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4 Le graeculus Anthémius (467-472)

Anthémius, nommé augustus par le sénat en avril 467, a laissé dans l'historiographie l'image d'un empereur religieusement conciliant, certes respectueux de l'orthodoxie chrétienne, mais également fort tolérant envers les païens et les hérétiques264, voire « assez favorable à la religion

traditionnelle pour être passé lui-même, au IXe siècle, pour un païen265 » ; ses manifestations de

soutien à l'égard d'un paganisme survivant, voire en regain d'activité sous l'impulsion personnelle de l'empereur expliquent, pour une part (en plus de ses échecs militaires), l'hostilité qu'il inspira en Italie, très peu de temps après sa prise de fonction ; son attitude très ambiguë vis-à-vis du culte traditionnel nous est suggérée par une accumulation d'indices.

Le chroniqueur Théophane présente tout d'abord Anthémius comme un homme très

chrétien266 : il aurait bel et bien fait bâtir, entre 450 et 457, une église à Constantinople, dédiée à

Saint Thomas267. Jean Malalas nous apprend qu'à deux reprises, lorsqu'il chercha à se protéger

contre les assauts des partisans de Ricimer, c'est vraisemblablement dans la basilique Saint-Pierre

257Nou. Seu. I, 1 de 463.

258Voir ci-dessus : n. 91 à propos de la Nou. Maj. 6. 259Fréquenté par Sidoine à Rome, d'après epist. 1, 9, 2.

260Dont les déboires (il est convaincu de crime de lèse-majesté) sont relatés dans epist. 1, 7. 261Carm. 2, 317-8.

262Virgile, Enéide. 7, 211 : Accipit et numerum diuorum altaribus auget.

263 Ennode, Vita Epiphani. 54 (MGH aa 7, p. 91). Cf. le texte et la traduction du passage infra. 264 Roberto 2015, n. 29, p. 351.

265 Sotinel 1998, p. 283.

266Théophane, Chronographia, 5957 et 5964 (CSHB 23, 1 p. 177).

du Vatican qu'Anthemius trouva refuge, feignant d'être malade268. C'est dans cette même basilique

qu'il avait cherché aussi à se réfugier lorsqu'il fut exécuté en 472, au moment où Ricimer revint piller Rome pour lui substituer Olybrius. Jean d'Antioche rapporte une version légèrement différente du lieu de sa mort, mais tout aussi significative : selon lui, les soldats du général en chef des armées italiennes auraient trouvé l'empereur caché parmi une foule de mendiants dans l'église

de Saint-Chrysogone269 : or, cette ultime attitude de dissimulation nous paraît refléter toute

l’ambiguïté religieuse du personnage, qui chercha peut-être dans l'Église une simple protection, qu'on nommerait de façon triviale une « couverture ». Il faut dire qu'il aurait été difficilement compréhensible que Léon ait placé, à la tête de l'empire romain d'Occident, un individu trop ostensiblement païen ou philopaïen, et que si Anthémius avait eu des sympathies pour le paganisme, comme nous invite souvent à le croire la tradition historiographique, il avait sans doute intérêt à les tenir dissimulées a minima270.

D'une part, venu de Grèce et passablement versé dans la philosophie grecque, le nouvel empereur est le descendant de Procope, empereur d'Orient en 365 et cousin de l’empereur Julien

l'Apostat, qui s'illustra contre Valens comme chef du mouvement oriental païen271. On sait d'autre

part que le plus proche conseiller de son grand-père homonyme, Procopius Anthemius, préfet du prétoire d'Orient de 405 à 414, consul en 405 et patricien, était le sophiste Troilus, probablement

païen lui aussi272. Or, la familiarité d'Anthémius avec la sagesse grecque, et plus particulièrement la

pensée néoplatonicienne273, fait aussi l'objet d'un long développement, certes topique, dans le

panégyrique que compose Sidoine à son sujet (comme Symmaque louait Gratien de lire sous sa tente274) :

15 5

Nec minus haec inter ueteres audire sophistas : Mileto quod crete Thales uadimonia culpas,

Lindie quod Cleobule canis: « modus optimus esto », Ex Ephyra totum meditaris quod Periander,

Attice quodue Solon finem bene respicis aeui […].

