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Chapitre II : Le tourisme français en Italie

A. Un tourisme de masse

3. Les conditions de séjour

La prise de contact avec un pays étranger varie, sans aucun doute, en fonction de la durée et des conditions de séjour.

a) Les temps du séjour

Rien d’étonnant à observer que l’Italie est avant tout une destination estivale. Si les flux touristiques s’étendent principalement entre le mois de mai et le mois d’octobre, ce sont en effet les mois de juillet et d’août qui constituent habituellement les points culminants357

. Le rythme des congés payés et des congés scolaires, conjugué aux effets de l’héliotropisme, font des mois d’été la période de vacances préférée des Français358

. Les

355 Répondant au questionnaire de l’ENIT, un étudiant français déclare : « Un voyage en Italie représente un apport à qui termine ses études classiques » ( ENIT, Turisti stranieri in Italia…1964, op. cit., p. 137).

356 M. BOYER, Le Tourisme, op. cit., p. 47.

357 J. E. HERMITTE, « Le tourisme étranger en Italie et ses enseignements », Méditerranée. Revue géographique

des Pays méditerranéens, n°4, octobre-décembre 1961, p. 11.

358 Moins de 5 % des vacanciers partent à une autre période que l’été, sans partir également l’été. C. GOGUEL, « Les vacances des Français », op. cit., p. 8.

efforts menés par l’Office du tourisme italien, à grand renfort de campagnes publicitaires, pour attirer les Français dans les stations alpines ne modifient guère cette tendance. Certes, on peut observer une légère progression des entrées au cours des mois d’hiver — grâce aussi à l’amélioration du passage par voies routières à cette saison — mais le caractère onéreux de ce type de séjour sportif, même s’il est en développement, en limite la portée.

Figure 13. La durée des séjours des touristes français en Italie 359

Source : ENIT, Turisti stranieri in Italia. Sondaggio di opinioni 1965, Roma, n°8, 1966, p. 22.

La plus forte part de séjours en Italie (22,1 %) se déroule sur une période de 26 à 30 jours. Comparé au même type de sondage effectué un an plus tôt, on peut noter une progression (16,1 % en 1964)360

, correspondant à l’allongement des congés payés qui forge un usage calendaire des vacances. Toutefois, le coût des vacances à l’étranger ne rend pas cette pratique majoritaire, même si l’on observe un mouvement général d’augmentation du temps passé dans la Péninsule. Près de 40 % des intentions de séjour sont comprises entre 10 et 20 jours et les séjours courts, inférieurs à 10 jours, constituent une proportion non négligeable de 15,4 %, qui s’explique par la proximité géographique et l’attraction de certaines destinations urbaines, propices à des temps de séjours plus concentrés.

En dépit d’une corrélation, souvent supposée comme évidente, entre la durée du séjour et le niveau d’approfondissement dans la connaissance du pays visité, celui-ci est aussi largement tributaire des modes de séjours : seuls ou en groupe ; sédentaire ou itinérant ; à l’hôtel ou en camping.

359 La question posée est « Combien de jours comptez-vous rester en Italie ? »

360 ENIT, Turisti stranieri in Italia… 1964, op. cit., p. 74. 0 5 10 15 20 25 % 2 à 5 6 à 10 11 à 15 16 à 20 21 à 25 26 à 30 plus de 30 nombre de jours

b) Types de séjour et modes d‘hébergement

Le sondage effectué par l’ENIT confirme la réticence des touristes français à recourir aux voyages organisés.

Seulement 9,8 % des Français interrogés indiquent envisager ce type de voyage alors que 23,9 % des Britanniques ou plus encore 46,8 % des Américains voyagent en groupe361

. Comme le remarque déjà, en juin 1959, Claude Vausson : « le Français est un touriste individualiste »362

. En voyageant seuls dans la Péninsule (23,7 %) ou en famille (66,5 %), les Français semblent faire la démonstration de leur attachement à leur liberté individuelle et de leur défiance vis-à-vis des structures trop contraignantes. Quelle que soit la profondeur de ce type de comportement, il est indiscutable qu’ils se plaisent à se donner une image conforme à leur réputation363

. Les vacances, plus que tout autre moment de la vie sociale, sont vécues comme une « plage » de liberté. Ce sentiment est accentué lors des séjours à l’étranger qui stimulent l’enthousiasme de la découverte, conçue selon une représentation quasi-mythique. En ne s’intégrant pas dans un groupe de voyage, les Français tentent d’échapper à leur condition de touristes qui, par définition, suivent des itinéraires bien balisés364

. Ils semblent également manifester ainsi un désir d’authenticité dans leurs rapports avec le pays visité et les populations locales. L’aspiration est sans doute sincère, mais nous verrons qu’en pratique elle demeure, d’une certaine manière et pour beaucoup, illusoire.

On retrouve à travers les modes d’hébergement des Français le signe de leur

attachement à une certaine indépendance.

361 ENIT, Turisti stranieri in Italia. Sondaggio di opinioni 1965, Roma, n°8, 1966, p. 23.

362 C. VAUSSON, « Vacances à l’étranger », Esprit, n°6, juin 1959, p. 1021.

363 Ce thème, fréquemment évoqué, est notamment présent en filigrane tout au long du livre de Robert MENGIN,

La France vue par l’étranger, Paris, La Table ronde, 1971.

Figure 14. Les modes d’hébergement préférés des touristes français en Italie

Source : ENIT, Turisti stranieri in Italia. Sondaggio di opinioni 1964, Roma, n°3, 1965, p. 74.

