• Aucun résultat trouvé

1 La profession d'humilité : effet rhétorique ou conscience repentante ?

Au-delà des interprétations usuelles de la tradition critique721, il n'est sans doute pas anodin

que Sidoine présente continuellement son existence pré-épiscopale comme une « vie

punissable » 722, une vie de péchés et de souillures nombreuses. Les derniers livres de sa

correspondance recèlent une foule d'allusions dépréciatives et de formules de mortifications qui, s'il a pu être loisible de les lire comme des déclarations purement formelles, paraissent cependant trop nombreuses et trop hyperboliques pour être insignifiantes. Dès la première missive du livre 6, adressée à Loup de Troyes, dont l'autorité religieuse est moult fois saluée par Sidoine, ce dernier multiplie les protestations de modestie et d'indignité en ayant d'ailleurs recours à des métaphores qui nous invitent peut-être à une lecture moins conformiste que littérale. Dans cette lettre à celui qu'il présente comme « l'évêque des évêques et le Jacques de notre siècle », Sidoine adresse une réponse, teintée de la plus extrême humilité, à une précédente missive de Loup de Troyes, qui contient sans doute une allusion à la charge que vient d'endosser, ou qu'il s'apprête à endosser Sidoine. En effet, dès l'abord, l'émetteur exprime, par l'emploi d'une question rhétorique et de métaphores très péjoratives, un sentiment d'indignité et de culpabilité paralysant : Et quid nunc ego dignum dignationi huic, putris et fetida reatu terra, respondeam ?, «Et maintenant, quelle réponse digne puis-je faire à votre dignité, moi qui ne suis que limon fétide souillé de péchés ? »723. La

citation, immédiatement consécutive, des propos que saint Pierre tint à Jésus d'après l'Evangile de Luc, exprime le même sentiment, et offre surtout un parallèle intéressant. Voici comment se présente la réécriture que l'auteur propose du passage de l'Évangile de Luc, au cours duquel Jésus, à bord de la barque de Simon-Pierre, prononce son enseignement, avant de donner témoignage de sa puissance. Les passages soulignés sont ceux que l'épistolier a explicitement repris.

721Van Waarden rappelle, comme Loyen, qu'il est d'usage que le clerc déprécie sa conscience « polluée » : Loyen

1960 t. 2, introduction p. XXXVI ; Van Waarden 2010 p. 293.

722Epist. 6, 1, 2 : uitae plectibilis. 723Epist. 6, 1, 1.

4. Ut cessauit autem loqui, dixit ad Simonem « duc in altum et laxate retia uestra in capturam ». 5 Et respondens Simon dixit illi « praeceptor, per totam noctem laborantes nihil cepimus ; in uerbo autem tuo laxabo rete.»

6 Et cum hoc fecissent, concluserunt piscium multitudinem copiosam rumpebatur autem rete eorum.

7 Et annuerunt sociis qui erant in alia naui ut uenirent et adiuuarent eos et uenerunt et impleuerunt ambas nauiculas ita ut mergerentur.

8 Quod cum uideret Simon Petrus, procidit ad genua Iesu, dicens « exi a me, quia homo peccator sum Domine

».

9 Stupor enim circumdederat eum et omnes qui cum illo erant in captura piscium quam ceperant ; 10 similiter autem Iacobum et Iohannem, filios Zebedaei, qui erant socii Simonis. Et ait ad Simonem Iesus « noli timere, ex hoc iam homines eris capiens.»

11 Et subductis ad terram nauibus relictis omnibus secuti sunt illum.

12 Et factum est cum esset in una ciuitatum et ecce uir plenus lepra ; et uidens Iesum et procidens in faciem rogauit eum dicens « Domine, si uis, potes me mundare ».724

04 Quand (Jésus) eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »

05 Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »

06 Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer.

07 Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.

