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Chapitre I : L’immigration italienne en France France

A. L’évolution des effectifs

2. Le flux migratoire

Le recours à des données intercensitaires s’avère indispensable pour mieux apprécier le mouvement migratoire et en dessiner plus précisément les rythmes.

a) Les introductions

Les données statistiques sont fournies en partie par les services l’ONI qui enregistrent les travailleurs étrangers permanents introduits ou régularisés chaque année.

Figure 2. Nombre de travailleurs permanents italiens introduits ou régularisés par l’ONI

(1946-1969)

Source : d’après G. TAPINOS, op. cit., p. 127.

La reprise du courant migratoire au cours des premières années d’après-guerre est confirmée. Celle-ci est néanmoins bien en dessous des prévisions des experts qui ont évalué la disponibilité de la main-d’œuvre italienne en fonction de la situation socio-économique dans la Péninsule. L’accord franco-italien de novembre 1946, qui consacre la volonté réciproque des deux gouvernements de promouvoir l’émigration vers la France, prévoit ainsi 200 000 introductions pour l’année 1947. Or, l’ONI en comptabilise pour cette année seulement 51 339. Même si la statistique ignore en partie les entrées clandestines – qui apparaissent une fois régularisées – l’objectif est loin d’être atteint et force est de constater que les Italiens ne répondent que modérément à l’appel qui leur est lancé. Les chiffres des introductions au cours des années suivantes le prouvent, avec notamment un record à la baisse au cours de l’année 1950 où le nombre de recrues chute à 6 083. Ces chiffres décevants sont la conséquence à la fois d’une conjoncture économique peu favorable et des contradictions de la politique

française d’immigration précédemment évoquées127

.

La situation s’améliore au milieu des années cinquante simultanément à la reprise économique. La tendance perçue au travers des recensements se précise au regard du nombre des introductions. L’année 1956 constitue un tournant et voit se lever la dernière vague

127 Pour plus de détails, on peut aussi se reporter à G. TAPINOS, op. cit., p. 28-46.

0 10 000 20 000 30 000 40 000 50 000 60 000 70 000 80 000 90 000 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969

migratoire dont le point culminant se situe l’année suivante, en 1957. En 1956, ce sont 52 782 travailleurs permanents italiens qui sont introduits en France, soit près de quatre fois plus que l’année précédente. En 1957, le nombre d’entrées croît de 52,3 % pour atteindre 80 385. Malgré un recul en 1958, le niveau se maintient à 51 146. Jamais depuis la fin de la guerre, les Italiens n’ont été si nombreux à choisir la France. Ce décollage de l’immigration italienne est rendu possible par la tension qui s’exerce sur le marché de l’emploi sous l’effet conjugué et contradictoire de la croissance économique et du déficit démographique lié à l’arrivée des classes creuses, à l’allongement de la durée des études et enfin à l’extension de la durée du service militaire imposée par la guerre d’Algérie. Même si nous ne disposons pas de données statistiques significatives, il convient aussi de mentionner l’apport des Italiens de Tunisie dont une petite partie seulement regagne la Péninsule, les autres alimentant, après la décolonisation, les flux à destination de la France.

Le mouvement migratoire italien à destination de la France s’essouffle toutefois assez rapidement pour se marginaliser au cours des années soixante, décennie pourtant au centre des « vingt glorieuses de l’immigration »128

. Dans un contexte de croissance constante des flux, sauf de 1966 à 1968, l’immigration italienne est sur le déclin. Entre 1959 et 1962 le nombre d’introduction de travailleurs permanents oscille autour de 20 000 par année puis autour de 10 000 à l’exception d’un sursaut en 1965, lié à la récession qui touche l’économie italienne, pour tomber à 5 860 en 1968. Selon les chiffres proposés par Louis-Marie Battesti, on dénombre entre 1958 et 1967, 203 656 entrées d’Italiens contre 366 826 au cours de la période 1946-1957129

. Plus significatif encore, leur part passe au cours des mêmes périodes de 71,8 % à 19,8 % des travailleurs étrangers entrés en France. Désormais, les Espagnols, qui arrivent plus nombreux que les Italiens dès 1960, les Portugais ou encore les Algériens constituent les plus gros contingents de main-d’œuvre introduits en France.

