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Une certaine idée de l'Italie. Attitudes et politique françaises 1958-1969

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Une certaine idée de l’Italie. Attitudes et politique

françaises 1958-1969

Stéphane Mourlane

To cite this version:

Stéphane Mourlane. Une certaine idée de l’Italie. Attitudes et politique françaises 1958-1969. Histoire. Université Nice Sophia-Antipolis, 2002. Français. �tel-01115304�

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U n i v e r s i t é d e N i c e - S o p h i a A n t i p o l i s

F a c u l t é d e s l e t t r e s , a r t s e t s c i e n c e s h u m a i n e s

Une certaine idée de

l’Italie

Attitudes et politique françaises

1958-1969

Thèse de doctorat en Histoire

Sous la direction de Monsieur le Professeur Ralph Schor

Présentée par Stéphane Mourlane

Le 2 décembre 2002

Jury

Daniel Grange (Université de Grenoble)

Samia El Mechat (Université de Nice)

Ralph Schor (Université de Nice)

Romain H. Rainero (Université de Milan)

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« L’histoire, qui est une observation des traces que laisse un passé disparu et une reconstitution partielle de ce passé, nous enseigne la modestie face à la complexité des choses. »

J.-B. DUROSELLE, Tout Empire périra.

« Un mot, pour tout dire, domine et illumine nos études : comprendre. »

M. BLOCH, Apologie pour l’histoire ou Métier

d’historien.

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Remerciements

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude au professeur Ralph Schor dont la confiance, les encouragements et les conseils m’ont soutenu tout au long de ce travail.

Je remercie le professeur Robert Escallier, directeur du Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine, qui a mis à ma disposition tous les moyens nécessaires au bon déroulement de mes recherches. Mesdames Bernard et Brogini y ont grandement contribué par leur gentillesse et leur disponibilité. Dans ce cadre amical, les échanges avec les autres membres du laboratoire se sont révélés toujours très stimulants. Je tiens tout particulièrement à remercier pour leurs conseils, leurs encouragements et leur aide les professeurs André Nouschi et Samya El Mechat, messieurs Yvan Gastaut, Xavier Huetz de Lemps, Jacques Mièvre, Jean-Paul Pelligrinetti, Jean-Baptiste Pisano, maîtres de conférences, ainsi que monsieur Damon Mayaffre, chargé de recherche au CNRS. J’associe à ces remerciements monsieur Jean-Rémy Bezias, professeur en classes préparatoires, monsieur Stefano Leoncini, maître de conférences au département d’italien de l’université de Nice, monsieur Adel Ben Youssef, maître de conférences en économie..

Je remercie le professeur Romain H. Rainero qui m’a accueilli avec bienveillance lors des rencontres, toujours enrichissantes, du Comité franco-italien d’études historiques.

Je remercie le professeur André Vauchez, directeur de l’École française de Rome, ainsi que mesdames Catherine Brice et Brigitte Marin, directrices des études, qui m’ont permis d’effectuer des séjours à Rome et qui y ont guidé mes recherches. J’exprime également ma reconnaissance envers le professeur Francesco Castro, directeur de l’Istituto per l’Oriente, qui m’a accueilli et a mis à ma disposition les moyens de son centre d’études.

Mes remerciements vont évidemment à tous les personnels, trop nombreux pour être ici tous cités, des bibliothèques et des centres d’archives qui, en France comme en Italie, ont facilité le dépouillement et la consultation des documents nécessaires à cette étude.

Un grand merci à Christophe, Fabrice, Mélanie, Stéphan, Sylvie et Térence, dont l’amitié et l’hospitalité m’ont été si précieuses au cours de mes nombreux séjours à Paris. Merci à Cédric, non seulement pour son assistance infographique, mais aussi pour son soutien en toutes circonstances.

Je remercie Mattea-Paola Battaglia, doctorante à l’université Paris I et Alain Quagliarini, doctorant à l’Institut d’études politiques de Paris, de m’avoir communiqué amicalement leurs travaux.

Toute ma reconnaissance à monsieur Gérald Michaux, professeur d’histoire-géographie, qui a bien voulu être mon premier lecteur.

Qu’il me soit permis aussi de remercier ma famille pour sa compréhension et son soutien.

(5)

Avertissements

• Abréviations employées en notes infrapaginales :

ACS Archivio centrale dello Stato (Rome)

ADAM Archives départementales des Alpes-Maritimes (Nice)

AEF Archives économiques et financières (Savigny-le-Temple)

AMAE Archives du ministère des Affaires étrangères (Paris)

AN Archives nationales (Paris)

ASD Archivio storico diplomatico (Rome)

CAC Centre des Archives contemporaines des Archives nationales (Fontainebleau)

CAD Centre des Archives diplomatiques (Nantes)

DDF Documents diplomatiques français

ENIT Ente nazionale per il Turismo

FRUS Foreign relations of United States

INSEE Institut national de la Statistique et des Études économiques

ISTAT Istituto centrale di Statistica

JORF Journal officiel de la République française

PCM Presidenza del consiglio dei ministri

SHAT Service historique de l’Armée de Terre (Vincennes)

SHM Service historique de la Marine (Vincennes)

• Les textes en italien donnés en citation ont été traduits par nos soins.

• Les données des graphiques insérés dans le texte sont présentées en annexes sous forme de tableaux.

(6)

Sommaire

Introduction générale ... 6

Première partie : les Français et l’Italie ... 19

Section 1 : À la rencontre des Italiens ... 23

Chapitre I : L’immigration italienne en France ... 25

Chapitre II : Le tourisme français en Italie ... 104

Section 2 :Médiations culturelles ... 174

Chapitre III : Aspects de la culture italienne en France ... 176

Chapitre IV : Manières de voir : les Français regardent l’Italie et les Italiens ... 245

Deuxième partie : de la politique italienne de la France ... 352

Section 3 : Horizon méditerranéen, horizon européen 1958-1962 ... 356

Chapitre V : La question algérienne au cœur des enjeux méditerranéens ... 359

Chapitre VI : L’Italie dans la politique européenne de la France ... 447

Section 4 : Entre multilatéralisme et bilatéralisme 1963-1969 ... 556

Chapitre VII : Les malentendus transalpins ... 558

Chapitre VIII : Perspectives bilatérales : action culturelle et relations économiques ... 655

Conclusion générale ... 746

Annexes ... 752

Sources ... 851

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Introduction

générale

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« …la géographie, l’histoire, l’économie, la culture, la religion, font que les territoires, échanges, idées et croyance de l’Italie et les nôtres sont à ce point rapprochés et mêlés qu’il n’y a point de règlement général concernant la Péninsule qui n’affecte profondément la France et puisse, par conséquent, constituer une base d’avenir si nous n‘y participons pas. Nous n’hésitons pas à ajouter que ce voisinage étroit, et dans une certaine mesure, cette interdépendance des deux grands peuples latins demeurent dans la tourmente actuelle de l’humanité et malgré tous les griefs du présent, des éléments sur lesquels la raison et l’espoir de l’Europe ne renoncent pas à se poser. »1

Cet extrait d’une allocution du général de Gaulle, radiodiffusée depuis Alger, le 27 juillet 1943, deux jours après la déchéance de Mussolini, résume, en bien des points, la conception que se font les Français au milieu du XXe

siècle de leurs relations avec leurs voisins transalpins. Cette conception s’inscrit dans l’espace et dans le temps. Elle repose sur l’évidente perception d’une contiguïté territoriale, qui détermine l’établissement de rapports pluriséculaires. Aujourd’hui encore, d’aucuns n’hésitent pas à situer le point de départ des relations franco-italiennes aux confrontations entre Gaulois et Romains2