08 À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi,

Seigneur, car je suis un homme pécheur. »

09 En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;

10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »

11 Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

12 Jésus était dans une ville quand survint un homme couvert de lèpre ; voyant Jésus, il tomba face contre terre et le supplia : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. »

L'intertexte scripturaire est explicitement désigné par Sidoine dans sa lettre à Loup de Troyes par laquelle il requiert la protection de son illustre collègue :

Colloquii salutaris tui et indigentiam patiens et timorem recordatione uitae pectibilis adducor, ut clamem tibi quod dixit Domino tuus iste collega : « Exi a me, quia homo peccator sum, domine. » Sed iste timor non temperetur affectu, uereor, ne Gerasenorum destituar exemplo et discedas a finibus meis. Quin potius illud, quod mihi conducibilius est, conleprosi mei te proposita condicione constringam, ut aiam tibi : « Si uis, potes me mundare ». Qua ille sententia non plus de Christo quid peteret prodidit, quam quid crederet publicauit.

Éprouvant à la fois le besoin et la crainte de vos entretiens salutaires, je serais conduit par le souvenir d'une vie punissable à vous crier ce que disait au Seigneur votre illustre collègue : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un pécheur ». Mais si la crainte que j'ai de vous n'est pas tempérée par l'affection que je vous porte, j'ai bien peur d'être mis à l'écart, à l'exemple des Géraséniens, et de vous voir vous éloigner de mes domaines. Laissez-moi plutôt faire ce qui est plus profitable pour moi, en cherchant à vous retenir par la proposition que fit un lépreux de mon espèce, et en vous disant avec lui : « si tu le veux, tu peux me purifier ». Et le lépreux, par ces paroles, exprimait moins l'objet de sa demande au Christ qu'il ne proclamait sa confiance en lui.725

Sidoine reproduit donc, pour son propre compte, les premiers propos que Simon-Pierre, épouvanté, adressa à Jésus, après la pêche miraculeuse que ce dernier lui offrit au lac de Génésareth : « Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur »726 . Or, la réponse,

toute performative, de Jésus à cet instant, fut celle par laquelle Simon-Pierre devint son apôtre : «

725Epist. 6, 1, 2. 726Luc, 5, 8.

Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras »727. Cet intertexte,

quoiqu'implicite cette fois-ci puisque Sidoine choisit de ne pas l'inclure, est cependant suggéré en creux, puisque la seconde citation qu'effectue Sidoine après cet passage est tirée de l'épisode immédiatement consécutif du même évangile. En effet, une fois « omis » les versets 10 et 11, la lettre reproduit le verset 12, par lequel Sidoine se compare implicitement au lépreux auquel Jésus, sollicité par lui, apporte guérison. Ce lépreux dit à Jésus, comme Sidoine à Loup : « Si tu le veux, tu peux me purifier »728 . Entre les deux citations, seule la réponse que prononce Jésus, et qu'espère

sans doute Sidoine, est éludée, créant un vide intertextuel que viendrait combler Loup de Troyes par une réponse similaire, en désignant, à son tour, Sidoine comme son apôtre. Cette désignation équivaut peut-être à celle que propose, ou qu'est sur le point de proposer, Loup de Troyes, qui permettrait à Sidoine de devenir, à son tour, « pécheur d'hommes » : tel est du moins ce que peut suggérer l'intertexte évangélique. Quoi qu'il en soit, par l'exemple de Simon-Pierre ou du lépreux, Sidoine se compare toujours à des figures jusque-là extérieures à la foi, et non encore converties.

Une métaphore introduite un peu plus loin dans la même lettre (6, 1) pourrait même laisser penser que Sidoine s'assimile à ceux qui appartiennent à « l'armée ennemie » (aduersa acies) du Christ ; du moins traite-t-il sans distinction nette ces « malades » de l'autre monde et le

