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Chapitre II : Le tourisme français en Italie

Carte 4. Distribution des préférences des touristes français par région italienne

3. La nature italienne

L’ensemble de ces traits de caractère, imputés aux Italiens avec plus ou moins de nuances par les guides, en viennent parfois à constituer un ensemble cohérent. Certains auteurs ne se contentent pas, en effet, de constater les différences culturelles entre Français et Italiens : ils tentent d’en trouver la source, d’en dévoiler l’origine. Il s’agit alors de faire comprendre au lecteur quelle est la nature profonde de l’Italien, dans l’espoir louable, le plus souvent, de lui permettre de se confronter à des différences d’attitude et de comportement sans les juger, de ne pas en être surpris, de manifester indulgence et patience ou, lorsqu’il s’agit de qualités, de mieux les goûter et d’en faire un agrément supplémentaire du séjour touristique. De ce point de vue, les guides à caractère ethnographique se montrent particulièrement sensibles à la définition d’un « tempérament » ou d’une « nature ». Or tous ne s’accordent pas sur le principe du caractère national italien, comme nous le verrons par la comparaison de deux chapitres traitant du « type italien »533

.

532 Guide Marabout, op. cit., p. 9.

533 P. LECHAT, op. cit., « Ouverture à l’italienne », p. 5-30 ; L. ZEPPEGNO, op. cit., « Le type italien », p. 149-159.

a) « Ouverture à l’Italienne »

Pour Paul Lechat, le principe du peuple italien est celui du « réalisme », au sens d’un ancrage direct et profond dans la réalité, dans le monde concret, dans l’univers du sensible.

Les Italiens sont « physiquement majeurs », « ouverts au monde par tous leurs sens »534

. C’est ainsi qu’il les définit comme des hommes de la terre et non de la mer, symbole des mystères intérieurs :

« Il est étrange de voir comme la mer, pourtant si voisine, exerce ou a exercé peu d’influence sur les mœurs, les esprits, les imaginations. »535

L’indifférence pour la mer est interprétée comme une indifférence à ce qu’elle symbolise, c’est-à-dire qu’en Italie « il ne vient à l’esprit de personne d’aller voir l’envers du décor »536

. Et de ce « réalisme » naissent un certain nombre de traits secondaires qui à leur tour expliquent une grande partie de la manière d’être des Italiens.

Le lien essentiel entre l’Italien et sa terre fait naître une « grâce parfaite » qui s’exprime avant tout par le corps : la maîtrise, l’expressivité et la beauté en sont les trois attributs. Maîtrise de la démarche et du déplacement pour un être « qui atteint ce niveau de plénitude physique auquel ne parviennent dans nos pays que ceux qui ont pris possession d’eux-mêmes par la rude discipline de la danse »537

. Expressivité de l’ensemble de la physionomie qui peut s’observer au cours des conversations. Beauté, enfin, des Italiennes mais aussi des Italiens, qui prennent grand soin de leur apparence. On se plait à retrouver dans les visages des jeunes filles, les modèles que l’on a contemplés dans les toiles des grands maîtres, les femmes opulentes et « baroques » ou les vierges diaphanes. On se plait aussi à admirer les jeunes gens qui ont déjà atteint « une perfection de leur être » et les hommes qui « ne se sont pas coupés de leur enfance », qui « ne portent pas dans leur corps et leur visage l’uniforme de l’adulte »538

. Bien sûr, la « grâce parfaite » des Italiens se rencontre aussi dans leurs réalisations, tant il est certain que « des êtres si « réalistes », si doués pour voir, entendre, sentir et toucher, si naturellement en accord avec les rythmes de l’univers et leurs propres rythmes, si habiles et si ingénieux, devaient chercher tout naturellement à donner une forme artistique à leurs sensations, à leurs sentiments, à leurs rêves et à leurs imaginations »539

. C’est pourquoi, en Italie, « si tout le monde n’est pas artiste, tout le monde s’occupe d’art »540

.

