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Chapitre II : Le tourisme français en Italie

A. Un tourisme de masse

1. Approche quantitative

Une première approche consiste à évaluer la part tenue par l’Italie dans les séjours de vacances des Français à l’étranger.

Figure 10. Évolution par pays de destination des séjours de vacances des Français à

l’étranger de 1961 à 1969 345

source : M. BOYER, Le Tourisme, Paris, Seuil, 1972, p. 58

En 1961, l’Italie est concernée par 710 000 séjours de vacances des Français à l’étranger et occupe ainsi une solide première position avec 34,3 %, devant la péninsule ibérique qui reçoit 430 000 séjours soit 20,8 %. Ces chiffres confirment la part majoritaire des pays limitrophes et l’attrait des Français pour la « méditerranée estivale »346

(un aperçu plus détaillé des « autres pays » accentuerait probablement cette tendance) qui comble leur désir de dépaysement. Toutefois, l’Espagne, en voyant le nombre de séjours des Français se multiplier par quatre, connaît un essor spectaculaire au cours de la décennie et dépasse largement l’Italie, en 1969. Cette année-là, 37 % des séjours des Français à l’étranger se déroulent dans la péninsule ibérique et 18,1 % en Italie. Le renversement des proportions indique que l’Espagne a su séduire et drainer un plus grand nombre de ces « Homo héliotropus » qui font du soleil un élément indispensable à la « réussite » de leurs vacances347

. D’autres part, les prix compétitifs pratiqués dans un contexte d’alignement progressif des coûts dans les divers pays

345 Ces données sont tirées des enquêtes menées par l’INSEE qui considère comme « séjour de vacances » tout séjour hors de son domicile habituel ayant duré quatre jours ou plus, en excluant les déplacements professionnels et les séjours d’études.

346 M. BOYER, Histoire du tourisme de masse, op. cit., p. 28. Un aperçu plus détaillé des « autres pays » accentuerait probablement cette tendance.

347 A. LAURENT, « Le thème du soleil », Communications, 10, 1967, p. 50.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 1961

1964 1969

d’Europe occidentale (et en Italie) ainsi que l’amélioration des capacités d’accueil, font de l’Espagne une destination particulièrement attractive. Face à cette concurrence et à celle des séjours dans des pays lointains, plus exotiques, les séjours en Italie n’augmentent que de 15,5 % entre 1961 et 1969 (au cours de cette période la croissance globale des séjours à l’étranger est de 119 %). Mais, avec 820 000 séjours en 1969, l’Italie demeure le deuxième pays dans l’ordre des préférences des Français pour leurs séjours à l’étranger.

Figure 11. Nombre d’arrivées de touristes français aux frontières de l’Italie (1958-1969)

source : Le tourisme en Europe, OECE, 1959-1961 et Le tourisme dans les pays de l’OCDE, 1962-1970.

Les statistiques recueillies par l’OECE, puis par l’OCDE, offrent une autre approche par la mesure du nombre d’entrées par année en Italie348

.

Sur l’ensemble de la période, le nombre de touristes français qui se rendent en Italie est multiplié par 6,3 et passe de 1 481 715 en 1958 à 4 256 400 en 1969. La croissance moyenne annuelle de 8,36 %, entre 1960 et 1969, est légèrement inférieure à celle du volume global du tourisme international qui est de 9 % entre 1961 et 1969349

. Cette tendance générale à la hausse n’est cependant pas linéaire et le rythme des entrées annuelles connaît des variations importantes, qui appellent quelques commentaires, fondés le plus souvent sur une appréciation de la conjoncture économique.

348 Dans ce cas, selon la définition proposée par un comité d’expert de la SDN en 1937, est considéré comme touriste « toute personne qui, voyageant pour son agrément, s’éloigne pendant plus de 24 heures de son domicile habituel ».

Les données fournies par l’Italie ont pu faire l’objet de critiques puisqu’en comptant uniquement les entrées des étrangers dans le pays, la comptabilité intègre « tout voyageur se dirigeant du Sud de la France par l’Italie vers la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne, la Yougoslavie, la Hongrie, etc. » (C. VASSON, « Vacances à l’étranger »,

Esprit, n°6, juin 1959, p. 1023).