« vermisseau le plus méprisable »729 qu'il dit être : nosti, ut apparet, ex aduersa acie sauciatos, dux

ueterane, colligere et peritissimus tubicen ad Christum a peccatis receptui canere, « vous savez (c'est l'évidence même) vous conduire en général vétéran pour recueillir les blessés de l'armée ennemie et faire battre en retraite, en trompette avisé, du monde des pécheurs vers le Christ »730,

affirme-t-il à propos de Loup de Troyes. Quelle réalité, quel groupe d'individus Sidoine nomme-t-il ainsi « l'armée ennemie », « le monde des pécheurs » ? Faut-il bien comprendre qu'il s'assimile, jusque-là du moins, à un groupe non seulement extérieur à la foi, mais aussi hostile à la fides catholica ? Cette lettre capitale731 contient encore plusieurs allusions, lourdes de sens, à son

existence pécheresse : « la continuité de ses forfaits » (facinorum continuatione) fait de lui un « misérable », pour lequel « le peuple des innocents doit avoir de la peine, même par ses prières

727Luc, 5, 10.

728Epist. 6, 1, 2 ; Luc, 5, 12. 729Epist. 6, 1, 4.

730Ibid.

731Il est évident que la place assignée à cette lettre, en début de chapitre, lui donne un relief particulier ; mais de plus,

Sidoine commente explicitement son intention à Loup, dans une lettre ultérieure (Epist. 9, 11, 5) : « Ajoutez qu'il y a encore un autre point, mais peut-être ne l'avez-vous pas remarqué, qui montre bien que la considération due à votre Révérence et à vos mérites a été observée : c'est que votre nom figure en tête de l'un de mes livres, comme vous occupez la première place parmi les sièges des évêques » (Adde, quia etiam in hic, quod forsitan non notasti,

reuerentiae tuae meritorumque ratio seruata est, quod sicut tu antistitum ceterorum cathedris, prior est tuus in libro titulus). Le contenu de la missive, par sa position liminaire, se trouve donc particulièrement mis en valeur, et mérite

ferventes, à obtenir […] miséricorde »732 . Certes, il se présente encore comme un « malade »,

« tremblant de fièvre », filant une métaphore déjà employée par laquelle sa vie laïque est assimilée à une longue et grave lèpre ; mais l'image suivante suggère encore davantage, puisqu'il demande : Quis desertor scientiam rei militaris iure laudauerit ?, « quel déserteur pourrait à bon droit louer la

science de l'art militaire ?733 ». Est-ce à dire que Sidoine était alors un « déserteur de la foi » ? Ce

n'est pas tout : l'évêque exprime également, à la fin de la lettre, les scrupules qu'il ressent à

« prêcher ce qu'[il] se refuse à faire », puisqu'il « ne sui[t] pas les conseils qu'il donne »734. À quel

genre de fautes l'évêque peut-il faire allusion en des termes à ce point hyperboliques et pléthoriques ? Il s'en explique au paragraphe suivant, alors qu'il prie le « nouveau Moïse » qu'incarne Loup de Troyes d' « intercéder pour la foule de [ses] péchés » pour le détourner du mal :

Non ulterius descendemus in infernum uiuentes nec per carnalium uitiorum incentiua flammati ad altare domini ignem diutius accendemus alienum.

… nous ne tomberons pas plus bas, durant notre vie, dans la chute vers l'enfer et nous n'allumerons pas plus longtemps, si embrasé que nous soyons par les séductions des vices de la chair, un feu étranger à l'autel du Seigneur.735

Les « péchés » de Sidoine seraient donc une allusion aux jouissances matérielles et physiques, ces carnalia uitia dont aurait été peuplée sa vie laïque736. Mais d'autres possibles « péchés » peuvent

être identifiés dans le corpus des lettres, qui nous inclinent à croire que Sidoine ne fait pas ici allusion à un seul manque de continence, mais peut-être à d'autres formes d'erreurs sur lesquelles nous reviendrons. Prolongeant l'exercice de la rhétorique pénitente qui se fait particulièrement prégnante à partir du livre 6, Sidoine mentionne, dans une lettre du même livre adressée à

732Epist. 6, 1, 5 : facinorum miser eo necessitatis accessi, ut is pro peccato populi nunc orare compellar, pro quo

populus innocentum uix debet impetrare si supplicet.

733Ibid.

