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2 Limites d'un christianisme « de masse » : « non potest integer Christianus

dici »

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Nombreux sont les auteurs qui, entre les IVe et Ve siècles, expriment leur scepticisme vis-à-

vis de foules converties à la hâte et déplorent, chez leurs coreligionnaires, un christianisme de surface, une pratique généralisée de la simulatio. Après les commentaires sur l'hypocrisie chrétienne d'Origène (qui interprète en ce sens le verset « beaucoup d'appelés, peu d'élus » (Mt 22, 14)390,

Eusèbe de Césarée391, Ambroise de Milan392 et Augustin appellent à faire preuve de foi véritable, et

à être chrétien par les œuvres et par les faits (opera, facta, conuersatio), et non seulement chrétien

de nom (nomine)393. Augustin notamment évoque le flou manifeste dans lequel les foules adhèrent

au christianisme, au point de relever que « le monde est tout entier chrétien, et il est tout entier

impie » 394 car « nombreux sont ceux dont la conversion est fausse »395; et les rares vrais chrétiens

389Cette formule est empruntée à un passage du canon 23 du concile de Tours (567) que nous citons et commentons

plus bas.

390Origène, In Matthaeum comm. 27, 24 ; Origène, Hom. Sur Jérémie 4, 3. 391Eusèbe, Vie de Constantin 4, 54, 2.

392Ambroise de Milan, In Ps. 118, 20, 48. 393Par exemple Augustin, In Ioh. Epist., 5, 12.

394Augustin, In epist. Ioh., 4, 4 : Totus mundus christianus est et totus mundus impius.

395Augustin, En. In. ps. 39, 10 : Quanti fideles agglomerantur, quantae turba concurrunt, multi uere conuersi, multi

falso conuersi ; et pauciores sunt uere conuersi, plures falso conuersi ; quia multiplicati sunt super numerum :

« Quels grands rassemblements de fidèles ! Quelles grandes foules réunies ! Nombreux sont ceux dont la conversion est réelle, nombreux sont ceux dont la conversion est fausse. Mais moins nombreux sont ceux dont la conversion est réelle que ceux dont la conversion est fausse, car « ils se sont multipliés au-dessus de tout nombre (Ps. 39, 6) ».

souffrent de leur cohabitation avec la masse qui pratique une religion dévoyée : « Peu nombreux

sont parmi les chrétiens ceux qui vivent bien, nombreux sont ceux qui vivent mal »396 . Vers 413,

l'évêque d'Hippone déplore encore que soient souvent admis au baptême des competentes, des catéchumènes aux piètres qualités morales et aux motivations douteuses :

Certains veulent admettre au bain de la régénération qui se fait dans le Christ Jésus notre Seigneur, tous les candidats, indistinctement, quand bien même l'immoralité et l'indignité de leur conduite, et leurs fautes scandaleuses, seraient tout à fait notoires, qu'ils refuseraient de la changer et déclareraient ouvertement leur intention d'y persévérer.397

Dans une étude qu'il consacre aux « limites d'adhésion au christianisme dans l'Antiquité tardive », Michel-Yves Perrin398 tente d'évaluer la part de réelle conviction spirituelle dans le

processus de conversion massif qui a lieu au cours des IVe et Ve siècles. À l'appui d'un constat

désabusé, que lui inspire une fine remarque de l'Histoire ancienne de l'Église de Louis Duchesne399,

l'auteur ajoute que les sources témoignent en effet d'une forme d'hypocrisie morale dans les milieux nouvellement convertis, et d'une « crise du système de filtrage des adhésions au christianisme et d'inculcation des normes de croyance et de comportement alors jugés chrétiens». Certes, Michel- Yves Perrin convient que la connaissance que nous avons de cet « âge d'hypocrisie », peuplé de conversions intéressées et de comportements pseudo-chrétiens doit beaucoup au témoignage d'Augustin et de quelques auteurs engagés dans des polémiques dont l'enjeu est précisément de lutter contre les mauvais chrétiens ; il souligne l'effet de distorsion de ces sources, qui restent teintées par « une véritable hantise de la dissimulation ou du travestissement qu'il s'agit de démasquer »400. Néanmoins, l'auteur reconnaît que les politiques chrétiennes répressives à l'égard

des païens auront immanquablement généré des formes de résistance païenne, de tiédeur et de syncrétisme. De fait, au tournant du Ve siècle, il paraît très plausible qu'en triomphant ainsi

massivement, le christianisme soit également devenu temporairement moribond : attentif à ce paradoxe, Stéphane Ratti rappelle qu'Augustin se désole à maintes reprises de voir les foules de

396Augustin, Sermones Dolbeau, 4, 8-9, lignes 216-223, p. 520.

