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géographique de l’immigration italienne

Carte 2. répartition des origines régionales

C. Les caractères socio-économiques de l’immigration italienne

3. Le niveau socioprofessionnel

La répartition de l’activité des travailleurs italiens par catégorie socio-économique commande leur niveau socioprofessionnel. Or, lorsque l’on sait que deux travailleurs sur trois au moins exercent leur activité professionnelle dans le secteur du bâtiment et des travaux publics ou dans l’industrie, il n’est pas surprenant d’observer une large sur-représentation des ouvriers.

175 M.-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l’est parisien …, op. cit., p. 655.

176 A. GIRARD, J. STOETZEL, op. cit.

177 S. PALIDDA (a cura di), L’Impreditorialità italiana e italo-francese nella circoscrizione di Parigi.

Figure 9. Évolution par catégorie socioprofessionnelle des migrants italiens actifs

Source : INSEE

a) Un monde ouvrier

La représentation graphique ci-dessus met en évidence que le travailleur italien est avant tout un ouvrier. La part des ouvriers est majoritaire (55,75 % en 1954) et en progression constante pour atteindre 71 % des actifs en 1968. Les dernières vagues d’arrivées viennent accroître considérablement les effectifs ouvriers puisque la croissance est de 45,5 % entre 1954 et 1962. Ces derniers venus sont principalement responsables du décalage dans la répartition socioprofessionnelle entre l’immigration italienne et l’ensemble de la population française. En effet, si au sein de la population active française les ouvriers représentent toujours au cours de cette période le groupe socioprofessionnel le plus nombreux, il l’est désormais dans de moindres proportions — les ouvriers représentent 37,8 % de la population active française en 1968.

Cependant, l’approche statistique, qui fait du monde ouvrier une catégorie homogène, ne doit pas occulter les profondes mutations qui traversent cet ensemble éclaté et diversifié178

. Il convient sans doute d’évoquer ici la « désagrégation du groupe ouvrier » suivie d’une recomposition autour de trois groupes : les bas revenus, les ouvriers qualifiés, les cadres179

. Parmi les bas revenus sont compris les manœuvres et les ouvriers spécialisés (OS). C’est dans cette catégorie que se trouve habituellement la plus forte part de la main-d’œuvre immigrée — les trois quarts selon certaines études180

. Dans ces conditions, s’installe, non seulement

178 S. BERSTEIN, La France de l’expansion…, op. cit., p. 194-197.

179 G. NOIRIEL, Les Ouvriers dans la société française XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1986, p. 225. Le groupe

ouvrier est ici associé de manière quasi-mythique à une identité collective vécue et hautement affirmée en vertu de présupposés idéologiques

180 B. GRANOTIER, op. cit., p. 83.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

1 9 5 4 1 9 6 2 1 9 6 8

agriculteurs salariés agricoles

Patrons de l'industrie et du commerce Professions libérales et cadres supérieurs Cadres moyens Employés

Ouvriers Personnels de service Autres catégories

comme une représentation mais comme une réalité sociale, une correspondance entre l’immigration et les niveaux les plus bas de l’échelle sociale.

Cette adéquation se vérifie-t-elle pour l’immigration italienne ? Les ouvriers italiens appartiennent-ils aux catégories sociales les moins favorisées dont les conditions de vie fragiles ne leur permettent pas de s’approprier matériellement ou culturellement les nouvelles normes imposées par la société de consommation ?

Un examen détaillé de la répartition par catégorie socioprofessionnelle fournie par les recensements permet de dégager une tendance générale. En dépit d’une certaine approximation liée à la taxinomie statistique181

et à l’extrême fluidité de la main-d’œuvre transalpine, on note que les ouvriers qualifiés et les contremaîtres représentent une fraction croissante des effectifs ouvriers italiens. En 1954, les seuls ouvriers qualifiés — il est sans doute significatif que les contremaîtres n’apparaissent pas dans le recensement — constituent 38,4 % de l’ensemble des ouvriers ; en 1968, leur part est de 42,2 %. Leur part est donc nettement supérieure à celle qui est observée dans l’ensemble de la population étrangère. Le facteur générationnel sur le plan migratoire explique cet écart entre les Italiens et les autres nationalités. Il explique aussi la diversité des emplois au sein de l’immigration italienne. Ainsi, dans l’usine de Jœuf, on peut observer très nettement la corrélation « ancienneté-CSP »182

. Les quelques autres études dans ce domaine confirment que les immigrés les plus récents, c’est-à-dire les Méridionaux, occupent les postes subalternes de manœuvres ou d’ouvriers spécialisés183

. Sur les chantiers, la situation ne diffère guère. Dans l’Est parisien, la part des Italiens parmi les ouvriers du bâtiment décroît à partir de la fin des années soixante tandis qu’ils occupent de plus en plus la fonction de chef de chantier184

.