734Ibid. Indignissimus mortalium necesse habeo dicere quod facere detrecto, et ad mea ipse uerba damnabilis, cum

non impleam quae moneo […].

735Epist. 6, 1, 6.

736On songe par exemple aux nombreuses évocations de banquets et de jeux rapportés dans ses lettres pré-

épiscopales : dans la lettre 2, 9, déjà publiée au moment où Sidoine écrit à Loup, il évoquait avec force détail les lourds banquets et activités oisives qui occupaient son groupe de nobles amis chez Apollinaris et Ferreolus ; lui-même composait sa lettre en étant encore quelque peu éméché : quarum (scil. cenarum) quoque replicatio fieret amoena

narratu, nisi epistulae tergum madidis sordidare calamis erubesceremus, « l'évocation de ces festins aurait aussi

donné matière à un agréable récit, si je ne rougissais pas de salir le dos de ma lettre avec une plume ivre » ; il s'agissait littéralement d'orgie, ganea. De même, dans la lettre 8, 11, 3, Sidoine évoque, en insérant un ancien poème, les heureux jours anciens passés à Bordeaux avec son ami poète Lampridius : hic cum festa dies ciere rauos / cantus

coeperit et uoluptuosam / scurrarum querimoniam crepare, tunc, tunc carmina digniora uobis uinosi hospitis excitus Camena plus illis ego barbarus susurrem, « là, quand un jour de fête aura commencé à donner le branle aux chants

enroués et à faire résonner les populaires querelles des bouffons, alors, oui alors, provoqué par la Muse de mon hôte pris de vin, et devenu plus barbare qu'aux, je fredonnerai peut-être moi aussi des chants plus dignes de vous ».

Fonteius737, les clericalis tirocinii in nobis reptantia rudimenta, « débuts hésitants de (s)on

apprentissage de clerc », évoquant les « blessures trop béantes de (sa) conscience encore couverte de plaies », contre lesquelles le nouveau prélat réclame les « oraisons » cicatrisantes de son collège de Vaison. La protection divine est encore invoquée contre la prauitas, la « dépravation des moeurs » du nouvel évêque : « ainsi, si la clémence du Dieu qui ne change pas daigne changer quelque chose à la dépravation de nos moeurs, c'est à l'appui de vos suffrages que nous serons redevable de tout

cela »738 . Quelle réalité peut bien désigner cette prauitas ? Les effets de la mauvaise conscience de

Sidoine apparaissent encore dans d'autres lettres : au livre 7, l'évêque se présente à Basilius, l'évêque d'Aix, comme un homme cuius (conscientia) stercora tamen sub ope Christi quandoque mysticis orationum tuarum rastris erudabuntur, « dont (la conscience) a encore besoin d'être purifiée par de longs pleurs, mais dont les impuretés seront pourtant un jour, avec l'aide du Christ,

nettoyées par le râteau mystique des prières [de Basilius] »739 . Pour mieux souligner l'effet de cet

aveu, Sidoine emploie l'image, bien répandue dans la littérature chrétienne, et notamment par Ambroise de Milan, des larmes purificatrices, dont l'action peut laver les péchés740 ; il utilise

également la métaphore, plus originale, du râteau, déjà manipulée par Paulin de Nole741, nettoyant

les impuretés (stercora) employée aussi par Ambroise dans un des Sermons sur les Psaumes742.

L'évêque insiste encore : il est rongé par la « honte » que lui inspirent ses « fautes personnelles »743 ;

dans la lettre suivante, Sidoine, se présentant comme « celui qui naguère encore suivait […] la voie

de l'erreur »744 , rappelle : « je marchais encore au milieu des abîmes et des bourbiers lamentables de

l'ignominie, quand la charge du ministère que j'exerce m'a été imposée »745 . Non seulement donc, la

fonction épiscopale est présentée comme non désirée, mais elle est d'autant plus lourde à assumer du fait de ses fautes passées.

737Epist. 6, 7, 1.

738Ibid. §2 : si quid dignabitur de morum prauitate nostrorum immutabilis Dei mutare clementia, totum id

suffragiorum uestrorum patrocinio debeamus.

