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géographique de l’immigration italienne

Carte 2. répartition des origines régionales

C. L’immigration italienne devant l’opinion française

2. Des Italiens invisibles ?

Par leur absence supposée de résistance culturelle à l’intégration, les Italiens sont présentés comme des modèles d’assimilation. Il semble donc qu’ils ne posent plus de problèmes et que cette acculturation les rende « transparents »277

.

2. Des Italiens invisibles ?

Au terme de son étude sur L’immigration et l’opinion en France sous la Ve

République, Yvan Gastaut conclut à l’invisibilité des migrants européens278

. Il observe seulement en

quelques occasions l’émergence dans les médias de l’image des Espagnols279

et des Portugais ; aucune mention n’est faite des Italiens. Au regard de l’importance quantitative de la communauté italienne, le constat ne manque pas de provoquer l’étonnement. À la réflexion, l’étonnement s’estompe, notamment si l’on définit l’intégration comme le fait qu’une population dans un milieu donné ne pose plus de problème ni à elle-même, ni à cet environnement280

. Or les médias sont plus enclins à porter leur attention sur les situations sensationnelles ou dramatiques. De ce point de vue, l’immigration italienne ne représente plus un filon. Seule la gauche communiste rappelle l’importance de cette communauté et fait écho à ses difficultés.

274 M. CATANI, S. PALIDDA, Le Rôle du mouvement associatif..., op. cit., t.2, p. 2.

275 Cité in Y. GASTAUT, L’Immigration et l’opinion..., op. cit., p. 83.

276 D. SCHNAPPER, « Centralisme et fédéralisme culturels : les émigrés italiens en France et aux États-Unis »,

Annales ESC, n°5, septembre-octobre 1974, p. 1143.

277 P. MILZA, Voyage en Ritalie, op. cit., p. 130.

278 Y. GASTAUT, L’Immigration et l’opinion..., op. cit., p. 94.

279 Voir aussi sur les Espagnols, A. ANGOUSTURE, L'Opinion publique française et l'Espagne (1945-1975), thèse de doctorat, IEP Paris, 1987.

280 P. MILZA, « Les mécanismes de l’intégration », in J.-C. RUANO-BORBALAN (dir.), L’Identité, Auxerre, éd. Sciences Humaines, 1998, p. 273.

a) Des pratiques socioculturelles discrètes

De cette situation, les migrants italiens sont les premiers responsables. En dépit d’une amorce de retour identitaire observée dans leurs pratiques associationnistes et d’une participation active à la vie sociopolitique, ils ne se livrent guère à des manifestations ostentatoires de leur italianité. Cette attitude se vérifie tout particulièrement dans la région parisienne où ils sont les moins visibles281

. Henri Mogilewski trouve l’explication dans le fait que dans cette région « règnent une largeur d’esprit, une indifférence qui permettent à chacun de se mêler à la foule, de s’y fondre sans que personne se soit aperçu de cette présence étrangère »282

. Mais d’une manière générale, c’est dans les comportements socioculturels des migrants qu’il faut déceler la justification de l’oubli.

Jean-Charles Vegliante a notamment insisté sur l’absence de « fidélité linguistique » des migrants à la langue italienne, dès les années 1920-1930, propice à un rapide abandon au profit de l’idiome du pays d’accueil hors de la sphère domestique et du maintien en son sein d’un idiome régional283

. Dominique Schnapper a remarqué qu’à la fin des années soixante les migrants italiens ne se distinguent plus des Français dans l’espace public284

. Ils ont notamment abandonné leurs pratiques religieuses spécifiques ou les normes vestimentaires de leur milieu d’origine. Seules subsistent les habitudes culinaires mais confinées au cercle familial, espace d’expression privilégié de leur culture. À l’extérieur, l’accent semble être le seul stigmate rappelant l’origine transalpine. Jean-Charles Vegliante observe que cette obsession de transparence conduit à l’inexistence d’une production culturelle spécifique à l’immigration italienne dont la conséquence serait la dilution de l’italianité dans le tissu socioculturel français285

.

