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Les voies de communications routières transalpines

Chapitre II : Le tourisme français en Italie

Carte 3. Les voies de communications routières transalpines

Par ces trois routes, qui seules coupent la frontière sur une distance de 130 kilomètres à vol d’oiseau (pour la même longueur de frontière, entre la France et la Belgique, il y dix-sept routes importantes et six ponts sur le Rhin entre la France et l’Allemagne), « le tourisme se

taille la part du lion dans le nombre des voitures »400

. Le col du Petit-Saint-Bernard ne voit passer que rarement des touristes accomplissant un long voyage en train et ce sont plutôt des Français en villégiature dans les Alpes du nord qui empruntent cette route pour se rendre en Italie une ou deux journées. La plus grande partie du trafic touristique longue distance emprunte le passage du Mont-Cenis, surtout par la route du col, mais aussi en embarquant les

véhicules à Modane sur la navette ferroviaire du tunnel du Fréjus401

. Le recours à une plate-forme ferroviaire est surtout usité en hiver, lorsque la neige rend difficile voire impossible le passage par le col. Cet inconvénient majeur dans les relations routières entre les deux pays concerne moins le col du Montgenèvre, seule voie de passage montagnarde assurée tout au long de l’année. Si cette route accueille, en valeur absolue, le plus grand nombre de passages transalpins, elle demeure peu pratique surtout pour les automobilistes en provenance de la moitié nord de la France. Elle allonge en effet la distance de trajet d’une manière substantielle entre Paris et Turin par Lyon (870 km) par rapport à la route du Mont-Cenis (800 km). En outre, cet itinéraire implique de franchir, avant d’atteindre le Montgenèvre, le col du Lautaret, fréquemment fermé l’hiver.

Mais au-delà des conditions hivernales peu clémentes, aux effets, somme toute, relatifs, compte tenu du caractère essentiellement estival des courants touristiques, les routes sinueuses de montagne rendent surtout de plus en plus difficile, et en toutes saisons, l’écoulement sans cesse croissant du flot des automobiles. Si Jean Giono éprouve en empruntant la route du Montgenèvre des « sentiment exaltants » à « voir monter les montagnes devant [ses] pas »402

, pour beaucoup ces routes apparaissent comme dangereuses et provoquent parfois de longues files d’attente aux postes frontières.

Le tableau brossé ci-dessus subit une importante modification en 1965 avec l’inauguration du tunnel du Mont-Blanc. Depuis l’intuition prophétique du naturaliste genevois Horace Benedict de Seaussure, qui écrit dans son journal en 1787 « un jour viendra où l’on creusera sous le Mont-Blanc une voie charretière et la vallée d’Aoste et de Chamonix seront unies », la construction d’un tunnel sous le plus haut sommet d’Europe n’a cessé de hanter les imaginations et les projets se sont multipliés. Entre 1844 et 1922, les projets de tunnels ferroviaire se succèdent, sans succès. Les autorités transalpines lui préfèrent le Fréjus sous le Mont-Cenis (1871) ou encore des percées alpines en direction de l’allié allemand : le Gothard (1882) et le Simplon (1906). Le tunnel du Mont-Blanc est en fait dès les premiers

400 H. CHAMUSSY, « Les relations routières franco-italiennes dans les Alpes du nord et le trafic en 1964 et 1965 », Revue de Géographie alpine, 55 (1), 1967, p. 73-104. Sauf mentions particulières, les données relatives au trafic routier sont empruntées à cet article.

401 Ce système est également utilisé pour le passage plus au sud du col de Tende. L’expérience tentée le 10 janvier 1964 ne fonctionne qu’au cours des mois de janvier et février de cette année-là et de la suivante, puis est abandonnée en raison de la faiblesse du trafic. Cf. G. DE SANTOS, J. BANAUDO, Le Chemin de fer du col

de Tende : la ligne de Nice à Breil et à la frontière italienne, Menton, éd. du Cabri, 1979, p. 102.

coups de crayon « victime des aléas des relations franco-italiennes »403

. Il en est de même lorsqu’il est relancé au début des années trente, cette fois sous une forme routière404

. C’est donc après la guerre qu’est repris le projet. Le principe est retenu dans un protocole signé par Bidault et Sforza le 11 mai 1949 et une commission intergouvernementale est mise sur pied pour étudier et résoudre les problèmes posés par une telle construction. Et, le 14 mars 1953 est paraphé une convention entre la France et l’Italie relative à la construction et l’exploitation

du tunnel du Mont-Blanc405

, non sans réticence du côté français406

.