Il écoutait cependant les leçons des anciens sages : toi, Thalès, enfant de Milet, qui blâmes les engagements sous caution ; toi, Cléobule de Lindos, qui psalmodies : « Rien de mieux que la mesure ! » ; toi, Périandre d'Ephyre, qui réfléchis sur tout ; toi, Solon l'Athénien, qui, sagement, ne juges une existence qu'à son terme […]275

268Jean Malalas, chron. 473 (PG 97, c. 555-556).

269Jean d'Antioche, fr. 301 : Roberto (p. 509); Fasti Vindobonenses Priores s. a., 472 ; Paschale Campanum s. a., 472,

dans Chronica italica.

270Chuvin 2009, p. 121.

271Courcelle 1948, p. 245. Sidoine fait allusion à ses « Augustes aïeux » dans le carm. 2, v. 68-69. 272PLRE 2 Anthemius 1 et Toilus 1.

273Vassili 1938, p. 40-41, voit même en Anthémius un adepte du néoplatonisme. Cf. Roberto 2015, n. 32, p. 351. 274Or. 3 ad Grat. 7

Après d'autres apostrophes à divers sophistes (Bias de Priène, Pittacus de Lesbos, Chilon de Lacédémone), Sidoine forme une longue liste des écoles philosophiques dont Anthémius serait familier :

164 171

175

Praeterea didicit uarias, noua dogmata, sectas: (...) Quicquid Pythagoras, Democritus Heraclitusque Defleuit, risit, tacuit; quodcumque Platonis

Ingenium, quod in arce fuit, docet ordine terno, Quae uel Aristoteles, partitus membra loquendi, Argumentosis dat retia syllogismis ;

[…] Socraticusque animus post fatum in Phaedone uiuus.

Il étudia en outre les théories nouvelles des diverses écoles : […] les silences de

Pythagore, le rire de Démocrite et les larmes d'Héraclite ; l'enseignement en trois points de Platon dont le génie habita les sommets ; les pièges dont Aristote, en divisant les membres de la proposition, gratifie le syllogisme raisonneur ; […] et Socrate, dont l'âme est vivante après la mort dans le Phédon276 .

Sidoine développe avec complaisance ces connaissances qu'il semble satisfait de voir partagées par le nouvel empereur : pour Pierre Courcelle, c'est même avec « transport » que le panégyriste présente la nomination de cet empereur philosophe qui donne un dernier « regain de vie

et de faveur de la doctrine néo-platonicienne en Gaule »277. Il convient de rappeler avec précaution

que les milieux philosophiques où sont diffusées ces théories, et qu'a fréquentés Anthémius, sont traditionnellement associés à une forme d'hostilité au christianisme, avec lequel les relations

demeurent complexes278. Disons simplement, pour éclaircir ce développement à propos de la

formation philosophique de l'empereur, que pour notre auteur, la philosophie grecque, d'abord comptée au « nombre des arts sacrilèges », n'est réconciliable avec le dogme chrétien que si l'on a éliminé son caractère profane et si on a fait l'effort de l'arracher à la « fausse religion »279,

conformément au précepte du Deutéronome280 qu'il connaît. Ainsi, la formation philosophique de

l'empereur Anthémius et ses nombreuses accointances néoplatoniciennes ont-elles pu faire naître chez Sidoine, comme chez d'autres témoins que nous allons évoquer ci-dessous, la conviction que l'empereur était aussi favorable à une promotion de l'hellénisme au sens large.

De fait, à en croire les historiens antiques, Anthémius ne semble pas avoir été réellement soucieux de défendre l'Église chrétienne ; au contraire, s'adonnant lui-même à des pratiques divinatoires, il aurait, semble-t-il, remarquablement favorisé certaines survivances du paganisme.

276Ibid., v. 164, 171-175, 178. 277Courcelle 1948, p. 245.

278Morlet 2014, p. 53 : « Si les néoplatoniciens des IIIe et IVe s. voient encore un intérêt à polémiquer contre les

chrétiens (et donc à dialoguer avec eux), ceux du Veet du VIe préfèrent se murer dans un mépris silencieux. La

polémique prend alors un tour souterrain et allusif, comme en témoignent les sous-entendus de la Vie de Proclus, composée au Ves. par Marinus ». Voir aussi p. 191. Nous aurons l'occasion de revenir, dans la troisième partie de ce

mémoire, sur ce point (« Que faire de la philosophie ? »).

