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3 Le paganisme barbare

Au sein même des nations barbares, sur l'ancien territoire de l'empire désormais morcelé, il convient de distinguer celles qui pratiquent un christianisme arien, auquel elles se sont converties avant même que de pénétrer dans l'empire romain, en l'héritant de l'évêque arien Ulfila, et ceux qui perpétuent leurs propres rites polythéistes : c'est le cas des Alains, par exemple, installés sur les terres cédées par l'arien Aétius en 442, mais aussi du peuple Franc : lorsque Clovis succède à son père Childéric comme roi des Francs en 481 et qu'il hérite de Belgique Seconde, il est encore païen,

puisqu'il n'a pas reçu le baptême. Avit de Vienne écrit à ce même roi, vraisemblablement en 496545,

qu'il souhaiterait le voir s'engager dans une campagne missionnaire ; ainsi, cet évêque nous est

537Quer. 30 : uade, ad Ligerem uiuito, est probablement une allusion aux Bagaudes, rebelles du Nord-Ouest de la

Gaule au Ve siècle. Cf. Jacquemard-Le Saos 1994, p. 14 et n. 7 p. 80-82.

538Ratti 2012, p. 89-100.

539Rutilius Namatianus, red. À propos de ses origines, 1, 19. 540Ratti 2012, p. 80-87 et Ratti 2010, p.291-308.

541Rutilius Namatianus, red. 1, 551-554. 542PLRE I, p. 751-752.

543Ibid., 1, 213-216. 544Ibid., 1, 493-510.

témoin que les Gaules demeurent une terre de mission jusqu'au delà du VIesiècle puisque, dit-il, il

aimerait gagner ses voisins, païens, à la foi chrétienne, de même que les ariens à la confession catholique. Ainsi s'adresse-t-il au roi des Francs, après s'être félicité de sa conversion et de son baptême ; il déplore notamment que, contrairement à lui qui s'est converti volontiers,

d'ordinaire la plupart, dans une affaire semblable (…) opposent la coutume de leur famille et la pratique du culte ancestral ; ainsi, préférant coupablement au salut une crainte révérencielle, tandis qu'il gardent un respect frivole à leurs parents en conservant l'incrédulité, ils avouent en quelque sorte qu'ils ne savent pas quel choix faire.546

Avit désigne ici une catégorie spécifique de Francs païens incrédules mais hésitants, parmi

lesquels Gondebaud547, préférant perpétuer le vain culte des idoles pour se conformer à la coutume

familiale, en respectant le rite paternel. Il est donc évident que ces « parents », dont il est question ici, non seulement défendaient des croyances païennes une génération plus tôt, du temps de Sidoine, mais continuent à le faire après le Ve siècle. De plus, Avit ajoute, accroissant le peuple païen

susceptible d'être converti :

Il y a une seule chose que je voudrais voir augmenter, c'est que puisque Dieu grâce à vous fera entièrement sienne votre nation, aux nations d'au-delà, aussi, qui étant encore dans l'ignorance naturelle, n'ont été corrompues par aucun germe des dogmes erronés, vous présentiez, issues du bon trésor de votre cœur, les semences de la foi.548

Ainsi, les peuples germaniques installés en Gaule et dans les territoires voisins549 continuent-

ils à pratiquer l'ancien culte, ce qui constitue manifestement une menace sérieuse pour Avit à la fin

du Ve siècle ; leurs usages païens se maintiennent même après la christianisation de Clovis, comme

en témoignent les Sermons qu'adresse Césaire d'Arles aux chrétiens insuffisants : « Nous avons appris que certains d'entre vous vont adresser des vœux aux arbres, vont prier aux fontaines,

observent des augures diaboliques...550», les condamne-t-il, avant de poursuivre en ces termes : « ce

qui est encore pire, c'est qu'il existe des malheureux et des misérables qui non seulement refusent de détruire les temples païens, mais qui de plus ne craignent pas ni ne rougissent de reconstruire des

546Avit de Vienne, epist., 42, 3 : Solent plerique in hac eadem causa […] consuetudinem generis et ritum paternae

obseruationis obponere ; ita saluti nocenter uerecundiam praeferentes, dum parentibus in incredulitatis custodia futilem reuerentiam seruant, confitentur se quodammodo nescire quid eligant. (traduction de la CUF).

547Malaspina 2016, n. 490, p. 103.

548Avit de Vienne, epist., 42, 11 : Vnum est quod uelimus augeri : ut, quia Deus gentem uestram per uos ex toto suam

faciet, ulterioribus quoque gentibus, quas in naturali adhuc ignorantia constitutas nulla prauorum dogmatum germina corruperunt, de bono thesauro uestri cordis fidei semina porrigatis. (traduction de la CUF).

549Ulteriores désigne, selon E. Malaspina, les peuples installés au-delà du Rhin, c'est-à-dire les Saxons, les

Thuringiens et les Alamans : op. cit., p. 217, n. 515.

550Césaire d'Arles, Sermon 53, 1 : audiuimus aliquos ex uobis ad arbores uota reddere, ad fontes orare, auguria

temples qui avaient été détruits... » 551. Nombre de remarques similaires pourraient du reste être

extraites des sermons de Césaire552. Les prédications de cet évêque qui officia de 503 à 542

prouvent encore que la Gaule, et notamment les territoires ruraux, ne sont christianisés que superficiellement, et que des formes vivaces de paganisme perdurent, même autour d'une ville comme Arles, qui voit la tenue des conciles ecclésiastiques et semble à ce titre constituer l'un des cœurs battants du christianisme gaulois. Bruno Dumézil confirme par ailleurs que la lutte contre le

paganisme s'engage véritablement sous le règne du fils de Clovis, Childebert Ier, dont la volonté de

voir détruits les édifices du culte païen est encore très manifeste553.

La cohabitation de ces peuples germano-barbares et de leurs démons avec les chrétiens gaulois, fragilisés d'ailleurs par les politiques victorieuses des premiers, put causer un effet pervers à même de ralentir encore le processus de conversion en séduisant certains chrétiens554 : ainsi

Maxime de Turin dénonce-t-il ces Romains qui, désespérant de Dieu lors des raids gothiques, se tournèrent vers les démons vénérés par leurs ennemis et jugés en l'occasion plus efficaces pour les protéger555. Par ailleurs, Giovanni Cecconi montre que les chrétiens faits prisonniers de guerre

pouvaient être contraints de sacrifier aux dieux des barbares556. La persistance païenne est donc

observable tant dans les provinces restées romaines que dans les territoires gaulois conquis par les peuples germaniques.