b) L’immigration italienne dans les médias : le monde du silence

Comme le remarque Yvan Gastaut, « peu d’articles de journaux, d’émissions ou

d’ouvrages furent consacrés aux migrants européens »286

. Les Italiens ne font pas exception. Bien au contraire, ils apparaissent au sein de l’immigration européenne comme la composante la moins médiatisée. Un seul ouvrage traitant de l’immigration italienne est publié en France au cours de la décennie 1960-1970, encore concerne-t-il la situation des migrants en Allemagne, Suisse et Belgique287

. Dans un numéro spécial consacré aux « étrangers en

281 M-C BLANC-CHALÉARD, P. MILZA, « Les Italiens à Paris depuis 1945 », op. cit., p. 33.

282 H. MOGILEWSKI, op. cit., p. 18.

283 J.-C. VEGLIANTE, « Le problème de la langue « la lingua spacà » », in L’Immigration italienne en France

dans les années 20, p. 329-345.

284 D. SCHNAPPER, op. cit., p. 1141-1159.

285 J.-C. VEGLIANTE, « Représentations, expressions... », op. cit.

286 Y. GASTAUT, L’Immigration et l’opinion..., op. cit., p. 94.

France » en avril 1966, la revue Esprit ne consacre aucun article spécifique à l’immigration italienne contrairement aux Africains, aux Portugais ou aux Espagnols ; les Italiens apparaissant seulement au détour d’articles thématiques.

Une analyse quantitative des articles publiés dans le journal Le Monde288

, considéré

comme « une base de connaissance de la société française »289

, confirme le mince traitement, jusqu’à l’absence, réservé aux questions liées à l’immigration. Certes, le journal ne s’intéresse que relativement peu aux problèmes généraux de l’immigration à partir de 1963, après s’être principalement préoccupé, entre 1958 et 1962, des retombées de la guerre d’Algérie sur le

phénomène290

. Il reste que la place tenue par les Italiens ne cesse de décliner jusqu’à disparaître à partir de 1967. Dans la seconde moitié des années soixante, les Algériens sont au centre de l’intérêt du Monde comme de l’ensemble de la presse écrite, parmi les migrants européens seuls les Espagnols et les Portugais suscitent encore quelques articles.

L’observation faite par Dominique Schnapper, au début des années soixante-dix, peut sans aucun doute être élargie à l’ensemble de la production médiatique :

« L’immigration italienne en France est une immigration « réussie », qui n’a guère posé de problèmes politiques ou sociaux, à tel point qu’elle est exclue d’ouvrage consacrés aux travailleurs immigrés »291.

Le cinéma est à inclure comme média dans toute étude d’opinion si l’on considère « le film, une contre-analyse de la société »292

c’est-à-dire un témoignage d’une réalité sociale telle qu’elle est voulue par les réalisateurs, les producteurs et le public ; « le film rassemblant les spectateurs par ce qu’ils en ont en commun, ne donne qu’une « image moyenne » de leur imaginaire »293

.

Autant le dire tout de suite, les migrants italiens n’occupent pas le devant de la scène

cinématographique294

. Plus encore que par le passé, le cinéma français accorde une faible place aux étrangers. Le film d’Yves Allegret, La meilleure part, sorti en 1955 est un des derniers à mettre en scène des ouvriers italiens. Il révèle une population laborieuse pour qui

288 L’analyse a été menée ici à partir des index publiés du journal et ne tient compte que des articles recensés dans la rubrique « travailleurs étrangers ». Les Italiens peuvent apparaître dans d’autres rubriques, notamment celle des faits divers (Cf. infra).

289 J. THIBAU, « Le Monde » 1944-1996, histoire d’un journal, un journal dans l’histoire, Paris, Plon, 1996.

290 Y. GASTAUT, L’Opinion française et l’immigration sous la Ve République, thèse, université de Nice, p.

202-210.

291 D. SCHNAPPER, La représentation de l’espace urbain pour les Italiens immigrés, Centre de recherches historiques, Maison des sciences de l’homme, Paris, 1974, p. 42.