Une telle évolution, qui voit les Italiens se hisser progressivement au sommet de la hiérarchie ouvrière, pose inévitablement le problème de la mobilité sociale et de ses modalités.

b) Les perspectives d’ascension sociale

Les possibilités d’ascensions sociales à la première génération apparaissent, dans le milieu ouvrier, très limitées. Annick Mallet note à propos de l’usine sidérurgique de Jœuf que

181 Les recensements de 1962 et 1968 distinguent trois catégories « ouvrières » : « Contremaîtres, ouvriers qualifiés, apprentis ouvriers », « Ouvriers spécialisés et manœuvres », « Mineurs, marins et pêcheurs ». En 1954, le recensement distingue les ouvriers qualifiés, les ouvriers spécialisés, les mineurs et les manœuvres.

182 A. MALLET, op. cit., p. 232.

183 C’est le constat fait par Edgardo Bilsky pour les usines Renault (E. BILSKY, op. cit., p. 346).

pour 90 % des ouvriers italiens l’ascension professionnelle au cours de leur vie active ne

dépasse pas deux échelons de qualifications185

. La progression est plus rapide pour un grand nombre de leurs fils qui, forts d’un CAP, occupent immédiatement les emplois d’ouvriers qualifiés186

. Certains accèdent ensuite à la maîtrise ou au rang de cadre comme en témoigne l’évolution de la part des cadres moyens parmi la population active italienne de à 0,75 % en 1954 à 1,9 % en 1968. Rapportée à la proportion de cadres moyens dans la population active française (14,7 % en 1968), ces chiffres paraissent limités et démontrent que l’ascension professionnelle au sein des entreprises demeure difficile pour les immigrés italiens. Certes, les parcours et les comportements socioprofessionnels tendent à se rapprocher de ceux des Français, mais le mouvement suit un rythme qui lui est propre et qui se distingue par sa lenteur.

Comme pour les cadres moyens, la part des cadres supérieurs et des professions libérales, tout en demeurant faible, progresse de 0,56 % en 1954 à 0,84 % en 1968. Plus importante est la progression en proportion mais aussi en valeur numérique, du nombre d’employés qui passe de 1,72 % en 1954 à 4,13 % en 1968, avec un doublement des effectifs au cours de cette période. L’accès à ces carrières d’employés est réservé à ceux qui bénéficient d’une formation plus poussée, au niveau du brevet professionnel, c’est-à-dire appartenant pour l’essentiel à la deuxième ou à la troisième génération. D’autre part, les effectifs des employés sont gonflés par la part croissante prise par les femmes dans cette catégorie (52,4 % en 1968 contre 44,4 % en 1954) qui occupent des emplois modestes de sténo dactylographe ou de secrétaire.

Peut-on alors véritablement parler de réussite sociale en ce qui concerne les employés au regard des niveaux de revenus sensiblement équivalents à ceux des ouvriers les plus qualifiés ? Il semble que les conditions de travail moins pénibles, l’ouverture à un horizon socioculturel plus vaste, par la fréquentation des catégories supérieures, donnent pour beaucoup d’employés, hommes ou femmes, le sentiment d’avoir échappé à la vie misérable qui est traditionnellement associée au prolétariat. Il ne faut pas perdre de vue que le terme de réussite sociale fait référence non seulement à des critères économiques et matériels mais aussi à des représentations qui valorisent l’accès à une certaine qualité de vie mêlant confort et liberté.

Si l’aspiration n’est guère différente de celle de la plupart des Français, qui fuient les métiers les plus ingrats, les modalités d’ascension divergent. À l’exception des représentants des troisième ou quatrième générations engagés, suivant le modèle français, dans des cursus

185 A. MALLET, op. cit., p. 235.

scolaires de plus en plus long, les immigrés italiens accordent une grande confiance à la formation « sur le tas »187

.