279Epist. 9, 9, 12 : ..(philosophia) quae uiolenter e numero sacrilegarum artium exempta raso capillo superfluae

religionis (scil. a Fausto Reiensi)...

Photius affirme tout d'abord, citant le philosophe, contemporain d'Anthémius, Damascius :

« L'auteur dit qu'Anthémius, qui fut empereur de Rome, était un païen, qu'il partageait les idées de Sévère adonné au culte des idoles. Il le fit consul et tous deux auraient eu le dessein secret de restaurer le culte des idoles.281 »

Anthémius choisit en effet, pour lui tenir lieu d'escorte à Rome, plusieurs personnages païens et néo-platoniciens revendiqués, et parfois accusés de s'adonner à des pratiques magiques, qu'il va même jusqu'à promouvoir, comme on le voit, au consulat. Parmi eux, le comes Marcellinus, chef dalmate (qu'il faut peut-être assimiler au Marcellinus pressenti par la « conjuration

Marcellinienne »282 pour s'emparer du pouvoir après la mort d'Avitus283), reconnu comme païen284,

et d'ailleurs disciple du philosophe et devin Saloustios285 dont les sympathies païennes ne font pas

non plus de doute286.

Dans l'escorte d'Anthémius se trouvait aussi et surtout le philosophe païen Fl. Messus Phoebus Severus287, qui était particulièrement versé, d'après Photius, dans les rites païens, et qui

pratiquait la divination288 ; Richard Goulet indique qu'on peut l'identifier avec l'auteur alexandrin

281Photius, Bibliothèque, 6, 242 (Damascius, Vie du philosophe Isidore), 108 : Ὅτι Ἀνθέμιον οὗτος τὸν Ῥώμης

βασιλεύσαντα ἑλληνόφρονα καὶ ὁμόφρονα Σεβήρου τοῦ εἰδώλοις προσανακειμένου λέγει, ὃν αὐτὸς ὕπατον χειροτονεῖ, καὶ ἀμφοῖν εἶναι κρυφίαν βουλὴν τὸ τῶν εἰδώλων μύσος ἀνανεώσασθαι (traduction de René Henry, collection byzantine, vol. VI, p. 21).

282Epist. 1, 11, 6.

283D'après la PLRE 2, p. 709, il se pourrait en effet qu'il s'agisse du même Marcellinus que la « conjuration

marcellinienne » voulait porter sur le trône.

284Photius, Bibliothèque 6, 242, 91 : Ὁ δὲ Μαρκελλῖνος τῆς Δαλμάτων ἦν χώρας αὐτοδέσποτος ἡγεμών, Ἕλλην τὴν

δόξαν, « Marcellin était le chef indépendant de la Dalmatie et il était païen » (traduction de la collection byzantine,

ibid.). Marcellinus était également comes rei militaris en Dalmatie : voir aussi Athanassiadi 1993, p. 18.

285Orateur sophiste converti très probablement à la vie philosophique à Athènes aux côtés d'Isidore d'Alexandrie,

Saloustios était un païen convaincu ; il apporta d'ailleurs son soutien à Marcellinus qui souhaitait restaurer le paganisme. Voir Goulet 2016, p. 96-100.

286 Courcelle 1948, p. 245. Photius, Bibliothèque 6, 242, 92 : Ὅτι ὁ Σαλούστιος εἰς τοὺς τῶν ἐντυγχανόντων

ὀφθαλμοὺς ἀφορῶν προέλεγεν ἑκάστοτε τὴν βίᾳ γενησομένην ἑκάστῳ τελευτήν. Τὴν δ´ αἰτίαν τῆς προγνώσεως οὐδ ´αὐτὸς εἶχε φράζειν, « Salustios, en regardant les yeux des gens qu'il rencontrait, prédisait à chaque fois la fin violente qui devait arriver à chacun. Mais la cause de sa clairvoyance, il ne pouvait la dire lui-même » (traduction de la collection byzantine, ibid.).

287Goulet p. 250-252.

