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2 Parmi qui choisir ?

Lorsqu'un siège épiscopal vient à devenir vacant905, il conviendrait que les candidats à sa

succession provinssent de préférence des milieux cléricaux, qui demeurent la source d'extraction privilégiée des prétendants à l’évêché, comme le rappelle la lettre 10 de Léon le Grand, datée de 445906. Le concile de Nicée s'appuyait déjà sur un passage de la Bible907 pour favoriser l'accès à

l'évêché aux clercs accomplis et expérimentés, et en limiter l'accès aux novices ; une charge ecclésiastique telle que l'épiscopat ou le presbytérat doit théoriquement se préparer de longue date, contrairement à ce qui a pu avoir cours épisodiquement, et que les évêques de Nicée réprouvent dans le deuxième canon :

Étant donné que bien des choses contraires à la règle ecclésiastique se sont produites, soit par nécessité, soit qu'on ait eu d'autres motifs, au point que des hommes passés tout récemment de la vie païenne à la foi et catéchisés en peu de temps ont été aussitôt conduits au bain spirituel et, en même temps qu'ils étaient baptisés, ont été élevés à l'épiscopat ou au presbytérat, il a semblé bon qu'à l'avenir rien de tel ne se produise. Car d'une part il faut du temps au catéchumène, et de l'autre, après le baptême il est besoin d'une plus longue épreuve. 908

Delphine Viellard909 rappelle que les décrétales des papes Sirice (384-399), Zosime, (417-418), et

Célestin 1e r(428-32) - ce dernier s'adressant d'ailleurs spécifiquement aux évêques de la Gaule du

Sud-Est -, limitent aussi l'accès de la charge épiscopale en le refusant aux moines et aux laïcs910.

Bien entendu, nombre d'anciens moines de Lérins sont devenus évêques dans les décennies qui suivirent. Il n'est que de rappeler l'exemple de Fauste, qui d'ailleurs succède à Maxime de Lérins à l’évêché de Riez ; tous deux étaient moines à Lérins. Visiblement, les règles exprimées par ces textes normatifs sont, elles, moins scrupuleusement appliquées. Par ailleurs, la décrétale Ad Gallos episcopos, sans doute l’œuvre du pape Damase (366-384), refuse l'accès à l'épiscopat aux anciens fonctionnaires, puisque, « ayant administré le droit du siècle, il est manifeste qu'ils ne peuvent être

905Il ne peut le rester plus de trois mois, sans quoi l'évêque métropolitain contrevient au canon 25 du Concile de

Chalcédoine, daté de 451, et se soumet ainsi aux « peines ecclésiastiques » (Alberigo 1994, p. 223).

906Epist. « Diuinae cultum religionis », PL 54, 628b.

9071 Ti 3, 6-7 « Non neophytum, ne in superbiam elatus in iudicium incidat et laqueum diabuli » : « Que l'évêque ne

soit pas un néophyte, de peur qu'aveuglé d'orgueil, il ne tombe dans la condamnation et le piège du diable » (Alberigo 1994, p. 37).

908Canon 2 du Concile de Nicée, dans Alberigo 1994, p. 36-37 : Quoniam plura, aut per necessitatem aut alias

cogentibus hominibus aduersus ecclesiasticam facta sunt regulam, ut homines ex gentili uita nuper accedentes ad fidem et instructos breui temporis interuallo mox ad lauacrum spiritale perducerent, simulque ut baptizati sunt, ad episcopatum uel presbyterium promouerent : optime placuit nihil tale de reliquo fieri. Nam et tempore opus est ei qui catechizatur, et post baptismum probatione quam plurima.

909Viellard 2014, p. 42.

exempts de péché »911 . Ces injonctions semblent de fait quelque peu oubliées au temps de Sidoine,

au point qu'une autre lettre du pape Gélase, à la fin du Ve siècle, devra publier à nouveau ces

impératifs, faisant même figurer à égalité l'exigence d'une abstinence totale des affaires publiques, au même rang que celle de la bigamie, qui sont ainsi présentées toutes deux comme des impedimenta dans l'accès à la cléricature912:

Si quelqu'un […] qui a été élevé sous la discipline d'un monastère doit devenir clerc, il faut d'abord scruter la vie qu'il a menée […] si éventuellement il n'a pas été marié deux fois […] ou s'il peut être prouvé qu'il n'a jamais été soumis aux obligations de la curie. 913

