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Chapitre III : Aspects de la culture italienne en France en France

B. Le choix des élèves

2. Le choix de la facilité

La principale raison qui conduit les élèves à opter pour l’italien renforce l’idée de l’intérêt très relatif porté par les Français à l’Italie. En effet, comme le remarque Gloria Paganini :

« De la contiguïté du français et de l’italien dans la lignée des langues latines émane la perception de l’italien comme langue facile à comprendre […]. »614

Bien des indices convergent pour accréditer l’idée d’un choix motivé en premier lieu par la facilité présumée d’apprentissage de la langue italienne. Les instructions ministérielles adressées aux enseignants d’italien mettent en garde contre une pratique courante qu’il conviendrait d’enrayer :

« Il faut lutter impitoyablement contre l’esprit de paresse qui tend simplement à italianiser un mot français, en l’affublant d’une terminaison différente, à former des pluriels au hasard, à employer des articles en se basant sur le français, en conjuguant les verbes suivant un modèle régulier, etc. »615.

L’idée que la langue italienne ne serait qu’une altération du français est fort répandue. De fait, son apprentissage, considéré comme aisé, s’intègre dans des stratégies scolaires. Ainsi, le choix de l’italien en seconde langue ne réclamerait pas un surcroît de travail considérable et offrirait des garanties de rentabilité dans l’établissement des moyennes trimestrielles ou annuelles. C’est également cette perception qui fait que l’italien est davantage enseigné dans les écoles techniques616

.

Difficile, par ailleurs, de cerner exactement la part tenue par l’attractivité de l’Italie dans le choix de la langue. Certes, la dimension culturelle n’est pas absente, mais la littérature transalpine ne compte que peu de représentants au panthéon des grands auteurs classiques qu’il est bon, pour les esprits éclairés, de lire dans le texte. L’argument paraît donc de peu de

614 G. PAGANINI, op. cit. p. 12.

615 Cité in Langues modernes. Revue et bulletin de l’association des professeurs de langues vivantes de

l’enseignement public, n°4, juillet-août 1964, p. 71.

616 Ministère de l’Éducation nationale, Note d’Information du Service Central des Statistiques et Sondages, n°101, 24 mai 1971, p. 2.

poids. En revanche, l’étonnement est plus grand au regard de l’écart entre la relative faiblesse de l’enseignement de l’italien et la formidable croissance des échanges entre les deux pays, que ce soit du point de vue touristique, comme nous l’avons vu précédemment, ou du point de

vue commercial617

. L’ouverture du Marché commun et le dynamisme de l’économie transalpine placent, en effet, l’Italie parmi les tout premiers partenaires commerciaux de la France. Mais, là encore, l’argument ne paraît pas à même d’inciter les jeunes Français à apprendre la langue de leurs interlocuteurs. À cela au moins deux raisons. D’une part, la connaissance répandue, malgré un mouvement de recul, du français dans la Péninsule, que ce soit dans les milieux économiques, dans les cercles diplomatiques ou dans de larges couches de la population en contact avec les touristes français, n’incite guère aux efforts. D’autant plus que l’anglais s’impose dans toute l’Europe comme la langue des échanges et de la communication. D’autre part, l’enseignement de l’italien souffre incontestablement d’une image décalée de l’Italie. La Revue des professeurs de langues vivantes lance ainsi, en 1962, un véritable plaidoyer en faveur d’une prise en compte des « nouvelles réalités italiennes ». Exposant les lignes directrices de l’essor économique transalpin, l’auteur conclut :

« Voilà des faits, parmi beaucoup d’autres, qu’il est bon, croyons-nous, de porter à la connaissance de nos élèves, de leurs parents, de notre administration et du public en général. Du même coup, l’opinion se persuadera peu à peu que l’intérêt de la langue italienne ne réside pas uniquement dans les richesses de la littérature et dans les inépuisables trésors artistiques auxquels elle donne accès, mais qu’il est aussi dans le domaine des réalités économiques. »618

L’appel, au regard de la place réduite qu’occupe la langue italienne dans l’enseignement, n’a été que peu entendu, tant du côté de l’administration que du côté des élèves et de leurs parents, sans pour autant que cela constitue une barrière infranchissable au

développement des échanges économiques ou culturels et artistiques619

. Dans ce domaine, la conséquence la plus immédiate et la plus pratique de la faible diffusion de la langue italienne se trouve dans la nécessité de recourir à la traduction. La pénétration de la culture italienne en France doit donc passer, pour atteindre un large public, par une médiation linguistique qui n’est pas toujours propice à une bonne compréhension des subtilités idiomatiques, pourtant si révélatrices des modes de pensée et des références culturelles.

617 Sur le développement des échanges commerciaux voir chapitre VI (I) et VIII (II. A).

618 Revue des professeurs de langues vivantes, n°6, novembre-décembre1962, p. 44-47.

619 En ce qui concerne les échanges diplomatiques, l’ambassadeur Armand Bérard relève, en arrivant à Rome, qu’à de rares exceptions près, les agents du ministère des Affaires étrangère ainsi que de nombreux membres du gouvernement italien parlent français de manière parfaite (AMAE, série Z Europe, Italie 1944-1970, vol. 392 : télégramme nos 950-958, Rome, 6 août 1962).

La langue n’est ici qu’accessoirement vecteur d’une culture, tandis que la diffusion des objets culturels ne paraît pas rendre l’idiome attractif. Tout le paradoxe réside donc dans l’intérêt porté à une culture et le désintérêt à l’égard de la langue qui la véhicule.

II. Mots d’Italie : essais et littérature