. Il n’est pas dans notre intention de discuter ici l’opportunité d’une telle démarche, qui conduit à mettre à un même niveau un État-nation et une « expression géographique » (pour reprendre le mot de

Metternich) morcelée politiquement jusqu’au milieu du XIXe

siècle. S’il est vrai qu’en France apparaît très tôt la conscience d’une certaine unité de l’Italie, nous retiendrons surtout que ce type de « vision historique » met l’accent sur l’ancienneté et la densité des liens culturels,

compris au sens le plus large, au point de forger l’idée d’un héritage commun3

. Ce faisant naît et s’épanouit dans les imaginaires le sentiment que l’Italie est la « sœur latine » de la France. Le concept est rebattu à l’époque contemporaine, c’est-à-dire depuis l’unité politique italienne, afin de célébrer, à un niveau quasi-mythologique, la profondeur des liens entre les deux pays. Or, si l’on abandonne le mythe de la sororité pour évoquer des sentiments, tels que la cordialité ou l’amitié, exprimant plus prosaïquement de bonnes relations entre deux pays, force est de constater qu’entre la France et l’Italie, il s’agit d’une « amitié difficile »4

. Les circonstances qui précèdent l’intervention du général de Gaulle en 1943 constituent une des difficultés majeures, euphémisme pour désigner l’état de guerre. Néanmoins, les propos du chef de la France libre laissent transparaître la conviction qu’au-delà des vicissitudes, parfois

1 C. DE GAULLE, Discours et messages, t. I, Paris, Plon, 1970, p. 290-291 (édition limitée, illustrée et

numérotée réservée au Club français des Bibliophiles).

2 F. GARELLI, Histoire des relations franco-italiennes, Paris, éditions Rive droite, 1999, p. 13-32.

3 Les artistes, mais aussi les reines de France (Catherine et Marie de Medicis) et un grand ministre (Mazarin)

sont désignés comme italiens. Ajoutons que les contacts culturels entre Français et « Italiens » se sont parfois établis au prix de violents affrontements autour des prétentions dynastiques et territoriales des souverains français de Charles VIII à Napoléon Ier. Voir notamment : J. BALSAMO (dir.), Passer les monts. Français en

Italie – l’Italie en France (1494-1525), Paris, H. Champion, 1998 et J. DUBOST, La France italienne XVIe

-XVIIe siècles, Paris, Aubier, 1997.

4 G. MARTINET, S. ROMANO, Une Amitié difficile. Entretiens sur deux siècles de relations franco-italiennes,

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douloureuses, les rapports entre les deux pays sont si étroits – le Général emploie la notion significative d’interdépendance – que non seulement ils revêtent un caractère inéluctable, mais aussi qu’ils constituent une des bases solides sur lesquelles doit se construire l’avenir de l’Europe.

L’intensité et les fluctuations des relations franco-italiennes à l’époque contemporaine n’ont pas manqué de susciter l’intérêt de l’historiographie des relations internationales. Leur connaissance et leur analyse doit beaucoup à l’impulsion donnée par l’un des maîtres de l’école française, aux côtés de Pierre Renouvin : Jean-Baptiste Duroselle5

.

C’est sous sa direction que Pierre Milza a entrepris et mené à bien une thèse qui demeure une référence incontournable pour tous ceux qui prêtent attention aux relations franco-italiennes6

. Son apport se situe à plusieurs niveaux. En examinant la période 1870-1902, Pierre Milza propose un éclairage lumineux sur les origines contemporaines des relations entre les deux pays, ce qui permet une mise en perspective diachronique aux études consacrées aux périodes postérieures. Cet apport est renforcé par le fait que la thèse met en exergue des enjeux autour desquels se structurent durablement les relations franco-italiennes. Citons notamment le rapport de puissance qui s’établit en Europe dans une relation triangulaire avec l’Allemagne et en Méditerranée, où s’exerce « le jeu complexe des intérêts et comportements impérialistes », ou encore, et peut-être surtout, « la relation

dominant/dominé qui commande dans une large mesure les rapports entre les deux peuples »7

. Pour parvenir à ces conclusions, l’élève suit la voie tracée par les orientations méthodologiques de ses maîtres, qui conduit à examiner l’influence des « forces profondes » sur l’évolution des relations internationales8

. La thèse de Pierre Milza démontre ainsi que la combinaison des facteurs géographiques, des conditions démographiques (en particulier les mouvements migratoires), des forces économiques ainsi que de « forces psychologiques collectives » fournit une grille de lecture particulièrement pertinente dans l’analyse des traits spécifiques des relations franco-italiennes.

Jean-Baptiste Duroselle s’est aussi attaché à donner un cadre institutionnel propre à assurer l’essor et la pérennité des études sur les rapports entre les deux voisines transalpines, tout en oeuvrant à la consolidation de leurs échanges culturels au niveau universitaire. Ainsi, il est l’artisan, en 1973, avec Enrico Serra, du Comité franco-italien d’études historiques, qui réunit depuis tous les ans, alternativement en France et en Italie, historiens français et italiens.

5 Jean-Baptiste Duroselle a commencé à tourner son regard outre-monts par son étude sur l’affaire de Trieste qui

oppose l’Italie et la Yougoslavie après la Seconde guerre mondiale : J.-B. DUROSELLE, Le Conflit de Trieste,

1943-1954, Bruxelles, éditions de l’Institut de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, 1966.

6 P. MILZA, Français et Italiens à la fin du XIXe siècle. Aux origines du rapprochement franco-italien de

1900-1902, Rome, École française de Rome, 1981.

7 Ibid, p. 1027 et 1029.

8 P. RENOUVIN, J.-B. DUROSELLE, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, A. Colin,

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Ces rencontres, qui se poursuivent aujourd’hui encore sous la présidence conjointe de Romain Rainero et Ralph Schor (qui a récemment succédé à Pierre Milza)9

, ont donné lieu à une dizaine de publications qui forment un ensemble d’une richesse incomparable pour la connaissance et la compréhension des relations franco-italiennes dans la durée (de 1870 au milieu des années 1960) et sous leurs multiples facettes : diplomatie, économie, migrations, culture et « mentalités collectives »10

. Le Comité a joué à la fois un rôle de catalyseur et de stimulateur. Le Comité a non seulement rassemblé les chercheurs français et italiens portés par leur formation ou leurs travaux à s’intéresser à l’Autre et servi de point d’appui à de jeunes chercheurs, dont nous sommes, mais il a aussi ouvert le cercle restreint de ces « spécialistes » à des chercheurs confirmés dans d’autres domaines d’études des relations internationales, dont notamment Maurice Vaïsse et Pierre Guillen11

. Le climat d’émulation scientifique ainsi créé par cet ensemble a permis à l’histoire des relations franco-italiennes de prendre une place de choix dans l’historiographie française et italienne des relations internationales. Sans compter le formidable essor des travaux sur l’émigration italienne en France, les publications d’ouvrages spécialisés ou d’articles dans les revues les plus renommées, ainsi que les soutenances de thèse témoignent de ce dynamisme, dont on perçoit les échos dans les études plus générales sur l’histoire des relations internationales ou sur les politiques étrangères de la France et de l’Italie.