288Ce Severus est auréolé, toujours d'après Damascius abrégé par Photius, d'une force particulière qui se manifeste par

des signes divins. Photius, Bibliothèque, 6, 242, 64 : Ὅτι τὸν Σεβήρου ἵππον φησί (Ῥωμαῖος δ´ ἦν οὗτος, καὶ Ἀνθεμίου παρασχόντος ἐλπίδας ὡς ἡ Ῥώμη πεσοῦσα πάλιν δι´ αὐτοῦ ἀναστήσεται, ἐπὶ Ῥώμην, ταύτης προαναχωρήσας, ἐπανῆκε καὶ τιμῆς ὑπατικῆς ἔτυχε) τούτου τοίνυν ὁ ἵππος, ᾧ τὰ πολλὰ ἐχρῆτο, ψηχόμενος σπινθῆρας ἀπὸ τοῦ σώματος πολλούς τε καὶ μεγάλους ἠφίει, ἕως αὐτῷ τὸ τέρας εἰς τὴν ὑπατικὴν ἀρχὴν ἐν τῇ Ῥώμῃ κατηνύσθη). « Le cheval de Sévère, dit l'auteur, - ce Sévère était un Romain à qui Anthémius avait inspiré l'espoir que Rome tomberait et que ce serait lui qui la relèverait ; il était revenu à Rome qu'il avait quittée et il avait obtenu le consulat – ce cheval donc, qui était sa monture habituelle, quand on l'étrillait, émettait de son corps de longues gerbes d'étincelles ; ce prodige dura jusqu'au moment où cette merveille eu mené Sévère au consulat à Rome » ((traduction de la collection byzantine). Les paragraphes suivants (66-69) sont par ailleurs consacrés aux relations que Severus entretient avec les Brahmanes, et à certaines pratiques divinatoires qui constituent vraisemblablement leurs sujets de conversations.

des Protogymnasta et des Éthopées, et qu'il fut possiblement élève de Libanios289. Or, Anthémius

fait rappeler ce païen d'Alexandrie290 et le nomme patrice, préfet de la Ville et consul en 470, ce qui

n'est tout de même pas sans conséquence291 . De même, l'empereur appelle à ses côtés d'autres

figures très ostensiblement favorables au culte traditionnel et à l'hellénisme : le païen Jacques, son

médecin292, le philosophe Isocasios293, ou encore un pneumotochien du nom de Philotheus294 ;

l'amitié d'Anthémius pour ce dernier sera sévèrement réprouvée par le pape Hilaire, comme nous le verrons un peu plus bas. La proximité d'Anthémius avec ce cercle philosophique païen influent,

dont Polymnia Athanassiadi souligne le rayonnement cosmopolite295, plaide assez solidement en

faveur de l'idée qu'Anthémius était loin d'être hostile au culte païen, et même qu'autour de lui,

comme l'a bien vu Charles Pietri, « s'ébauche une dernière réaction païenne296 » ; de là à en conclure

qu'Anthémius était lui-même païen, il n'y a qu'un pas (que la prudence, et le souci de nous en tenir strictement aux sources nous invitent à ne pas franchir trop vite). Rome, en tout cas, semble n'avoir

pas connu de semblable retour de force d'un mouvement païen depuis des décennies297. En effet, à

l'égard des pratiques païennes, Anthémius aurait par ailleurs fait montre d'une remarquable libéralité. Le pape Gélase rapporte qu'Hilaire voyait en lui un protecteur des Lupercales : il dut de même s'opposer publiquement à sa proposition de laisser des macédoniens célébrer leur rite dans l'enceinte de l'Urbs, condamnant fermement les démarches permissives de l'empereur à l'égard de la secte théosophique arienne, à laquelle il voulait fournir un lieu de culte à Rome : il obligea donc Anthémius à bannir solennellement ces activités, en prêtant un serment public, afin de se conformer à son rôle d'empereur298.

289Goulet 2016, p. 251.

290Sévère avait en effet fui Rome avec d'autres membres de l'élite païenne, pour la cité égyptienne à la suite des

désastres que la ville avait subis depuis le sac de 455. Toujours d'après Photius, il y avait constitué une riche bibliothèque.

291Sotinel 1998, p. 283.

292Photius, Bibliothèque VI, 242, 121 : Ἄμφω δέ, καὶ ὁ παῖς καὶ ὁ φύς, ἀσέβεε ἤστην, « Père et fils (Jacques) étaient

tous deux païens ».

293Grammairien, rhéteur et sophiste resté païen malgré la visitation de saint Thècle ; arrêté à Constantinople en 467, il

fut forcé à accepter le baptême : Goulet 2016, p. 891 et PLRE 2, p. 633-634.

