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Législation française et réglementation communautaire

Chapitre I : L’immigration italienne en France France

C. Les conditions de séjour : législation et difficultés sociales

1. Législation française et réglementation communautaire

1. Législation française et réglementation communautaire

L’article 48 interdit toutes discriminations nationales à l’embauche. Il prévoit d’autre part la liberté de séjour et de résidence pour postuler et exercer un emploi, ce qui conduit à une révision de la législation française élaborée au lendemain de la guerre.

a) La législation française

Cette législation s’est appliquée à l’immense majorité des Italiens présents en France à la fin des années 1960 dont les conditions de séjour et de travail sont régies par l’ordonnance du

2 novembre 1945, celle-là même qui crée l’ONI102

.

L’ordonnance prévoit la délivrance d’une carte de résident temporaire valable un an à tout étranger qui le demande, et qui est en mesure de faire la preuve de ses ressources. Au terme d’une période de neuf mois, il est possible de renouveler cette carte ou de faire une demande pour l’obtention d’une carte de résident ordinaire valable trois ans. Enfin, le texte prévoit la possibilité d’obtenir une carte de résident privilégié valable dix ans et renouvelable de plein droit.103

Toutefois, « il est souvent plus difficile de devenir résident privilégié que de se faire naturaliser »104

.

C’est en distinguant la délivrance des cartes de séjour de celle des cartes de travail, soumises à des contraintes plus lourdes, que le gouvernement français marque les limites de sa libéralité en matière de politique d’immigration et démontre, une fois encore, son souci d’établir un contrôle drastique. La carte de travail n’est, en effet, délivrée que sur présentation

100 A. LYON-CAEN, « Les bénéficiaires de la libre circulation » in M. BONNECHÈRE (dir.), Trente ans de

libre circulation des travailleurs, Paris, La documentation française, 1998, p. 9-19.

101 Les articles 48 et 49 du titre III, chapitre I du traité de Rome portant sur la libre circulation des travailleurs sont reproduits intégralement en annexe I. 1. 2.

102 D. CHA, op. cit., p. 100-104.

103 Certaines conditions sont toutefois requises : séjour de trois ans ininterrompu, arrivé en France avant l’âge de 35 ans.

d’un contrat. Elle n’est tout d’abord que temporaire et valable seulement pour une profession et souvent pour un seul département. Son renouvellement ou sa transformation en carte de travail ordinaire, valable trois ans pour une profession dans un ou plusieurs départements, dépend des fluctuations du marché de l’emploi.

Seuls les titulaires d’une carte de résident privilégié peuvent obtenir une carte de travail permanente valable toujours pour une seule profession mais sur tout le territoire national. Il faut être détenteur de cette carte pendant dix ans avant d’être autorisé à exercer toutes les professions.

b) Les apports de la réglementation européenne

La législation du travail est infléchie par l’application de la libre circulation des travailleurs dans le Marché commun. Le règlement n°15, adopté le 16 août 1961 par le Conseil de la Communauté européenne, libéralise sensiblement les conditions de renouvellement et d’extension des autorisations de travail. Il est notamment prévu que le travailleur originaire d’un État-membre pourvu d’un emploi a droit, après un an d’emploi régulier, à la reconduction de son autorisation de travail dans la même profession ; après trois ans il a le droit de recevoir un permis dans une autre profession pour laquelle il est qualifié ; après quatre ans il peut exercer toute profession salariée dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux105

. Cette période est ramenée à deux ans par le règlement n°38, adopté en 1964. Finalement la carte de travail est supprimée en 1968, signifiant pour les ressortissants des États membres qu’ils ont désormais la liberté d’exercer toute activité professionnelle salariée. Les travailleurs italiens sont, il faut bien le dire, peu concernés par cette dernière évolution majeure car ils sont, dans leur immense majorité, installés à cette date depuis plus de deux ans et peuvent donc bénéficier d’une possible mobilité professionnelle. La suppression du permis de travail simplifie néanmoins les démarches administratives et efface une marque discriminante, ce qui n’est pas le moindre des apports de cette mesure pour une population en grande partie anciennement présente sur le territoire français et soucieuse non seulement d’intégration, mais aussi d’assimilation106

.