Ainsi, entre les IVe et Ve siècles, l'exercice d'une quelconque charge administrative civile aurait

donc dû suffire à compromettre toute carrière cléricale914. Nous savons pourtant déjà que le seul

exemple de Sidoine contrevient à cette règle normative qui, comme nous allons le voir, n'en finit pas d'être dépassée : ayant lui-même été préfet, et il a certainement dû rendre des jugements injustes, et il est certain qu'il a aussi pris part aux uoluptates, « réjouissances publiques », lors des festivités impériales auxquels il a participé lorsqu'il était préfet de Rome915.La suite de la lettre de

Gélase indique même que le cas est encore plus litigieux si le candidat est un laïc : il convient alors d'attendre un certain temps avant la nomination.

Les renseignements extraits de la correspondance de Sidoine témoignent d'une liberté considérable prise par rapport à ces diverses règles dont ni les clercs ni les fidèles ne se souvenaient peut-être plus, et qui étaient alors dépassées par d'autres considérations. Lors des élections épiscopales de Chalon-sur-Saône et de Bourges que rapporte Sidoine dans ses lettres 4, 25 et 7, 5, des laïcs briguent l'épiscopat au même titre que les clercs. Les candidats à l'épiscopat de Bourges

proviennent « des rangs de l'une et de l'autre profession916 », utriusque professionis ordinibus, c'est-

à-dire qu'ils sont issus du clergé comme du laïcat917. Quant au candidat sur lequel Sidoine fera

911 Damase, epist. 5, 13, p. 40-41 : Eos praeterea qui, saecularem adepti potestatem, ius saeculi exercuerunt,

immunes a peccato esse non posse manifestum est. Dum enim, aut gladius exheritur, aut iudicium confertur iniustum, aut tormenta exercentur, pro necessitate causarum, aut pro necessitatibus exhibent uoluptatibus curam, aut praeparatis intersunt, in his quibus renuntiauerant denuo <se> sociantes, disciplinam obseruationis traditam mutauerunt. (cité par Viellard 2014, n. 25, p. 51).

912Van Waarden 2010, p. 500 indique d'ailleurs que cette règle recevra une expression canonique dans le décret de

Gratien 1, 55, 1.

913 Gélase, epist. 9, 2, PL 59 p. 49 a-c : ut si quis […] monasterialibus disciplinis eruditus ad clericale munus accedet,

imprimis eius uita praeteritis acta temporibus requiratur […] si secundam non habuit fortassis uxorem, […] si curiae iam probatur nexibus absolutus ...

914 Comme le souligne aussi Van Waarden 2010, p. 500.

915 Par exemple, la course de chars où triomphe son ami Consentius de Narbonne, les banquets donnés par Majorien à

l'occasion des jeux du cirque, ou ses décisions alors qu'il était préfet de Rome.

916 Le terme de professio désigne indifféremment les charges cléricales. 917 Epist. 7, 5, 1.

porter son choix, et qui a aussi la faveur du peuple biturige, il est un uir spectabilis918, et Sidoine

reconnaît qu'il n'a jusque-là aucune expérience dans le milieu ecclésiastique :

(…) neque quippiam nominato, licet necdum nostrae professionis, inlicitum opponi, animum aduerti exactissimum uirum posse censeri, de quo ciuis malus loqui, bonus tacere non posset.

(...) comme aucune objection réglementaire n'est opposée à sa nomination, bien qu'il n'appartienne pas encore à notre profession, j'en ai conclu qu'on pouvait considérer comme le candidat parfait un homme sur lequel aucun mauvais citoyen ne peut jaser, ni un bon garder le silence.919

Sidoine formule bien une petite concession, licet necdum nostrae professionis, « même s'il n'appartient pas encore à notre profession », mais il semble bien que cette légère compromission

n'ait guère d'importance en la circonstance920. De fait, il convient d'élire au plus vite un évêque à

Bourges dont le siège est vacant, puisqu'il s'agit de la métropole, et que les Wisigoths menacent (des ariens se portent même candidats à l'élection) ; investi de cette mission délicate, Sidoine commente ainsi son choix et les raisons pour lesquelles il a parfois écarté tel ou tel profil de candidat, moins par souci de se conformer aux canons et aux règles de l'élection, que d'anticiper les reproches du peuple. Ainsi explique-t-il au populus réuni là :

Primum tamen nosse uos par est, in quas me obloquiorum Scyllas et in quos linguarum, sed humanarum, latratus quorundam uos infamare conantum turba coniecerit.

