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géographique de l’immigration italienne

Carte 2. répartition des origines régionales

C. Les caractères socio-économiques de l’immigration italienne

2. Les secteurs d’activités

L’examen des catégories d’activité des immigrés italiens, relevées lors des recensements de 1954, 1962 et 1968, laisse, certes, entrevoir quelques évolutions dans la part de chacune de ces catégories, mais il révèle aussi un tableau figé des activités économiques les plus répandues dans l’immigration italienne. Comme, il a été « l’homme-à-tout-faire de la révolution industrielle »157

, l’Italien est dans cette seconde partie du XXe

siècle, l’homme-à-tout-faire de la croissance économique française, dont il est un rouage essentiel. Comme par le passé, l’agriculture, le bâtiment et l’industrie occupent toujours une immense majorité des travailleurs italiens.

Figure 7. Évolution des principales catégories d’activités économiques des immigrés

italiens de 1954 à 1968

Source : INSEE

a) L’agriculture

L’agriculture constitue traditionnellement un secteur d’activité vers lequel s’orientent les migrants italiens. Le travail de la terre en France ne fait pour beaucoup, compte tenu de leur origine rurale, que prolonger une activité déjà exercée en Italie.

Tous, cependant, ne se sont pas installés définitivement sur cette terre. Le nombre des saisonniers se situe à un niveau important au début des années soixante, représentant certaines années une large part des Italiens introduits par l’ONI158

. La réduction des entrées, au cours de

157 P. MILZA, Voyage en Ritalie, op. cit., p. 147.

158 Cf. Supra (figure 4).

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

1 9 5 4 1 9 6 2 1 9 6 8

Pêche, agriculture, forêts Bâtiment et travaux publics Industrie

Transports Commerces, spectacles, Interm. de com. et de l'ind. banques et ass. Services domestiques, services rendus aux particuliers Adm. publiques et défense nationale Autres

la décennie, est accompagnée par une plus grande spécialisation de leur emploi. En 1964, 84 % de ces saisonniers transalpins sont employés comme betteraviers et 8 % seulement

comme vendangeurs159

. Ils se dirigent donc principalement, au rythme des travaux agricoles, avec des pointes en avril-mai et en septembre-octobre, vers les départements du Nord où ils sont indispensables à l’économie régionale160

.

C’est dans le Sud de la France que l’on trouve la plus forte part de travailleurs italiens permanents employés dans l’agriculture. Dans le Sud-Ouest, les « cultivateurs italiens » sont implantés dans les départements du Gers, de la Haute-Garonne, du Tarn-et-Garonne et du Lot-et-Garonne161

. Dans le Sud-Est, l’agriculture attire dans le Vaucluse la majorité des migrants italiens : 55 % des entrées entre 1947 et 1961162

. Dans le Var, 26 % des Italiens sont occupés à des travaux agricoles en 1962 tandis que dans le département voisin des Alpes-Maritimes, les agriculteurs dominent à l’ouest de Nice, dans l’arrière-pays d’Antibes et de Grasse163

. Dans ces départements du Sud-Est, l’activité agricole des Italiens se déploie essentiellement dans le domaine des cultures maraîchères et horticoles. Elle est le plus souvent le fait des générations installées de longue date, en particulier chez les exploitants : fermiers, métayers ou propriétaires. Mais certaines trajectoires familiales italo-provençales annoncent, à partir des années 1950-1960, un premier désengagement des Italiens, en particulier de ceux qui sont issus de la deuxième génération, qui ne reprennent pas l’activité, s’orientant vers un petit commerce dont la prospérité semble assurée par la croissance du tourisme164

.

Cette tendance est confirmée au niveau national où l’agriculture emploie une part de moins en moins importante de la population active italienne. Alors qu’en 1954, 27,1 % des actifs italiens sont recensés dans la catégorie « pêche, agriculture, forêt », ils ne sont plus que 10,1 % en 1968. Si les exploitants résistent un peu mieux, puisque leur part dans cette catégorie progresse sensiblement de 45 % à 47,4 %, l’agriculture devient une activité marginale au sein de l’immigration italienne. Cette évolution s’inscrit dans le cadre plus général des transformations de la structure socio-économique française, marquée par un recul important de la paysannerie165

. Les agriculteurs italiens comme les autres font les frais de la politique de restructuration menée par le gouvernement sous la pression de la libéralisation des échanges, qui favorise les exploitations les plus rentables, recourant aux machines et aux

159 « Chronique de l’immigration », Population, n°4, 1965, p. 683.

