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III L'Église et l'État

L'édit de Thessalonique publié par Théodose en 380, et ses mesures autoritaires prises dans les années 390 contre les foyers de résistance païenne, constituent le cadre législatif dans lequel peut s'accomplir la christianisation administrative des Gaules. La participation aléatoire des successeurs de Théodose à la législation religieuse, leur positionnement personnel relatif à la foi catholique, voire leur politique de tolérance religieuse, sont autant de données que l'on peut examiner avec profit pour tâcher de comprendre comment l'empire d'Occident, et plus

singulièrement les provinces gauloises, est encouragé ou non à se convertir au Ve siècle.

L'empire dans lequel évoluent Sidoine et les membres de son réseau demeure un état légalement multiconfessionnel, où se côtoient juifs, ariens et catholiques, mais au sein duquel l'administration et la législation tendent tout de même à valoriser de façon croissante la uera fides

catholique. Depuis le IVe siècle, les empereurs sont responsables et dépositaires du fonctionnement

de la religion chrétienne, et ainsi garants de l'orthodoxie185 : ils interviennent, par voie législative,

pour réguler et protéger la fides catholica, en isolant les « ennemis de l'Église » que sont les hérétiques, les apostats, les magiciens et les païens, dont les droit civiques se trouvent amoindris au fil du temps. Le volet «chrétien» de la loi impériale promulguée par le Code Théodosien prévoit notamment l'éviction de l'administration de tout individu non-chrétien, et plus singulièrement des

païens186 : l'on peut dire, avec Ramsay Mac Mullen, que vers 450, « le système juridique devint un

instrument de persécution à part entière »187. Par ailleurs, depuis le règne de Constantin, c'est

l'empereur qui convoque les conciles dont il confirme les décisions, imposant un « formulaire de foi » et transformant « le dogme en un article d'obéissance civique », comme l'avait déjà bien résumé Camille Jullian188 . En outre, Constantin reconnaît officiellement la valeur de l'audientia

episcopalis, pratique par laquelle les évêques se voient intégrés à l'administration judiciaire de l'empire pour régler des litiges individuels ; depuis Théodose, qui fit clairement allégeance à Ambroise après le massacre de Thessalonique en 390, les empereurs semblent encore davantage

185Dans son récent ouvrage consacré aux « mondes religieux du laïcat dans la Gaule de l'antiquité tardive », Lisa

Bailey (Bailey 2016, p. 2-3) estime que les empereurs ne jouent pourtant pas de rôle déterminant vis-à-vis des pratiques religieuses, dont la direction échoit plutôt aux autorités chrétiennes locales (faute d'autorité centrale) ; l'auteur reconnaît toutefois que l'avis impérial put contribuer à infléchir ou à consolider les versions de l'orthodoxie. Soulignons d'ailleurs que Dovere 2008 a mis en évidence le fait que certaines lois du Code Théodosien étaient fondées sur les décisions conciliaires.

186C. Th. 16, 10, 21 (décret de 415) ; de même dans la 6e Constitution sirmondienne (Sirm. 6 ) de 425) . Le décret du

CI 1, 4, 15 stipule, en 468, que les païens n'ont plus le droit d'exercer le droit.

187Mac Mullen 2011, p. 53. 188Jullian 1920, vol. 2, p. 513.

subordonnés à l'autorité religieuse189, subissant parfois l'influence des évêques des provinces, avec

qui ils entretiennent des échanges épistolaires, ou qu'ils rencontrent lors de conseils provinciaux ou oecuméniques : les deux instances gouvernent, pour ainsi dire, main dans la main190 . Toutefois,

nonobstant l'influence ponctuelle émanant d'autorités locales, les princes légiféraient aussi de façon relativement autocratique en matière religieuse, et c'est pourquoi il paraît opportun de rechercher quelle politique les empereurs d'Occident contemporains de Sidoine ont pu chercher à mener. Nous tâcherons d'apporter ici quelques informations relatives aux relations que purent entretenir les empereurs du temps de Sidoine avec l'Église, en concentrant notre propos sur ceux qui furent actifs en même temps que lui, et qu'il connaît de près ou de loin, parce qu'il les mentionne dans ses œuvres, ou les côtoie directement. C'est d'ailleurs la relative proximité qu'entretient notre auteur avec ces principes qui légitime cette démarche : les empereurs ont en effet pu infléchir de façon plus ou moins sensible la façon dont Sidoine se sentait autorisé à manifester sa religion ou, au contraire, à avoir davantage recours à des références et des pratiques profanes, voire païennes, que d'autres empereurs très chrétiens auraient jugées inappropriées .