L’orientation de notre travail nous incite à souligner une des manifestations récentes du rayonnement des études sur les relations franco-italiennes : la tenue en mars 1990 d’un colloque sur « de Gaulle et l’Italie », organisé par l’École française de Rome – autre acteur de premier plan de l’historiographie des relations franco-italiennes – la Fondation nationale des sciences politiques, en collaboration avec l’Institut Charles de Gaulle12

. Le caractère inaccessible de la plupart des sources explique en partie que le sujet ait été jusqu’alors négligé, mais pas seulement. En effet, il suffit de parcourir l’abondante bibliographie consacrée au personnage du Général, à sa politique dans son ensemble ou à sa politique étrangère en particulier, pour se rendre compte de la part le plus souvent congrue réservée aux rapports avec l’Italie, tandis que ceux entretenus avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou encore les États-Unis, pour ne citer que les alliés occidentaux, bénéficient d’amples

développements13

. Il n’y a certes pas lieu d’être surpris, ni même de s’en indigner, puisqu’une

9 La dernière réunion s’est tenue du 19 au 21 septembre 2002, à San Marin. 10 Voir les références en bibliographie.

11 Pierre Guillen a également contribué, au-delà de la richesse de ses propres travaux, notamment sur la période

de l’après Seconde Guerre mondiale (voir bibliographie), au développement des études sur les relations franco-italiennes au sein du Centre de recherche d’histoire de l’Italie et des pays alpins (CRHIPA) de l’université de Grenoble.

12 De Gaulle et L’Italie, Actes du colloque organisé par L’École française de Rome, la FNSP et la Fondation

Charles de Gaulle, Rome, Collection de l’École française de Rome-233, 1997.

13 On notera toutefois les contributions de Gaetano Quagliarello sur l’appréciation en Italie de l’activité politique

(11)

telle inflexion historiographique ne fait, somme toute, que refléter l’influence déterminante exercée de diverses manières par ces pays sur le destin de la France pendant et après la guerre. L’Italie est alors reléguée à un second plan dans l’analyse. L’historiographie des relations franco-italiennes a pourtant montré que, de la fin de la guerre aux années cinquante, l’Italie n’est pas absente des préoccupations françaises14

. Le colloque de l’École française de Rome, à la suite d’autres travaux, confirme l’attention du Général pour l’Italie, dès la chute du régime fasciste. Par ailleurs, différentes recherches ont permis de souligner que cette attention s’est

maintenue sous la IVe

République. Par instants, en particulier lorsque Bidault occupe le Quai d’Orsay, il est même mené une politique italienne volontariste et ambitieuse, consacrée par la conférence de Santa Margherita en février 1951 qui, à la suite du traité de paix de 1947, a pour objectif de sceller le rapprochement bilatéral par l’instauration d’un principe de consultation. Parallèlement, la France participe activement à la réinsertion internationale de l’Italie en favorisant son entrée à l’ONU et au sein de l’Alliance atlantique. La solidarité et l’interdépendance multilatérale est en outre renforcée par la participation active des deux pays au processus de construction européenne, qui aboutit à la signature du traité de Rome, en mars 1957. Dans le même temps, les échanges économiques se développent, malgré l’échec de l’union douanière, tandis que les contacts culturels s’accroissent par une présence toujours importante d’émigrés transalpins en France, par le décollage du tourisme français en Italie ou encore par une plus grande pénétration de la culture italienne en France.

En dépit de l’intensité de ces relations, la période de la « République gaullienne », a longtemps donné l’impression de faire disparaître l’Italie de l’horizon international de la France, à l’exception de brèves mentions du voyage officiel du Général dans la Péninsule à la fin du mois de juin 1959. Les interventions de Serge Berstein et de Maurice Vaïsse lors du

G. QUAGLIARELLO, « Le RPF à travers la correspondance des diplomates italiens », in Fondation Charles de Gaulle, De Gaulle et le RPF 1947-1955, Paris, A. Colin, 1998, p. 797-815 ; « 1958 en France dans les documents diplomatiques italiens » in Fondation Charles de Gaulle, L’Avènement de la Ve République, A. Colin,

1999, p. 276-296. Confirmant à la fois l’intérêt des historiens italiens et celui des historiens français à connaître le point de vue de l’Italie sur la politique gaulliste, on relève aussi : L. NUTI, « Italy and the french withdrawal from NATO in 1966 », in M. VAÏSSE, P. MÉLANDRI, F. BOZO (dir.), La France et l’OTAN 1949-1966, Bruxelles, Complexe, 1996, p. 469-487.

14 Voir notamment les actes des rencontres du Comité franco-italien d’études historiques portant sur cette

période : J.-B. DUROSELLE, E. SERRA (a cura di), Italia e Francia (1939-1945), 2 vol., Milano, Franco Angeli, 1984 ; Italia e Francia (1946-1954), Milano, Franco Angeli, 1988 ; ou certaines communications lors de rencontres thématiques : M. VAÏSSE, « Les diplomates français à la recherche du nationalisme italien (1949-1955) », in E. DECLEVA, P. MILZA (a cura di), Italia e Francia. I nationalismi a confronto, Milano, Franco Angeli, 1993, p. 234-240.

Voir en outre : P. GUILLEN, « Les relations franco-italiennes de 1943 à 1949 », Revue d'Histoire diplomatique, janvier-juin 1976, p. 112-160 ; « La réinsertion internationale de l'Italie après la chute du fascisme », Relations

internationales, n°31, 1982, p. 333-349 ; « Les relations franco-italiennes après la chute du fascisme », Mélanges de l’École française de Rome, 98-1986-1, p. 432-464. ; J. HEURGON, « La réconciliation franco-italienne en

1944-1945 », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, n°103, 1991-2, p. 573-587 ; S. ROMANO, « La politique du général de Gaulle à l'égard de l'Italie à la fin du second conflit mondial »,

Espoir, Revue de la Fondation et de l’Institut Charles de Gaulle, n°82, juin 1992, p. 12-15 ; B. BAGNATO, « Il

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colloque de l’École française de Rome sont venues rappeler que cette disparition n’est pas totalement effective et que, si elle peut être évoquée, il y a lieu d’en discuter les modalités15

.

C’est à ce point de la réflexion historiographique que se situe notre étude. Le terrain encore en friche, malgré les premiers débroussaillages évoqués précédemment, justifie le choix de la période : 1958-1969. Celle-ci couvre toute la durée au cours de laquelle le général de Gaulle occupe le pouvoir, d’abord comme dernier président du Conseil de la IVe

République, puis comme premier président de la Ve

République. Le recours à cette périodisation implique une approche asymétrique des relations franco-italiennes, c’est-à-dire que l’analyse privilégie les rapports entretenus par la France avec l’Italie. Les positions italiennes seront vues seulement en fonction de leurs interférences avec les attitudes françaises. Les bornes chronologiques choisies, qui renvoient à un cadre politique, ne doivent pas pour autant laisser penser que notre étude n’aborde la question que sous l’angle des rapports politiques ou diplomatiques, même s’ils en constituent une composante importante. Il est désormais admis que l’histoire des relations internationales n’est pas seulement celle du « système inter-étatique »16

pour reprendre l’expression de Raymond Aron. Nous adoptons donc la posture, aussi évidente que clairvoyante, qu’exprime René Girault dans le sillage des réflexions de Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle :

« Je suis tenté de définir l’histoire des relations internationales comme l’histoire des relations que les hommes séparés par des frontières ont pu nouer entre eux sur le plan politique ou économique ou culturel, ces mots étant entendu dans le sens le plus large. »17

Dans cette optique, qui ouvre selon René Girault sur une « histoire totalisante », il s’agit pour nous d’explorer dans leur profondeur et leur étendue l’ensemble des rapports qu’entretient la France avec sa voisine transalpine. Le projet peut paraître démesurément ambitieux et il convient de préciser que globalité ne signifie pas exhaustivité. Ainsi, il nous a fallu, dans une perspective analytique, opter pour des angles d’approche déterminés à la fois par la disponibilité des sources et le souci de mettre en exergue les événements et les phénomènes qui révèlent ou cristallisent les principaux enjeux. Par ailleurs, force est d’admettre que nombre des aspects traités pourraient donner lieu à une étude spécifique, parfois au moins équivalente à l’ensemble de celle proposée.