534 P. LECHAT, op. cit., p. 7.

535 Ibid., p. 8. 536 Idem. 537 Idem. 538 Ibid., p. 10. 539 Idem. 540 Ibid., p. 11.

La sensibilité esthétique des Italiens s’exprime également dans le domaine religieux, mais elle est alors, selon l’auteur, instrumentalisée par l’Église pour mieux assurer son emprise sur des âmes impressionnables et qui ne demandent, pour croire, que « des signes visibles de la présence divine et des moyens audiovisuels pour l’aider dans sa ferveur »541

. Le décor des églises transalpines est ainsi propice à l’expression d’une foi apaisée et met l’accent sur le sentiment de protection, de consolation. C’est une religiosité fondée sur l’extériorité, sur la sensualité, souvent difficile à comprendre pour les peuples du Nord plus sensibles au recueillement et au sacrifice.

L’extériorité domine enfin les relations entre hommes et femmes qui sont remarquables avant tout par leur intensité charnelle, dans un pays où « la vie physique atteint une plénitude qui ne se retrouve nulle part ailleurs »542

. En revanche, hommes et femmes sont irrémédiablement séparés par le poids des coutumes, des préjugés et de l’éducation. Paul Lechat affirme que « rien ne les prépare dans la formation qu’ils ont reçue, dans leur tempérament, à ressentir pour l’autre sexe cette amitié sans laquelle la vie en commun devient un gâchis inextricable »543

.

Le « réalisme » des Italiens fait naître une autre disposition, dont les charmes sont certains, mais dont les inconvénients sont plus saillants encore que ceux de la grâce :

« Vivre par les sens, c’est appartenir au moment. L’Italien ne s’installe pas dans une durée. »544

La légèreté, l’insouciance que l’on apprécie tant en Italie est sans aucun doute liée à cette capacité à vivre l’instant présent, dégagé des regrets ou des remords du passé et des inquiétudes pour l’avenir :

« L’Italien n’est pas dévoré par le vers de la conscience […]. Il n’est pas de ces hommes qui usent des forces précieuses à tenter d’établir quelque unité dans une personnalité irrémédiablement divisée. »545

Les conséquences de ce que Paul Lechat analyse comme une absence d’esprit philosophique sont assez vastes, mais relèvent toutes d’une forme d’incapacité à la profondeur qui conduit à un recours constant à l’improvisation. Pas de pensée forte en Italie, mais des esprits brillants qui manient la langue avec élégance et éloquence. Pas d’esprit méthodique, mais une grande rapidité de compréhension qui se double trop souvent d’impatience et du désintérêt le plus total pour ce que dit l’autre. Pas de vision à long terme pour l’avenir du 541 Ibid., p. 23. 542 Ibid., p. 29. 543 Idem. 544 Ibid., p. 13. 545 Idem.

pays, à quelques exceptions près (Cavour, De GasperiTogliatti, Croce) car les Italiens « vont où l’instinct, la situation, l’intérêt du moment les poussent, confiants qu’ils sont, et avec raison, dans leurs facultés d’improvisation »546

. Voilà qui explique leur talent d’acteurs (qui s’épanouit davantage dans la comédie que dans le drame), mais aussi leur tendance à l’expédient, à la combinazione et au compromis. Certes l’Italien n’a pas d’égal pour se sortir d’une situation difficile, mais « le malheur est qu’aujourd’hui les problèmes politiques et sociaux ont atteint une ampleur dans le temps et dans l’espace, une acuité et une complexité telles que l’art du compromis ne suffit plus »547

.

C’est une faiblesse profonde de l’Italie que veut révéler Paul Lechat, qui en trouve les premiers ferments dans le rapport à l’enfance mais aussi à la religion. En effet, note-t-il, « il est permis de se demander également si la manière dont les enfants sont élevés est la mieux adaptée à la préparation des hommes dont l’Italie a besoin »548

. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’improvisation et le dédain des conséquences dominent : les adultes sont fascinés par les enfants et s’abandonnent à cette fascination sans songer à leur inculquer les principes qui leur sont nécessaires.