Il demeure néanmoins difficile d'établir des certitudes relatives à la politique religieuse des empereurs contemporains de Sidoine ; notre méconnaissance concerne a fortiori les dispositions dans lesquelles se trouvaient, privément, ces principes occidentaux à l'égard de l'Église, et quelles étaient leurs croyances personnelles. En ces temps troubles qui amorcent la fin de l'empire et où l'attention est absorbée par les menaces extérieures, ces questions restent souvent secondaires, voire inexistantes, dans les sources. Quelques faits peuvent néanmoins être rappelés pour plaider l'idée que, même si la défense du christianisme était de préférence échue aux autorités religieuses, les empereurs de l'Ouest avaient un rôle important à jouer en matière de lutte contre les hérésies et le paganisme191, et de consolidation du culte. Du reste, le soutien de l'Église, dont l'influence va

croissant puisqu'elle représente une force stable dans un empire déliquescent, pouvait consolider, ou au contraire compromettre la légitimité de l'empereur régnant192 ; même si les empereurs ne se

mêlent pas spécifiquement de doctrine, ils concourent à unifier les pratiques en luttant contre les hérésies, car l'unité de l'Église pouvait être conçue comme un facteur stabilisant pour celle de

189Piganiol 1972, p. 408-409.

190Mac Mullen 2011, p. 40 : les évêques tiennent lieu d' « yeux » et d' « oreilles » aux empereurs. De même, p. 33, en

s'appuyant sur une loi postérieure à 472 du CI 1, 11, 9 et 1, 18, l'auteur souligne que « les évêques furent souvent invités à se faire informateurs et espions pour rapporter à l'empereur comment ses fonctionnaires appliquaient les lois définissant la bonne religion ». Le décret du Code Justinien, bien que promulgué à Constantinople, entérine vraisemblablement une pratique exigible dans d'autres régions de l'empire.

191À propos de la législation impériale contre le paganisme, voir par exemple Magnou-Nortier 2002, p. 37-39, et

Maraval 1997, p. 38-50. Nous y ferons également référence plus loin.

l'Empire193. Notamment, tout le livre 16 du Code théodosien194, dont empereurs et consuls en

exercices sont les signataires, consiste en une somme de lois condamnant ces pratiques concurrentes du christianisme, au bénéfice de ce dernier : promulgateur incontournable d'une grande partie de ces lois publiée dans le Code Théodosien en 438, Valentinien III, empereur d'Occident au temps où Sidoine naquit et durant les vingt premières années de son existence, joua un rôle déterminant en matière religieuse en faisant publier un nombre considérable de décrets favorables à l'Église195,

contre les hérésies196, les apostats197, les rites divinatoires, les superstitions et usages païens198, et

pour défendre une pratique réglementée de la religion chrétienne.

Certes, Valentinien III était le petit-fils du très chrétien Théodose Ier, dont il ressuscita la

politique de persécution religieuse ; une ascendance prestigieuse dont ne pouvaient se prévaloir les autres principaux empereurs du temps de Sidoine, Eparchus Avitus, Majorien, Libius Severus et Anthémius. Ainsi, dans un empire christianisé depuis plusieurs dizaines d'années, si les empereurs que connaît ou que côtoie Sidoine sont bel et bien dépositaires d'une autorité religieuse, nous constaterons que la façon dont ils l'exercent diffère sensiblement de l'un à l'autre. Dans la mesure d'ailleurs où Sidoine se fait l'apologiste de trois des quatre empereurs mentionnés ci-dessus en composant leurs panégyriques, il paraît également pertinent de rechercher si, dans le corpus des carmina maiora, Sidoine nous renseigne sur l'attitude religieuse de ces empereurs, qu'il connaît et qu'il côtoie. Qui plus est, le genre du panégyrique, qui doit en toute logique évoquer les qualités du prince, pourrait se prêter à d'éventuels développements sur la pietas de l'empereur. Voyons donc quelles marques les empereurs contemporains de Sidoine ont été susceptibles d'imprimer aux pratiques religieuses des provinces occidentales, et quelles informations leur panégyriste nous

transmet éventuellement sur la religiosité des empereurs de la seconde moitié du Ve siècle.

193Magnou-Nortier 2002, p. 33.

194À ce sujet, voir notamment Guinot et Richard 2008 et Rahner 1964, p. 146. Magnou-Nortier 2002, p. 21, relaye

l'analyse de De Giovanni 1980, pour qui le Code Théodosien a pour but de réaliser l'unité de la religion officielle par l'intermédiaire du pouvoir impérial.

195C. Th 16, 2, 46 et 2, 47.

