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géographique de l’immigration italienne

Carte 2. répartition des origines régionales

B. L’associationnisme des Italiens

1. Un milieu associatif diversifié

Les sources consultées ne permettent pas de produire ici un état statistique précis du milieu associatif immigré232

. Ceci ne manque pas d’étonner au regard d’une législation particulière aux associations immigrées impliquant depuis les décrets-lois d’avril 1939, encore en vigueur après la guerre, un triple contrôle : elles doivent obtenir une autorisation préalable du ministère de l’Intérieur, après consultation des services du Quai d’Orsay ; elles sont soumises à certaines contraintes spécifiques précisées au moment de leur autorisation, notamment une exigence d’apolitisme ; elles sont susceptibles d’interdiction à tout moment.

La grande fluidité de la vie associative rend, il est vrai, le travail statistique difficile. Certaines associations fonctionnent en effet sans réclamer d’autorisation tandis que d’autres poursuivent une existence légale sans développer d’activités, d’autres encore ne connaissent qu’une vie très éphémère. C’est donc avec réserve qu’il faut considérer les chiffres fournis par le ministère des Affaires étrangères italien dans une enquête menée en 1980. Sur les 322

230 M. CATANI, S. PALIDDA (dir.), Le Rôle du mouvement associatif dans l’évolution des communautés

immigrées, Étude pour le compte du FAS et de la DPM du ministère des Affaires sociales, 1987, p.13.

231 Ibid.

232 La seule évaluation trouvée dans les archives du ministère de l’Intérieur est antérieure à notre période. CAC 870 799/46, ministère de l’Intérieur, rapport des Renseignements généraux : « Les Italiens en France », mai 1952. Ce document relève 32 associations autorisées à fonctionner.

associations recensées à cette date 79 ont été créées entre 1960 et 1969 (soit une moyenne de

9 par an) contre 49 entre 1945 et 1959 et 105 entre 1970 et 1979233

. Il reste qu’en dépit des réserves, liées à la volatilité du mouvement associatif, ces chiffres indiquent tout de même une tendance accrue des Italiens à l’associationnisme, même si le phénomène doit être relativisé. Ainsi, l’ambassade d’Italie observe pour la fin des années soixante :

« Un faible pourcentage de nos compatriotes en France est affilié à une association et le mouvement associatif est par conséquent modeste. »234

Le dynamisme du mouvement associatif souffre incontestablement de la soumission des migrants à la politique assimilationniste française qui n’incite pas au rassemblement communautaire sur des bases nationales. Dans une République que l’on estime une et indivisible, toute revendication d’un particularisme ethnique ou national n’est pas loin d’être considérée comme un mouvement séditieux. Les associations d’Italiens, comme celles des autres nationalités, font alors l’objet d’une surveillance très étroite de la part des services de police qui fournissent aux autorités des rapports détaillés sur leurs activités. Cette surveillance est d’autant plus attentive que le milieu associatif italien des années soixante est largement sous l’influence de « forces exogènes » à l’immigration.

a) Des associations sous influence

L’Église figure depuis la fin du XIXe

siècle au premier rang des institutions qui prétendent prendre en charge la question de l’immigration et le sort des migrants. À l’initiative des évêques Bonomelli et Scalabrini, les missions catholiques ont tissé un maillage de centres d’entraide spirituelle et matérielle. En 1980, le ministère des Affaires étrangères italien recense en France 26 missions catholiques et institutions religieuses de charité à la présence ancienne puisque dix ont été créées entre les deux guerres, douze entre 1948 et 1960 et enfin seulement quatre entre 1960 et 1975235

. À la faveur de l’évolution du soutien apporté par l’Église à la Démocratie chrétienne dans la Péninsule, les missions catholiques favorisent l’émergence de structures plus politiques au sein de l’immigration italienne. Les missions soutiennent notamment la constitution des ACLI (Associazione christiana dei lavatori italiani). L’activité s’est d’abord orientée vers le patronato après un accord passé avec la CFTC. Grâce à ce système original, par lequel l’État délègue la gestion de l’aide sociale aux partis et aux syndicats, les missionnaires renforcent leur position dans l’immigration italienne. Comme l’observent dès le début des années cinquante les autorités françaises :

233 G. CAMPANI, « Les réseaux associatifs italiens en France », in M. ORIOL, M.A. HILY (dir.), Les Réseaux

associatifs des immigrés en Europe occidentale, Nice, cahiers n°9 d’Etudes méditerranéennes, 1985, p. 29.