397Augustin, De fide 1, 1, CSEL 41 : Quibusdam uidetur indiscrete omnes admittendos esse ad lauacrum

regenerationis, quae est in Christo Iesu Domino nostro, etiamsi malam turpemque uitam facinoribus et flagitiis euidentissimis notam mutare noluerint, atque in ea se perseueraturos aperta etiam professione declarauerint.

398Perrin 2010, p. 48.

399Duchesne 1910, p. V-VI et p. 4-5 : « [Au Ve siècle] tout le monde est chrétien. Tout le monde pourra-t-il l'être

sérieusement ? […] Il s'en fallait grandement que tous les fidèles de l'Église fussent également appliqués à réaliser le programme évangélique. On était loin de la ferveur primitive, de ces petites communautés des anciens temps […]. Maintenant tout le monde était chrétien, ou à peu près ; cela supposait qu'on pouvait l'être à bon compte. […] La masse était chrétienne comme le pouvait être la masse, de surface et d'étiquette ; l'eau du baptême l'avait touchée, l'esprit de l'Évangile ne l'avait pas pénétrée ».

chrétiens récemment convertis, et faiblement convaincus, hésiter entre l'église et le théâtre401 : dans

son public se retrouvent « des païens et surtout une foule de convertis de fraîche date, dont Augustin perçoit parfaitement qu'ils sont des chrétiens très tièdes »402. Jean-Marie Salamito403 présente de

même comme une véritable « crise de croissance » ce moment où le monde est devenu massivement chrétien. En d'autres termes, l'apparition d'une « Église de masse » n'entérine pas une christianisation effective, au sens d'un mouvement global des âmes vers la perfection christique. Il

convient en effet, pour l'authentique chrétien, de se conformer à la vertu exceptionnelle du Christ404

(et des martyrs) ; être « χριστιανός » équivaut, depuis l'apparition du terme par lequel les chrétiens

eux-mêmes se sont désignés405, à suivre de près, sur le plan individuel, l'exemple du Χριστός, Jésus ;

or, tous les visiteurs de l'Église sont manifestement loin d'être animés par cette aspiration, et Pélage

a beau jeu de rappeler la lex perfectionis406 sur laquelle les chrétiens doivent régler leurs vies, afin

de contrer les effets pervers de la massification des fidèles après les temps théodosiens. C'est pourquoi le prédicateur d'Hippone se désole de voir ces masses mal converties peuplées de

chrétiens « incomplets », de mali christiani407. Les choses auront-elles radicalement changé, moins

d'une cinquantaine d'années plus tard, dans les provinces gauloises que fréquentera Sidoine ? Les

« foules perverties qui remplissent corporellement les églises »408, mais dont l'acte de présence n'est

pas assorti de la moralité voulue par le baptême, sont sans doute victimes entre autres de la transition brutale d'un polythéisme essentiellement ritualiste, à un monothéisme authentiquement

« éthique », et qui exige une discipline de soi dont elles n'ont pas encore l'habitude409. Pour sa part,

Sidoine a sans doute expérimenté le même optimisme mesuré face à ces évangélisations pléthoriques mais de peu de valeur, lorsqu'il dut prendre la mesure d'un christianisme sans doute encore superficiel chez ses ouailles. Son honnête témoignage apporte parfois de précieuses nuances au tableau simplifié d'une Gaule convertie. Il est intéressant d'entendre Sidoine comparer, en 473, la ferveur nouvelle des fidèles participant aux Rogations instituées par Mamert de Vienne à celles, exécutées sans enthousiasme, des précédentes prières publiques :

401Ratti 2016b, p. 86, et 282-284. 402Ibid., p. 282.

403J.-M. Salamito 2010, p. 63-67.

404Par exemple Pelage, De uita christiana, 14 : Christianus ille est, qui Christi uiam sequitur, qui Christum in

omnibus imitatur.

405Dans Actes, 11, 26. Elias Bickerman, « The name of Christians », dans Harvard Theological Review, 1949, a mis

en évidence le fait que ce nom a été d'emblée revendiqué comme appellation identitaire par les premiers sectateurs du Christ, et ne leur a pas été imposé de l'extérieur.

406Pélage, Expositio epistulae ad Corinthos prima, 10, 11.

407Augustin, Enarr. in ps. 30, 2, d. 2, 6 : Quis sunt inimici ecclesiae? pagani, iudaei; omnibus peius uiuunt mali

christiani, « Qui sont les ennemis de l'Église ? Les païens, les juifs ? Pires que tous, ce sont les mauvais chrétiens ».