Le parti pris d’aborder le sujet dans sa globalité s’établit en fonction d’une problématique qui place en son centre la compréhension du processus de décision en politique

15 S. BERSTEIN, « L’Italie dans la pensée et le discours du général de Gaulle de 1958 à 1969 », in De Gaulle et

l’Italie, op. cit., p. 65-79 et M. VAÏSSE, « De Gaulle, l’Italie et le projet d’union politique européenne,

1958-1963 », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 42-4, octobre-décembre 1995, p. 658-669.

16 R. ARON, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 113.

17 R. GIRAULT, « L’histoire des relations internationales peut-elle être une histoire totale ? », in Enjeux et

puissances. Pour une histoire des relations internationales au XXe siècle. Mélanges en l’honneur de

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étrangère où se croisent de multiples interférences18

. Pour Robert Frank, l’analyse est alors confrontée à une triple complexité : la « chimie des forces profondes », les rapports entre décideurs et forces profondes et enfin la démonstration des inférences et des croisements qu’impliquent les relations bilatérales ou multilatérales entre décideurs de pays différents, entre forces profondes de pays différents, mais aussi entre décideurs de tels pays et forces profondes de l’autre côté de la frontière19

. On complètera par la remarque de Jacques Thobie selon laquelle « aucune de ces forces ne peut prétendre à avoir une valeur explicative dominante »20

.

À cette triple complexité, qui structure le cadre général de l’analyse, répond la complexité des relations franco-italiennes qui se manifeste par une combinaison spécifique d’éléments déterminant attitudes et politique, les attitudes étant entendues comme un ensemble de dispositions, un état d’esprit, à l’égard de l’Autre, dont les tendances influent sur le comportement politique. L’attention doit ainsi être portée sur les échanges interculturels, producteurs d’un système de représentations structuré, dans le cas des rapports des Français avec les Italiens, autour de deux pôles : la proximité et la condescendance21

. Doit-être aussi pris en compte le poids du « système international » qui, dans un monde partagé en deux blocs antagonistes, inscrit la France et l’Italie dans un même ensemble multilatéral supposant,

comme nous l’avons déjà souligné, interdépendance et solidarité22

. Enfin, les rapports entre la France et l’Italie sont inévitablement soumis aux contraintes qu’impliquent les objectifs assignés à la politique étrangère par le général de Gaulle : l’indépendance nationale et la grandeur de la France sur la scène internationale23

.

Encore une fois, comme le fait remarquer René Girault :

« Il ne s’agit pas de chercher, ici et là, une causalité dominante qui serait explicative des relations internationales. »24

18 J.-B. DUROSELLE, « La décision de politique étrangère. Esquisse d’un modèle-type », Relations

internationales, n°1, 1974, p. 5-26 et Tout empire périra. Théorie des relations internationales, Paris, A. Colin,

1992, p. 121-174.

19 R. FRANK, « Penser la complexité : l’histoire des relations internationales » in Y. BEAUVOIS, C.

BLONDEL (dir.), Qu’est-ce qu’on ne sait pas en histoire ?, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998, p. 103-116.

20 J. THOBIE, « La dialectique forces profondes-décision dans l’histoire des relations internationales », Relations

internationales, n°41, printemps 1985, p. 30.

21 P. MILZA, « L’image de l’Italie et des Italiens du XIXe siècle à nos jours », Cahiers de l’Institut d’Histoire du

Temps présent, n°28, juin 1994, p. 71-82.

22 Pour une approche théorique de la notion de « système international » voir notamment : M. MERLE,

Sociologie des relations internationales, op. cit., p. 407-450.

23 Pour une analyse en profondeur nous retiendrons surtout : S. HOFFMANN, Essais sur la France. Déclin ou

renouveau ?, Paris, Seuil, 1974, p. 315-382 (« De Gaulle et le monde : la scène et la pièce ») ; P. G. CERNY, Une Politique de grandeur. Aspects idéologiques de la politique extérieure de de Gaulle, Paris, Flammarion,

1986 ; M. VAÏSSE, La Grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, Paris, Fayard, 1998.

(14)

On préférera donc au principe de causalité celui de réflexivité. Et, c’est dans l’interaction entre les différents éléments évoqués, qui renvoient à différentes temporalités, que se trouvent les clés de l’analyse.

La clarté de l’exposé réclame toutefois de distinguer deux aspects des rapports entre la France et l’Italie. Le plan suivi s’articule ainsi autour des relations entre Français et Italiens et de la politique italienne de la France.

Dans une première partie, sera donc examinée la question des liens qui se nouent entre Français et Italiens. Ceux-ci passent par des contacts directs, suscités par les flux migratoires qui, dans le sens Italie-France, concernent le courant ancien d’une émigration temporaire ou définitive de travail et qui, dans le sens France-Italie, correspond au mouvement plus récent de migrations touristiques massives. La porosité de la frontière se manifeste également dans le champ des productions culturelles en provenance de la Péninsule qui, bénéficiant aussi du développement de la culture de masse, connaissent une plus large diffusion en France. La confrontation aux choses d’Italie n’a jamais été aussi intense. Ne serait-ce que de ce point de vue, il apparaît pertinent de soumettre le phénomène à l’examen. Cela permet, à un premier niveau d’analyse, de mesurer la croissance quantitative des occasions de rencontre avec les modes de vie et les expressions culturelles des Italiens. À un second niveau, il apparaît clairement que l’intensification des relations concrètes ne peut qu’avoir un effet, dont il convient d’appréhender les différentes modalités, sur la représentation de l’Italie et des Italiens. La construction des représentations renvoie à une combinatoire complexe de différents plans de rationalité et de temporalité qu’il est également nécessaire de prendre en compte. Ainsi le temps long des mentalités collectives se superpose au temps court de l’opinion en produisant des images qui resurgissent de manière conjoncturelle, tout en faisant appel à un socle plus pérenne, composé notamment de stéréotypes nationaux. L’analyse des représentations constitue donc un pan à part entière de l’analyse des relations entre la France et l’Italie, mais plus encore, elle ouvre à la détermination d’un environnement culturel qui éclaire les attitudes et les comportements non seulement au niveau collectif, mais encore au niveau individuel, dans la mesure où « le système individuel de représentation du décideur fait partie d’un système social de représentation à une époque donnée »25

.

De fait, on perçoit dans la seconde partie les échos, parfois assourdis ou déformés, des phénomènes observés dans la première. Les points de jonctions posent inévitablement le problème du facteur idéologique26

ou plus largement encore de la relation entre politique intérieure et politique étrangère27

. Ici vient à l’esprit cette « certaine idée de la France »28

,

25 R. FRANK, « Penser la complexité : l’histoire des relations internationales », in op. cit., p. 113. 26 J.-P. RENOUVIN, J.-B. DUROSELLE, Introduction à l’histoire des relations internationales, op. cit.

27 Voir notamment : M. MERLE, La Politique étrangère, Paris, PUF, 1984, p. 149-195 ; P. GUILLEN,

« Politique intérieure et relations internationales », Relations internationales, n°41, printemps 1985, p. 111-124 et P. MILZA, « Politique intérieure et politique étrangère », in R. RÉMOND (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1996, p. 315-344.