234 Ambasciata d’Italia, L’immigrazione in Francia e l’afflusso italiano, Parigi, s.d., p. 42.

235 G. CAMPANI, M. CATANI, S. PALIDDA, « Italian immigrant associations in France », in J. REX, D. JOLY, C. WILPERT (ed.), Immigrant associations in Europe, Brookfield USA, 1987, p. 179.

« Il est apparu au cours de ces dernières années que les missions s’étaient attachées à combattre l’action du parti communiste au sein de la colonie italienne. »236

La confusion s’établit entre l’action traditionnelle des missions catholiques, qui relève du mouvement associatif, et son action politique de soutien à la Démocratie chrétienne qui s’exerce dans le domaine syndical. La situation ne se clarifie guère avec la formation par les ACLI au début des années soixante de cercles (circoli) en tant qu’associations loi 1901-décret 1939. Selon les services de police chargés de la surveillance des associations étrangères, l’intrusion des syndicalistes démocrates-chrétiens dans le champ plus spécifiquement associatif résulte de divergences de vues avec les missionnaires237

. Ici l’écheveau reste à démêler. Tout juste peut-on opérer un rapprochement entre ces évolutions et le phénomène de laïcisation qui touche au même moment l’ensemble de la Démocratie chrétienne.

Les consulats se présentent d’autre part comme des acteurs incontournables de la nébuleuse chrétienne. Ils agissent à bien des égards au sein de la communauté italienne comme des relais de la Démocratie chrétienne et apportent leur soutien aux associations catholiques. Aussi relève-t-on la création à Grand-Quevilly dans la banlieue rouennaise d’une permanence spéciale du vice-consulat du Havre dans des locaux associatifs238

. Ce type d’initiative n’est pas isolé et se conjugue à l’apport de subsides financiers.

Au-delà de la diversité des expressions du catholicisme dans le champ sociopolitique, trouvant une traduction dans l’associationnisme (missions religieuses, partis politiques et syndicats, consulats), l’objectif est commun : combattre l’action menée par les organisations communistes sur le terrain social.

Les organisations de gauche ont bien compris l’intérêt qu’elles avaient à investir le milieu associatif, cherchant ainsi à capter une audience plus large dans une communauté souvent réticente à afficher un engagement politique ou syndical. Le parti socialiste italien accomplit cette tâche par le biais de L’Institut F. Santis, qui occupe cependant une place marginale. Le parti communiste fait preuve d’une plus grande efficacité. Nombre d’associations bénéficient du savoir faire des militants et des permanents du parti239 ainsi que du soutien des municipalités communistes, notamment par le biais de subventions ou de mise à disposition de locaux. En région parisienne, l'Amicale franco-italienne (AFI), créée en 1959, donne une bonne illustration de ces associations encouragées par le parti communiste pour lui servir de

236 CAC 870 799/46, ministère de l’Intérieur. Rapport des Renseignements généraux « Les Italiens en France », mai 1952.

237 CAC 850 087/128, ministère de l’Intérieur, notes des Renseignements généraux, 2 juin 1965.

238 CAC 850 087/128, ministère de l’Intérieur, notes des Renseignements généraux, 20 avril 1965.

239 S. PALIDDA, « Le mouvement associatif italien en France », in M. CATTANI, S. PALIDDA, Le Rôle du

point d’ancrage dans les milieux italiens240

. L’association déploie une activité reprenant celle de l’Unione populare241

, active dans l’entre-deux-guerres, ou encore celle d’Italia Libera créée après la Libération et dissoute peu de temps après par les autorités françaises. Son caractère binational (ses dirigeants sont de nationalité française) lui permet de franchir les obstructions administratives appliquées à toute association étrangère à coloration politique, en particulier lorsqu’elles démontrent des liens avec le communisme. Son rayonnement est assuré par la publication d’un mensuel en langue italienne, L’Emigrante, qui bénéficie du

soutien de la CGT et du Parti communiste français242

. C’est d’ailleurs par voie de presse que s’exprime l’opposition entre catholiques et communistes. L’Emigrante publie ainsi régulièrement une rubrique intitulée « En réponse à L’Eco d’Italia », organe des missions catholiques.

Outre ces associations politisées, transposant dans le champ associatif la dialectique de l’affrontement qui structure la vie politique italienne, il faut réserver dans ce tableau des associations sous influence une place à part aux associations culturelles soutenues par le gouvernement italien. La plus célèbre d’entre elles, la Dante Alighieri, ouvre plusieurs sections dans l’Hexagone. Mais, son activité ne vise pas uniquement « à renforcer l’italianisme chez les émigrés italiens »243

et elle s’applique aussi, voire essentiellement, à promouvoir la culture italienne parmi la population française.

240 C. BOZZOLO, « Dall’amicale franco-italiana all’amicizia franco-italiana », La Trace. Cahiers du CEDEI, n°4, octobre 1990, p. 63-65.