Catherine Wihtol de Wenden en a clairement expliqué les raisons :

« Cette attitude puise ses sources à la fois dans la mémoire collective de l’immigration italienne et dans les modèles dominants dans les régions de départ. En effet, les migrants, en majorité d’origine rurale, de la première génération ne faisaient confiance qu’aux structures qu’ils connaissaient pour la recherche d’un emploi et l’insertion professionnelle (liens de parenté et communauté villageoise), et l’école n’était considérée ni comme un moyen de promotion sociale, ni comme un facteur de réussite économique, ces derniers étant à leurs yeux les fruits du travail et de l’indépendance. »188

c) Les modèles de la réussite sociale

On comprend mieux alors pourquoi le modèle dominant de la réussite sociale est la petite entreprise, souvent familiale189

. Ce modèle a particulièrement bien été étudié dans la région parisienne où la place de la petite entreprise est une caractéristique majeure de l’espace social parisien190

, mais aussi de tous les grands centres urbains. Les travaux effectués ont souvent mis en lumière des parcours exemplaires dans le commerce ou le bâtiment, secteurs où les Italiens se montrent les plus entreprenants. Du statut d’artisan, symbole du pas franchi vers l’indépendance, grâce à l’investissement d’économies ressemblées par le biais de réseaux familiaux ou villageois, certains poursuivent leur ascension les menant au statut de chef d’entreprise. Les plus prospères de ces entreprises font figure de paradigme de la réussite et entretiennent l’espoir d’une élévation possible pour le plus grand nombre de leurs compatriotes.

Sans pouvoir tous les citer, mentionnons seulement quelques exemples bien connus. Dans le secteur commercial, que nous avons évoqué plus haut, on peut ainsi évoquer les voies empruntées par la « Toraz », une entreprise de restauration, sur le chemin de la fortune qui conduit une famille piémontaise de la maçonnerie à la propriété d’un magasin d’alimentation

187 Cette situation évolue dans les années soixante. La commission mixte franco-italienne insiste sur la nécessité de donner au candidat à l’émigration en France un niveau de formation plus élevé. Les Français sont ainsi invités à participer au financement des formations professionnelles préalables au départ (AMAE, série Z, Europe, Italie 1944-1970, vol. 394 : note de la direction des Conventions administratives et des Affaires consulaires, 13 avril 1965).

188 C. WIHTOL DE WENDEN, « L’immigration italienne en France I. La formation et la mobilité », Studi

emigrazione, n°78, juin 1985, p. 219.

189 P. MILZA, Voyage en Ritalie, op. cit., p. 366.

190 M.-C. BLANC-CHALÉARD, P. MILZA, « Les Italiens à Paris depuis 1945 », in P. MILZA (dir.), Le Paris

en banlieue parisienne puis à la direction d’une chaîne de self-services implantée au cœur de la capitale191

. Citons aussi, cette fois dans le domaine de l’industrie, où les réussites sont plus rares, le cas fameux d’Henri Pigozzi, fondateur en 1934 de la société Simca, qui disparaît en

1964 alors qu’il est devenu « un membre à part entière de l’establishment hexagonal »192

. Ces réussites brillantes sont le résultat d’initiatives lancées par les premières générations d’immigrés. Toutefois, l’esprit d’entreprise, s’il ne répond à aucune prédestination des Italiens, est encore vivace pour les générations d’immigration plus récentes.

Le bâtiment donne indiscutablement aux Italiens le plus grand nombre d’opportunités de « se mettre à leur compte ». Les conditions y sont favorables : savoir-faire acquis par le salariat, bonne insertion dans le milieu socioprofessionnel, marché en développement et faible investissement de départ. Par leur nombre (à Montreuil, les entreprises italiennes en bâtiment représentent environ la moitié des sociétés enregistrées dans ce secteur193

), par leurs compétences abondamment sollicitées (en maçonnerie, en peinture ou encore en menuiserie) les petites entreprises en bâtiment sont, dans les années soixante, les figures dominantes de la réussite sociale de l’immigration transalpine. Bien des parcours en témoignent194