294Gélase, epist. ad episcopos Dardaniae (citée plus loin) : … Anthemium imperatorem cum Philotheus

Macedonianus eus familiaritate suffultus diuersarum conciliabuta noua sectarum in urbem uellet inducere...

295Athanassiadi 1993, p. 18. 296C. Pietri 1981, p. 421.

297Comme le souligne aussi Henning 1999, p. 168.

298 Gélase, epist. 95, 61 : sanctae memoriae quoque papa Hilarus Anthemium imperatorem, cum Filotheus

Macedonianus eius familiaritate suffultus diuersarum conciliabula noua sectarum in urbem uellet inducere, apud beatum Petrum apostolum palam, ne id fieret, clara uoce constrinxit, « Comme Philotheus, soutenu par sa familiarité

avec l'empereur, voulait introduire des assemblées de diverses sectes nouvelles dans la ville, le pape Hilaire, dont le souvenir est sacré, réprimanda haut et fort et publiquement Anthémius à la basilique de l'apôtre saint Pierre afin que cela n'ait pas lieu. » (traduction personnelle). De même dans l'epist. 100, 25 : Et nuper, cum Anthemii et Ricimeris

ciuili furore subuersa est, ubi sunt Lupercalia ? Cur istis minime profuerunt ? « Et plus récemment, quand la Ville a

Enfin, et le fait est singulier, un contorniate de bronze299 fut diffusé à l'occasion des jeux

consulaires de la fin de l'année entre 468 et 472, alors même que l'on n'a gardé nulle trace de ce type

de monnaie, symbole de la religion traditionnelle300, depuis Honorius. L'exemplaire que nous avons

conservé fait étonnamment cohabiter, sur l'avers, l'effigie de l'empereur Anthémius, et sur le revers, une représentation d'Hercule, avec la mention d'un « hippodrome d'Hercule ». Il s'agit là de la dernière représentation d'un dieu païen sur un contorniate, comme le remarque Andreas Alföldi. Le savant numismate met également explicitement en relation la production de cette curieuse médaille

avec le soupçon de paganisme qui pèse sur Anthémius301.

Autant de signes invitent à croire que cet empereur laissa vivre, voire favorisa, ces divers

n'ont-elles servi à rien dans ces circonstances ? ». Gibbon, catégorique, p. 1062, commente : « quelques apparences suspectes ternissent la réputation théologique de ce souverain : il avait puisé des maximes de tolérance dans la conversation de Philothée, moine de la secte des macédoniens ; et les hérétiques de Rome auraient tenu impunément leurs assemblées, si la censure véhémente que le pape Hilaire prononça dans l'église de Saint-Pierre n'eût obligé le monarque d'abjurer une indulgence contraire à l'opinion. L'indifférence ou la faveur d'Anthémius ranima jusqu'à l'espoir du faible reste des païens ; ils attribuèrent à un dessein secret de rétablir l'ancien culte, l'amitié singulière dont il honorait le philosophe Sévère, qu'il revêtit de la dignité des consuls ».

299RIC X, 198 ; Roberto 2014, n. 32, p. 391 et Alföldi 1976, Teil 1, Taffel 192, 5 : « Hercules, stehend nach r., die

Linke auf die Keule gestützt, auf der Rechten ein Kind haltend. (H)ipodromos Heracleos Andreas 2. »

300Alföldi 1990, p. 46 : « Unter Valentinian III (…) verschwinden natürlich die Symbole der nationalen Religion ». 301Alföldi 1990, p. 34 : « Und unter Anthemius, von dem eine byzantinische Quelle behauptet, dass er dem

Polytheismus erneut zur Geltung verhelfen wollte, und der einen gebildeten Heiden, den Messius Phoebus Severus, zum Stadtpräfekt und ordentlichen Konsul ernannte, erscheint zum letzten Male – anlässlich eines Neujahrsfestes zwichen 468 und 472 – ein heidnischer Gott auf einer Festprägung ».

avatars de la religion païenne et des pratiques que l'Église catholique, derrière le pape Hilaire, jugeait licencieuses. Anthémius était-il mû par la volonté de faire consensus entre diverses tendances religieuses en puissance, ou de porter, en Occident, les positions idéologiques qui prévalaient en Orient, à savoir, notamment, que l'Église devait rester subordonnée à l'Etat, et que le Pape devait conserver des prérogatives similaires à celles, plus limitées, du Patriarche de Constantinople ( ce qui n'était pas le cas en Occident où les papes voyaient leur autorité s'accroître à mesure que les empereurs perdaient la leur302) ? D'un autre côté, cette politique de tolérance

religieuse, en vertu de laquelle Umberto Roberto put assimiler son règne à « la dernière période d'épanouissement du paganisme », s'expliquerait aussi par une volonté de « conserver la tradition et

les symboles indissociablement liés à l'empereur de Rome »303 tout en se ménageant les faveurs du

clan sénatorial.

