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S CIENCE ET INDUSTRIE : UNE ORGANISATION DICHOTOMIQUE

1.1 L’institutionnalisation politique d’un cadre dichotomique entre la science et l’industrie

1.1.3 Implications organisationnelles de l’organisation dichotomique entre la science et l’industrie

1.1.3.1. Le statut de la science en France et aux Etats-Unis

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et de manière quasiment simultanée, la France et les Etats-Unis ont pris conscience de la nécessaire valorisation de la recherche

fondamentale, en raison notamment de l’enjeu économique et surtout de défense qu’elle peut constituer, et ont commencé à structurer leur système de recherche publique. Des politiques scientifiques ont alors été mises en oeuvre, touchant non seulement au financement de la recherche académique mais aussi aux structures qui vont fédérer ces activités de recherche et ces financements. Cependant, les deux nations y ont répondu de manière différente. Cette différence s’exprime particulièrement dans la place prise par l’université dans cette volonté commune de développer la recherche académique. Dans le cas des Etats-Unis, on assiste au renforcement de leur rôle avec la création d’organismes qui gravitent autour d’elles et qui fédèrent les financements. On a ainsi les universités d’un côté et des organisations de soutien de l’autre. La réponse française consiste plutôt en la création d’institutions scientifiques, comme le CNRS, qui fonctionnent en parallèle, en tant qu’alternative aux universités. Une autre différence s’exprime entre les systèmes organisationnels choisis par la France ou les Etats-Unis. En effet, alors que ces derniers mettent en place des agences, comme par exemple la National Science Foundation, la France va mettre en place des organismes. La différence entre ces deux systèmes consiste essentiellement en ce que l'organisme est davantage un acteur alors que l'agence est essentiellement un catalyseur. Ce parallélisme des enjeux, au regard des réponses différentes apportées, va tendre vers une évolution différente des deux systèmes de recherche publique.

Aux Etats-Unis, la recherche publique se répartit entre les universités (qui peuvent par ailleurs être publiques ou privées), les agences fédérales disposant de leurs propres laboratoires et les laboratoires qui dépendent directement des départements ministériels. Ces derniers financent en effet la recherche et gèrent des laboratoires organisés en départements. On peut citer par exemple le département de la défense, de l’énergie ou encore celui de l’agriculture. Concernant les agences, elles développent des activités de recherche scientifique, mais elles consistent également en des agences de moyens qui financent la recherche mise en œuvre par les universités. A titre d’illustration, on peut citer les principales agences, autrement dit celles qui disposent des plus importants budgets de recherche :

 les NIH, les National Institutes Health, qui sont les principaux acteurs dans le domaine des sciences de la vie ;

 la NSF, la National Science Foundation, fonctionnant exclusivement comme une agence de moyens et finançant ainsi la recherche fondamentale ;

 la NASA, la National Aeronautics and Space Administration, qui couvre la recherche liée à l’espace mais aussi la biologie, la physique et les sciences de la terre.

Dans le cas français, la recherche publique est organisée de manière bipolaire en ce sens où elle se répartie entre les universités et les organismes de recherche, mais de manière alternative. Les fondements de ce dispositif de recherche français ont été établis à la fin des années 1930 et après la Seconde Guerre mondiale, avec la création du CNRS et du CEA et le lancement des grands programmes technologiques afin de rattraper les retards pris par la France. D’autres organismes de recherche ont ensuite été créés au cours des années 1960 et au début des années 1970. Ces derniers mènent eux-mêmes des activités de recherche avec leur propre personnel, mais connaissent une certaine diversité de statuts. On retrouve en effet des EPST, autrement dit des Etablissements Publics à caractère Scientifique et Technologique, comme le CNRS, l’INSERM (créé en 1964), l’INRA (créé en 1946) ou encore l’INRIA, (créé en 1967) ou des EPIC, des Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial, comme le CEA ou le CNES. Ces organismes de recherche ont été conçus pour avoir un rôle directeur au plan national dans la mise en œuvre des grands programmes et de la politique de recherche, les universités n’étant que des acteurs secondaires. En fait, c’est la priorité aux fonctions d’enseignement qui va être donnée aux universités15. Leur implantation sera d’ailleurs faite en fonction des besoins d’enseignement et non des exigences de la recherche (Assemblée Nationale, 2004). Des fondations privées, comme l’Institut Pasteur dans le domaine médical, participent également activement à la recherche.