160 H. DESPLANQUES, op. cit., p. 10.

161 A. GIRARD, J. STOETZEL, op. cit., p. 317-378.

162 A.-M. FAIDUTTI-RUDOLPH, op. cit., p. 119.

163 Ibid., p. 151 et 169.

164 V. PIETRI, « Famille et migration de Piémont en Provence. Un exemple Buscese », Cahiers de la

Méditerranée, n°52, juin 1996, p. 183-210.

165 Les sociologues et les géographes ruralistes font écho, dans les années 1960, à ce phénomène. L’ouvrage d’Henri Mendras en fournit une illustration retentissante (H. MENDRAS, La Fin des paysans, Paris, A. Colin, 1970).

techniques les plus modernes afin de proposer des produits concurrentiels166

. Les laissés pour compte de la modernisation, quand ils n’optent pas pour le retour au pays, s’oriente vers des secteurs à l’activité plus florissante. Sans pouvoir en évaluer exactement le nombre, il est certain qu’une part importante, suivant une voie déjà bien tracée, s’en vont « faire le maçon ».

b) Le bâtiment

La présence italienne dans le secteur du bâtiment est ancienne. En 1891, le bâtiment fait vivre un quart de la colonie italienne à Paris167

. En 1962, un géographe remarque, toujours à propos de la capitale :

« C’est un lieu commun que de dire « tous les Italiens sont dans le bâtiment » ou que « dans le bâtiment il n’y a que des Italiens » »168.

Si la statistique ramène à de plus justes proportions ce qui s’apparente à un cliché, elle confirme la part importante et croissante qu’occupe le secteur du bâtiment et des travaux publics dans l’activité des Italiens. En 1954, ce secteur emploie 24,4 % des actifs italiens puis 32 % en 1962 et 34,8 % en 1968. Un tiers de l’activité socio-économique des Italiens s’exerce dans le bâtiment. Tout aussi édifiante est l’évolution numérique qui fait passer les effectifs de 63 580 en 1954 à 96 760 en 1962, soit une progression de 52,2 % alors que dans le même temps la population active italienne ne croît que de 15,9 %. Au cours de la période intercensitaire suivante marquée par un recul de 18 % de la population active transalpine, l’emploi dans le bâtiment et les travaux publics n’enregistre qu’une baisse de 11 %.

Toutes les études, en particulier celles qui sont menées dans la région parisienne, montrent que dans ce secteur délaissés par les Français les Italiens bénéficient d’une conjoncture favorable, marquée par l’essor de la construction.

c) L’industrie

L’industrie représente une autre catégorie d’activité économique qui n’a jamais cessé d’employer une forte part de la main-d’œuvre transalpine. Cette orientation se confirme et s’accentue après 1954, puisque la part des travailleurs italiens de l’industrie croît de 30,7 % à 36,21 % en 1962, se maintenant ensuite quasiment à cette proportion avec 35,8 % en 1968. Cette progression correspond évidemment aux besoins de main-d’œuvre que réclame la croissance industrielle de la France. Comme pour le secteur du bâtiment, on peut évoquer un

166 S. BERSTEIN, La France de l’expansion…, op. cit., p. 191.

167 Ibid., p. 160.

transfert en provenance du monde agricole suivant le mouvement général d’exode rural. Mais, l’industrie est aussi très largement alimentée par les dernières vagues d’arrivées169

.

Figure 8. Évolution des branches d’activités industrielles employant des immigrés italiens

de 1954 à 1968

Source : INSEE

Dans le secteur de l’industrie, la répartition par branches d’activités subit quelques modifications à partir du milieu des années cinquante.