196C. Th 16, 5, 62. Cette loi interdit de droit de cité tout individu hérétique et prévoit son exil au delà de 147 km de

Rome : mais est-ce à dire qu'ils pouvaient ainsi s'établir dans d'autres provinces, et notamment en Gaule ? De même dans C. Th. 16, 5, 63 ; 5, 64 ; 5, 65 ; 5, 66. Cet ensemble de décrets liste et condamne toutes les sectes hérétiques honnies dans l'empire.

197C. Th 16, 7, 6 et 7, 7.

198C. Th 16, 10, 25. Magnou-Nortier 2002 p. 39 perçoit toutefois une tolérance de l'appareil législatif impérial à

l'égard des manifestations de l'ancien culte, moins virulent avec les païens qui garantissent de fait une forme de continuité et de cohésion dans l'empire, qu'envers les schismatiques et les hérétiques, facteurs de désordre.

1.

Avitus (455-456)

En 455, Eparchus Avitus199, beau-père de Sidoine qui n'a alors qu'une vingtaine d'années,

usurpe très brièvement le pouvoir impérial, au nom des victoires que le comte Ricimer a remportées en son nom. Soutenu par le roi wisigoth mais impopulaire à Rome, tant aux yeux du peuple que du Sénat et de l'armée qui semblent l'accepter comme un pis-aller, il n'est pas reconnu en Orient : les sources orientales ne le citent même pas ; le comte Marcellinus n'y fait pas allusion, alors qu'il

mentionne, pour la même année en Gaule, les publications d'Eucher de Lyon200, qui ont donc à ses

yeux vraisemblablement plus de notoriété que la nomination (certes usurpée) d'un empereur. Il faut dire toutefois que, après un court règne et une rapide éviction du pouvoir par son successeur qui le défit à Plaisance en octobre 456, cet empereur fut vraisemblablement frappé de damnatio memoriae201. La stricte question de sa politique religieuse n'est pas abordée dans les sources, mais

sa participation au culte chrétien est évoquée à plusieurs reprises, dans des textes par ailleurs sujets à caution.

D'une part, alors qu'Avitus est très rapidement supplanté par Majorien, qui le défait en 456 à Plaisance, plusieurs sources largement postérieures, nous apprennent, à l'instar du continuateur de Prosper d'Aquitaine, qu'il est « passé du statut d'empereur à celui d'évêque » par l'action Eusèbe de

Milan202 ; probablement est-ce même précisément de cette ville de Plaisance qu'il devient évêque,

selon d'autres sources, sur l'initiative du patrice Ricimer203. Cette décision est tout de même

présentée par Grégoire de Tours comme une forme de « promotion-sanction », prise afin de proposer une alternative consolante à ses aspirations au pouvoir, ou bien de punir – c'est plus probable - son excessive ambition : cum Romanum ambisset imperium, luxoriose agere uolens, a

199À propos des hauts faits de l'empereur ayant précédé sa prise de fonction aux côtés d'Aétius et du soutien qu'il reçut

de la part des Goths au moment de monter sur le trône, cf. Harries 1994, p. 54-81 (« Avitus and the Goths ») et Mathisen 1979. À propos des origines d'Avitus, de son cursus honorum et de la fin de son principat, cf. Henning 1999, p. 32-36 et passim.

200Marcellinus Comes, chron., p. 86, ad ann. 456, 2 : Eucherius Lugdunensis ecclesiae pontifex multa scripsit tam

ecclesiasticis quam monasticis studiis necessaria, « Eucher, pontife de l’Église de Lyon, écrivit de nombreuses

choses indispensables, tant ecclésiastiques que monastiques ».

201Le nom d'Avitus est martelé sur CIL VI, 32005 = AE 1996, 99. Voir Delmaire 2003, p. 309 et Henning 1999, n. 72,

p. 130.

202Auctuarium Prosperi, s. a. 456. Commisso proelio Auitus cum magna suorum caede terga uertit, quem uitae

reseruatum Eusebius episcopus ex imperatore episcopum facit :« après avoir rejoint la bataille, Avitus prit la fuite,

après avoir subi un grand massacre de ses hommes. L'évêque Eusèbe le fit évêque, d'empereur qu'il était, lui épargnant ainsi la vie ».

