• Aucun résultat trouvé

2 Qu'est-ce que l'error ?

Dans la tradition apologétique chrétienne, Sidoine ne peut ignorer que le terme d'error est

bien souvent employé pour désigner la « fausse croyance », la superstition païenne751. Qu'en est-il

pour Sidoine ? S'il désigne d'abord, sans spécialisation, une simple faute, le terme d'error, de même que le verbe errare, n'est plus employé par Sidoine, après le livre 4 de sa correspondance, que dans une acception chrétienne, ou à tout le moins spirituelle. On relève d'ailleurs que les occurrences relatives à cette isotopie se font nettement plus nombreuses, à raison de 2 mentions des termes « error » ou « errare », dans les livres 1 à 4 des Epistulae, contre 13 à partir du livre 4, preuve que Sidoine se montrait nettement plus préoccupé par l'idée de commettre une faute après son épiscopat. Avant de marquer plus nettement ses écrits du sceau d'une conscience catholique, vers la fin des années 460, Sidoine emploie d'abord ce terme pour désigner le fait de manquer sa cible à la chasse, et ce à une seule occasion752 ; une autre fois, il s'agit d'un écart de conduite d'un père à

l'égard de son fils753. Mais dès 469, date de la conversion de Sidoine, ce dernier ne conçoit plus

alors l'error que comme un manquement à la juste morale chrétienne. Le terme désignera ainsi le geste violent, non autorisé par l'évêque, que Sidoine commettra à l'égard de naïfs croque-morts

profanant inconsciemment le tombeau de son grand-père Apollinaris754. Ce nom qualifiera

également, un ou deux ans après l'épiscopat de Sidoine, dans une lettre à Eleuthérius, l'hétérodoxie d'un juif, dont « l'erreur » ne plaît pas à Sidoine, et par laquelle « périssent ceux qui en sont enveloppés »755. Dans la lettre suivante, l'évêque salue l'action de l'évêque Patiens contre les

hérétiques et les barbares tirés désormais « du gouffre profond de l'erreur »756. À Basilius d'Aix,

Sidoine affirme ensuite qu'Euric ne pâtit que d'une erreur, qui est « de s'imaginer que le succès de

751Ainsi Firmicus Maternus, Err. prof. rel., 16, 4 : amputanda sunh haec, sacratissimi imperatores, penitus atque

legenda et seuerissimis edictorum uestrorum legibus corrigenda, ne diutius Romanum orbem praesumptionis istius error funestus immaculet..., « Ces pratiques, très saints empereurs (scil. Constance II et Constant Ier, à qui est adressé

le livre), on doit les supprimer radicalement et les anéantir. Il faut les sanctionner suivant les plus sévères dispositions de vos édits, afin que l'erreur mortelle de ce vil préjugé n'infecte pas plus longtemps le monde romain ». voir aussi ibid., 2, 8 ; 17, 4. 752Epist. 1, 2, 5. 753Epist. 4, 23, 1. 754Epist. 3, 12, 2. 755Epist. 6, 11, 1. 756Epist. 6, 12, 4.

ses délibérations et de ses projets lui est accordé en raison de l'orthodoxie de sa religion »757. L'error

concerne aussi le contresens de ceux qui s'imaginent mieux connaître quelqu'un (en l'occurrence, le pieux Philagrius, modèle de vertu chrétienne) parce qu'ils le fréquentent physiquement, que Sidoine

ne le connaît par l'âme758.. C'est d'error également qu'était coupable le jeune homme qui vivait dans

l'obscénité avec une « servante éhontée », puis qui est finalement revenu à une condition plus respectable, grâce à son mariage avec une « jeune fille pure » :

haec quidem gloria, si uoluptates sic reliquisset, ut nec uxori coniugaretur ; sed, etsi forte contingat ad bonos mores ab errore migrare, paucorum est incipere de maxumis (...)

sans doute la véritable gloire eût été d'avoir suffisamment renoncé aux voluptés pour ne pas même prendre femme ; mais s'il arrive par bonheur qu'on puisse passer de l'erreur à la vertu, il n'est donné qu'à peu de gens de commencer par le plus haut niveau.759

Dans cette remarque, Sidoine fait montre de sa bonne connaissance des dogmes catholiques, qui situent la vertu dans la chasteté, et auxquels il oppose donc le comportement de l'erratus. On perçoit donc un glissement sémantique intéressant : l'error devient non seulement strict synonyme de péché, mais aussi de contresens religieux, voire de comportement hétérodoxe. Le terme est employé

au sens de péché (d'orgueil), lorsque Sidoine souhaite se disculper aux yeux de Loup de Troyes760.