. Le phénomène s’observe quasiment dans toutes les régions d’implantations italiennes, en particulier dans les villes grandes ou moyennes. En Normandie, où pourtant la densité de la colonie italienne est plutôt lâche, les entreprises en bâtiment, souvent artisanales, participent activement à la reconstruction puis au développement de la région. Il faut cependant observer, à la lumière des études les plus récentes, que le mouvement de modernisation n’épargne pas le secteur de la construction qui voit ses techniques se perfectionner et qui doit faire face à des exigences de gestion toujours plus complexes. Par conséquent, la figure de l’entrepreneur qui s’est formé en autodidacte tend progressivement à se dissiper, notamment au niveau de la deuxième génération, héritière du patrimoine familial, au profit d’individus disposant d’une formation théorique acquise en partie en milieu scolaire qui, il est vrai, reste fréquemment conjuguée à la transmission de compétences pratiques délivrées par la famille. Ce type d’évolution, intégrant le mouvement général de scolarisation qui touche la société française, doit permettre un passage plus aisé de l’artisanat à une entreprise plus ambitieuse, ce qui par le passé avait été freiné par le faible niveaux d’instruction des entrepreneurs195

.

Si les entreprises du bâtiment et les entreprises commerciales donnent une plus grande visibilité à la participation des Italiens à la croissance économique française et par là même à

191 P. CORTI, « Émigration et entreprise à Paris pendant les Trente Glorieuses : la société commerciale « Toraz » », in A. BECHELLONI, M. DREYFUS, P. MILZA (dir.), op. cit., p. 193-206.

192 P. MILZA, Voyage en Ritalie, op. cit., p. 387.

193 M.-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l’est parisien …, op. cit., p. 645.

194 Voir à ce propos M. COLIN (dir.), L’Émigration-immigration italienne et les métiers du bâtiment en France

et en Normandie, « Cahier des Annales de Normandie », n°31, 2001.

leur insertion sociale — leur activité est plus directement en prise avec l’amélioration de la vie quotidienne des Français que celle des salariés des usines — il ne faut pas négliger des réussites certes plus anecdotiques ou plus individuelles, mais très spectaculaires dans le domaine culturel ou sportif. La notoriété qui en découle rejaillit sur l’ensemble de la communauté italienne. À côté des artistes, parmi lesquels on peut citer Serge Reggiani, Lino Ventura ou encore Yves Montant (de son vrai nom Ivo Livi), les joueurs de football professionnels tiennent une place particulière, en raison du caractère très populaire de ce sport. Les meilleurs d’entre eux, une fois naturalisés ou appartenant à la deuxième génération, sont sélectionnés en équipe de France. Leur itinéraire se charge alors d’une porté symbolique particulièrement forte en matière d’intégration. C’est ainsi que « dès le début des années 1960, la presse spécialisée invoque la question de l’immigration comme élément d’enrichissement du jeu national »196

. Parmi les nombreux internationaux d’origine italienne197

, les performances de Roger Piantoni à la pointe de l’attaque française, aux côtés d’un autre fils d’immigrés, le « Polonais » Raymond Kopa, lors de la coupe de monde de 1958 ou encore le but inscrit par Piumi contre la squadra azzura en mai 1962, d’une valeur hautement symbolique, confirment l’apport des Italiens au football français. Le football agit ici dans les esprits comme une véritable métaphore de la bonne intégration sociale des Italiens.

D’une manière plus générale, l’activité socio-économique, à plus forte raison la mobilité lorsqu’elle est ascensionnelle, confère aux migrants un passeport garantissant une bonne insertion dans la société d’accueil. Elle leur assure des revenus indispensables leur permettant de participer au mouvement de grande consommation devenu norme sociale. En ce sens, le travail participe à la définition de l’identité des migrants qui n’est plus alors seulement nationale, même s’il existe une forte inclination à associer une nationalité à la pratique d’un métier. Nous avons vu que le nombre important d’Italiens dans le bâtiment rejaillit dans l’opinion française sur l’ensemble de la communauté. Enfin, et peut-être surtout, le fait d’occuper un emploi légitime aux yeux des Français la présence des migrants sur le territoire national dans la mesure où, par leur force de travail, ils contribuent au développement économique du pays. Par leur travail, les Italiens ont conquis la reconnaissance des Français mais ont-ils pour autant acquis le droit de cité ?

196 S. BEAUD, G. NOIRIEL, « L’immigration dans le football », Vingtième siècle, n°26, avril-juin 1990, p. 90.

197 Ibid., p. 83. Une enquête publiée par le quotidien L’Équipe indique qu’à cette date, sur les 660 joueurs qui ont revêtu le maillot de l’équipe de France, 6,5 % sont d’origine italienne.

III. Les Italiens dans la vie sociopolitique