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devenue aphorisme de la politique gaullienne. On en retient, d’une part, que la défense et la promotion de l’intérêt national, érigé au rang de valeur dogmatique, préside à l’adoption d’une ligne diplomatique et stratégique et, d’autre part, que celle-ci est induite par l’effet d’image qu’elle produit sur la représentation à donner de la France aux Français et aux étrangers29

. En d’autres termes, la politique étrangère de la France en général et la politique française à l’égard de l’Italie en particulier mettent en jeu le problème de la perception de la puissance30

. Ces considérations sous-tendent notre deuxième partie, qui se développe dans le cadre des relations inter-étatiques. Elles réclament, en outre, un examen du jeu des forces économiques dans leurs confrontations avec les données politiques. Par ailleurs, ces dernières sont soumises à la géométrie variable qu’impose le système international dans un mouvement de va-et-vient entre cercle multilatéral et bilatéral. Pour démêler l’écheveau des relations franco-italiennes, nous avons opté pour une démarche chronologique qui prend pour point d’inflexion la fin de l’année 1962, habituellement considérée comme le tournant de la politique étrangère gaullienne en raison du règlement de l’épineuse question algérienne et dans une certaine mesure de l’échec du projet d’union politique européenne, qui rendent plus opératoire la politique d’indépendance nationale31

. Le choix est, certes, dicté par notre l’angle d’approche, mais il se justifie aussi au regard de la force des enjeux méditerranéens et européens qui pèsent sur les rapports entre Paris et Rome. Ainsi peut-on dire schématiquement qu’en fonction de ces enjeux, la première phase est marquée par une considération particulière accordée à l’Italie tandis que la seconde se structure entre malentendus et désaccords multilatéraux et maintien de bons rapports bilatéraux. Le souci de mettre en exergue les principaux enjeux nous a conduit à conjuguer l’analyse diachronique à une articulation thématique, en fonction des affaires qui retiennent l’attention des milieux diplomatiques et politiques, le tout s’appuyant sur une charpente événementielle.

28 C. DE GAULLE, Mémoires de guerre, Paris, Plon, 1989, p. 9.

29 S. HOFFMANN, « La France face à son image », Politique étrangère, n°1, printemps 1986, p. 24-33.

30 Cette piste de réflexion a été ouverte par l’enquête lancée dans quatre pays européens par René Girault sur la

« perception de la puissance ». Cf. R. GIRAULT, R. FRANK (dir.), La puissance en Europe, 1938-1940, Publications de la Sorbonne, 1984 et La puissance française en question ! 1945-1948, Publications de la Sorbonne, 1988 ; J. BECKER, F. KNIPPING (éd.), Power in Europe ? Great Britain, France, Italy and

Germany in a postwar world, New York, Walter de Gruyter, 1986 ; E. DI NOLFO (éd.), Power in Europe ? II. Great Britain, France, Italy and Germany and the origines of the EEC 1952-1957, New York, Walter de

Gruyter, 1992.

31 M. VAÏSSE, La Grandeur…, op. cit., p. 52. L’auteur estime que l’on pourrait isoler une troisième période à

partir du printemps 1967, avec un « retour progressif à la priorité donnée à la politique intérieure, et un vieillissement du Général », sans pour autant lui accorder un traitement spécifique. Pour à peu près les mêmes raisons, Stanley Hoffmann situe, pour sa part, un tournant à l’été 1968 (S. HOFFMANN, Essais sur la

France…, op. cit, p. 325-326). Bien que nous n’en ayons pas fait un point d’inflexion majeur, nous verrons que

les derniers mois de la présidence du général de Gaulle voient également se profiler une nouvelle tendance dans les relations franco-italiennes.

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« L’histoire du XXe siècle croule sous le poids des témoignages écrits, des sources

d’archives, des signes multiformes des cultures contemporaines, cinéma, radio, disques télévision. Au tesson s’oppose le photocopieur. »32

À cette réalité, nous avons été confrontés. La perspective que nous avons choisi de développer implique la consultation d’une grande variété de sources qui sont, en outre, dispersées dans différents lieux de conservation, en France comme en Italie. Ces sources peuvent être regroupées en deux catégories qui sont, d’une part, celles qui sont conservées dans les archives et d’autre part l’ensemble des sources imprimées.

Les sources françaises ont été plus abondamment exploitées en raison de l’orientation de notre étude. Les fonds du ministère des Affaires étrangères constituent la matière la plus riche, avec un ensemble de 245 volumes consultés, que ce soit au centre du Quai d’Orsay ou à celui de Nantes. La correspondance avec le palais Farnèse, ambassade de France à Rome, et parfois avec les représentations diplomatiques dans d’autres capitales, les notes des différentes directions et sous-directions du ministère et les comptes rendus d’entretiens au plus haut niveau permettent d’éclairer les aspects politiques, économiques et culturels des relations entre la France et l’Italie33

. Un certain nombre de ces documents sont publiés dans

les Documents diplomatiques français34

qui, par ailleurs, rendent possible l’accès à des sources insérées dans des séries non consultées, car ne concernant que très ponctuellement notre sujet. Des éléments plus épars ont pu être rassemblés à partir des dossiers conservés aux Archives nationales émanant du secrétariat général de l’Élysée, et de certains ministères (Intérieur, Éducation nationale, Culture, Industrie et Agriculture), même si, pour ces derniers, les fonds se sont révélés d’un faible apport. En revanche, les archives du ministère de l’Économie et des Finances, qui recèlent correspondance, notes et rapports des conseillers commerciaux et des conseillers financiers en poste à Rome, fournissent de nombreuses données supplémentaires sur les relations économiques. Les archives du ministère des Armées ont été consultées au Service historique de l’Armée de terre et au Service historique de la marine avec des résultats inégaux. En effet, le Service historique de la marine, dont on aurait pu attendre de précieux renseignements sur les relations navales entre les deux pays, n’a

32 R. GIRAULT, « L’imaginaire et les relations internationales », Relations internationales, n°33, printemps

1983, p. 3-9.

33 Les mémoires de certains responsables politiques ou de certains diplomates, en particulier celles des

ambassadeurs de France à Rome, Gaston Palewski (G. PALEWSKI, Mémoires d’action 1924-1974, Paris, Plon, p. 267-277) et Armand Bérard (A. BERARD, Un Ambassadeur se souvient, t. 5, Cinq années au palais Farnèse

de 1962 à 1965, Paris, Plon, 1982 : écrit à partir de sa correspondance et des notes rédigées alors qu’il est en

poste, cet ouvrage s’est révélé, en certains points, très utile pour combler les lacunes des dossiers consultés) ainsi que les témoignages que nous avons recueillis auprès d’Étienne Burin des Roziers (secrétaire général de l’Élysée puis ambassadeur à Rome) ou de Pierre Maillard (conseiller diplomatique à l’Élysée) permettent de préciser certains aspects et de donner à l’interprétation de la documentation une dimension plus « humaine ».

34 Le dernier volume paru porte sur le premier semestre 1963. Jusqu’à cette date, lorsque les documents consultés

au cours de nos dépouillements figurent dans les Documents diplomatiques français, nous avons privilégié les références à ces ouvrages.

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permis qu’une récolte décevante, compte tenu du grand nombre de documents encore réservés, parmi sans doute les plus intéressants, et pour lesquels nos demandes de dérogation n’ont pas été acceptées. Il en va autrement du Service historique de l’Armée de terre où nous avons pu consulter la correspondance et les rapports des attachés militaires dont la teneur va parfois au-delà de leur seul domaine de compétence, en particulier à travers les « rapports d’ambiance ».

De manière plus circonscrite, nous avons également eu recours aux Archives départementales des Alpes-Maritimes en ce qui concerne la question des voies de communication. Ces fonds n’ont toutefois pas répondu à nos attentes sur la question de l’immigration, qui aurait sans doute gagné à une approche plus locale.

