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S CIENCE ET INDUSTRIE : UNE ORGANISATION DICHOTOMIQUE

1.1 L’institutionnalisation politique d’un cadre dichotomique entre la science et l’industrie

1.1.2 La science au regard de l’analyse économique

1.1.2.2. Le problème de l’allocation des ressources

Nelson et Arrow, en justifiant le fait que la science soit traitée comme un bien public, renforcent en quelque sorte cette idée d’une organisation dichotomique de la science et de l’industrie qui s’est imposée après la Seconde Guerre mondiale. La science et l’industrie se distinguent alors par le fait que cette dernière répond à des mécanismes de marché, à l’inverse de la science qui souffrirait de sous investissement si elle était produite suivant ce mode d’allocation. L’explication consiste en ce que les connaissances scientifiques étant considérées comme non rivales et non excluables (autrement dit, elles sont perçues comme un bien public, à l’inverse des connaissances liées à la technologie qui sont considérées comme

des biens privés), il n’est pas possible pour son producteur de se les approprier. La science ne semble dont pas pouvoir être produite efficacement selon les mécanismes de marché. D’autres limites peuvent apparaître au regard du fait que la recherche fondamentale soit conduite suivant des mécanismes de marché. Par exemple, afin que les échanges puissent être efficaces, les deux parties doivent connaître les caractéristiques de l’enjeu de la transaction (autrement dit ici, les connaissances scientifiques). Notamment, l’acheteur potentiel doit savoir de quelle sorte de connaissances il s’agit avant la conclusion de la transaction. Il en résulte d’une part, qu’une fois dévoilée, il n’a plus intérêt, voire besoin de l’acheter dans la mesure où il a eu connaissance de l’information et d’autre part, s’il n’a pas connaissance de ce qu’il va acheter, la transaction risque de ne pas être conclue puisqu’il ne peut pas savoir si cela peut lui être utile. De plus, s’agissant des fruits de la recherche fondamentale, Arrow (1962) souligne que cette situation peut s’avérer d’autant plus difficile que cette connaissance est difficilement quantifiable, renforçant alors l’idée d’un problème d’appropriabilité privée et donc d’inefficience des marchés. Dans le même ordre d’idées, une autre raison de l’inefficience des marchés est que si on se place dans le cadre où on considère un agent et un principal, ce dernier ne peut observer les efforts fournis par l’agent. En outre, la qualité de l’output de recherche dépendant non seulement des efforts de l’agent mais aussi d’un certain facteur « chance », le problème se pose de déterminer si l’agent est chanceux ou non, ou s’il a travaillé dur mais a juste été malchanceux. Il y a ainsi trop d’incertitude et donc de risque. A noter que si le projet est trop risqué, le contrat efficient consiste en un honoraire fixe, contrat similaire à ceux mis en œuvre dans l’institution de la science ; sinon la valeur est déterminée par la valeur de ce qui a été produit par l’agent, ce qui est dans ce cas davantage du ressort du Royaume de la technologie.

Ainsi, n’étant pas organisée suivant les mécanismes d’allocation émanant du marché, par lesquels elle souffrirait de sous investissement si elle était produite selon ce schéma, une des questions centrales qui se pose concernant la science est celle de l’allocation efficiente des connaissances scientifiques. La dichotomie traditionnelle entre science et industrie induit des normes et des règles différentes en raison de l’inefficience des marchés concernant la connaissance scientifique qui ont tendance à en décourager la production en raison de l’incapacité des producteurs à s’approprier complètement les résultats de leurs activités. Appliqué dans le cas de la science, il s’avère en effet, comme cela a été dit précédemment, que le mécanisme de marché ne peut fournir une production efficiente de la connaissance s’il n’est pas accompagné d’un dispositif, comme de droits de propriété par exemple. Il en résulte un sous investissement de la recherche. Certes, divers mécanismes peuvent être mis en place

afin d’inciter le secteur privé à investir dans la recherche mais il n’en demeure pas moins que socialement, l’allocation des ressources s’avère inefficace dans le cas où ce sont les mécanismes de marché qui prévalent dans la réalisation de la recherche. Pour répondre à ce problème de sous investissement en recherche du secteur privé, deux mécanismes alternatifs d’allocation peuvent être mis en avant. Dans le premier, l’output de recherche est publiquement partagé, ce qui n’est pas le cas dans le second mécanisme où l’output est traité comme un bien privé. Plus précisément, un premier moyen possible d’encourager une production privée de connaissances pouvant répondre à des mécanismes de marché consiste ainsi à offrir des subventions financées par une taxation générale. Dans cette situation, les producteurs n’ont pas de droits exclusifs sur l’output de leurs activités de R&D. Ainsi, une fois que la connaissance est produite, elle est rendue disponible gratuitement (Pigou, 1932). Ce schéma de production des connaissances n’est pas sans rappeler celui des organismes publics comme les universités. Dans ces structures, la connaissance produite ne peut être brevetée et les salaires et équipements sont financés par fonds publics. Pour cette forme d’organisation, un système particulier de droit de propriété intellectuelle est mis en place, à savoir la priorité qui joue un rôle significatif dans l’efficience des mécanismes d’allocations. Ces derniers s’appuient sur la volonté de reconnaissance par les pairs qui pousse à la divulgation des résultats. Une seconde possibilité consiste à accorder des droits de propriété intellectuelle aux producteurs privés pour leurs découvertes, droits que les brevets sont un moyen de faire valoir. Ceci conduit à la création de marchés privés pour la connaissance. Dans ce contexte, il apparaît alors que les brevets (mais aussi, la pratique du secret entre les agents privés) sont destinés à fournir un mécanisme permettant l’appropriation des profits engendrés par les découvertes et les inventions.