Ainsi, la part de l’industrie extractive se réduit fortement. En 1954, cette branche compte 18,75 % des travailleurs italiens de l’industrie ; en 1968 elle n’en retient que 8,9 %. À l’évidence, les Italiens délaissent une activité particulièrement pénible. Toutefois, la remarque vaut surtout pour les migrants de la deuxième génération, pour qui l’abandon du travail à la mine signifie une meilleure insertion dans le tissu socio-économique. Le maintien de l’effectif numérique entre 1954 et 1964 indique en effet que, compte tenu de la fluidité de la main-d’œuvre extrêmement importante dans cette branche, les derniers arrivés continuent de se diriger vers les principaux bassins houillers : dans le Nord, en Lorraine et, dans une bien moindre mesure, en Provence. Les houillères du Bassin de Lorraine mènent méthodiquement une campagne d’embauche en envoyant, à partir de 1955, des recruteurs « battre tambour sur les places des villages, en particulier en Sicile et en Sardaigne »170

. Les résultats sont probants

169 Une étude portant sur une usine sidérurgique de Jœuf montre que 90 % des étrangers embauchés jusqu’en 1960 sont des Italiens (A. MALLET, La Main-d’œuvre étrangère dans une usine sidérurgique lorraine, mémoire de l’EPHE, 1972, p. 315).

170 R. ROCHEFORT, op. cit., p. 274.

0% 20% 40% 60% 80% 100%

1954 1962 1968

Industries extractives Production et 1ere transf. des métaux Ind. mécaniques et électriques Réparations mécaniques et électriques Verre, céramique, mat. de construction Pétrole et carb. In chmi., tabac et allum. Industries alimentaires Industries textiles et annexes

puisqu’en 1962, les Italiens représentent encore 27,4 % des étrangers employés. Toutefois, si l’on établit une échelle de valeur dans la pénibilité du travail en distinguant le travail au fond de celui au jour, il semble que la situation des Italiens ne s’améliore guère. En 1959, dans les houillères du Nord, les mineurs de fond représentent 96 % des employés italiens, tandis qu’ils sont 79 % dans les houillères de Lorraine en 1962, soit une proportion égale à la moyenne des autres nationalités. 171

.

L’industrie sidérurgique continue de recruter un grand nombre d’Italiens. La progression des effectifs est de 55,8 % entre 1954 et 1962 et, malgré une régression par la suite, la proportion d’Italiens employés dans cette branche se maintient aux alentours de 16 %. Comme pour le travail à la mine, ils viennent compenser la désaffection des Français pour ce type d’activité. Dans l’usine de Jœuf, en Lorraine, ils représentent plus du tiers des effectifs en 1960 (36,27 %) et si l’arrivée de travailleurs immigrés d’autres nationalités réduit leur part, un quart des salariés sont encore des Italiens en 1965172

.

Si les industries extractives et sidérurgiques constituent des branches traditionnellement très « italianisées », les industries mécaniques et électriques offrent, à partir des années cinquante, de nouveaux débouchés. La progression de 95 % des effectifs entre 1954 et 1962 est à cet égard tout à fait spectaculaire. En 1954, seulement 5,4 % des actifs italiens travaillent dans ce secteur, en 1968 ils sont 10 %. Les Italiens profitent incontestablement de l’essor de ce type d’industrie qui répond aux besoins de la société de consommation en plein développement. La croissance de l’industrie automobile fournit habituellement une des meilleures illustrations de ce phénomène. Le cas des usines Renault montre que les Italiens participent en nombre à l’essor de l’entreprise à travers deux grandes vagues d’embauche, juste après-guerre et au début des années 1960173

. Leur niveau d’emploi est le plus souvent subalterne même s’il réclame une qualification souvent acquise lors d’une première étape du parcours migratoire qui a conduit les Méridionaux dans les usines Fiat ou Alfa-Romeo du nord de la Péninsule.

Pour terminer cette revue des principaux secteurs d’activité industrielle dans lesquels les Italiens exercent leur profession, il est utile de porter l’attention sur la branche textile, que les services statistiques distinguent dans les catégories « industries textiles et annexes » et « habillement et travail des étoffes ». Ce n’est pas la part tenue par cette activité qui est la plus intéressante à relever — aux environs de 4 % tout au long de la période si l’on rassemble les deux rubriques — mais plutôt son organisation et sa répartition par sexe. En effet, c’est dans

171 H. DESPLANQUES, op. cit., p. 11 et R. ROCHEFORT, loc. cit.

172 A. MALLET, op. cit., p. 90.

173 E. BILSKY, « Le passage par la grande industrie : le cas des Italiens aux usines Renault (1919-1962) », in A. BECHELLONI, M.DREYFUS, P. MILZA (dir.), op. cit., p. 341-351.

ces catégories que sont intégrés les artisans, en particulier les tailleurs et les cordonniers, à la réputation bien établie. Leur talent déjà reconnu bénéficie en outre du prestige procuré par l’essor de la mode italienne au niveau international, renforçant par ailleurs l’idée déjà répandue selon laquelle l’élégance est une caractéristique proprement italienne.