« L’enfant est un objet de délectation, de soucis, mais non de responsabilité. Personne ne voit dans ce petit être l’adulte qu’il sera plus tard. L’apprentissage de la sociabilité, la formation du caractère, l’ouverture à autrui ne signifient rien pour personne. Peut-être est-ce selon ces recettes qu’il convient d’élever les êtres que l’on destine au bonheur, mais rien n’est moins propre à faire ces caractères et ces esprits fermes dont l’Italie moderne a besoin comme les autres pays. »549

Une faiblesse maternelle qui se retrouve dans la pratique religieuse, dominée par le culte de la Vierge et la douceur du décor et des préceptes :

« L’Église dans ce sens continue l’œuvre de la famille. Elle maintient l’homme en état d’enfance et l’empêche de devenir adulte. Ce n’est pas un hasard qu’à la figure virile du Christ qui se sépare de sa famille et accepte d’accomplir son destin spirituel et social jusqu’à la mort, l’Église catholique substitue progressivement le culte de la Mère. »550

546 Ibid., p. 18.

547 Ibid., p. 20.

548 Ibid., p. 22.

549 Ibid., p. 21-22. On peut remarquer à ce propos que Paul Lechat n’est pas le seul à interpréter ainsi le statut particulier accordé aux enfants dans la Péninsule. Le Guide Larousse note, dans son chapitre sur « L’enfant roi » : « L’enfant séduit tous les Italiens adultes […]. Ils ne s’embarrassent pas de savoir que c’est l’adulte de demain, ils sont sous le charme de sa spontanéité, de son insouciance, de ses réactions animales, d’une sorte de plaisir de vivre, en fait tout ce qu’ils souhaiteraient pouvoir conserver intact jusqu’à la fin de leurs jours. » (Guide Larousse, op. cit., p. 90).

Le « réalisme » italien explique ainsi une grande partie des mœurs de ce peuple plein de grâce et de spontanéité. Un peuple dont les forces et les faiblesses, les attraits et les défauts sont étroitement liés à une nature qui le distingue des autres et qu’il convient de connaître, de comprendre pour apprécier son contact au cours d’un voyage en Italie.

b) « Le type italien »

La démarche de Luciano Zeppegno, dans le Guide vivant de l’Italie, est tout à fait semblable à celle de Paul Lechat. Il s’engage dans la mise en perspective du tempérament italien à travers la recherche du ou des principes qui le sous-tendent et lui confèrent sa spécificité nationale. En revanche, il n’aboutit pas aux mêmes conclusions : pour lui, la caractéristique fondamentale de l’Italien est l’individualisme (et dans une moindre mesure, la générosité).

L’individualisme italien se décline en une multitude de manifestations qui sont autant de caractéristiques d’un mode de vie typique et que l’on peut juger selon les cas et les circonstances pittoresque ou choquant. L’Italien laisse ainsi percevoir son fond individualiste à travers trois sortes d’attitudes : l’indiscipline, l’art de l’arrangement, le régionalisme.

Le touriste est quotidiennement confronté à l’indiscipline italienne qui imprègne la plupart des comportements. Luciano Zeppegno relève avec humour « l’incapacité, congénitale semble-t-il, de l’Italien à faire sagement la queue, et son génie de la resquille »551

et décrit plaisamment toute la malice déployée pour éviter de se plier aux contraintes. En Italie, fare il furbo est non seulement courant mais encore « nécessaire et honorable »552

. Si l’indiscipline amuse ou agace quand elle est individuelle, les répercussions en sont beaucoup plus graves lorsqu’elle est collective. C’est ainsi que l’auteur voit dans la désorganisation administrative la principale cause des retards, des échecs et des difficultés économiques de la Péninsule :

« Ce qui a fait beaucoup de mal aux Italiens, c’est qu’on a longtemps mesuré leur capacité au travail à l’aune des réalisations économiques. Or, celles-ci sont restées longtemps déplorables du fait d’une administration elle-même déplorable, et l’on a toujours confondu paresse et désorganisation. »553

Ce constat lui permet d’écarter l’accusation de paresse qui, d’après lui, ne résiste pas à l’analyse. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer le dynamisme de l’Italie du Nord ou encore la réussite des émigrés italiens, même de ceux du Sud, si bien accueillis dans le monde entier.