La mise en service de cette percée alpine est un événement qui dépasse de loin le cadre des échanges touristiques et il serait abusif de croire que ce sont les difficultés du trafic touristique qui ont poussé les gouvernements des deux pays à se lancer dans ce projet gigantesque407

. Certes, dans son discours inaugural du 16 juillet 1965, prononcé aux côtés du président italien, le général de Gaulle voit dans le tunnel une possibilité que « le tourisme,

forme moderne et massive de la découverte, n’établisse de nouveaux courants »408

, mais cette évocation s’inscrit au second plan d’une mise en exergue symbolique de l’amitié franco-italienne et, surtout, de l’intégration économique européenne. Nul ne s’y trompe, de la presse aux milieux économiques et politiques. Au-delà de la fierté procurée par la réalisation du plus long tunnel du monde (11 km 600) sous la plus haute montagne d’Europe, le principal bénéfice que l’on pense retirer de cet ouvrage réside dans son « influence déterminante sur

403 P. GUICHONNET (dir.), Histoire et civilisations des Alpes, t. II, op. cit., p. 288.

404 Le projet est défendu par l’ingénieur Arnold Monod en 1931. Une demande de concession est déposée en 1933 et en avril 1935 Laval et Mussolini s’en entretiennent favorablement à Stresa. La détérioration des relations franco-italiennes, à la suite de la guerre d’Éthiopie, conduit à l’abandon du projet (J.-F. ROUILLER, Le Tunnel

du Mont-Blanc, trait d’union européen, Lausanne, 1960, p. 19).

405 La réalisation et l’exploitation est confiée à deux sociétés d’économie mixte, bénéficiant des apports de capitaux publics des gouvernements français et italien, de la région du Val d’Aoste, du département de Haute-Savoie, de la ville et du canton de Genève. Pour le détail des aspects juridiques et financiers voir P. LAPORTE, « Le tunnel du Mont-Blanc », Annuaire français du Droit international, 1963, p. 259-277.

406 Si les Italiens sont presque unanimes à désirer la construction du tunnel, il n’en est pas de même des Français : l’opinion se divise entre ceux qui souhaitent le percement d’un nouveau tunnel et ceux qui défendent le doublement routier de celui du Fréjus. Le ministère des Finances, partie prenante en tant que bailleur de fonds, penche pour la seconde solution, moins ambitieuse techniquement comme financièrement. (AEF, B. 16 864).

407 Le 8 janvier 1959, les premiers coups de mine sont tirés sur le versant italien, le 30 mai sur le versant français. La difficulté de la tâche est à la hauteur du caractère monumental de l’ouvrage : il faut creuser un tunnel long de 11 600 mètres, large de 8,5 mètres, avec une hauteur sous voûte de 6 mètres, représentant un volume de dérochement de 940 000 m3.

Pour relever ce défi, les Français mettent au point « jumbo », une machine à trois étages et qui occupe vingt-cinq personnes, forant simultanément seize trous. Malgré ces innovations techniques, qui permettent d’augmenter l’allure moyenne de percement (8 mètres par jour du côté français et 4,4 mètres du côté italien), le travail demeure difficile. La poussière minérale dégagée lors des perforations, pouvant causer la silicose, les éboulements fréquents, les venues d’eau, particulièrement abondantes du côté italien, ralentissent une progression rendue dangereuse, qui coûte la vie, sur l’ensemble du chantier, à vingt-et-un ouvriers.

Enfin, au mois d’août 1962, la jonction s’opére entre les deux équipes de mineurs. Lorsque le tunnel est inauguré en juillet 1965, les travaux ont commencé depuis six ans et demi.

Pour le détail des aspects techniques, voir P. GUICHONNET, « L’achèvement du tunnel du Mont-Blanc »,

Revue de Géographie alpine, n°1, 1963, p. 145-154 et B. JANIN, « Les tunnels routiers du Mont-Blanc et du

Grand-Saint-Bernard, les perspectives de leur ouverture pour la vallée d’Aoste », Revue de Géographie alpine, n°1, 1962, p. 87-120.

l’économie européenne »409

en général et sur le développement des échanges franco-italiens en particulier. L’accent est surtout mis sir le raccourcissement des distances. Le quotidien Combat, particulièrement enthousiaste à défaut d’être précis,indique en titre, la veille de l’inauguration, que le tunnel raccourcit « de 364 kilomètres la distance Paris-Turin »410