739Epist. 7, 6, 3

740Comme le relève Van Waarden 2010, p. 293, même si les mentions qu'il indique de Zach. 13, 1 et Act. 22, 16,

n'évoquent pas spécifiquement l'action lustrale des larmes, mais seulement le lavage de tout péché. Joop Van Waarden signale le commentaire d'Ambroise sur le Psaume 118 (In psalm. 118., serm. 7, 32), ainsi que le carm. 31, 411 de Paulin de Nole. Nous pouvons ajouter à ces mentions la lettre 51 d'Ambroise, qui affirme que « le péché ne peut nous être ôté que par les larmes et la pénitence », ainsi que son Commentaire sur l’évangile de Luc, V, 89 (SC 45).

741Paulin de Nole, epist. 39, 3 : si rastro diuini timoris spinas suas eruat...

742Ambroise, In Psalm. 118 serm. 5, 34 (mundi ejus stercora). Ces intertextes ambrosiens prolongent la réécriture que

Sidoine semble pratiquer à partir de l'oeuvre d'Ambroise : comme Sidoine, en effet, l'évêque de Milan devient lui aussi pontife ex abrupto (De officiis, 1, 1, 4 ), et exprime le même sentiment d'illégitimité que Sidoine lorsqu'il revêt cette charge.

743Epist. 7, 6, 3. ...priuati reatus uerecundiam... 744Epist. 7, 9, 7 : in quo adhuc nuper erratum.

745Epist. 7, 9, 6 : [mihi] per suspiriosas uoragines et flagitiorum uolutabra gradienti professionis huiusce pondus

D'ailleurs, l'état valétudinaire de Sidoine au moment où il vient de revêtir la charge peut encore apparaître comme lourd de sens : il met en effet lui-même en relation sa prise de fonction avec un état maladif qui l'a conduit « jusqu'au bord de la tombe » ; une analyse moderne n'aurait pas de peine à identifier dans la « fièvre », dont souffre alors le jeune dignitaire, un symptôme possible de sa « mauvaise conscience », que Sidoine met d'ailleurs lui-même explicitement en relation par

l'intermédiaire d'une proposition participiale apposée746 ; écrivant à Ruricius, vers la même époque

et peu après son élection, Sidoine évoque également la « fragilité » de son « âme encore malade »747.

Cette probable somatisation survenue au moment de la métanoia n'est pas sans faire également penser à la trachéite aiguë ainsi qu'à la rage de dents d'Augustin, devenu temporairement aphasique

à Cassiciacum748. Comme l'indiquent encore les lettres qu'il adresse aux figures d'autorité que sont

les évêques Euphronius et Faustus, Sidoine est alors nouus clericus peccator antiquus, scientia leui graui conscientia, « un clerc de fraîche date mais un pécheur ancien, à la science légère mais à la

conscience pesante749 ». Quelle est, finalement, la part exacte de posture dans les diverses

protestations d'illégitimité750 ? Comment interpréter cet error auquel l'évêque fait continuellement

allusion pour désigner sa vie laïque ?

746 Epist. 5, 3, 3 : Ego autem, infelicis conscientiae mole depressus, ui febrium extremum salutis acccessi... 747Epist. 8, 10, 4 : … aergotantis adhuc animae fragilitatem...

748Conf. 9, 2, 4 et 5, 13. Je sais gré à Monsieur Bertrand Lançon, spécialiste du « nausomonde » antique (cf. Lançon

2017, p. 158-172), de m'avoir signalé cette référence dans son rapport, ainsi que celle du récent ouvrage d'A. Crislip (Crislip 2013).

749Epist. 9, 2, 3.

750Van Waarden 2010, p. 16 souligne que cette posture toute ascétique d'humilitas, qui s'affiche dans tous les passages

où Sidoine argue de sa faiblesse et de son incompatibilité avec la responsabilité épiscopale, pour conventionnelle qu'elle soit, a toutes les chances d'être aussi mue par la sincérité : « We should note underrate the amount of emotion