408Augustin, De Catechizandis rudibus, 7, 11 : … quorum peruersae turbae corporaliter implent ecclesias. 409Salamito 2010, p. 66.

Erant quidem prius, quod salua fidei pace sit dictum, uagae tepentes infrequentesque utque sic dixerim oscitabundae supplicationes, quae saepe interpellantum prandiorum obicibus hebetabantur, maxime aut imbres aut serenitatem deprecaturae ; ad quas, ut nil amplius dicam, figulo pariter atque hortuloni non oportuit conuenire.

Sans doute y avait-il auparavant des prières publiques, mais, soit dit sans vouloir offenser la foi, elles étaient inconsistantes, tièdes, peu suivies, et, si je puis dire, pleines de bâillements, elles étaient souvent engourdies par la digestion410 des repas qui les interrompaient, vouées surtout à demander la pluie ou le beau temps ; et pour ne pas en dire plus, il ne pouvait pas paraître avantageux à la fois au potier et au jardinier d'y prendre part411.

Dans cette dernière remarque formulée du bout des lèvres et comme à regret (ut nil amplius dicam), Sidoine révèle la faible implication des orants qui affichent une dévotion superficielle, et motivée par de piètres considérations. L'ennui et l'indifférence des fidèles sont dénoncés avec un certain mépris qui transparaît dans la pointe satirique et presque épigrammatique qui les associe à des potiers et des jardiniers dont les intérêts sont divergents, et qui pratiquent ces supplicationes sans y engager leur âme, tout empêchés qu'ils sont par ailleurs par la torpeur de leurs corps appesantis par le repas. Voilà sans doute une image fugace des ouailles que Sidoine eut à éduquer à la foi, après avoir dû lui-même s'y former. Il n'est d'ailleurs qu'à lire les Sermons au peuple de Césaire d'Arles pour se convaincre que les chrétiens récemment convertis en Gaule demeuraient très perfectibles : le sermon leur présentant quales sint christiani boni, et quales mali définit les bons et

les mauvais comportements des fidèles412.

Or, même dans les rangs de l'Église, il convient de corriger les mauvais chrétiens : quelques passages de Sidoine nous font connaître des exemples d'un clergé corrompu. Tout d'abord, une phrase chargée de sous-entendus se situe à la fin d'une lettre d'éloge de son ami Vectius :

[…] ad [uitam Vectii] sequendam praeter habitum, quo interim praesenti saeculo imponitur, omnes nostrae professionis homines utilissime incitarentur, quia, quod pace ordinis mei dixerim, si

410Nous comprenons ainsi les prandiorum obicibus, c'est-à-dire « les gênes des repas », qui semblent faire référence

aux somnolences consécutives à la digestion, comme nous invitent à l'interpréter aussi la mention des bâillements, et l'usage du verbe hebeto, qui suggère un état de torpeur et d'affaiblissement physique. André Loyen (t. 2, p. 196), traduisait de façon plus neutre «souvent troublées par la gêne de repas qui venaient les interrompre ».

411Epist. 5, 14, 2.

412Césaire d'Arles, Sermon 2, 16, et notamment paragraphe 3 : « Peut-il en effet se dire chrétien, celui qui vient à

peine, de temps en temps, à l'église et qui, une fois venu, ne se tient pas debout à prier pour ses péchés, mais y plaide des causes ou y excite querelles et bagarres ; qui, si l'occasion se présente, boit jusqu'à en vomir et, après s'être enivré, se met comme un possédé et un fou à danser comme un diable, à faire des pantomimes, à chanter des chansons grossières, libertines et impudiques ?

tantum bona singula in singulis erunt, plus ego admiror sacerdotalem uirum quam sacerdotem.

« Tous les hommes de notre profession seraient très utilement incités à suivre l'exemple (scil. de la vie de Vectius) plutôt que de s'en tenir à l'habit, grâce auquel on donne parfois le change aujourd'hui aux gens qui vivent dans le siècle413 car, soit dit sans offenser mon ordre, s'il m'arrive de rencontrer chez un individu toutes ces qualités à un tel degré, j'admire414 davantage un homme qui vit comme un prêtre que le prêtre lui-même ».415

