble ces contacts se nouent sur le mode paradoxal d’une proche étrangeté. L’attachement à une identité culturelle italienne se dissipe en effet lentement parmi les immigrés récents, tandis que les générations plus anciennes ressentent parfois le besoin de

renouer avec leur appartenance, par exemple dans le cadre associatif. Les Français ne voient pas d’un mauvais œil le maintien de certaines formes d’italianité qui ne constituent pas à leurs yeux un obstacle à l’intégration et pour lesquelles ils montrent, notamment en se rendant de plus en plus nombreux de l’autre côté des Alpes, un grand intérêt.