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1 Stratégie d'annonce

Nous voudrions prolonger cette idée en soulignant que c'est justement dans la première

épître du troisième livre, que l'on peut dater de 471842 , que l'on apprend presque incidemment que

Sidoine est désormais évêque. De fait, c'est avant tout pour remercier son cousin Avitus du don qu'il fit de l'un de ses domaines appelé Cuticiacum, à l'Église de Clermont, que Sidoine évoque la responsabilité qu'il y occupe. Cette mention est on ne peut plus humble et discrète. Après avoir longuement rappelé les raisons de l'amitié qui le lie à Avitus, c'est dans le flot de ses remerciements qu'il va diluer l'information de sa charge épiscopale :

Sed, quod fatendum est, diu erectis utrimque amoris machinis ipse culmina pretiosa posuisti ecclesiam Aruerni municipioli, cui praepositus, etsi immerito, uideor, peropportuna oblatione locupletando …

« Mais il faut reconnaître que tu as toi-même posé un toit précieux sur l'édifice depuis longtemps dressé de notre affection réciproque, par une offrande fort opportune qui vient enrichir l'église de ma petite ville arverne, à la tête de laquelle on me voit préposé, si immérité que cela soit »843 .

Tout se passe comme si Sidoine était aussi étonné d'apprendre cette nouvelle que son lecteur ; on pourrait en effet traduire l'expression employée (ecclesiam cui praepositus … uideor) en conservant le détachement passif de son auteur : « cette Église où je me trouve manifestement préposé », « cette petite Église où il semble que je sois nommé ». Cette présentation est manifestement motivée par un sentiment d'humilité que confirme la construction, toute en prudence et en modestie, de la phrase : le sujet et son attribut sont en effet disjoints, et comme tenus à distance, par l'adverbe immerito, « injustement, de façon imméritée ». C'est là un topos de modestie, dont Sidoine est très coutumier lorsqu'il évoque sa charge, tantôt pour se conformer à l'usage impliquant qu'un clerc nouvellement nommé fasse montre d'humilité, tantôt pour signaler qu'il conserve la conscience impure de ses années passées dans le siècle. Aucune autre formule, et a fortiori aucune annonce officielle ne vient publier la nouvelle ; de la même façon, le carmen ad Faustum évoquant l'indignité ressentie lorsqu'il s'approcha du « seuil de la sainte mère », pourrait constituer aussi une forme d'annonce deminuendo. D'autre part, Sidoine emploie un hapax pour désigner la ville dont il est évêque, municipiolum, terme que l'on peut interpréter de plusieurs

842André Loyen affirme (t. 2, p. 248 ) que la lettre peut être datée « très exactement » à partir de l'évocation des

pourparlers de paix contenue au §4 (en réalité le §5 : « grâce à votre médiation entre la république et les goths »,

uobis inter eos (scil. Gothos) et rempublicam mediis), en 471. L'éditeur renvoie également à sa proposition de

chronologie, ibid., p. XIX : c'est « sans doute » après la première attaque des Goths sur Clermont, au printemps 471, « qu'il convient de placer les ouvertures de paix » d'Avitus, destinataire de la lettre.

manières : soit il s'agit d'un diminutif hypocoristique, par lequel il exprime son affection pour la petite cité arverne ; soit il est employé pour souligner avec humilité que Sidoine n'est chef que d'une petite Église844 ; soit ce terme peut être compris dans son sens littéral, et viserait alors à retranscrire

le caractère étroit, voire limité de cette paroisse. Car Sidoine est vraisemblablement habitué à d'autres dimensions urbaines : né à Lyon et élevé à Arles, habitué des palais romains et visiteurs des églises de la cité éternelle, il est probable que la petite ville de Clermont ne lui paraisse alors qu'un bien maigre lot après sa brillante carrière publique845. Quoique petite sphère culturelle assez

prospère et jouissant de la présence du grammaticus Domitius846 et du rhetor Hesperius847, et dotée,

depuis peu, d'une cathédrale que fit construire son prédécesseur Namatius, la cité n'est sans doute pas à la mesure de ce à quoi Sidoine a été habitué.

Pour obtenir plus explicitement confirmation de son élévation au rang d'évêque, il faut ensuite attendre, dans l'ordre de publication de la correspondance, la lettre 4, 14 à Polemius, datée

de 472848, où l'évêque feint de s'expliquer le silence prolongé du philosophe Polemius, par le dédain

qu'aurait suscité en lui sa professio, comme nous l'avons vu ; ce procès d'intention trahit peut-être un peu de dépit chez l'ancien préfet de la ville qui dut effectivement s'adapter à l' « humilité » de ce nouveau ministère. Il faut d'ailleurs souligner ici qu'il n'a alors jamais été question de Clermont en tant que centre religieux dans sa correspondance, contrairement à Riez ou à Lyon, où l'église cathédrale fondée par Patiens a été évoquée dans la lettre 2, 10. La ciuitas arverne est souvent évoquée à travers ses habitants, et non son église : par exemple, la lettre 3, 2, vraisemblablement composée à l'hiver 473-474 puisqu'elle fait mention du siège de Clermont, remercie Constantius de sa visite et de son soutien à la cité arverne ; nulle mention de la charge - pourtant capitale pour la défense de sa ville, désormais apparentée à la paroisse - qu'occupe alors Sidoine à l’évêché. La lettre suivante vante aussi les exploits d'Ecdicius, qui résista héroïquement à l'ennemi dans les

mêmes circonstances, et offrit un répit aux habitants que Sidoine appelle alors « mes arvernes » 849,

exprimant ainsi le patrocinium dont il les entoure, sans que l'on sache bien si c'est en tant que chef politique ou religieux qu'il s'exprime.

844Prévot 1993a, p. 246.

845Grégoire de Tours, Hist. 2, 21 (MGH srm I, 1, p. 67, l. 3-18), nous apprend qu'Eparchius, prédécesseur de Sidoine à

l’évêché de Clermont, avait d'ailleurs décidé de s'établir dans une annexe de l'église car le terrain adjacent n'était pas suffisamment large pour qu'on puisse y construire la demeure de l'évêque.

846Epist. 2, 2. 847Epist. 2, 10.

848 Cette datation ne souffre pas d'hésitation, puisque Polemius est, d'après le §1, préfet du prétoire depuis deux ans ;

or, il a obtenu ce titre en 470. (Loyen, t. 2, p. 253).

Les solutions de datation de l'accès de Sidoine à sa charge d'évêque oscillent entre 469850 et

471851. Plusieurs commentateurs852 proposent notamment de lire, dans cette accession à l'épiscopat,

la conséquence directe de l'implication de Sidoine dans l'affaire Arvandus : sa vaine tentative d'apporter son secours à son ami reconnu coupable de traîtrise aurait fort bien pu lui attirer l'hostilité des aristocrates romains, et expliquer un retour en Gaule vers 469. Là, l'opportunité se serait immédiatement présentée d'assumer la charge épiscopale vacante de Clermont, « probablement

moins d'un an après », donc vers fin 469 ou début 470853. Jill Harries décèle des similarités entre les

itinéraires publics et cléricaux de Sidoine et de Domnulus, questeur et poète renommé sous Majorien, qui semble s'être tourné, après la chute de ce dernier, vers une vie de piété, au contact des

monastères du Jura854. La lumière peut-elle être faite sur les raisons qui ont poussé Sidoine à devenir

évêque ?