203Victor de Tununna (VIe siècle), chron. s. a. 456, p. 186 : Ricimirus patricius Auitum superat, cuius innocentiae

parcens Placentiae ciuitatis episcopum facit, « Le patrice Ricimer vainquit Avitus, dont il épargna l'innocence, et

qu'il fit évêque de la ville de Plaisance ». De même chez Marius d'Avenches, chron. s. a. 456 : (…) deiectus est

Auitus Imperator a Maioriano et Ricimere Placentia; et factus est Episcopus in ciuitate :(...) l’empereur Avitus est

démis par Majorien et Ricimer à Plaisance et il est nommé évêque de cette cité. Cf. aussi n. suivante et Henning 1999, n. 48, p. 35-36.

senatoribus proiectus, apud Placentiam urbem episcopus ordinatur, « Comme (Avitus) avait ambitionné l'Empire romain, voulant mener une vie fastueuse, il fut déposé par les sénateurs. Il est ordonné évêque dans la ville de Plaisance »204 . Une telle mesure punitive, déguisée sous une

apparence de promotion, ne fut jamais prise auparavant205 – et il conviendra peut-être de conserver

cet exemple à l'esprit lorsque nous examinerons les conditions dans lesquelles Sidoine lui-même accédera à l'épiscopat. Néanmoins, pour Jordanès, qui présente les faits de façon déstructurée puisqu'il ne mentionne pas Avitus au lieu où il devrait être cité, c'est-à-dire entre Maxime et Majorien (Get. 235-236), la consécration d'Avitus n'a pas de rapport avec sa défaite : nam hic, ante Olybrium paucos dies tenens imperium, ultro secessit Placentia, ibique episcopus est ordinatus, « (Avitus), ayant gouverné l'empire quelques jours avant Olybrius, se retira de lui-même à

Plaisance, où il fut ordonné évêque »206. Si d'ailleurs cette nomination épiscopale a bien lieu, elle ne

semble pas avoir agréé longtemps aux Romains, qui réclamèrent la tête de ce Gaulois qui osa prétendre leur commander – ce, au témoignage toutefois du seul Grégoire de Tours, qu'il faut sans doute examiner avec précaution. Selon lui, Avitus, se sachant menacé par le Sénat, prit la fuite et se réfugia, pour y porter des présents, à la basilique du martyr saint Julien à Brioude. Mort en cours de route, il aurait ensuite été enseveli ad sanctum dans cette même basilique : « Ayant découvert que le Sénat, qui lui était encore hostile, voulait attenter à sa vie, il se rendit à la basilique de Saint- Julien d'Auvergne martyr avec de nombreux présents ; mais le cours de sa vie s'étant achevé pendant le voyage, il expira et fut transporté au village de Brioude où il fut enseveli aux pieds dudit martyr »207.

Les chercheurs soulignent que cette version des faits, qu'aucune autre source ne corrobore,

n'est pas très crédible208, d'autant plus que la basilique que mentionne Grégoire de Tours n'est pas

encore élevée à ce moment-là : il n'existe alors que la cellula construite à la fin du IVe siècle209.

Brigitte Beaujard estime surtout que le fait qu'Avitus ait possiblement cherché refuge en Auvergne n'est pas forcément à mettre au compte de sa piété : il est plausible qu'il ait avant tout cherché à retrouver sa patrie210. Il faut souligner ici que Sidoine ne fait absolument pas mention de ces

204Grégoire de Tours, Hist., 2, 11, 18-19 (MGH srm 1, p. 179)

205Glycère sera le deuxième empereur à être nommé ainsi évêque, en 474, à Salone, sur la côte illyrienne ( Marcellinus

comes, chron., 2, p. 91, a. 474, 2).

206Jordanès, Get., 45, 240.

207Grégoire de Tours., Hist. 2, 11, 18-19 : Auitus enim unus ex senatoribus et - ualde manefestum est - ciuis Aruernus,

cum Romanum ambisset imperium, luxoriosae agere uolens, a senatoribus proiectus, apud Placentiam urbem episcopus ordenatur. Conperto autem, quod adhuc indignans senatus uita eum priuari uellit, basilica sancti Iuliani Aruerni martyres cum multis muneribus expetiuit. Sed impleto in itenere uitae cursu, obiit, delatusque ad Briuatinsem uicum, ad pedes antedicti martyres est sepultus.

208Henning 1999, n. 48, p. 36 et Demandt 1989, p. 171.

209Prévot et Roberge 2007, p. 114, et Vivier 2014, p. 116 et 688. 210Beaujard 2000, p. 118.