Enfin, des sources historiographiques proches de l'empereur peuvent confirmer cette réputation : dans la Vita Epiphani d'Ennode, on pourra encore lire le témoignage de l'hostilité du clergé romain pour celui qu'on surnomme graeculus, « petit grec » et « païen », terme sans doute dirigé contre ses origines orientales tout autant que contre ses obédiences néoplatoniciennes peu

compatibles avec la doctrine chrétienne304. Ennode situe l'indice de l'hétérodoxie d'Anthémius dans

les propos d'une congrégation ligure, venue présenter à Ricimer, installé depuis peu à Milan, leurs revendications de paix. La difficulté, juge Ricimer bienveillant, sera de trouver un représentant pour aller parler à l'impitoyable Anthémius :

Sed qui, ait, potissimum huius legationis pondus excipiet ? Quem tantae molis cura maneat ? Quis est qui Galatam concitatum reuocare possit et principem ? Nam semper, cum rogatur, exuperat qui iram naturali moderatione non terminat.

Mais qui se chargera de la lourde responsabilité d'une telle ambassade ? À qui sera réservé le soin d'une telle charge ? Quel est celui qui pourrait fléchir l'impulsivité d'un Galate, à plus forte raison s'il est un prince ? Car, même quand on le prie, lui qui ne met jamais de borne à sa la colère en la modérant naturellement finit toujours par l'emporter305.

Mais les Ligures ont leur candidat tout trouvé en la personne d'Epiphane, qui saura, à n'en pas douter, adoucir l'inflexible Galate :

Tunc uno omnes ore responderunt : « uester tantummodo ad pacem declinetur adsensus. Est nobis persona nuper ad sacerdotium Ticinensis urbis adscita, cui et beluae rabida colla submittunt, qui

302O'Flynn 1991, p. 127. 303Roberto 2015, p. 196

304O'Flynn 1991, p. 122-128 et Sotinel 1998, p. 283.

ante preces offeratur beneficium, quod a quolibet petiturus aduenerit, cui est uultus uitae similis, quem uenerari possit quicumque, si est catholicus et Romanus, amare certe, si uidere mereatur, et Graeculus.

Alors tous, parlant d'une seule voix, répondirent : « votre simple consentement à la paix suffit. Nous avons avec nous un homme, récemment élevé à l'épiscopat à Pavie, devant qui se soumettent les bêtes féroces, qui offre son aide, avant même qu'on l'en ait prié, à quiconque viendrait la lui demander, dont le visage reflète la vie, et qu'enfin tout homme serait à même de vénérer, s'il est catholique et romain, ou du moins aimer, s'il est bien digne de le voir, même s'il est un petit Grec.306.

Ce passage évoque l'empereur en termes clairs, par l'allusion méprisante à ses origines grecques ; surtout, il laisse clairement entendre que le graeculus Anthémius appartient à une catégorie bien distincte des catholiques et des Romains... L'Italie catholique exprime ici toute sa défiance envers le païen Anthémius, qui s'attira d'ailleurs suffisamment d'hostilité pour que l'on cherche à intenter à sa vie, au point qu'il dut prendre en 470 la décision de faire exécuter certains individus qu'il accusait de porter atteinte à sa santé par des sortilèges307 - preuve supplémentaire, s'il en fallait, que les

pratiques magiques étaient toujours couramment employées dans cette seconde moitié du Ve siècle.

Par ailleurs, Anthémius est loin de faire l'unanimité au sein du clan sénatorial, et notamment des influentes familles que sont les Decii et les Anicii : les premiers, favorables à la culture grecque venue d'Orient et à une restauration de l'antique tradition308, lui apportent leur soutien, tandis que les

seconds affichent leur hostilité à l'empereur trop favorable aux manifestations du paganisme309.

Cette accumulation d'indices nous semble très suggestive. S'il était sans doute difficilement