Ce passage implique que non seulement le nom de prêtre ne garantit en rien le respect de la moralité chrétienne, mais encore que certains clercs sont susceptibles d'abuser du prestige de la charge dont ils sont revêtus. Sidoine évoque d'autre part singulièrement un lecteur (lector)416 du

nom d'Amantius417, personnage qui prouve, par l'exemple, que les rangs du clergé, fût-ce du clergé

mineur, étaient ouverts à des individus de moralité douteuse. Cette fonction n'exigeait pas de rester célibataire (exigence qui n'incombait qu'aux membres qui se destinaient à la vie religieuse à partir du sous-diaconat), mais impliquait néanmoins de respecter les vertus de caritas et d'humilitas. Or, le lecteur de Sidoine, Amantius, n'est précisément pas un exemple de sainteté : Sidoine rapporte l'histoire rocambolesque de ce jeune paroissien parjure, qui trompe son épouse et sa belle-famille en

faisant mine d'être grand propriétaire pour s'enrichir418, sans craindre le mensonge au sein du lien

sacré du mariage. Il faut souligner que Sidoine ne semble guère s'en émouvoir ; il est plutôt étonnant qu'il lui renouvelle sa confiance en tant que porteur de sa lettre 7, 2 après la trahison dont Amantius s'est rendu coupable envers sa belle-famille et ses mensonges envers l'évêque, dans le

temps qui s'est écoulé entre une première lettre de recommandation en sa faveur (6, 8)419 et cette

missive, qui détaille complaisamment à l'évêque Graecius de Marseille les fourbes manoeuvres du jeune lector et callidus uiator420.

413Nous conservons ici la traduction d'André Loyen (t. 2, p. 132), qui comprend certes de façon peut-être légèrement

excessive la relative quo interim praesenti saeculo imponitur qui pourrait signifier plus simplement « dont on est parfois revêtu dans le siècle présent ». Toutefois, comme le sens de sa version nous semble cohérent avec l'idée sous- entendue par Sidoine (impono peut effectivement signifier « en imposer, tromper ») nous prenons le parti de garder cette interprétation plus caustique.

414Et non « j'admirerai » comme le traduit André Loyen (ibid.). 415Epist. 4, 9, 5.

416Le lectorat constitue visiblement pour Sidoine la première fonction ecclésiastique dans l'ordre hiérarchique ;

ouverte aux jeunes garçons à partir de 10 ans, cette charge consistait, pour ce minister altaris […] ab infantia, « serviteur de l'autel depuis l'enfance » comme le définit Sidoine (Epist. 4, 25, 4), en lectures et en chants durant l'office ; le lecteur Amantius fait également office de tabellarius ou « porteur de courrier » d'après la lettre 7, 2, 2.

417Évoqué dans les lettres 6, 8 et surtout 7, 2. 418Harries 1994, p. 214-215.

419Comme s'en étonne aussi Van Waarden 2010, p. 141 ; on est aussi perplexe de voir Sidoine recommander à un

collègue un de ses paroissiens, alors qu'il le connaît si mal, comme Mathisen 2003, p. 52 ; sa profession de mercator le rendait par ailleurs d'autant plus suspect en raison de la réputation de malhonnêteté attachée aux marchands : cf. Van Waarden 2010, p. 144.

Un autre exemple prouve l'existence de clercs dévoyés, oublieux de leur sacerdoce, voire abusant de l'autorité que leur confère leur habit. Sidoine évoque en effet les manipulations condamnables d'Agrippinus, qui embrasse la carrière ecclésiastique à la même époque que l'évêque clermontois. Ce prêtre entre en conflit avec la très pieuse veuve Eutropia mentionnée plus haut, qui vient de perdre son petit-fils et son fils, qui était marié précisément à la fille d'Agrippinus. Ce dernier intente alors un procès à la malheureuse mère endeuillée, afin d'assurer à sa fille une part de l'héritage du défunt :

Igitur praefata uenerabilis fratris mei nunc iam prebyteri Agrippini, ne iniuriosum sit dixisse nequitiis, certe fatigatur argutiis ; qui abutens inbecillitate matronae non desistit spiritalis animae serenitatem saecularium uersutiarum flatibus turbidare ; cui filii nec post multo nepotis amissi duae pariter plagae recentes ad diuturni uiduuii uulnus adduntur.

« Ainsi donc, si vénérable qu'elle soit, [Eutropia] est en butte, je ne dis pas aux fourbes manœuvres (ce qui serait une injure) mais du moins aux arguties de mon frère Agrippinus, devenu prêtre depuis peu : ce dernier, abusant de la faiblesse de cette femme, ne cesse de troubler la sérénité de son âme éprise de spiritualité du souffle des astuces en usage dans le siècle, alors que la perte d'un fils et peu après d'un petit-fils ont récemment ajouté deux coups également cruels à la blessure ancienne de son veuvage. »421

On voit que Sidoine formule prudemment sa réprobation à l'égard d'Agrippinus, dont il condamne tout de même assez clairement la cruauté, en même temps que l'esprit procédurier. Soulignons qu'à cette époque, il est demandé aux clercs de ne pas intenter d'action en justice, et les canons conciliaires insistent sur la nécessité qui leur est faite de ne pas se mêler d'affaire matérielles et judiciaires, a fortiori en engageant des poursuites devant un tribunal traditionnel422. Ainsi, ce

prêtre Agrippinus est doublement en faute, vis-à-vis de la loi canonique comme de la morale religieuse qui exigerait un peu de charité en cette circonstance si funeste.