D'emblée pourtant, il faut que vous sachiez sur quels écueils d'objections et au milieu de quels aboiements, mais aboiements humains, m'a jeté la foule de certaines personnes désireuses de vous déshonorer921.

(…) Si quempiam nominauero monachorum, (…) ignobilum pumilionum murmur euerberat conquerentum : « hic qui nominatur, inquiunt, non episcopi, sed potius abbatis complet officium et intercedere magis pro animabus apud caelestem quam pro corporibus apud terrenum iudicem potest ! ».

Si je nomme un moine (…), aussitôt s'élève le murmure de protestations d'ignobles petits personnages qui contestent : « celui qui est nommé, disent-ils, n'est pas apte à remplir la fonction d'évêque, mais plutôt d'abbé, et il est plus à même d'intercéder pour les âmes auprès du juge céleste

918 Epist. 7, 9, 18. 919 Epist. 7, 8, 3.

920Sidoine semble tout de même s'en excuser en rappelant l'origine « sacerdotale » de la famille de son candidat (7, 8,

20), qui compte des évêques chez son père et beau-père, se conformant ainsi à la lettre de Luc, 1, 5-17, qui loue les mêmes dispositions favorables chez Jean.

que pour les corps auprès du juge terrestre ! »922.

Ce commentaire appelle plusieurs remarques : pour Sidoine, la possibilité d'élire un moine à l'épiscopat de Bourges ne fait pas problème au regard des statuts de l'Église. De fait, certains évêchés gaulois sont effectivement tenus par d'anciens moines de Lérins, et la décrétale de Gélase que nous avons mentionnée plus haut n'a pas encore été publiée : Sidoine ne semble pas contrevenir aux usages cléricaux. En revanche, la masse des laïcs contestataires, qui est d'ailleurs évoquée avec un certain mépris par Sidoine qui les présente comme des pumiliones, littéralement des « nains », ne souhaite pas un abbé pour évêque, au motif qu'il serait trop étranger aux préoccupations « terrestres » de ses ouailles. Les laïcs désirent un homme capable d'agir pour eux sur un plan concret, idée que notre auteur partage, à n'en pas douter. Même si Sidoine n'a au fond certainement que faire de ces récriminations, il semble bien qu'en l'occasion, il partage l'avis rapporté, puisque son choix se porte sur un homme qui n'a manifestement rien d'un moine. Un clerc, au moins, serait- il mieux indiqué ? Sidoine continue à commenter ses hésitations :

Si clericum dixero, sequentes aemulantur, derogant antecedentes. Nam ita ex his pauci, quod reliquorum pace sit dictum, solam clericatus diuturnitatem pro meritis autumant calculandam923, (…) tamquam diu potius quam bene uiuere debeat accipi ad summum sacerdotium adipiscendum (...) .

Si je désigne un clerc, ceux qui le suivent dans la hiérarchie le jalousent, ceux qui le précèdent cherchent à le discréditer. En effet, certains parmi ces derniers (soit dit sans offenser les autres) estiment que la seule durée du temps de cléricature doit être prise en compte, plutôt que les mérites (…), comme si une longue vie plutôt qu'une vie sage devait être tenue pour garantie valable pour obtenir le plus haut sacerdoce (…)924

Commençons par remarquer que de telles remarques donnent d'une part une image bien négative du climat qui règne parmi les clercs en cette circonstance qui se prête particulièrement aux critiques et aux jalousies de toute part (aemulantur, derogant). Ces attitudes paraissent fort éloignées des préceptes de mesure et de pudeur que valorise Fauste dans ses lettres adressées aux conuersi, et auxquels enjoignent explicitement les canons ecclésiastiques contemporains ; nous aurons l'occasion d'y revenir. Par ailleurs, les commentaires de Sidoine, bien que visiblement guidés par le bon sens, contredisent les exigences ecclésiastiques formulées plus haut par le pape Sirice, en

922Ibid., §9.