La question du financement de la recherche publique présente elle aussi des différences selon que l’on s’intéresse à la situation française ou américaine. Dans ce dernier cas, ce sont essentiellement les agences qui fournissent aux laboratoires de recherche, y compris universitaires, les moyens de mener des activités scientifiques. Les financements émanant de ces agences sont attribués pour la plupart sur appels d’offres, mais aussi au moyen de contrats ou d’accords de coopération permettant la création de grands équipements ou de centres de recherche. Ce système est caractérisé par une importante concurrence entre universités, favorisant l’excellence de la recherche, dans la mesure où les fonds sont alloués aux universités les mieux cotées (phénomène de star scientist qui sera développé ultérieurement). Les agences de moyen attribuent la plupart de leurs financements par des appels d’offres nationaux relevant de plusieurs centaines de programmes fédéraux. Ces financements sont alloués à un chercheur à titre individuel, le principal investigator, après

15 En matière d’enseignement, une spécificité française consiste en l’existence de grandes écoles indépendantes des universités. Il s’agit d’un système élitiste concurrent des universités dans la sélection des meilleurs étudiants et bénéficiant de financements plus importants. On notera que jusqu’à un passé récent, ces grandes écoles ne réalisaient pas de recherche.

évaluation par les agences fédérales. Ce système est de fait source d’inégale répartition des budgets de recherche mais il permet de financer des équipements (les grands équipements de recherche sont situés dans les laboratoires fédéraux) et des salaires pour des techniciens et des post-doctorants. La compétition entre projets est importante et souvent identifiée comme un facteur d’excellence. Les grandes universités impliquées dans la recherche, par exemple Harvard, Stanford, le MIT, constituent des pôles d’excellence internationalement reconnus qui attirent de nombreux chercheurs étrangers. Par contre, une partie seulement des universités (moins de 10%) reçoit la quasi-totalité des crédits fédéraux et est fortement impliquée dans la recherche. Il existe donc une grande disparité entre universités et entre Etats. Cette disparité entre universités existe également en France mais s’explique par le fait que les universités françaises sont dispersées sur le territoire et présentent des tailles inégales, d’autant plus qu’un certain nombre d’entre elles sont de création récente. Cette dispersion a ainsi tendance à conduire au « saupoudrage » des crédits consacrés à la recherche et à l’absence de taille critique des instituts.

Le système américain de financements attribués individuellement permet en outre aux chercheurs de disposer d’une large autonomie dans leur activité et de moyens importants. Même s’ils ne sont pas entièrement libres de déterminer leurs axes de recherche (car s’ils veulent obtenir des financements, il est important que cet axe soit compatible avec les priorités mis en avant par le gouvernement), après l’attribution de la subvention, le responsable du projet est libre de ses décisions scientifiques et administratives. A travers les choix budgétaires, les priorités accordées à certains thèmes de recherche peuvent être explicites ou implicites. Ce qui n’est pas sans poser le problème de l’équilibre des priorités thématiques de la recherche ainsi que des pressions politiques pouvant s’exercer sur ses orientations. En France, la question de l’autonomie n’est pas égale selon les universités et les organismes de recherche. En effet, contrairement aux universités, les organismes de recherche disposent d’une certaine autonomie dans la définition de leurs thématiques de recherche. En outre, leur diversité et l’ambiguïté de leurs fonctions – puisqu’ils attribuent des financements, qu’ils fixent des objectifs et mènent leurs propres activités de recherche – ne facilitent pas leurs relations avec les universités. Certes, grands organismes et universités peuvent travailler assez étroitement ensemble, particulièrement à travers les Unités Mixtes de Recherche, mais il y a un manque certain d’autonomie des universités et une très grande inégalité de leur engagement dans l’effort de recherche. Ceci va les placer dans une situation de dépendance relative vis-à-vis des grands organismes et particulièrement du CNRS.

