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La politique d’immigration menée par la France depuis la fin de la guerre, accordant une place privilégiée aux Italiens, et le développement du tourisme de masse des Français à destination de l’Italie concourent à rendre perméable aux échanges des personnes la frontière territoriale entre les deux pays. De ce point de vue, l’axe franco-italien, par la fluidité des échanges, ouvre la voie aux assouplissements progressifs des obstacles à la libre des

circulations des personnes dans l’Europe communautaire576

. Inévitablement se pose la question, constamment en filigrane de notre étude, de l’effacement dans les mentalités des frontières culturelles, rejoignant ainsi la discussion plus large, et très actuelle, sur l’existence de phénomènes de transculturation propres au surgissement d’une identité européenne.

À l’échelle franco-italienne, le tableau que nous avons brossé des conditions et des modalités d’échanges entre les populations permet d’apporter une contribution au débat en centrant l’analyse autour des répercussions de ces échanges sur l’évolution des représentations française de l’altérité italienne.

Le premier constat, le plus évident, concerne le caractère pacifique de ces contacts. Les migrants italiens installés en France ne font plus l’objet de rejets xénophobes, sauf peut être de manière très individuelle et résiduelle. Et, si l’on évoque parfois une « invasion » de Français dans la Péninsule, il s’agit plus d’une figure de style, si chère aux journalistes et aux essayistes, tendant à appuyer le caractère massif du tourisme, plutôt qu’une quelconque ambition impérialiste. L’état des relations diplomatiques entre les deux pays influe indéniablement sur la nature amicale des contacts directs entre Français et Italiens et rend inconcevable toutes manifestations collectives d’hostilité. Le bon accueil général accordé aux migrants transalpins et l’attraction touristique qu’exerce l’Italie rend compte, bien au contraire, d’un réel sentiment de sympathie des Français pour leurs voisins.

576 Comme le remarque néanmoins Pierre Gerbet : « C’est pour les personnes que la mise en œuvre du grand espace sans frontières a été la plus laborieuse ». (P. GERBET, La Construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, 1999, p. 501). Si la libre circulation des travailleurs, inscrite au traité de Rome, est complète en octobre 1968, la suppression des contrôles douaniers pour les personnes aux frontières des États membres, prévue par les accords de Schengen en 1985, n’entre en vigueur qu’en 1995, sans toutefois concerner les frontières franco-italiennes. Les contrôles à ces frontières, comme à celles de l’Italie avec les autres pays de l’Union, est levé en 1998.

À un deuxième niveau d’analyse, concernant l’image de l’Italie et des Italiens, le constat est plus nuancé. Il est un fait que l’émigration et le tourisme participent, selon des conditions différenciées, d’une valorisation de l’Italie, notamment dans le domaine culturel. Le migrant italien, dont on loue, à raison, les facultés d’intégration demeure « porteur et défenseur de valeurs et de coutumes qui sont propres à la culture dont il est originaire »577

. Son assimilation ne passe pas nécessairement par une « dénégation des origines », comme on a pu l’écrire à propos des Italiens de Lorraine578

. Consciemment ou non, il apparaît en France comme un ambassadeur de « la qualité italienne et des produits typiquement italiens»579

. La démonstration d’aptitudes aux tâches les plus laborieuses et de capacités à s’élever dans l’échelle sociale ou, dans un tout autre registre peut-être plus anecdotique, le succès grandissant en France de la gastronomie italienne diffusée largement par les migrants, participe d’une pénétration et d’un ancrage positif de la culture transalpine dans l’opinion. Le sentiment se nourrit par ailleurs de la découverte plus intime que plusieurs millions de Français font chaque année du patrimoine culturel de la Péninsule. Dans l’imaginaire collectif, l’effet de ces voyages est double. D’une part, ils inscrivent par l’expérience les deux pays dans une même généalogie de civilisation, donnant plus de relief au concept de « sœur latine », si souvent appliqué à l’Italie. D’autre part, ces voyages installent l’Italie dans un passé dont, à bien des égards aux yeux des visiteurs français, elle peine à s’extraire.

Le regard des Français, dans leurs contacts directs avec leurs voisins transalpins, apparaît sélectif et marqué par un fort sentiment d’égocentrisme. Il semble en effet que l’Italie et les Italiens n’ont de mérites que dans leurs contributions apportées aux besoins des Français. L’immigration italienne est ainsi appréciée pour sa disposition à se plier aux exigences assimilationnistes et son apport à l’essor de l’économie française. Dans le même ordre d’idée, l’observation de Pierre Milza sur la perception des Italiens par les voyageurs français à la fin du XIXe

siècle demeure encore valide :

« Hospitaliers, aimables, souriant et doux, les Italiens sont considérés comme un peuple de cicérones, d’hôteliers et de conservateurs d’antiquités »580.

En plusieurs occasions, nous avons relevé la persistance de ce type de préjugés et de stéréotypes, le plus souvent dévalorisants et condescendants, qui paraissent n’accuser que modérément et très progressivement les effets d’une plus grande familiarité avec les Italiens, impliquée par l’ancienneté et la multiplicité des échanges directs.

577 R. DI AMBRA, « Italiens en France : une enquête sur leur acculturation », Migrations dans le monde, n°4, 1974, p. 14.

578 G. NOIRIEL, Longwy… op. cit., p. 361.

579 F. MONTEBELLO, « La qualité italienne et les produits « typiquement italiens » », in F. ROTH (dir.)

Lorraine, terre d’accueil et de brassage des populations, Nancy, Presse universitaire de Nancy, 2001, p.

301-312.

Le rapport à l’Italie et aux Italiens, par le biais de l’immigration et du tourisme, contribue certes à la formation d’une opinion globalement positive, mais reste, en bien des endroits, fondé sur un système de représentations qui, sans être totalement figé, évolue à un rythme plus lent. Sans doute faut-il y voir les effets d’un ensemble de médiations culturelles qui, par différents vecteurs, reproduit clichés et images stéréotypées dont la collection fonctionne comme un prisme à travers lequel les Français construisent inconsciemment leurs relations avec leurs voisins transalpins.

Section 2 :