923Correction du texte latin donné par André Loyen à la CUF, qui comportait calculandum (t. 3, p. 56), indiquée par

Van Waarden 2010, p. 479.

vertu desquelles un évêque ne doit être consacré qu'après avoir gravi certaines étapes d'un cursus clérical précis : il conviendrait en effet que l'évêque ait d'abord exercé les charges de lecteur, de diacre, puis de prêtre. Ces charges sont toujours bien attestées au temps de Sidoine, comme nous l'avons vu : vers la même époque, il mentionne lui-même le lecteur Amantius qui lui sert de

courrier925 ; il évoque un diacre du nom de Proculus926. Pourquoi, donc, ne pas recruter un évêque

parmi ces clercs d'ordre mineurs ? C'est lui-même qui nous l'explique : le souci de Sidoine d'élire un évêque sage et bon, plutôt qu'expérimenté dans l'Église, justifie cette entorse aux normes conciliaires. C'est dire, au passage, combien le clergé local devait être corrompu ou jugé incompétent, puisqu'aucun candidat de cette provenance ne trouve grâce à ses yeux et qu'il est prêt à préférer, à tous les clercs présents là, un homme du siècle :

Si militarem dixero forte personam, protinus in haec uerba consurgitur : « Sidonius ad clericatum quia de saeculari professione translatus est, ideo sibi assumere metropolitanum de religiosa congregatione dissimulat ; natalibus turget, dignitatum fastigatur insignibus, contemnit pauperes Christi. »

Si par hasard je choisis une personnalité du monde politique927, aussitôt tout le monde se soulève en disant : « Sidoine, comme il a été transféré d'une profession séculaire à l'état de clerc, néglige de choisir un métropolitain dans la congrégation religieuse ; il s'enorgueillit de sa naissance, il se flatte des insignes de ses dignités, il méprise les pauvres du Christ ».928

Sidoine ne reculerait donc pas non plus spontanément devant l'élection d'un ancien fonctionnaire, si les critiques ne lui faisaient craindre de passer pour un orgueilleux désireux de favoriser les hommes qui, « comme lui », sont passés de saeculari professione ad clericatum. Cette remarque signale d'ailleurs bien le caractère inopiné de la promotion épiscopale de Sidoine : rien ne le préparait naturellement à entrer dans les ordres. Pourtant, le choix d'une militaris persona contrevient assez nettement aux préceptes exprimés par les papes ; mais, là encore, les circonstances exigent une solution pragmatique. D'ailleurs, c'est finalement Simplicius, un uir spectabilis, c'est-à- dire un sénateur de second ordre, que Sidoine décide de faire élire à Bourges. Sidoine ne voit aucune contradiction entre la provenance laïque du candidat et la « réglementation » officielle, si

925Epist. 7, 7, 1 ; 7, 10, 1 ; 9, 4, 1. 926Epist. 9, 2, 1.

927André Loyen traduit (t. 3, p. 57), en donnant à forte un sens plus vigoureux, « s'il me prend la fantaisie de désigner

une personnalité de la politique », conscient peut-être du caractère inopiné d'un tel choix. L'expression militaris

persona désigne, depuis Tite-Live (10, 24, 4), un politicien, comme l'indique Van Waarden 2010, p. 485 ; ce dernier

traduit également plus fidèlement translatus est en conservant son sens passif (« il a été transféré »), contrairement à Loyen qui invente une tournure active (« il est passé »), gommant ainsi légèrement l'idée que Sidoine n'a peut-être pas été acteur de cette décision.

tant est qu'elle soit encore en vigueur en cette seconde moitié du Vesiècle929. De fait, alors que

l'Église gauloise est fragilisée, comme nous l'avons vu, par sa relative jeunesse tout autant que par la menace arienne que font peser sur elle les Wisigoths, les élections épiscopales en Lyonnaise et en Aquitaine première, qui reçoivent la candidature d'hommes de toute provenance, sont davantage l'occasion de choisir un chef de communauté efficace et influent qu'un saint homme. Simplicius présente à cet égard les qualités requises : il a exercé une magistrature civile et il est aimé des boni, les gens de bien, que Sidoine prend bien soin de distinguer, dans une attitude assez peu charitable,

de la masse : gratiam non captat omnium, sed bonorum930 . De même, en proposant le prêtre Jean à

Chalon, la congrégation menée par Patiens est soutenue par les acclamantes boni, les acclamations

des bonnes gens931. Ainsi la définition du clerc idéal et la figure privilégiée de l'évêque s'ajuste-t-

elle autour d'une forme de « canon » aristocratique ; c'est pourquoi le consensus trouvé n'est pas total, puisque quelques prêtres, marquant à demi-voix leur désapprobation, « caquetaient dans les coins, mais en public ils se gardaient bien de bredouiller même leurs doléances (...) »932 . Ainsi

Sidoine affiche ici encore un point de vue sénatorial, amenuisant la part que doit prendre la

communauté civique et religieuse populaire dans ce choix d'expert933. Le mode de recrutement de

l'évêque obéit à d'autres logiques, où la possession de biens, la garantie d'un réseau d'amis développé et l'expérience politique a plus d'importance que le respect des canons et la faveur

populaire934. L'identité épiscopale gauloise qu'exemplifie Sidoine se déplace, au cours des dernières

décennies du Ve siècle, vers des valeurs et des habitus aristocratiques, sans que soient toutefois

négligés les préceptes éthiques et spirituels, ouvrant peu à peu la voie à l'épiscopat mérovingien935.