C’est ainsi que l’on peut interpréter la part relativement importante (31,2 %) du camping parmi les modes d’hébergement préférés des Français en Italie. Cette nouvelle forme d’hébergement, sous la tente ou dans une caravane, très en vogue dans les années soixante, répond non seulement à un goût du plein air — rendu plus agréable encore en période estivale dans les régions méditerranéennes — renforçant l’impression de liberté, mais présente aussi l’avantage de rendre les vacances plus économiques. Si les statistiques italiennes ne fournissent pas d’indications sur la structure socioprofessionnelle des campeurs, il ne fait guère de doute, à la lumière des enquêtes menées en France au même moment, que le

camping est très apprécié parmi les catégories moyennes365

.

Il n’en demeure pas moins que l’hébergement en hôtel ou en pensions recueille encore majoritairement les faveurs des touristes français dans la Péninsule (46,9 %). Plus généralement, ce type d’hébergement, stagnant en ce qui concerne le tourisme intérieur, demeure très répandu lors des vacances à l’étranger. Les autorités italiennes, conscientes des bénéfices que le pays peut retirer de la manne touristique366

, ont dans le domaine hôtelier fournit un effort considérable pour augmenter la capacité et la qualité de l’accueil, en particulier dans les catégories moyennes voire modestes367

. Le journaliste Giorgio Bocca observe dans un ouvrage dressant un portrait personnel de l’Italie de l’époque368

, que « ces dix

365 Cf. M. BOYER, Le Tourisme, op. cit., p. 81-85.

366 En 1960, les recettes touristiques en Italie ont représenté près de 10 % des recettes d’exportations de biens et de services et près de 30 % des recettes afférentes à l’ensemble des transactions invisibles. L’excédent des recettes touristiques sur les dépenses a permis de couvrir 86 % de la balance commerciale. (Cf. Le Tourisme en

Europe, OECE, 1961, p. 12). Parmi les pays européens dans lesquels les recettes touristiques de devises sont les

plus élevées, le Comité du tourisme de l’OCDE observe chaque année que l’Italie occupe la première place.

367 J. E. HERMITTE, op. cit., p. 18-20. Entre le printemps 1957 et le printemps 1958, ce sont 700 nouveaux hôtels, représentant 13 000 chambres supplémentaires qui sont construis. L’Italie compte alors 28 700 établissement hôteliers et 374 000 chambres.

368 Ouvrage publié en 1963 et traduit en français en 1965.

46,90%

10,80% 31,20%

5,40% 5,70%

dernières années, le nombre de chambres de nos hôtels a augmenté de 90 % et celui des salles de bains de 235 % »369

. Le correspondant du Monde, Jean d’Hospital, peut certes remarquer en 1962, dans une évocation peu enthousiaste du potentiel touristique transalpin, que « la structure hôtelière se développe avec lenteur »370

, il n’empêche qu’elle accueille, sans grande difficulté semble-t-il, bon nombre de ses compatriotes.

Il faut réserver une place à part à un mode d’hébergement qui, s’il n’est pas distingué dans les enquêtes de l’ENIT (probablement compris parmi les hôtels et les pensions), connaît un essor notable au cours de cette période : les villages ou clubs de vacances. Ce type de villégiature, développé notamment par le Club Méditerranée qui dispose de cinq « villages » en Italie371

, pose en effet d’une manière très singulière le problème du rapport des touristes au pays d’accueil. Les observations d’Henri Raymond, publiées dans la revue Esprit en 1959, à propos de Palinuro sont, de ce point de vue, éclairantes372

. Ce village artificiel, « une agglomération de cases sous les oliviers », qui rassemble 800 à 1 600 personnes dans la province de Salerne, répond principalement au désir de rivages ensoleillés dans une structure entièrement tournée vers les activités de loisirs. « Personne n’explique pourquoi il prend […] des vacances en Italie »373

. La fuite de l’environnement quotidien pour un retour aux sources mythifié à travers l’image exotique de la Polynésie, reproduite dans tous les centres où est entretenue l’utopie de la vie communautaire, semble constituer la principale motivation des « gentils membres ». Les relations sociales lissées au sein de ce type de camp retranché n’incitent guère les vacanciers à franchir « la frontière italo-française » qui semble séparer le « club » de la région environnante. Les commerçants du village avoisinant racontent :

« Il n’y en a pas même dix sur cent qui sortent »374.

À l’évidence, ce type de séjour ne participe que peu au développement des échanges entre Français et Italiens.

En dépit de l’essor que connaissent les formes de villégiatures sédentaires, le plus souvent en bord de mer, elles ne semblent pas devenir la norme des voyages en Italie. Bien que nous ne disposions pas d’éléments statistiques spécifiques à l’Italie, les enquêtes menées par l’INSEE dans les années soixante tendent à démontrer que les séjours itinérants, suivant des circuits touristiques déjà tracés, demeurent très prisés par les Français à l’occasion de

369 G. BOCCA, Italie aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, 1965, p. 135.

370 J. D’HOSPITAL, Rome en confidence, Paris, Grasset, 1962, p. 50.

371 Caprera (Sardaigne), Elbe, Palinuro (Italie du Sud), Cefalu (Sicile), Anacapri (Ile de Capri). Pour une approche plus détaillée du processus de formation et de développement du Club Méditerranée voir Y. RAYNOUARD, C. PEYRE, Histoire et légendes du Club Méditerranée, Paris, Seuil, 1971.

372 H. RAYMOND, « Hommes et dieux à Paliniro (Observations sur une société de loisirs) », Esprit, n°6, juin 1959, p. 1030-1040.

373 Ibid.

leurs séjours à l’étranger375

. Une telle pratique ne manque pas de poser le problème des voies de communication et des moyens de transport utilisés par les touristes pour se rendre et pour parcourir la Péninsule.

B. Un facteur de développement du tourisme