Une autre grande différence entre les systèmes de recherche publique américain et français consiste en l’évaluation par les pairs qui a beaucoup plus d’incidence dans le premier cas que dans le second. En effet, aux Etats-Unis, les financements étant attribués selon leur valeur scientifique et leurs impacts socio-économiques, les projets sont donc au préalable évalués par les pairs. Par ailleurs, aucun enseignant-chercheur n’est rémunéré à temps plein. Ils ne sont payés que pour neuf mois par leur université et peuvent obtenir une rémunération complémentaire par des contrats de recherche publics ou privés. Ainsi, pour obtenir ces contrats et donc des compléments de salaires, ils sont tenus d’avoir de bonnes évaluations. En France, les évaluations ont des conséquences faibles sur les financements et sur les salaires. Les possibilités d’avancement étant réduites et les grilles de rémunération rigides, elles ne constituent pas un enjeu important. Par ailleurs, la tendance au saupoudrage, à la dispersion des instituts et à la superposition de strates conduits à se poser la question de l’efficacité de l’évaluation des structures (Assemblée Nationale, 2004). Les systèmes d’évaluation français sont multiples et ne font ainsi pas toujours preuve d’efficacité en terme d’incitation à la production scientifique, surtout dans les universités. Pour le CNRS, le Comité national de la recherche scientifique et ses commissions évaluent l’activité des personnels et servent de jury d’admission pour les concours de recrutement. Les mécanismes sont similaires dans les autres EPST. Mais pour les universités, le Conseil National des Universités (CNU) n’évalue les enseignants-chercheurs que sur leur demande et à des fins de promotions ou de changements de corps.

France et Etats-Unis ont ainsi développé une organisation distincte de leur recherche publique. Partant d’enjeux et d’attentes similaires, l’évolution de ces deux systèmes a fini par tendre vers une opposition avance/retard au regard de l’importance des relations nouées avec l’industrie. En effet, aux Etats-Unis, l’industrie joue un rôle important dans ce système en constituant notamment une source de financements dans des projets de recherche. Les universités américaines jouent d’ailleurs elles mêmes un rôle important dans l’innovation, le transfert de technologie étant l’une de leurs missions fondamentales. En France, les relations professionnelles et financières entre la recherche publique et les entreprises sont peu développées. En outre, la séparation, propre à la France, entre les docteurs formés par l’université et les ingénieurs formés par des écoles spécialisées constitue souvent un frein à la valorisation de la recherche publique par l’industrie. En France, le système connaît un problème d’absence de coordination et de vision d’ensemble due notamment à la multiplicité des organismes. On note également une autonomie insuffisante des organismes et une certaine dispersion des moyens. De plus, alors même que les potentialités existent, des concentrations

comparables aux clusters américains sont absentes, s’expliquant notamment par le manque de relations entre la recherche publique et l’industrie. Le système américain de recherche publique n’est cependant pas exempt de lacunes. Elles se manifestent notamment dans l’inégale répartition des budgets entre les universités et dans le choix des priorités de recherche. Concernant le premier point, à savoir l’inégale allocation des ressources, les universités les plus cotées présentent davantage de facilités à obtenir des financements, phénomène que l’on appelle alors « effet Saint Matthieu » ou « Matthew effect » (Carayol et Matt, 2002 ; Carayol, 2003a,b). Cet effet exprime le fait que les laboratoires ou les chercheurs qui sont les plus reconnus ont tendance à obtenir davantage de crédits ou de contrats de recherche, ce qui leur permet de publier encore plus, de faciliter leur recherche et donc leur probabilité de faire de nouvelles découvertes et, à terme, d’asseoir ou d’accroître leur réputation. Ceci leur permettra alors d’obtenir encore davantage de crédits ou de contrats car l’industrie prendra moins de risques en faisant appel à eux, sachant qu’elle est dans l’impossibilité de contrôler les résultats. Et ainsi de suite. Il va en résulter notamment un choix particulier dans les priorités de recherche, dans la mesure où, ayant besoin de financements privés, les laboratoires vont être incités à axer leur thématiques de recherche sur des thématiques porteuses d’applications et donc pouvant intéresser et attirer l’industrie, ce qui peut conduire à négliger les thématiques plus fondamentales.

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