Bon nombre d'évêques gaulois ont préalablement occupé des fonctions de gouvernement ou

d'administration au milieu du Ve siècle936. Germain d'Auxerre a occupé, avant de devenir le célèbre

929 Van Waarden 2010, p. 400, relève bien la contradiction entre le laïcat de Simplicius et son accession directe à la

plus haute fonction cléricale, mais n'explique pas, quoiqu'il le souligne, ce fait qui contrevient à la ligne officielle et qui est une entorse claire à l'esprit des canons.

930 Epist. 7, 9, 22. 931 Epist. 4, 25, 4.

932Ibid. : presbytorum sane paucis angulatim fringultientibus, porro autem palam ne mussitantibus quidem, quia

plerique non minus suum quam reliquos ordines pertimescebant.

933Viellard 2014, p. 44 : « Sidoine pense qu'il est bon que le pouvoir du peuple soit amoindri lors des élections

épiscopales. »

934 Ibid., p. 49-50.

935 Au VIe siècle, les autorités politiques interviennent dans les nominations d'évêques et « parachutent » ainsi des

laïcs sans réelle préparation aux pouvoirs sacramentels : « dans 60% des cas connus, les souverains francs, outrepassant les prérogatives octroyées par la législation conciliaire, nomment purement et simplement aux évêchés »( Pietri 2010, p. 198). Parmi eux, « un tiers de ceux qui bénéficient de la faveur royale sont des laïcs, issus, comme la tradition s'en était établie au Ve siècle, des élites de la société civile, sans que leur promotion soit

systématiquement obtenue par une pratique simoniaque» (ibid.).

prélat auquel Constantius de Lyon consacre une uita, plusieurs postes civils (notamment comme avocat au tribunal de la préfecture des Gaules), puis une charge importante de « commandement

suprême » et d' « administration dans les provinces »937. Il en va de même de Chelidonius de

Besançon, qui fut sans doute gouverneur de province et qu'on accusa en 444, avant de le démettre de ses fonctions pour ce motif, d'avoir prononcé des condamnations à mort dans l'exercice de cette saeculi administratio938 - preuve que, en d'autres temps, les règles énoncées plus haut par les papes

au sujet de la sélection des évêques pouvaient être bien appliquées, quoiqu'avec quelque retard. Isicius (ou Hesychius) de Vienne occupe également de hautes fonctions dans le siècle sous le règne

d'Avitus, et sans doute celle de tribun en 456, avant de succéder à Mamertus à l’évêché de Vienne939.

Simplicius, à Bourges, évince le candidat Pannychius, uir inlustris auquel Ralph Mathisen940 prête

la fonction de comes ciuitatis à Bourges, qui fut toutefois refusé à ce poste en raison de sa bigamie ; sans cela, il aurait été un candidat acceptable. En fait, sur la soixantaine d'évêchés actifs en Gaule à l'époque de Sidoine, plus de la moitié des évêques sont issus de l'aristocratie sénatoriale ou

municipale, alors que l'origine monastique est plutôt minoritaire941. Cette double provenance semble

d'ailleurs avoir donné lieu à une certaine émulation entre les représentants de ces deux milieux d'extraction, rivalité que Sidoine veut manifestement résoudre en réunissant pacifiquement, dans son entourage d'évêque, des prélats issus des deux origines, et en présentant avec un effort de justice manifeste les qualités attachées à chacune de ces catégories : les moines Loup, Antiolus et

Faustus942 sont salués comme les véritables bras armés de la fides catholica, révérés pour leur solide

discipline, et vantés pour leurs aptitudes spirituelles à guider les âmes ; les évêques directement issus du laïcat aristocratique, concourant d'ailleurs à illustrer le modèle du « gentleman-bishop » qui

continue à mener une vie privilégiée943, s'engagent efficacement dans les affaires du siècle. Sidoine

est de ceux-là, et l'on ne s'étonnera donc pas de retrouver, dans ses lettres, d'autres exemples de