L’autre aspect qui mérite attention dans ces catégories d’activité est la part importante de l’emploi féminin que l’on ne retrouve dans aucun autre secteur industriel. En 1962, 58,2 % des emplois sont occupés par des femmes et en 1968, 63,7 %. Cette progression est également observable en valeur numérique, même entre 1962 et 1968 – période pourtant marquée, comme on le sait, par un recul général de l’emploi des Italiens. Cette évolution appelle deux remarques. Premièrement, les embauches d’Italiennes dans le textile participent à la progression de la féminisation de l’emploi dans l’immigration transalpine avec pour principal effet économique d’accroître les revenus familiaux. Deuxièmement, le travail des Italiennes en entreprise, sans doute plus que les services domestiques (catégorie d’activité où le taux de féminisation atteint, en 1962, 90 %) contribue à leur socialisation et concourt de ce fait à une meilleure intégration des familles.

d) Le commerce

À côté de l’agriculture, du bâtiment et de l’industrie, le commerce attire une fraction de plus en plus élevée des Italiens actifs. Le goût du commerce sous ces différentes formes ne naît pas avec l’avènement de la société de consommation. On peut même dire que le sillon a été creusé dès l’époque pré-capitaliste, lorsque les hommes d’affaire italiens prennent l’habitude de franchir les Alpes pour commercer dans divers points du royaume de France. Lorsque leurs compatriotes s’installent définitivement à l’époque de l’immigration de masse, ils prennent d’une certaine façon le relais. On note déjà qu’à la fin du XIXe

siècle, 9,4 % des Italiens actifs sont employés dans les activités commerciales et bancaires174

. La proportion n’a guère évolué : en 1968, ils sont 8,4 %. Elle a connu cependant quelques oscillations à la baisse puisqu’en 1962, la part des activités commerciales est descendue à 6,75 %. Les difficultés à tenir une affaire, en particulier un petit commerce, au-dessus du seuil de rentabilité, explique sans aucun doute ces variations.

Toutefois, l’absence de données d’ensemble concernant ce monde du petit commerce italien, au rôle social pourtant capital, conduit le plus souvent à évoquer des hypothèses. À bien des égards, c’est un pan tout entier de l’histoire de l’immigration italienne qui reste à faire dans ce domaine. Dans son étude sur le Sud-Est, si précieuse par ailleurs, Anne-Marie Faidutti-Rudolph ne consacre que peu de lignes à cet aspect. C’est encore une fois vers la capitale qu’il faut se tourner pour obtenir quelques indications. Marie-Claude Blanc-Chaléard

remarque ainsi qu’avec la deuxième génération d’Italiens arrivés dans l’entre-deux-guerres

survient une augmentation après 1946 du nombre des épiciers et des commerçants175

. Compte tenu de l’investissement nécessaire à l’installation d’un commerce, la première génération n’a pas toujours le temps ou les moyens d’accumuler un pécule suffisant, même si l’étude de Girard et Stoetzel a mis en lumière quelques cas176

. Une étude menée plus récemment dans la circonscription consulaire de Paris témoigne néanmoins de parcours et de réussites remarquables177

. On y observe notamment que ce petit commerce s’exerce très souvent dans le domaine alimentaire. Les Italiens sont cafetiers, restaurateurs, glaciers, traiteurs ou encore épiciers. Destinée au départ à la consommation de la communauté italienne, cette activité en a rapidement dépassé les limites. Les restaurateurs et les épiciers ont ainsi joué un rôle primordial dans la diffusion en France d’une part non négligeable de la culture italienne : la gastronomie. C’est à cette époque que les pâtes se sont imposées comme une pratique alimentaire courante dans les foyers français et que la pizzeria est devenue un lieu de restauration très apprécié, même si la pizza que l’on y sert s’est parfois fort éloignée, dans sa composition, de ses origines. Sans doute faut-il ici encore déceler un signe de l’intégration des Italiens.