Les archives italiennes, qui ne représentent pas l’essentiel de notre documentation, ont tout de même permis d’aborder la perception et la réception de la politique française et ont parfois contribué à compléter les informations recueillies du côté français. Leur consultation a été tributaire des délais de communicabilité et des possibilités de séjours accordées par l’École française de Rome, inévitablement limités dans le temps. Dans ces conditions, nous avons pu voir, à la Farnesina35

, la seule série consultable pour notre période, qui rassemble les télégrammes échangés entre le ministère des Affaires étrangères et l’ambassade d’Italie à Paris36

. Le dépouillement systématique d’une masse pléthorique de documents n’a cependant donné qu’un bien maigre résultat, même si quelques points ont pu être ainsi éclaircis. Les procès verbaux des Conseils des ministres, conservés aux Archives centrales de l’État à Rome, ont délivré quelques informations supplémentaires. Afin de compléter ces données parcellaires, nous avons eu recours à deux revues, l’une, porte-parole officieux de la Farnesina, Esteri, et l’autre considérée comme bien informée, Relazioni internazionali. Enfin, les documents diplomatiques américains ayant fait l’objet de publications (Foreign relations of United States) fournissent des éléments concernant les relations franco-italiennes par le biais des rapports des ambassadeurs à Paris et à Rome ou des comptes rendus d’entretiens entre dirigeants américains et français d’une part, et entre dirigeants américains et italiens d’autre part.

Avant d’en venir aux autres sources imprimées utilisées, il convient de mentionner le fait que nous n’avons pas pu exploiter un certain nombre de fonds archivistiques dont le dépouillement, bien que certainement utile, aurait réclamé des délais supérieurs à ceux dont nous disposions37

. Il en est ainsi des archives relatives aux « communautés intermédiaires

35 Situé au Foro Italico, cet immeuble, énorme parallélépipède blanc, était initialement destiné à abriter le siège

du parti fasciste. La Farnesina accueille le ministère des Affaires étrangères depuis 1960. Jusqu’à cette date, le ministère est situé piazza Colonna dans le palais Chigi (devenu ensuite le siège de la présidence du Conseil).

36 À noter que la publication des Documenti diplomatici italiani ne dépasse pas l’année 1948.

37 Dans certains cas, nous avons dû faire face à des difficultés administratives. Ainsi, le fonds d’archives de

l’ambassade de France à Rome (d’après l’inventaire que nous avons pu consulter, il aurait sans doute apporté un complément utile aux fonds conservés à Paris ou à Nantes) n’a pas pu être consulté, en dépit de l’accord donné par l’ambassadeur et du concours du personnel du palais Farnèse pour l’aménagement d’un espace de consultation, en raison d’une objection de la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères.

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organisées »38

(partis politiques, syndicats, organisations professionnelles, associations diverses), aux entreprises ou encore aux institutions européennes39

. Il nous semble néanmoins que ces limites au champ de nos investigations ne remettent pas en cause, d’un point de vue global, la validité de nos analyses et de nos conclusions.

Les sources imprimées, essentiellement françaises, présentent un éventail plus large encore, et dont la variété correspond à la diversité des angles d’approche que nous avons voulu développer. Les publications officielles constituent un premier ensemble qui comprend le Journal officiel, rapportant les débats parlementaires, les textes des accords et des conventions internationales et des documents statistiques publiés par des ministères ou des organismes publics, notamment en ce qui concerne les questions migratoires et économiques. Un autre ensemble, qui apporte ce que l’on pourrait appeler des témoignages directs, comprend les mémoires de certains responsables politiques et des essais publiés par des observateurs contemporains. Ces ouvrages peuvent être exploités aussi bien du point de vue de leur contenu factuel que des mentions plus personnelles ouvrant sur le champ des représentations. On retrouve cette ambivalence dans la presse, source privilégiée de l’histoire contemporaine, que nous n’avons pas manqué de mettre à profit dans ces différents domaines. Le dépouillement exhaustif d’une production extrêmement abondante ne pouvait guère être envisagé. Nous avons procédé à une étude systématique du quotidien Le Monde, plus facilement accessible et considéré comme un journal de référence, et de l’hebdomadaire France Observateur, devenu Nouvel Observateur, pour des raisons que nous serons amenés à justifier. Pour le reste, nous avons utilisé les vastes ressources proposées par les dossiers de presse de l’Institut d’études politiques de Paris, dont la liste est fournie en annexe. Nous avons également procédé, en fonction de l’actualité (rencontres importantes, voyages officiels, etc.) à des dépouillements plus ponctuels. Enfin, nous avons porté notre attention sur un certain nombre de vecteurs de représentations et de témoignages des contacts culturels entre les deux pays. Les manuels scolaires et les guides touristiques nous sont apparus comme des supports discursifs particulièrement révélateurs de la manière dont les Français pouvaient percevoir l’altérité italienne, tandis que les produits culturels italiens diffusés en France (essais, littérature, cinéma) apportent des éléments de connaissance sur ce que nos voisins transalpins laissent transparaître d’eux-mêmes.

Avant de laisser le lecteur suivre le fil de notre étude, nous voudrions exprimer le souhait que celle-ci apporte une contribution scientifique, d’une part, à la compréhension du fonctionnement du jeu des puissances médianes à l’époque de la Guerre froide40

et, d’autre

38 J.-B. DUROSELLE, Tout empire périra…, op. cit., p. 51-53. 39 Archives des Communautés européennes à Florence.

40 Dans une tentative de définition et un tableau des grandes puissances après la Seconde Guerre mondiale,

Jean-Baptiste Duroselle indique que : « Pour la France et l’Italie, les événements ont montré qu’elles n’étaient plus des grandes puissances que de nom » (J.-B. DUROSELLE, « Qu’est-ce qu’une grande puissance ? », Relations

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part, à la réflexion sur la politique étrangère gaullienne, par l’étude d’un cas particulier mais aussi que ce travail, par sa perspective historique, une modeste pierre à la construction déjà bien avancée de l’Union européenne, notre maison commune.

ou « médianes » selon le terme retenu, emprunté à Robert Frank, pour qui : « Est puissance médiane toute puissance qui, d’un côté, est dépendante par rapport à l’une des deux superpuissance, mais qui de l’autre, est capable, d’une manière ou d’une autre, d’influencer d’autres États au point de les rendre partiellement dépendants d’elle. » (R. FRANK, La Hantise du déclin. La France, 1920-1960 : finances, défense et identités

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Première partie :

les Français et

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La relation entre Français et Italiens, entre deux peuples qui se pensent comme singuliers et qui forment une société au sein de deux États distincts, repose sur la confrontation de deux identités nationales. Cette confrontation, à travers laquelle se manifeste et se construit le sentiment d’appartenance, doit fondamentalement être envisagée en tant que phénomène de représentation car, pour reprendre la proposition formulée par René Rémond :

« L’idée qu’un peuple se fait d’un autre ne coïncide pas avec la réalité : c’est là une évidence depuis longtemps reconnue, et son affirmation préalable est un lieu commun de toutes les études consacrées à ce genre de problème. […] Faute de disposer d’un terme moins impropre, parlons de représentations collectives »41.