De la même façon, Lampridius, celui-là même qui mourra dans d'affreuses circonstances après avoir pris la liberté, hautement condamnable, de consulter des astrologues, mêle-t-il à ses qualités naturelles des « erreurs » « vénielles », c'est-à-dire des défauts, apparentés à des péchés : irascibilité, inconséquence, médisance761... L'inconséquence, de même, avec laquelle Sidoine aura

agi à l'égard de Loup, en ne lui dédicaçant pas directement son « petit livre » mais en le lui

transmettant comme simple intermédiaire, appelle le même qualificatif762 ; de même que sa

négligence envers Gelasius763. Ainsi voit-on bien que le terme, que Sidoine appliquera bientôt à son

passé séculier, recouvre une acception qui oscille du simple péché à l'hérésie barbare, mais se situe toujours en dehors de la foi et dans la faute morale. On retrouve d'autre part l'usage d'error ou d'errare pour désigner une erreur d'appréciation ou de jugement, appliquée à Sidoine lui-même, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il est bien légitime dans ses nouvelles responsabilités : ainsi est-ce à

757Epist. 7, 6, 6. 758Epist. 7, 14, 2. 759Epist. 9, 6, 3. 760Epist. 9, 11, 1 761Epist. 8, 11, 4. 762Epist. 9, 11, 10. 763Epist. 9, 15, 1.

la suite d'une erreur qu'il prétend ne pas mériter la charge qui lui est confiée, lorsqu'il doit nommer

le nouvel évêque de Bourges, au début de son propre pontificat764 ; dès lors, lorsque Sidoine affirme

même à une assemblée tout entière (le peuple biturige) qu'il vivait encore récemment dans l'errance,

en dehors du droit chemin, « ab hoc rectum tramitem […] erratum »765, que donne-t-il à entendre?

Cela signifie-t-il qu'hors les ordres, il n'est point de salut?

L'error semble donc bien désigner, pour Sidoine, une vie contraire à la foi catholique, et proprement hérétique, conformément d'ailleurs au sens qu'il recouvre chez d'autres auteurs tardo- antiques (ainsi Firmicus Maternus). Il est étonnant que notre évêque désigne ses premières années en un terme aussi tranché : faut-il y lire l'indice du caractère irréconciliable de ses premiers penchants littéraires et spirituels avec les dogmes de la vraie foi chrétienne ? Ces catholicae fidei regul[ae]766, il les invoque bien volontiers, à la fin de sa carrière, contre l'exemple de son ami

Lampridius qui consulte des astrologues ; aussi est-il probable que son jugement rétrospectif lui fasse considérer, avec plus de clairvoyance, ses premiers agissements de laïc, comme ceux d'un hérétique, ou d'un homme qui agit dans l'irrespect de la foi chrétienne. Il se pourrait que Sidoine, bien conscient d'avoir pratiqué trop modérément sa religion jusqu'au tournant de l'épiscopat, voire

de n'avoir été qu'un chrétien superficiel, reconnaisse désormais son errance et sa tiédeur passée767.

764Epist. 7, 9, 7.

765Van Waarden 2010, p. 459, indique qu'il faut ici entendre erratum comme un participe passé employé comme

qualificatif de tramitem, cette-fois si sous-entendu, c'est-à-dire « le mauvais chemin », mais ajoute entre parenthèses que l'on peut aussi comprendre erratum comme un substantif, qui désignerait alors le « short-coming », ou le péché.

766Epist. 8, 11, 13.

767Nous prolongeons ces remarques dans la troisième partie de ce mémoire, et plus spécifiquement dans les derniers