. Pourtant les premiers résultats d’exploitation révèlent que le trafic touristique est particulièrement important. Le coût du péage, de 12 à 60 francs selon la puissance du véhicule, ne semble pas rebuter les automobilistes qui s’engouffrent en grand nombre à une vitesse maximale de 60 km/h sur une chaussée de 7 mètres de large dans un tunnel dont la presse vante la parfaite sécurité. À la fin de l’année 1965, le tunnel se classe d’emblée comme le plus important passage des Alpes du nord en nombre de véhicules. Au cours de la première année d’exploitation, le trafic dépasse les prévisions les plus optimistes de 450 000 véhicules annuels : en 1966, il atteint, pour les seuls véhicules de tourisme, le chiffre 548 000. Le trafic est composé à plus de 90 % d’automobiles et d’autocars. Outre la nature des véhicules, la périodicité saisonnière démontre que le tunnel du Mont-Blanc draine d’importants flux touristiques : 25 % du trafic de l’année 1966 s’effectue au mois d’août et le week-end du 15 août fait figure de sommet de la saison avec 6 711 véhicules en vingt-quatre heures, au lieu

d’une moyenne quotidienne de 1626 en 1966411

Certains jours d’été, le tunnel atteint son seuil de saturation fixé à un débit maximun de 600 voitures par heure.

La répartition par nationalité démontre en outre que non seulement le tunnel est un axe touristique, mais qu’il est un passage avant tout franco-italien.

409 France-Italie. Revue économique de la chambre de commerce italienne de Paris, n°2, mars 1965, p. 15.

410 Combat, 14 juillet 1965. Selon cet article, la distance passerait de 1 163 km à 799 km. L’estimation du géographe Henry Chamussy (op. cit., p. 76) diverge quelque peu et apparaît plus précise :

Paris-Turin par Tournus, Bourg, Annemasse et le tunnel du Mont-Blanc = 815 km Paris-Turin par Tournus, Bourg, Chambéry et le col du Mont-Cenis = 756 km

Figure 16. Trafic sous le tunnel du Mont-Blanc par nationalités (1966)

Source : B. JANIN, Le Val d’Aoste. Tradition et renouveau, Aoste, Musumeci éditeur, 1980

Les Français constituent plus de la moitié des usagers du tunnel qui représente donc une large porte d’entrée du tourisme français en Italie.

Néanmoins, l’inadaptation des voies d’accès au tunnel du côté français, notamment la liaison entre Paris et Chamonix comportant de nombreux goulots d’étranglement en fin de parcours, provoquent des difficultés de circulation412

.

Pour faire face, la question se pose de nouvelles percées transalpines, mais le souci de rentabiliser économiquement l’établissement de ces voies de communication coûteuses demeure une constante dans les préoccupations du gouvernement français, qui ne montre que

peu d’entrain au cours des négociations menées avec son homologue italien413

.

En attendant la construction éventuelle de nouvelles liaisons routières, les touristes français qui choisissent comme mode de déplacement leur automobile doivent, malgré les améliorations apportées, se contenter comme voies d’accès principales à la Péninsule de la route littorale, doublée, et des trois routes alpines (cols du Mont-Cenis et de Montgenèvre et Tunnel du Mont-Blanc ; nous avons vu que le col Saint-Bernard tient une moindre place dans le trafic routier touristique).

La frontière passée, munis d’une carte d’essence414

, ils découvrent alors un réseau routier très inégal où, à côté des autoroutes, qui suscitent en France une certaine admiration, subsistent un très grand nombre de routes secondaires qui « laissent à désirer »415

. La

412 Du côté italien, une autoroute mène de Turin à Quincinetto en 1965, puis jusqu’à Aoste en 1969. D’Aoste au tunnel, les automobilistes empruntent une route à grande circulation.

413 Cf. chapitre VII (III. A. 2).

414 Cette carte, réservée aux touristes, permet d’obtenir des bons d’essence à prix réduit que l’on peut se procurer dans une banque en France pour une période de quinze jours, puis à partir du seizième jour du séjour dans un des bureaux de l’Automobile club italien. La carte doit être visée par l’un de ces bureaux à la frontière.

415 J. D’HOSPITAL, op. cit., p. 50.

% 2,3 0,1 3,5 52,6 2,7 27,6 9,1 2,1

morphologie du réseau principal, constitué de deux éventails symétriques, l’un au nord, l’autre au sud, conditionne assurément les itinéraires, en permettant aux touristes de rejoindre leur lieu de villégiature en fonction de leurs aspirations.