Si les interactions entre les états d’un sentiment collectif et la politique internationale ont depuis longtemps été intégrées aux préoccupations des historiens, les termes de l’analyse n’ont pas toujours été homogènes. Entre opinion, attitude, mentalité, mythe et idéologie, le besoin s’est tôt fait sentir d’un essai de clarification42

. La terminologie a depuis été reprise

abondamment par la psychologie sociale43

et réintroduite par les historiens44

dans une problématique déjà bien rodée. De fait, comme l’écrit Michel Vovelle :

« L’histoire des représentations s’insère dans l’aventure de l’histoire des mentalités. »45

L’adoption du concept de « représentation », sans marquer de rupture avec le terme de « mentalité collective », si particulier à l’école historique française46

, constitue une étape dans l’évolution historiographique qui prend désormais en compte les apports conceptuels de diverses disciplines des sciences humaines. Les phénomènes de représentation se sont ainsi révélés dans leur complexité et leur diversité.

Les représentations entretiennent un rapport ambivalent au temps, et plus précisément à la durée. C’est, en effet, la durée qui permet de distinguer les différents niveaux d’enracinement qui structurent, entre temps court et temps long, la nébuleuse du sentiment collectif47

. Le déplacement sémantique ne doit donc pas modifier sur le fond les méthodes

41 R. RÉMOND, Les États-Unis devant l’opinion française 1815-1852, Paris, A. Colin, 1962, p. 2.

42 J-B. DUROSELLE, « Opinion, attitude, mentalité, mythe, idéologie : essai de clarification », Relations

internationales, n°2, 1974, p. 3-23.

43 Pour une synthèse, on peut voir en particulier S. MOSCOVICI (dir.), Psychologie sociale, Paris, PUF, 1984. 44 Voir notamment, R. CHARTIER, « Le monde comme représentation », Annales ESC, n°6,

novembre-décembre 1989, p. 1505-1520 et plus proche de nos problématiques P. LABORIE, « Histoire politique et histoire des représentations mentales », Cahiers de l’Institut d’Histoire du Temps présent, n°18, juin 1991, p. 105-126.

45 M. VOVELLE, « Histoire et représentations », in J-C. RUANO-BORBALAN (dir.), L’Histoire aujourd’hui,

Auxerre, Éditions Sciences humaines, 1999, p. 46.

46 S. FRIEDLÄNDER, « Mentalité collective et caractère national : une étude systématique est-elle possible ? »,

Relations internationales, n°2, 1974, p. 25.

47 P. MILZA, « Opinion publique et politique étrangère », in Opinion publique et politique extérieure

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visant à démêler l’écheveau formé par des éléments d’immédiateté et des composants relevant de structures plus stables. Toutefois, Jean-Jacques Becker invite à la prudence car, écrit-il :

« Il n’existe pas de limites franches et claires entre l’histoire des mentalités et celle de l’opinion publique »48.

Cette inscription dans la durée renvoie également aux suggestions de l’approche sociologique qui insiste sur le fait que les représentations s’apparentent à un processus, tandis que l’image est le produit de ce processus49

. Il est sans doute souhaitable, par ailleurs, de prendre en compte les différents niveaux de complexité cognitive de la représentation. Aux deux extrêmités de cette échelle de complexité se situent par exemple, la représentation savante, qui se déploie sur un mode analytique et la représentation stéréotypée, qui se réduit à une simple image. Dans la perspective d’une étude de la représentation de l’altérité, ces diverses formes de discours peuvent être prises en considération, mais il apparaît que le recours au stéréotype doit plus particulièrement retenir l’attention comme figure à la fois diffuse, parfois dominante et toujours porteuse de sens. Toute représentation collective a, en effet, quelque chose d’un stéréotype, dont Robert Frank, dans une synthèse récente, rappelle la fonction :

« Le stéréotype national comporte une dimension simplificatrice, au sens où il structure l’image d’une nation. Il se charge de caractériser un peuple, voisin ou lointain, de le détailler, de le réduire »50.

Le stéréotype relève donc d’un principe d’économie, en vertu duquel l’individu ramène tous les membres d’un groupe à des caractéristiques générales ou très particulières, lui permettant de le distinguer sans avoir à réfléchir à la diversité. Notre enquête consiste non pas à traquer le stéréotype mais plutôt à délimiter les contours d’une pensée stéréotypée et d’en saisir les éventuelles variations. La tâche n’est pas aisée. En effet, le stéréotype, comme élément constitutif majeur des représentations, entretient un rapport ambigu avec la réalité dont il est un reflet à la fois fidèle et déformant. Si l’on ne peut ignorer cet effet de distorsion, il ne nous appartient pas d’en mesurer systématiquement l’amplitude. Il nous revient plutôt d’en saisir la place dans un système plus vaste de représentations de l’Italie et des Italiens. C’est dans cette perspective que nous abordons l’étude d’un corpus documentaire très diversifié selon une démarche éprouvée qui implique un recensement et une description des véhicules de représentations51

. Leur sélection s’appuie sur la prise en compte des principaux canaux d’échanges interculturels, directs ou indirects, entre les deux pays.

48 J-J. BECKER, « L’opinion publique », in R. RÉMOND (dir.), Pour une histoire politique, op. cit., p. 164. 49 P. MOLINER, Images et représentations sociales, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1996, p. 147. 50 R. FRANK, « Qu’est-ce qu’un stéréotype ? », in J-N. JEANNENEY (dir.), Une idée fausse est un fait vrai. Les

stéréotypes nationaux en Europe, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 18.

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L’examen des représentations de l’Italie et des Italiens en France conduit donc à prendre en compte une pluralité d’analyses. Néanmoins, notre démarche dans cette première partie, qui porte sur l’ensemble de la période étudiée, privilégie la profondeur diachronique : le temps long au cours duquel « s’exerce de façon privilégiée l’influence des préjugés ancestraux, des mythes simplificateurs, des images et des jugements stéréotypés »52

. L’analyse est développée à travers les notions de contact et d’interpénétration des cultures. Il s’agit, d’une part, de s’attacher à l’évaluation des occasions et des situations qui favorisent la rencontre avec les choses d’Italie, que ce soit par le biais de contacts directs (présence des Italiens en France ou voyage de Français en Italie) ou par le biais de contacts indirects (vecteurs de discours ou d’images ayant trait à l’Italie et aux Italiens). Il s’agit, d’autre part, de mettre en lumière la manière dont ces contacts sont vécus ou du moins intégrés aux systèmes de représentations de différents groupes sociaux-culturels ou d’individus français. L’ordre des représentations, ordre mental, psychologique ou symbolique, n’est pas ici conçu comme séparé de la réalité, mais comme partie intégrante, même si elle n’est pas exclusive, des attitudes et des comportements que peuvent développer les Français à l’égard de l’Italie et des Italiens.

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Section 1 :

À la rencontre des Italiens

Au cours de la décennie 1960-1970, comme jamais auparavant, les populations française et italienne sont amenées à se rencontrer directement. Depuis longtemps certes, les Alpes ne constituent plus une barrière infranchissable aux déplacements humains entre les deux pays. Toutefois, le mouvement pendulaire transalpin est longtemps resté très majoritairement italien, alimenté par le flux des migrations saisonnières ou définitives des populations de la Péninsule fuyant le plus souvent une condition sociale misérable ou, pour certains, les rigueurs du régime fasciste. Ces migrations sont indiscutablement inscrites dans le jeu des forces profondes qui structurent les relations internationales53

. Pierre Milza a bien montré, à propos des rapports franco-italiens à la fin du XIXe

siècle, que les migrants sont à la fois acteurs et enjeux des relations bilatérales54

. Dans ses grandes lignes, la problématique demeure valable pour notre période.