349 G. WACKERMANN, op. cit., p. 190.

0 500 000 1 000 000 1 500 000 2 000 000 2 500 000 3 000 000 3 500 000 4 000 000 4 500 000 5 000 000 1958 1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969

Il faut ainsi souligner le niveau exceptionnellement bas des entrées en 1958. Elles sont inférieures de 30,8 % par rapport au nombre d’entrées de l’année précédente qui est de 2 139 740, soit une progression de 22,2 % par rapport à l’année 1956. L’année 1958 marque donc un coup d’arrêt brutal à l’essor du tourisme français en Italie, qui a débuté dans les années cinquante. Cette forte diminution ne concerne pas seulement l’Italie, mais elle est généralisée en raison des premières mesures gouvernementales de redressement financier qui, outre une dévaluation en juin, prévoient, dès le mois de mai, de ne plus accorder d’allocations de devises aux touristes350

. À la suite de cet accident conjoncturel, la croissance reprend à un rythme soutenu (+ 33,4 % entre 1958 et 1959) et dès 1960, on retrouve le niveau de 1957.

Une stagnation de la croissance annuelle est à noter en 1963. La très faible progression (1,4 %) maintient le nombre d’entrées à un chiffre légèrement supérieur à 2,9 millions. Il semble que l’inflation sévissant en Italie depuis 1962, qui entraîne une progression de l’indice du coût de la vie de 8 % au cours des huit premiers mois de 1963, constitue un frein à l’expansion du tourisme français dans la Péninsule. En septembre 1963, le journal Le Monde remarque dans une analyse sur le déficit croissant de la balance des paiements de l’Italie que « les touristes étrangers commencent à trouver excessifs les prix des hôtels et surtout des restaurants italiens »351

.

La relance du courant touristique est ensuite vigoureuse, avec notamment un pic de croissance de 23,2 % en 1964, jusqu’en 1966. En dépit d’un net fléchissement (+ 0,4 %), l’année 1967 voit le nombre de touristes français entrés en Italie atteindre son niveau maximal pour la période (4 707 200). La baisse qui s’amorce à partir de 1’année suivante trouve une explication dans les répercussions négatives des événements sociaux du printemps. Au-delà des perturbations socio-économiques, mais aussi psychologiques, le rétablissement d’un strict contrôle des changes refreine, de manière très concrète, le développement du tourisme international352

.

Néanmoins, ce type de considérations conjoncturelles touchant l’ensemble du tourisme français à l’étranger ne doit pas occulter une évolution structurelle propre à la destination transalpine. En effet, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’Italie subit une relative désaffection de la part des touristes français qui choisissent, à partir de la fin des années soixante, de se rendre majoritairement en Espagne. De ce point de vue, les chiffres fournis par

350 Le Tourisme en Europe, OECE, novembre 1959, p. 35. Le rétablissement d’une attribution automatique de devises au titre du tourisme intervient le 1er juin 1959. Le contrôle des changes se desserre par la suite progressivement. En 1965, les Français sont autorisés à emporter en Italie 1 000 francs par personne en billets de banques et l’équivalent de 5 000 francs en devises.

351 Le Monde, 15-16 septembre 1963.

352 Le Tourisme dans les pays de l’OCDE, OCDE, Rapport du comité du tourisme préparé en juillet 1969, p. 11. Un décret du 28 mai 1968 rétablit temporairement le contrôle des changes, supprimé depuis le 31 décembre 1967. Les touristes français sont autorisés à emporter, par personne et par voyage, la somme de 1 000 francs ou l’équivalent en devises étrangères.

l’OCDE sont éloquents : en 1969, le nombre d’entrées de touristes français en Italie se réduit de 4,5 % pour atteindre 4 256 400, tandis que le nombre d’entrées de touristes français en Espagne progresse de 5,6 % pour atteindre 8 216 122, soit le double.