événements, et qu'il ne parle pas d'Avitus lorsqu'il évoque le tombeau du martyr Julien – même s'il

est bien possible, comme le propose Ralph Mathisen211, qu'Avitus ait fait l'objet, dans les œuvres de

Sidoine consécutives à son allégeance à Majorien en 457, d'une sorte de damnatio memoriae littéraire après sa chute, pour complaire à son successeur. Toutefois, il paraît un peu audacieux de vouloir lire, comme le propose encore Ralph Mathisen soucieux de déceler les éventuelles traces de mentions d'Avitus dans les écrits de Sidoine, une allusion lointaine à son beau-père dans le pluriel

« mortuis »212 dans le dernier poème des carmina minora, où la tombe de saint Julien est

effectivement évoquée. Sidoine commente ainsi, dans le propempticon ad librum, l'une des étapes de l'itinéraire de son recueil de carmina :

16 Hinc te suscipiet benigna Briuas, sancti quae fouet ossa Iuliani, quae dum mortua mortuis putantur, uiuens e tumulo micat potestas.

Là, c'est l'aimable Brioude qui te recevra, elle qui veille sur les ossements de saint Julien ; alors qu'ils sont tenus pour morts par les mortels, leur force vivante rayonne depuis la tombe.213

Il paraît difficile d'expliquer ici une allusion cryptée à Avitus dans ces « morts » qui tiennent pour morts les ossements de Julien : s'il est chrétien et inhumé ad sanctum, on ne voit pas pourquoi le défunt Avitus défendrait une telle opinion. Nous estimons donc qu'il n'y a pas ici de référence voilée à la prétendue inhumation d'Avitus autour de la tombe de saint Julien. Il nous paraît du reste encore moins probable que la lettre 4, 6, 2, qui évoque un pèlerinage des oncles de Sidoine sans préciser son objet ni sa destination, contienne une mention subliminale d'un éventuel « martyre »

d'Avitus : nous ne voyons rien de probant dans la proposition de Ralph Mathisen214 de vouloir lire,

dans la formule pro martyre martyrium, « une sorte de martyre en l'honneur du martyr »215, une

allusion au sort qui fut peut-être - mais aucun autre auteur que Grégoire de Tours n'évoque cet événement - réservé à l'empereur défait, et qui aurait cherché refuge auprès de la basilique de Saint Julien. Force est de le constater : il n'y a aucune allusion, dans l’œuvre de notre auteur, à une éventuelle inhumation d'Avitus auprès du martyr Julien. Par ailleurs, Grégoire de Tours, dont les propos doivent aussi être lus avec prudence, souligne une certaine ambiguïté chez cet homme devenu tardivement évêque : d'un côté, il eut un comportement condamnable, menant une vie de

211Mathisen 1979, p. 165-166. Voir aussi, plus loin, le développement consacré aux « silences » de Sidoine. 212Mathisen 1979, p. 167 : « one of the mortui, of course, would have been Avitus ».

213Carm. 24, v. 16-19. 214Id., ibid.

215Epist. 4, 6, 2 : laetaturae fuerint quoddam se pro martyre tolerasse martyrium, « elles se seraient réjouies d'avoir à

endurer une sorte de martyre en l'honneur du martyr ». Il est ici question des femmes qui, désireuses d'accompagner le convoi du pèlerinage, se seraient ainsi exposées à des dangers, en ces temps risqués. On ne voit ici aucune allusion à l'hypothétique « martyre » d'Avitus.

luxure fort peu appropriée à la retenue chrétienne ; de l'autre, c'est dans la basilique d'un saint local qu'il chercha refuge et protection, chargé de nombreuses offrandes. Il est possible, comme le suggère Dirk Henning, qu'Avitus ait fui Plaisance pour gagner Clermont afin de chercher un soutien qu'était davantage susceptible de lui offrir le clergé gaulois que l'italien ; la famille des Auiti-Magni, à laquelle appartient Avitus, entretient par ailleurs d'étroites relations avec l'Église à partir de la seconde moitié du Ve siècle216.

Un nouvel élément fut versé au dossier en 1994, par une autre étude de Ralph Mathisen217

qui fit d'Avitus le dédicataire de l'ouvrage d'un évêque espagnol du nom d'Agrestius, une sorte de

lettre intitulée De fide218. Dans ce discours, Agrestius, identifié par Mathisen à Agrestius de Lugo219,

se fait fort de défendre son orthodoxie, lors de sa venue en Gaule, afin de se défendre d'accusations diverses touchant à son credo et à ses pratiques. Or, c'est en effet à un certain illustris Avitus220,

ainsi qu'à un groupe de chrétiens celebres qu'est dédié ce texte ; mais on ne peut admettre de façon certaine l'identification de cet Avitus avec l'empereur. Par une habile démonstration, Ralph Mathisen voudrait en effet rapprocher les deux Avitus en raison de la possible concomitance de leur existence, et de la désignation d'Avitus en terme d'inlustris, qui serait cohérente avec le statut de