Tout juste faut-il prendre en compte, outre bien évidemment l’évolution des rapports entre les deux pays, une profonde modification du sens et de la nature des courants migratoires. En effet, au cours des deux décennies qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Italiens ne sont plus les seuls à se déplacer en masse par-delà les Alpes. Les Français, mus par une aspiration à la découverte qui accompagne le développement du tourisme de masse, prennent à leur tour les chemins transalpins, et suivent les voies tracées par quelques privilégiés lors des siècles précédents. Ce phénomène nouveau s’intègre incontestablement dans le cadre d’analyse des mouvements de migrations, défini par l’historiographie française des relations internationales, qui a répondu par l’affirmative à question posée par Raymond Aron, observant au milieu des années soixante l’essor des déplacements touristiques internationaux :

53 P. RENOUVIN, J.-B. DUROSELLE, Introduction à l’histoire des relations internationales, op. cit., p. 42-65. 54 P. MILZA, Français et Italiens…, op. cit., p. 172-285.

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« Quand les jeunes Européens vont passer leurs vacances au-delà des frontières de leur patrie respective, s’agit-il d’un phénomène qui intéresse les spécialistes des relations internationales ? ».55

Assurément si l’on considère que ces relations internationales dépassent le seul cadre des rapports inter étatiques. Pour Pierre Milza :

« Avec le tourisme de masse […], la migration internationale constitue en temps de paix, le principal instrument de connaissance directe entre des populations de nationalités différentes »56.

Le tourisme de masse, phénomène nouveau qui participe d’un nouvel équilibre des déplacements entre la France et l’Italie, se développe alors même que la réalité de l’immigration sur le sol français, phénomène ancien, connaît de multiples évolutions : le flux migratoire en provenance de la Péninsule se tarit mais la présence italienne en France, si ancienne, mieux enracinée que jamais, demeure massive.

L’étude des mouvements de populations entre la France et l’Italie, que ce soient les migrations italiennes de travail ou les migrations touristiques françaises, répond donc au souci d’éclairer les rapports entre les deux pays à la lumière des échanges et des contacts culturels directs entre leurs ressortissants. Il s’agit d’analyser selon la proposition de Pierre Milza, le « lien existant entre le fait migratoire et le façonnement des opinions publiques à l’égard de l’étranger »57

et plus précisément de déterminer en quoi la multiplicité et la diversité des contacts entre Français et Italiens modifient la perception des premiers sur les seconds.

55 R. ARON, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 17.

56 P. MILZA, « La migration internationale : un enjeu épistémologique ? », Relations internationales, n°54, été

1988, p. 135.

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Chapitre I : L’immigration italienne en

France

L’histoire de l’immigration italienne n’est plus un « point aveugle » de la recherche historique58

. Depuis une vingtaine d’année les travaux et les publications se sont en effet multipliés notamment sous l’impulsion du Centre d’Études et de Documentation de l’Émigration Italienne (CEDEI), créé en 1983. L’activité conjointe ou séparée des membres de cet organisme porte le témoignage non seulement de la vitalité de la recherche historique en la matière, mais révèle aussi la diversité des problématiques, le plus souvent au croisement de l’histoire sociale et de l’histoire politique.

Dans la perspective qui est la nôtre, il convient tout d’abord de définir la cadre politique et juridique dans lequel s’opère le mouvement migratoire entre l’Italie et la France, ce qui implique une approche diplomatique du phénomène au niveau bilatéral et multilatéral. En privilégiant l’examen de la place des Italiens au sein de la politique migratoire française, un premier faisceau d’indices éclaire la situation qu’ils occupent non seulement dans la vie socio-économique, mais aussi dans la conscience collective. Ensuite, et avant d’aller plus loin sur cette voie, il est nécessaire de décrire l’évolution et la structure (évaluation des effectifs et des flux, origines régionales, répartition par zones d’implantation, par sexe, par âge, par secteur d’activités et catégorie socioprofessionnelle) de la communauté59

italienne en France. Tous ces éléments permettent en effet de mieux démêler les fils du lien social qui se noue avec les Français.

Se pose alors inévitablement la question nodale de l’intégration, aux déclinaisons multiples et qui mobilise bien des ressources dans tous les champs des sciences sociales. Pour la plupart des historiens, étudier l’immigration italienne consiste avant tout à se livrer à « une histoire d’intégration »60

. L’approche se justifie pleinement au regard de l’ancienneté de

58 G. NOIRIEL, Le Creuset français. Histoire de l’immigration XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1988, p. 15. Dans le

premier chapitre de cet ouvrage, l’auteur développe un thème qu’il a déjà évoqué dans « L’immigration en France, une histoire en friche », Annales ESC, juillet-août 1986, p. 751-769.

59 Ce terme sera toujours employé dans son acceptation la plus courante et ne renvoie en rien au concept de

« communautarisme » développé par certains intellectuels américains (Voir notamment C. TAYLOR,

Multiculturalisme, différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994).

60 C’est notamment le sous-titre évocateur de la thèse importante de Marie-Claude BLANC-CHALÉARD, Les

Italiens dans l’est parisien des années 1880 aux années 1960. Une histoire d’intégration, thèse IEP Paris, 1995.

On peut aussi citer, comme révélateurs de cette tendance, les actes d’un colloque du CEDEI : A. BECHELLONI, M. DREYFUS et P. MILZA (dir.), L’Intégration italienne en France. Un siècle de présence italienne dans trois

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l’implantation des Italiens qui, depuis le milieu du XIXe

siècle, constituent la première nationalité étrangère représentée en France61

. Mais, elle réclame une analyse différenciée selon la période d’installation des migrants car « l’intégration est en soi un phénomène de durée »62

. Il importe donc de prendre en compte le principe de génération qui détermine le rapport entretenu entre les migrants et la société d’accueil. Par conséquent, il nous est apparu opportun de ne pas limiter l’étude de l’immigration italienne à la seule période des années soixante. La compréhension de certains aspects de ce mouvement d’intégration gagne en effet à une mise en perspective du phénomène à partir, au moins, de la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l’ampleur de la tâche, s’ajoute le problème des sources. À ce propos, Catherine Wihtol de Wenden remarque :

« L’histoire de l’immigration italienne se confond en effet partiellement avec l’histoire de ses sources : au fur et à mesure que celle-ci atteint un stade plus avancé de la vague migratoire, cessant progressivement par la même d’être perçue comme main-d’œuvre étrangère, les ouvrages de fond sur cette immigration se fond plus rares »63.

À bien des égards, l’histoire de l’immigration italienne en France depuis 1945 reste à faire64

. Il ne saurait être question pour nous de prétendre en combler toutes les lacunes mais plutôt, par la mobilisation et la confrontation d’études déjà publiées, de documents d’archives et de sources statistiques, de présenter une synthèse susceptible d’enrichir une réflexion générale et, éventuellement, d’explorer des pistes de recherches plus approfondies sur certains aspects.

61 Pour une lecture globale de l’immigration italienne dans la durée, on se reportera à P. MILZA, Voyage en

Ritalie, Paris, Payot, 1995. Nous ferons fréquemment référence à cet ouvrage qui représente une somme

inégalée, opérant la synthèse de très nombreux travaux. Par ailleurs, la Bibliographie proposée par le CEDEI présente les références permettant d’approfondir la question de l’immigration italienne dans ses divers aspects : M. DREYFUS, P. MILZA, Un Siècle d’immigration italienne en France (1850-1950), Paris, CEDEI-CHEVS, 1987.

62 M.-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l’est parisien …, op. cit., p. 17.

63 C. WIHTOL DE WENDEN, « Les Italiens en France : une vague migratoire ancienne ou la fin d’une vague

migratoire ? », Studi emigrazione, n°53, 1979, p. 73.

64 Il faut signaler la tenue récente d’un colloque organisé par le CEDEI (17-19 mai 2000) sur « L’immigration

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