Bien d'autres textes contemporains de Sidoine nourrissent le dossier des mali christiani, coutumiers des mauvais usages et des mauvais comportements que Lisa K. Bailey étudie brièvement dans sa récente étude423. La littérature conciliaire, notamment, fournit à cet égard des

Cf. Van Waarden 2010 p. 143.

421Epist. 6, 2, 2

422Voir, par exemple, le canon 30 des Statuta Ecclesiae Antiqua : Catholicus qui causam suam siue iustam siue

iniustam ad iudicium alterius fidei iudicis prouocat excommunicetur, « le catholique qui défère sa cause, qu'elle soit

juste ou injuste, au jugement d'un juge d'une autre foi, qu'il soit excommunié ».

423Bailey 2016, p. 128-137. Parmi ces comportements répréhensibles, souvent rapportés par Grégoire de Tours, citons

le travail le dimanche, les chants bruyants, les danses lascives au son de la cithare, les scènes d'ivresse, le détournement de la vaisselle liturgique pour un bain de pieds...

preuves substantielles. Le concile de Nîmes424, en 396, met en garde contre la « religion simulée »

(speciae simulatae religionis) de « beaucoup d'individus venus des coins les plus reculés de

l'Orient » (multi de ultimis Orientis partibus uenientis)425. Des fausses lettres de communion ou de

communication, employées par les évêques pour authentifier le chrétien qui en bénéficiait auprès d'un collègue d'un autre diocèse, ou de fausses lettres de « confesseurs » vouées à attester de la solidité de la foi du bénéficiaire dans les persécutions étaient en effet parfois contrefaites à des fins

frauduleuses, par exemple pour extorquer l'argent de l'aumône426. Divers autres canons gaulois, qu'il

serait fastidieux de citer dans leur ensemble, font, pour le corriger, le portrait implicite d'un clergé corrompu de toute part : paresse et négligences durant les offices, abandon de charge, rébellion face à l'autorité du tribunal épiscopal, ivrognerie, pratique de l'usure, rupture du vœu de continence

comptent parmi les plus importants péchés réprimandés427. Une génération après Sidoine, sans

compter deux prêtres ariens à la moralité plus que douteuse, et désireux de remplacer l'évêque de Clermont après sa mort428, évoquons un instant l'inconduite des fils de Ruricius, Eparchius429 et

Ommatius430, ordonnés clercs à Clermont dans les années 480. D'après la lettre que son père adresse

à Aprunculus, successeur de Sidoine à l’évêché de Clermont jusqu'en 490, Eparchius est coupable de graves manquements, qui ne sont pas clairement spécifiés mais qui pourraient nécessiter un châtiment public et pour lesquels Ruricius se voit obligé d'intercéder officiellement auprès de son collègue :

Filii nostri Ommatius et Eparchius ad me litteras plenas lacrimis et deploratione miserunt, specialiter deprecantes ut apud sanctitatem uestram pro ignorantia ipsius filii nostri Eparchii intercessor existerem, confidentes quod pro amore mutuo nihil nobis negare deberetis. Idemque presbyterum nostrum Eusebiolum ad pietatem uestram in hac causa direxi. Per quem saluto plurimum, et rogo ut praefato, sicut decet, sufficienter admonito, indulgentiam errori illius dare pro nostra supplicatione dignemini, quia, sicut in defensione peccati stulte atque infideliter perduranti culpa, donec agnoscat reatum non debet relaxari, ita agnitio peccati debet conferre ueniam confitenti. Remedium est enim mali confessio non simulata delicti, nec ultioni publicae relinquitur locus, ubi reus conscientia torquente punitur.

Nos fils Ommatius et Eparchius m'ont envoyé une lettre pleine de larmes et de pleurs, pour

424Conc. Nemausense a. 396, c. 1, dans Conciles gaulois du IVe siècle, p. 126-127.

425C'est-à-dire les « manichéens », comme l'indique Jean Gaudemet dans Conciles Gaulois du IVe siècle, n. 3, p. 126.