Pour autant, la réglementation européenne maintient le statut des étrangers. Les gouvernements européens et en particulier le gouvernement français se montrent peu empressés sur ce point à modifier les législations nationales en vigueur. Ainsi les modalités d’attribution des cartes de séjour ne connaissent guère de modifications tout au long de la période transitoire. Au terme de cette période, en 1968, la carte de séjour ne disparaît pas,

105 L.-M. BATTESTI, op. cit., p. 95.

106 Il faut préciser tout de même que les gouvernements se sont réservés de droit de conserver la carte de travail pour des raisons statistiques.

mais elle est désormais accordée pour une durée de cinq ans sur la base d’une déclaration d’engagement de l’employeur ou d’une attestation de travail ; elle est automatiquement renouvelée de cinq ans en cinq ans107

. Le maintien d’une telle formalité ne doit pas être interprété comme une limitation à la libre circulation des travailleurs, mais plutôt comme le révélateur de l’état d’esprit des rédacteurs du traité de Rome et de ceux qui en assurent l’application. En effet, le traité n’est pas réellement conçu dans la perspective de favoriser le développement des migrations intra-communautaires. Il inclut plutôt la question migratoire dans une problématique de développement économique qui implique une libéralisation et une harmonisation du marché communautaire de l’emploi. Le travail est alors considéré, de la même manière que les capitaux et les marchandises, comme un élément d’un système économique libéral, à l’efficacité reconnue par le traité de Rome, qui doit assurer au sein du Marché commun l’équilibre et l’épanouissement de la croissance économique européenne.

L’impératif économique exige donc l’abolition des barrières protectionnistes. Mais, c’est probablement dans le domaine de l’emploi que les résistances sont les plus fortes. La préservation d’un certain contrôle national de l’immigration et la mise en place progressive de la libre circulation répond à l’inquiétude des opinions publiques, relayée par les syndicats. En France, la concurrence de la main-d’œuvre étrangère ne cesse d’être redoutée, même en période de croissance108

. Ce type de pressions pour obtenir des garanties dans la protection de la main-d’œuvre nationale conduisent de temps en temps le gouvernement et l’administration à freiner l’application des directives européennes. L’ouverture des frontières et les conditions avantageuses réservées aux ressortissants communautaires font craindre une invasion des Italiens déjà fort nombreux109

. Le gouvernement de Rome doit alors intervenir à Bruxelles pour convaincre la France de ne pas s’opposer à la reconnaissance d’une priorité du marché

communautaire110

. En avril 1966, les Italiens font parvenir à Paris un aide-mémoire dénonçant les restrictions dans l’application du règlement n°38, notamment par l’exigence d’un visa de contrat de travail et d’une autorisation de recherche d’emploi111

.

Que ce soit en matière d’accès à l’emploi ou en matière sociale, le gouvernement italien est en règle générale résolu à lutter contre toutes les mesures discriminatoires. Il peut pour cela s’appuyer sur la réglementation européenne qu’il contribue grandement à orienter dans le

107 E. HEYNIG, « La libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la communauté est instituée définitivement », Revue du Marché commun, n°120, février 1969, p. 65-71.

108 Y. GASTAUT, L’Immigration et l’opinion en France sous la Ve République, Paris, Seuil, 2000, p. 372-379.

109 M. AMAR, P. MILZA, L’Immigration en France au XXe siècle, Paris, A. Colin, 1990, p. 77.

110 AMAE, série Z Europe, Italie 1944-1970, vol. 393 : note de la direction des Affaires administratives et sociales, 31 janvier 1964.

111 AMAE, série Z Europe, Italie 1944-1970, vol. 412 : compte-rendu de la réunion interministérielle du 28 avril 1966 relative aux questions de main-d’œuvre dans les rapports franco-italiens.

sens de la prise en compte et de l’amélioration des conditions de vie des migrants112

. Ébauchée par le traité de Rome et inscrite dans les textes réglementaires européens qui ponctuent la période transitoire, l’amélioration des conditions sociales est une préoccupation constante.

Les six pays membres de la Communauté européenne ont d’abord examiné le problème de la sécurité sociale. Sur ce point, les règlements n°3 et n°4, entrés en vigueur le 1er

janvier 1959, n’apportent pas de nouveaux avantages aux travailleurs italiens en France qui bénéficient déjà de la possibilité de cumuler les périodes d’assurances en Italie et en France pour le droit aux prestations et à leur calcul113

. En revanche, l’égalité de rémunération (inscrite dans l’article 48 du traité de Rome) et de versement des allocations familiales demeurent, au regard des fréquentes dénonciations des organisations ouvrières, peu appliquées.

Les travailleurs communautaires se voient d’ailleurs donner la possibilité de participer à la défense de leurs droits sociaux. Le règlement n°15 de 1961 leur accorde le droit de vote lors des élections aux organes de représentation dans l’entreprise114

. Le gouvernement italien réclame et obtient, malgré l’avis réservé de la France115

, que soit reconnu par le règlement n°38 de 1964 le droit d’éligibilité, assorti tout de même de la justification d’une présence de trois ans dans l’entreprise. Tandis que ces avancées sont confirmées en 1968, la France formule de nouvelles restrictions en maintenant une disposition de son code du travail interdisant l’accès des étrangers aux fonctions de direction et d’administration d’une organisation syndicale116

.