On peut, à partir de ces deux modes possibles d’allocation des ressources, plus ou moins conclure que les mécanismes de marché accompagnés de mesures en termes de droits de propriété peuvent inciter à des dépenses de R&D et donc à la production de connaissances nouvelles. Evidemment, conduite uniquement sous ces mécanismes, l’allocation des ressources serait inefficiente socialement. En effet, un des problèmes de la mise en place de droits de propriété, comme la protection par les brevets, est qu’ils donnent à son détenteur le droit légal et transférable (au moyen de licences d'exclure les autres de l'usage des nouvelles connaissances découvertes. Ainsi, alors que la connaissance peut en principe être utilisée conjointement, cet usage partagé est empêché par des interdictions légales ou, notons-le, à travers la pratique du secret. Ceci renforce l'idée de l'importance d'une prise en charge publique de la recherche. Néanmoins, les droits de propriété peuvent s'avérer socialement

désirables dans la mesure où, même si l'utilisation de la connaissance par un monopole est inefficiente (car elle engendre une sous utilisation de la connaissance), cela peut être compensé par le fait que, sous l'attrait de profits de monopole, des chercheurs vont entreprendre des activités de R&D ; d’où la co-existence positive d’institutions de recherche qui mèneraient leurs activités scientifiques suivant leurs propres arrangements.

Il est intéressant de noter que dans les années 1970, diverses analyses consacrées à la science vont émerger. L’idée développée reste ancrée sur le fait que science et industrie sont deux mondes dichotomiques, contribuant l’un à l’autre respectivement. Mais l’une de ces analyses a pour objectif de mettre en évidence une alternative à l’allocation publique des ressources en matière de science, soit, plus précisément, suivant des mécanismes de marché. L’objectif est donc de dépasser cette vision de défaillances de marché inhérentes à la production de connaissances scientifiques et de dire que d’autres effets interviennent pour pallier ces défaillances, ce qui implique la non nécessaire intervention de l’Etat. Notamment, ces travaux consistent en des critiques de l’analyse de Arrow concernant les problèmes d’incitation en matière d’investissements pour la recherche fondamentale. Ces critiques émanent pour une grande partie des travaux de Hirshleifer (1971, 1973) et de Barzel (1968). Leurs objectifs est de montrer que « les effets d’inappropriabilité, à l’origine des défauts

d’incitation, sont contrebalancés par d’autres effets qui diminueront, voire annuleront la tendance à sous-investir en effort de recherche » (Foray, 1991, pp. 60-61). Selon Hirshleifer

(1973, p. 33), ces effets pourraient être pécuniaires, en ce sens où « the inventor, first in the

know, might be in a position to predict and therefore speculate upon price revaluations ensuing from the publicizing of his information ». Ainsi, le détenteur de la nouvelle

information, avantage qu’il possède par rapport aux autres, va pouvoir spéculer sur les biens qui risquent de voir leurs prix changer une fois l’information connue de tous. A partir de là, l’inventeur aura tout intérêt à disséminer largement « son » information plutôt que de la vendre ou de la conserver secrète. L’incitation émane alors de la possibilité de réaliser un profit en spéculant sur le prix des biens. Quoi qu’il en soit, comme Navaretti et al. (1996) le soulignent, la science et l’industrie apparaissent comme deux mécanismes alternatifs d’allocation des ressources pour la production et la diffusion des connaissances. L’industrie correspond au mécanisme de marché pour la connaissance et est supportée par des normes de secret et des règles de brevets. La science, à l’inverse, n’en est pas un et est supportée par la norme de divulgation et la règle de priorité. Ceci peut expliquer pourquoi la technologie et l’industrie ont surtout été étudiées par les économistes et la science par des sociologues et des historiens. Ziman (1976) suggère par ailleurs que les connaissances scientifiques ne peuvent

être une « catégorie économique » et donc un sujet propre d’analyse économique. Les connaissances scientifiques procèdent à des mécanismes organisationnels différents suivant qu’elles sont issues d’activités de recherche mises en œuvre par le milieu académique ou par la sphère industrielle. Ces mécanismes sont caractéristiques de chacun des deux mondes et expriment la dichotomie existant entre eux.

1.1.3 Implications organisationnelles de l’organisation dichotomique entre la science et

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