Quelles sont les causes de ce déclin de l’immigration italienne ? Il est d’usage d’invoquer, à juste titre, le décollage de l’économie italienne et en particulier le fort développement industriel du nord de la Péninsule qui draine une large partie des courants migratoires en provenance du Mezzogiorno. Les Méridionaux sont d’autre part sensiblement moins nombreux à quitter leur région d’origine en raison de l’action menée par la Cassa per il Mezzogiorno, un organisme parapublic chargé du développement du sud du pays qui, à partir de 1957, met l’accent sur l’industrialisation après avoir porté ses efforts sur l’agriculture.

Ceux qui ne trouvent pas à s’employer en Italie ne montrent plus guère d’attirance pour la France et affichent une nette préférence pour d’autres pays européens. La Suisse, par sa

128 R. SCHOR, Histoire de l’immigration..., op. cit., p. 200. C’est ainsi que l’auteur qualifie la période 1955-1974.

procédure d’introduction plus souple, et surtout l’Allemagne fédérale qui propose des salaires plus élevés, figurent désormais en tête des destinations préférées des migrants italiens. Le projet migratoire n’a plus pour motivation d’échapper à la misère, mais d’améliorer son bien-être. Dans cette perspective, la France ne semble plus offrir toutes les garanties réclamées. Confortés par l’entrée en vigueur de la réglementation européenne relative à la libre circulation des travailleurs leur conférant des droits plus importants, les Italiens se font plus exigeants ; un peu trop sans doute pour les employeurs français qui se tournent vers d’autres nationalités, mieux disposées à accepter leurs conditions de travail et de salaires. Comme le fait remarquer l’ambassade de France à Rome au début de l’année1968, les travailleurs italiens ne sont pas loin d’être considérés comme « les enfants gâtés parmi les travailleurs étrangers »130

. Paradoxalement, l’application du traité de Rome en matière de liberté de circulation au sein de la CEE ne favorise donc pas l’afflux des Italiens en France, bien au contraire.

La politique française demeure enfermée dans ses contradictions. Le peu d’entrain du gouvernement à renégocier l’accord franco-italien, en dépit des appels lancés par Rome en vue d’y inscrire formellement les apports du traité de Rome, témoigne d’une obsession à maintenir un contrôle drastique sur des flux migratoires au risque de les voir se détourner. Comment s’étonner dans ces conditions que le nombre des Italiens accueillis soit en dessous des prévisions et des espérances ? Le phénomène est permanent depuis 1946. Ainsi, tandis que le Ve

Plan prévoit en ressources possibles l’entrée de 15 000 Italiens par an, la moyenne de l’immigration effective, travailleurs et familles, est de 10 000 entre 1966 et 1968131

. Par ailleurs, les conditions d’accueil ne s’améliorent pas suffisamment pour voir s’installer durablement une grande masse de migrants comme l’exige l’objectif de peuplement fixé par la politique migratoire.

b) La fluidité du mouvement migratoire

Le séjour des immigrés italiens s’inscrit en effet parfois dans un temps limité, que ce soit par contrainte ou par choix.

Le cas des rimpatriati n’est pas aisé à aborder. Il est en effet difficile de cerner avec précision les motivations qui poussent ces Italiens introduits en France avec le statut de travailleur permanent à rentrer au pays. Leur nombre est aussi sujet à caution. L’ONI ne fournit aucune donnée statistique en la matière. Les sources italiennes, bien qu’elles mêlent parmi les rimpatriati saisonniers et permanents, fournissent toutefois le taux de rapatriement qui constitue un indicateur permettant d’évaluer la mobilité des migrants. Celui-ci est le plus