C. Motivations et destinations

Les destinations choisies par les touristes français sont étroitement liées à leurs attentes et donc à leur imaginaire. Sur ces points, les sondages de l’ENIT nous renseignent encore une fois.

1. Pourquoi l’Italie ?

Interrogés dans les locaux des représentations de l’ENIT en France, les candidats au voyage indiquent les motifs qui les guident vers l’Italie.

Figure 17. Motifs des voyages de vacances en Italie

Source : ENIT, Turisti stranieri in Italia. Sondaggio di opinioni 1965, Roma, n°8, 1966, p. 21.

Les réponses redessinent l’image traditionnelle des attraits de l’Italie : une terre des arts et d’histoire aux paysages merveilleux et baignée de soleil. Si l’on rassemble l’art (17,4 %), l’histoire (9,2 %), le folklore (5,6 %), ce sont près du tiers des touristes français qui se déclarent attirés par les richesses culturelles de la Péninsule. La répartition socioprofessionnelle des touristes, évoquée précédemment, ainsi que le désir croissant d’associer le temps des vacances à la découverte, expliquent cet engouement. Les vacances

0 5 10 15 20 25

%

l'histoire l'art le folklore les beautés naturelles le caractère des Italiens le soleil et le climat la gastronomie et le vin les festivals de musique et de cinéma l'équipement touristique la religion

sont alors conçues comme actives et dédiées principalement aux visites de sites, de monuments et de musées dont l’observation, plus ou moins attentive, doit concourir à un approfondissement de la culture.

Viennent ensuite, par ordre de préférence, le désir de découvrir les « beautés naturelles » (22,9 %) et la recherche de vacances ensoleillées (16 %). Ces deux aspects attractifs de l’Italie, déjà fort appréciés par les voyageurs des siècles précédents416

, correspondent également à la conception des vacances qui émerge avec le tourisme de masse : l’évasion. Pour la plupart des Français, notamment originaires de la partie nord du pays, cette période doit en effet marquer une rupture avec leur vie quotidienne. Le changement de cadre que procurent les paysages variés et différenciés, ainsi que la douceur du climat, viennent indiscutablement satisfaire cette exigence, cette quête d’exotisme. Le charme de l’Italie est d’autre part renforcé, au moment où bien des Français choisissent de passer leurs vacances au bord de mer417

, par une côte littorale très étendue où chacun selon ses goûts peut profiter d’espaces sauvages ou aménagés autour de stations balnéaires en plein développement, même si l’équipement touristique ne constitue pas un motif déterminant (4,2 %).

Les principaux motifs abordés jusqu’à présent ne sont, il faut bien le dire, guère surprenants. De prime abord, le part relativement importante des réponses évoquant « le caractère des Italiens » (15,1 %) comme motifs d’attraction peut paraître plus inédite et attire l’attention. Le préjugé semble plutôt favorable. Tout du moins dans le cadre des vacances, que l’on considère comme relâchées et où se mêlent insouciance et légèreté, les Italiens par leur « caractère » concourent à rendre le séjour agréable. En serait-il fini du temps où les voyageurs considéraient que seule la présence des Italiens venait ternir les charmes de la Péninsule ?418

L’image devenue positive, véhiculée comme nous le verrons par les guides, d’un peuple accueillant, ayant le sens de l’hospitalité et une joie de vivre communicative, peut toutefois se confondre avec la perception d’un rapport hiérarchisé qui fait des Italiens les serviteurs de leurs hôtes. Nous reviendrons sur ce sentiment diffus de supériorité qui structure à bien des égards les rapports entre Français et Italiens.

Pour le moment, considérons que les motivations des touristes déterminent l’éventail des destinations à travers la Péninsule.

416 Stendhal évoque, dans sa liste des plaisirs d’un voyage en Italie, tout d’abord celui de, « respirer un air doux et pur », puis celui de « voir de superbes paysages ». Les plaisirs procurés par les richesses culturelles ne viennent qu’ensuite. (Lettre à ses sœurs Pauline et Zénaïde, 10 octobre 1827)

417 Selon l’enquête de l’INSEE en 1964 : 45 % des vacanciers se rendent, en été, sur les côtes françaises (M. BOYER, Le Tourisme, op. cit., p. 35).

2. Les destinations

La répartition par régions et par villes des préférences des touristes français rejoint intégralement leurs aspirations.