551 L. ZEPPEGNO, op. cit., p. 151.

552 Ibid., p. 152.

Et même chez eux, les Méridionaux ont plus de mérite que ne le laissent entendre les voyageurs étrangers qui leur ont forgé cette détestable réputation :

« Tirer de quoi ne pas mourir de faim d’un sol aussi sec, aussi pierreux, demande plus d’énergie et de sueur que bâtir une cathédrale. Les habitants ont survécu. Ils se sont offert le luxe de bâtir des cathédrales par dessus le marché. »554

Tout aussi nécessaire et honorable que fare il furbo, il convient, en Italie, de savoir arrangiarsi, même si, dans ce cas, les aspects positifs le disputent plus étroitement aux aspects négatifs. L’art de l’arrangement relève en premier lieu de la débrouillardise, et l’auteur rappelle à quel point cette qualité a été nécessaire en Italie au cours des siècles passés, et l’est encore parfois aujourd’hui :

« Arrangiarsi est qualité quand il suscite l’initiative et supplée à la carence des autorités.

Arrangiarsi est nécessaire car l’Italien aussi connaît le « Veux pas savoir, Dém…-vous ! » du supérieur hiérarchique […].

Arrangiarsi est vertu quand l’envahisseur a laissé derrière lui ruines et misères, et qu’il faut manger, reconstruire, remettre la machine en route et reprendre le dessus.

Arrangiarsi devient moins honorable, moins sympathique, quand il conduit à l’escroquerie à la petite semaine, au vol. »555

Pourtant, même dans ses tendances crapuleuses, l’Italien demeure, selon l’auteur, individualiste, et cette caractéristique contribue à en minimiser les conséquences néfastes. D’abord, l’Italien vole par nécessité et n’est jamais inutilement cruel. Luciano Zeppegno invoque les statistiques qui prouvent que « le peuple italien est l’un des peuples les moins criminels de la terre »556

. Et quand il tue, c’est par amour et pour défendre son honneur, mais cela demeure exceptionnel. Certes, il faut bien mentionner l’existence de la Mafia, mais son importance est considérablement atténuée par l’auteur :

« Pas de délinquance organisée, comme il en existe parfois dans d’autres pays. Dans ce domaine aussi triomphe l’individualisme : il vaut mieux voler une poule tout seul qu’organiser un racket compliqué en bande. Mais il existe dans le Sud certaines organisations, comme la Mafia, grave sujet de préoccupation pour tous. »557

554 Idem.

555 Ibid., p. 152.

556 Ibid., p. 153.

Étrangement, le trait de personnalité qui déplait le plus à Luciano Zeppegno semble être « cette supériorité du petit malin » avec laquelle l’Italien de la rue traite les étrangers. Mais là encore il se montre indulgent et là encore il établit le lien avec l’individualisme comme facteur d’explication. Ce n’est pas que le petit peuple est imbu « de l’immense grandeur de son passé historique et culturel »558

mais plutôt qu’il méprise ou ne comprend pas l’incapacité des autres peuples à fare il furbo.

La fierté des Italiens ne doit pas, d’autre part, être interprétée comme une marque de nationalisme. Leur individualisme forcené les éloigne de ce travers :

« L’Italien n’est pas nationaliste mais régionaliste, et son chauvinisme serait plutôt à usage interne. »559

Ils sont tout aussi éloignés des tendances racistes, comme l’a montré l’échec de la tentative de Mussolini « de suivre Hitler dans la voie de l’antisémitisme »560

. Cette absence de sentiment national n’aurait-elle pas des conséquences négatives ? Luciano Zeppegno rappelle en effet que « cette allergie au nationalisme a fait le désespoir de quelques dirigeants du pays et donné à l’Italien une fâcheuse réputation en ce qui concerne sa combativité »561

. L’individualisme est à nouveau invoqué pour disculper l’Italien de ce reproche, voire pour le retourner en sa faveur :

« Placé devant un danger réel, dans les moments extrêmes, l’Italien montre une audace et une témérité sans pareilles ; mais il y a toujours dans son héroïsme, quelque chose de bohème, d’individualiste, de personnel, un air de défi et de révolte contre tout et tous. Mais foin de l’héroïsme organisé, encadré, au commandement. Le troupeau n’est pas le fait de l’Italien pour aller au pâturage, pourquoi diable veut-on qu’il l’accepte à l’heure de l’abattoir ? […] Alors ne confondons pas bellicisme et courage. »562

Le « type italien » qui est offert au lecteur par Luciano Zeppegno se révèle finalement plutôt agréable et son individualisme sert à l’auteur, italien lui-même, non seulement à expliquer ce qui peut apparaître comme des défauts, mais encore à combattre les préjugés défavorables tels que la paresse, les tendances criminelles ou encore le manque de courage.