130 AMAE, série Z Europe, Italie 1944-1970, vol. 356 : dépêche n°8/EU, Rome, 4 janvier 1968.

souvent en hausse depuis la fin de la guerre, passant de 12 % entre les années 1946-1949 puis à 56 % pour la période 1950-1955, baissant à 37 % et 36 % respectivement en 1956 et 1957 pour remonter ensuite régulièrement : 59 % en 1958, 75 % en 1959, 58 % en 1960, 70 % en 1962, pour atteindre 90 % en 1963. À partir de 1968, le solde migratoire entre l’Italie et la France devient positif pour l’Italie, c’est-à-dire que les retours sont plus nombreux que les entrées132

. Bien qu’accentué, il ne s’agit là que de la poursuite d’un phénomène permanent dans l’immigration italienne puisque l’on estime qu’entre 1870 et 1940 seul un tiers des Italiens arrivés en France n’en sont pas repartis133

.

Le constat d’un tel va et vient est doublement intéressant pour notre analyse. Tout d’abord, il témoigne des difficultés rencontrées par une grande partie des Italiens à s’enraciner. Les raisons en ont déjà été évoquées : conjoncture défavorable sur le marché de l’emploi due à des ralentissements de croissance et conditions d’accueil qui ne sont pas à la hauteur des espoirs entretenus. Le rapatriement peut alors être interprété comme un échec dans le processus d’intégration et tout au long de leur séjour ces migrants conservent leur statut d’étranger qui leur confère une plus grande visibilité.

La remarque vaut également pour les saisonniers, à la différence notable que ces migrants inscrivent le retour en Italie dans leur projet migratoire. Le phénomène saisonnier s’inscrit dans la tradition des mouvements pendulaires qui depuis fort longtemps animent le courant migratoire entre l’Italie et la France. Il se confond dans sa grande majorité avec les rythmes agricoles. Qu’ils soient betteraviers ou vendangeurs, ils apportent aux exploitations françaises un complément de main-d’œuvre lors des périodes d’intenses activités, surtout au moment des récoltes. Le migrant n’envisage donc pas de se faire accompagner par sa famille car il n’a pas pour ambition de s’intégrer à la société française, mais plutôt de contribuer à l’amélioration de la vie des siens dans son milieu d’origine. L’absence de finalité intégrationniste modifie les comportements et les contacts avec une société d’accueil le plus souvent rurale. La situation est donc bien distincte de celle des travailleurs permanents dont l’objectif est de se fondre majoritairement dans un environnement urbain.

132 A. BECHELLONI, op. cit., p. 200-201.

Figure 3. Immigration des travailleurs saisonniers introduits par l’ONI (1949-1969)

Source : Ambassade d’Italie, L’Immigrazione in Francia e l’afflusso italiano, sd .

Depuis la fin de la guerre, on observe que le mouvement des entrées est moins fluctuant que celui des travailleurs permanents. Il connaît même une croissance constante jusqu’en 1958, qui représente un pic avec 34 527 entrées enregistrées par l’ONI —nombre auquel il faudrait ajouter les « clandestins », nombreux parmi les saisonniers — avec cependant un fléchissement en 1954. En revanche, l’immigration saisonnière suit la tendance générale au déclin de l’immigration italienne à partir de 1959. Dix plus tard, en 1969, ce ne sont plus que 1 231 entrées qui sont enregistrées.

Figure 4. Part des travailleurs saisonniers et permanents parmi les travailleurs italiens

introduits par l’ONI (1951-1969)

Source : ONI 0 5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 30 000 35 000 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969

Jusqu’au milieu des années soixante la part des saisonniers introduits chaque année est extrêmement importante. Certaines années, de 1953 à 1955 et en 1959 et 1960, ils représentent la majorité des travailleurs. Par la suite, leur part se réduit considérablement. Aux raisons déjà évoquées pour expliquer le mouvement général de recul de l’immigration italienne, il faut sans doute voir ici aussi les effets de la modernisation agricole qui réduit les besoins en braccianti.