241 E. VIAL, « Organisation de masse, Front populaire et intégration : l’Union populaire italienne (UPI) dans le Sud-Est méditerranéen », in A. BECHELLONI, M. DREYFUS, P. MILZA (dir.), op. cit., p. 281-292.

242 Il règne cependant, au moins en apparence, pendant un certain temps, une ambiguïté dans les relations qu'entretient le parti avec cette publication. Les services de police voient ainsi dans L'Emigrante l'organe de « l'office national de coordination INCA-CGT », tout en décelant l'implication des communistes. Il est noté, à l'occasion d'un changement à la tête de la direction de la publication, que René Loisier, à l’instar de son prédécesseur Bernard Lesoindre, n'est qu'un « personnage de façade », « ignorant tout de la langue italienne et ne possédant ni les ressources financières, ni la formation intellectuelle pour assurer le fonctionnement d'un journal », en revanche on observe qu'il est « un militant dévoué du parti communiste » (CAC 880 312/8, ministère de l’Intérieur, note des Renseignements généraux, 27 mai 1964). Son successeur en mars 1966, Ennio Pagani, français d'origine italienne, est quant à lui employé en qualité de permanent au PCF (CAC 880 312/8, ministère de l’Intérieur, note des Renseignements généraux, 3 novembre 1966). Il apparaît donc bien que le parti dirige directement L'Emigrante comme semble le confirmer le texte du protocole d'accord avec le PCI qui l'intègre sans distinction particulière, dans l'effort à mener en matière de politique éditoriale de propagande, aux autres publications communistes.

b) Des associations autonomes

L’associationnisme des Italiens en France est le fruit, dans bien d’autres cas, d’initiatives issues de l’immigration qui s’organise principalement autour de trois pôles : les associations d’anciens combattants, les associations sportives et récréatives et les associations régionales.

Les associations d’anciens combattants développent une activité apolitique – à l’exception de l’Association nationale des vétérans garibaldiens, qui affiche une proximité avec la gauche244

– qui est principalement orientée vers l’organisation et la participation à des commémorations ou vers la tenue de réunions au cours desquelles sont discutées des questions concernant la reconnaissance des services rendus et les problèmes relatifs au versement des pensions.

Les sociétés de musique et sportives constituent un autre ensemble associatif qui appelle peu de commentaires, si ce n’est qu’elles apparaissent dans les rapports officiels en faible nombre245

.

Les associations régionales représentent quant à elle un phénomène émergeant dans les années soixante.246

Les sociologues Salvatore Pallida, Maurizio Catani et Giovanna Campani ont porté une attention particulière à cette forme d’associationnisme qui prend réellement son essor après 1970. Ils ont notamment souligné l’aspiration de nombreux migrants à dépasser une affirmation idéologique plus ou moins explicite qui leur était jusqu’alors proposée par la plupart des associations. Giovanna Campani a particulièrement étudié la dynamique des réseaux familiaux et villageois comme éléments constituants de ces associations247

. S’opère alors le passage d’un réseau informel à un réseau formel, l’association, où se déploient des relations suivant des schémas profondément ancrés dans les sociétés du centre et du sud de l’Italie248

.

244 CAC 870 799/46, ministère de l’Intérieur. Le rapport de mai 1952 mentionne trois autres grandes associations de ce type : « Association d’anciens combattants et vétérans italiens », « Association nationale des mutilés et invalides de guerre italiens en France », « Association des volontaires italiens de l’armée française ».

245 CAC 870 799/46, ministère de l’Intérieur. Le rapport de mai 1952 mentionne deux sociétés de musique : Musiques italiennes de Lyon et Harmonie italienne Ste Cécile à Hayange (Moselle) et trois sociétés sportives : l’Union sportive italienne de Paris, le Velo-club italien (Lille) et l’Union sportive Ausonia (Toulouse).

246 Selon l’enquête du ministère des Affaires étrangères italien de 1980, une de ces associations a été créée avant 1914, deux pendant l’entre-deux-guerres, six entre 1964 et 1969 et quarante-cinq entre 1970 et 1979 (G. CAMPANI, M. CATANI, S. PALIDDA, « Italian immigrant associations in France », op. cit., p. 182).

247 G. CAMPANI, Les Réseaux familiaux, villageois et régionaux des immigrés italiens en France, thèse d’ethnologie, université de Nice, 1988.

Les historiens n’ont pas encore pleinement investi le champ d’étude qu’est l’associationnisme249

. Quoi qu’il en soit, quelques remarques peuvent être formulées afin d’éclairer le débat sur la place de ces diverses associations dans le processus d’intégration et d’assimilation.