558 Ibid., p. 154. 559 Idem. 560 Ibid., p. 157. 561 Idem. 562 Idem.

c) L’altérité italienne

Ces deux présentations, chacune à leur manière, ont pour objectif essentiel de familiariser le touriste à l’altérité italienne. Il semble donc pertinent, pour finir, d’analyser la manière dont est mise en scène cette altérité, notamment dans son rapport à l’étranger et donc au Français.

La principale différence qui existe entre les deux descriptions du tempérament italien, outre celle qui concerne la définition de son principe fondateur (« réalisme » et individualisme) réside dans le parti pris d’accentuer ou de réduire le sentiment de distance entre le lecteur et les êtres qui lui sont présentés. Paul Lechat choisit en effet d’insister sur ce qui sépare dans leur nature même le Français de l’Italien, tandis que Luciano Zeppegno met en avant une différence de degrés plutôt que de nature entre les deux peuples.

Pour revenir à l’association symbolique qui est faite par Paul Lechat entre les éléments et la nature des peuples, on peut ainsi constater que l’Italien est lié à la terre, c’est-à-dire que « leur élément ce n’est pas l’air et la brume, comme les nordiques, ni l’eau, comme les Anglais ». Il ne se prononce pas ici sur l’élément tutélaire des Français, ce qui pourrait laisser penser qu’ils ne sont pas si éloignés que les peuples du Nord des Italiens. Mais au cours de son développement, il met en lumière des différences profondes. Si le génie de la race italienne est « dans la vie et non dans l’interprétation de la vie », il en est tout autrement des Français :

« Nous sommes aussi des philosophes. Le monde des apparences ne nous suffit pas. Nous voulons voir au-delà, remonter aux principes, savoir le pourquoi et le vers quoi de toutes choses. […] Nous croyons au Destin. Nous nous installons dans un Destin et nous construisons notre vie comme un édifice ou un monument. […] Nous croyons à la Vertu, aux Mérites. »563

Autant de points sur lesquels les Italiens sont présentés comme exactement opposés aux Français. D’ailleurs, la différence de tempérament est explicitement exposée par l’auteur, après une longue évocation de « notre » nature :

« Une fois les Alpes passées, le paysage moral change aussi nettement, aussi brusquement que lorsqu’on a quitté à Modane la pluie et le brouillard et qu’on descend dans la vallée ensoleillée qui mène à Turin. On quitte le monde de la responsabilité, du

scrupule, du remords, de la conscience déchirée, pour déboucher dans le monde la grâce et de la nature. »564

Paul Lechat est bien conscient que ces différences peuvent être interprétées comme le résultat d’une évolution historique et il admet que les spécialistes des sciences sociales pourraient donner des explications qui rendent comptent de l’état des mœurs :

« Ils mettraient en lumière des faits historiques et sociologiques dont on ne peut sous-estimer l’importance : l’occupation étrangère, l’héritage des mœurs coloniales, le fait que l’Italie n’a connu aucune de ces révolutions qui ont transformé la conscience bourgeoise en Europe, ni protestantisme, ni jansénisme, ni révolution politique et sociale analogue à la Révolution anglaise ou à la Révolution française. »565

Mais pour sa part, il se satisfait et même encourage le lecteur à se contenter d’une interprétation « philosophique » de la différence entre les peuples qui résiderait essentiellement dans une différence de nature. En ce qui concerne l’Italie et la France, on ne peut que percevoir une hiérarchisation de la valeur qui est accordée aux deux tempéraments nationaux : l’Italien est charmant, insouciant, en contact étroit avec le monde sensible ; ce que