292 M. FERRO, « Le film, une contre-analyse de la société ?», in J. LE GOFF, P. NORA (dir.), Faire de

l’histoire, t. 3 Nouveaux objets, Paris, Gallimard, 1974, p. 315-341.

293 J.-P. BERTIN-MAGHIT, « Toni, Maria, Joan, Concini et les autres : la représentation des Italiens et des Espagnols dans le cinéma français de 1935 à 1946 », in P. MILZA, D. PESCHANSKI (dir.), op. cit., p. 261.

l’intégration passe par le mépris vis-à-vis des nouveaux venus, les Algériens295

. Au cours de la décennie suivante, seule une coproduction franco-britannique en 1966, Mademoiselle, réalisée par Tony Richardson, montre des Italiens au travail dans une activité peu représentative puisqu’ils sont bûcherons en Corrèze. Ce film se singularise en outre par le thème du racisme envers les Italiens qui y est développé296

. En revanche, la violence des comportements des migrants, notamment dans leurs relations avec les Français apparaît, sous diverses formes, comme un thème récurrent. Dans Recours en grâce (1959) de Laslo Benedek, d’après un roman de Noël Calef, le personnage central est un déserteur d’origine italienne, joué par Raf Vallone, qui est abattu après avoir tué accidentellement un inspecteur de police ; dans Les grands chemins (1962) de Christian Marquand, d’après le roman de Jean Giono, c’est un mécanicien italien qui donne la mort à l’un de ses amis. On ne peut toutefois pas dire qu’il y ait une volonté délibérée de stigmatiser les Italiens dans chacun des deux exemples cités. Leur comportement violent relève plutôt des ressorts propres à créer dans la narration une intensité dramatique. Reste néanmoins l’image. Cette image d’une italianité associée à la déviance, à la violence, se voit confortée par le rôle donné aux Italiens séjournant en France dans la plupart des films leur donnant une visibilité : des truands et des gangsters. Citons parmi les plus remarqués, le film de Jacques Deray en 1963, Symphonie pour un massacre, ou encore la même année, Mort d’un tueur de Robert Hossein, mais surtout en 1969, le fameux Clan des Siciliens d’Henri Verneuil. En un sens, le cinéma en diffusant l’image stéréotypée du gangster italien témoigne de la force et de la profondeur des clichés qui associent souvent et depuis longtemps les Italiens à la malhonnêteté297

.

Tandis que la presse se désintéresse de l’immigration italienne, que le cinéma véhicule des images éloignées des réalités de cette immigration, des voix s’élèvent tout de même dans l’opinion pour attirer l’attention sur une communauté qui ne s’est pas totalement départie des tourments jonchant tout parcours migratoire.

c) Des voix s’élèvent

La gauche communiste, par le biais de ses publications et de l’action de ses élus, offre une caisse de résonance aux difficultés sociales des Italiens.

Les articles de presse participent de la stratégie de communiste de créer les conditions d’une solidarité ouvrière. Ainsi Le peuple, organe de la CGT, consacre entre 1945 et 1970,

295 T. PERRON, « L’image de l’ouvrier italien dans le cinéma français des années 30 aux années 50 », in A. BECHELLONI, M. DREYFUS, P. MILZA, op. cit., p. 168.

296 La trame narrative se développe autour du personnage d’une institutrice, jouée par Jeanne Moreau, qui fait porter la responsabilité des incendies qu’elle allume aux bûcherons italiens. Allant jusqu’à faire croire qu’elle a été violée par l’un d’eux, les paysans le tuent.

10,4 % des textes sur l’immigration aux Italiens298

. Cette proportion les place en seconde position de la répartition par nationalité derrière les Algériens et Nord-Africains, mais le nombre d’articles va décroissant. Un dépouillement systématique de l’Humanité permettrait de faire une comparaison. Toutefois, le recours à des sondages laisse apparaître la même tendance. Il est cependant significatif de relever que lors de la visite en France du président de la République italienne, en février 1964, le quotidien communiste est le seul à porter ses projecteurs sur la question de l’immigration, alors même que celle-ci, sans avoir été abordée dans les rencontres au sommet, est mentionnée dans le communiqué final299

. L’Humanité publie à cette occasion une enquête en deux volets qui dément l’absence de problèmes au sein de l’immigration italienne300

. Les points développés reprennent les thèmes habituels de campagne des communistes dénonçant les conditions de logement, un régime d’allocation familiale inique, les limitations en matière de droits syndicaux et les entraves au retour en Italie pour participer aux élections. Tous ces thèmes sont repris dans les articles consacrés par les périodiques du parti, France Nouvelle ou les Cahiers du communisme, au problème général de l’immigration. Il n’est pas anodin de remarquer que les rédacteurs de ces articles, Charles Barontini ou Mario Fornari, responsables de la MOI, sont d’origine italienne et que, de fait, ils conservent une sensibilité particulière à l’égard des problèmes rencontrés par les migrants transalpins. Au moment où ces problèmes sont totalement délaissés par tous les médias, Mario Fornari propose en 1968 dans les Cahiers du communisme une enquête spécifique sur l’immigration italienne en France qui demeure sans équivalent301

.

Les communistes ne se contentent pas d’ouvrir les colonnes de leur publication à l’immigration italienne, ils mettent leurs élus à l’ouvrage. Les cas d’intervention des élus locaux foisonnent, principalement pour soulever le problème de logement auprès des autorités compétentes. Pour l’exemple, on peut citer le cas d’une motion adoptée par le conseil municipal de Saint-Denis, à l’initiative de son maire, Auguste Gillot, afin que les travailleurs italiens et leur famille bénéficient dans la commune d’habitations convenables302

. Les députés communistes sont par ailleurs les seuls parlementaires à aborder au palais Bourbon la question de l’immigration italienne lors des séances des questions au gouvernement. Waldeck-Rochet et Léon Feix se chargent tout particulièrement d’interpeller les membres du gouvernement. Le 6 mars 1960, Waldeck-Rochet s’émeut auprès du ministre de l’Intérieur de l’expulsion du territoire français d’un député italien accomplissant un voyage d’étude sur les conditions de vie de ses compatriotes303

. Le 7 mars 1964, il s’adresse cette fois au Premier ministre pour

298 L. GANI, op. cit., p. 244.

299 Cf. annexe VI. 2. 5.

300 « En marge de la visite d’Antonio Segni en France », l’Humanité, 19 et 20 février 1964.

301 M. FORNARI; « Données sur l’immigration italienne en France », Cahiers du communisme, n°4, 1968, p. 77-85.

302 L’Emigrante, n°26, juin 1964, p. 3.

dénoncer « la situation inhumaine et discriminatoire dans laquelle se trouvent les travailleurs italiens immigrés »304

. Léon Feix multiplie pour sa part les interventions auprès du Premier ministre305

et des ministres du Travail306

et des Affaires étrangères307

.

Si l’empathie des communistes à l’égard de l’immigration italienne répond à des objectifs politiques à peine dissimulés, il reste que leur engagement en fait des porte-parole diffusant dans l’opinion, au moins dans les catégories ouvrières, une image des Italiens moins conforme à l’idéal-type de l’intégration. Toutefois, à la fin de la décennie, les communistes n’échappent pas à la tendance générale qui relègue l’immigration italienne en arrière-plan des préoccupations migratoires. Lors des événements de 1968, ils doivent faire face aux critiques des gauchistes qui leur reprochent de trop s’intéresser aux migrants européens en particulier italiens308

. Soucieux de maintenir sa place dominante dans le camp révolutionnaire, de rester au plus près des réalités sociales et de paraître tourné vers l’avenir, le PCF se tourne vers l’immigration en provenance du tiers -monde.

Mais, jusque-là l’activité communiste n’aura sans doute pas été inutile. En éclairant les difficultés sociales des migrants, elle aura peut-être permis de surmonter le courant toujours vigoureux des préjugés et des stéréotypes entretenu par la présence des Méridionaux dans l’immigration italienne.