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P REMIERE P ARTIE

EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

3.2 L’émergence d’un nouvel output scientifique

3.2.1 L’output scientifique dans le système dichotomique science industrie

Suivant la régulation interne des activités scientifiques dont les mécanismes d’incitation résident dans la structure de récompense, reposant pour Stephan (1996) sur l’éponymie, les prix et la publication, l’objectif des scientifiques est d’établir la priorité des découvertes en étant le premier à communiquer un nouveau résultat. Dans le même ordre d’idée d’incitation à la production de connaissances scientifiques nouvelles, il est important de tenir également compte de la satisfaction du chercheur lorsqu’il résout un problème ou un mystère scientifique (Beath, Owen, Poyago-Theotoky and Ulph, 2001). L’output scientifique est ainsi produit et instantanément disséminé sans coût suivant un principe de priorité. Suivant ce principe de priorité, force est de constater qu’il y a donc concurrence entre diverses équipes émanant de diverses universités ainsi qu’entre universités ; cette compétition constituant alors une dynamique d’incitation et de stimulation. En même temps, il est important de noter que cette duplication de la recherche, du fait que plusieurs équipes se lancent vers le même objet de recherche, ne constitue pas nécessairement, loin s’en faut, un gaspillage des moyens mis en place dans la mesure où premièrement, cela constitue une incitation à découvrir le plus rapidement possible la solution au problème donné, et deuxièmement, car les scientifiques, même s’ils orientent leurs travaux de recherche vers la même cible, n’aboutiront pas forcément à la même production de connaissances, ne traiteront pas forcément leurs résultats de la même manière, ne l’exploiteront pas suivant la même trajectoire, n’auront peut être pas non plus suivis les mêmes méthodes, ni les mêmes protocoles de recherche. Il en résulte un enrichissement de l’output scientifique ainsi produit.

A l’instar de la satisfaction du chercheur dans la résolution d’un problème, le goût pour la recherche représente également en lui-même une motivation à la production de connaissances scientifiques nouvelles, tout comme la curiosité se présente aussi comme étant un moteur à la recherche. En effet, la recherche est stimulée avant tout par la curiosité des chercheurs, le simple besoin de comprendre les choses, leur nature, leur origine, leur fonctionnement. Ce n’est qu’ensuite que les applications découlent et, dans bien des cas, elles surviennent de manière inattendue, « là où on ne les attend pas ». L’expérience de Serge Haroche (2004), Professeur en physique quantique, évoquée dans une leçon inaugurale du

Collège de France qu’il a donnée en décembre 2001, est assez illustratrice de l’idée selon laquelle les découvertes viennent souvent de la curiosité et de l’amusement des chercheurs scientifiques, sans qu’ils aient d’applications particulières en tête. L’évocation de son expérience à Stanford, alors qu’il était post-doctorant, est révélatrice de l’importance de la liberté d’actions de la recherche :

« J’eus ensuite l’occasion d’être exposé à l’ambiance anglo-saxonne de la recherche à

Stanford, dans le laboratoire d’Arthur Schawlow, l’un des inventeurs du laser, où j’accomplis un stage postdoctoral. On était loin de la rigueur théorique des cours que je venais de suivre à Paris. On s’y amusait en revanche beaucoup avec ces merveilleux jouets qu’étaient les lasers accordables que les compagnies commerciales de ce qui allait devenir la Silicon Valley fournissaient alors en première exclusivité aux laboratoires californiens. L’enthousiasme d’Art Schawlow était communicatif. Chaque jour, une nouvelle idée jaillissait, souvent farfelue, parfois géniale. Il y eut le premier laser « comestible » le jour où il eut l’idée de faire laser ces horribles gelées alimentaires de couleurs criardes dont il faisait ses délices, mais aussi tant de démonstrations de méthodes spectroscopiques astucieuses, reculant à chaque fois les limites de la précision et de la sensibilité des mesures. Art avait un profond sens de l’humour, que je crois essentiel au maintien d’une saine ambiance dans un laboratoire. « Pour réussir dans la recherche », disait-il souvent, « il ne faut pas tout savoir sur tout, il suffit de savoir une chose que les autres ignorent ». Cette phrase, énoncée avec sa gentillesse et son rire communicatif, faisait beaucoup pour nous soulager du poids intimidant du savoir universel, si souvent inhibant, soit qu’il décourage, soit qu’il conduise à une attitude trop sceptique sur le monde et les découvertes qui restent à y faire » (ibid. pp. 67-68).

Ainsi, il relate l’histoire du premier laser qui est apparu en 1960 et dont nul ne savait à quoi il pourrait bien servir. Avec une certaine ironie, il était alors appelé « une solution à la

recherche d’un problème ». Ainsi, pour lui, une programmation utilitariste n’aurait pu

permettre la naissance du laser, de l’ordinateur portable ou encore de l’IRM.

Concernant plus précisément les résultats de la recherche entreprise, ces derniers correspondent par ailleurs à des biens publics, en ce qu’ils répondent, de part l’objectif qui leur est attribué, aux trois caractéristiques particulières du bien public, autrement dit la non excluabilité, la non rivalité et la cumulativité. Ainsi, les biens qui sont à la fois non rivaux et non excluables – ces concepts ayant été définis précédemment, nous ne reviendrons donc pas sur ces notions – représentent des biens publics purs, alors que les biens qui sont à la fois non rivaux mais excluables constituent quant à eux des biens publics marchands. Dans le cas de la recherche fondamentale et académique, les connaissances qui en sont issues constituent des

biens publics purs. Elles doivent donc notamment être accessibles à tous sans coût. Nous verrons ainsi par la suite que l’octroi de licences exclusives pour des connaissances issues de recherches financées par les pouvoirs publics va conduire à cette idée de marchandisation de l’output scientifique. Pour ce qui a trait au troisième attribut du bien connaissance, à savoir la cumulativité, il sort quelque peu du cadre de la simple référence aux caractères de bien public et met en exergue la spécificité de la connaissance scientifique. La cumulativité indique en effet que cette dernière est le facteur principal de la production d’un nouvel output scientifique. Autrement dit, le fonds de connaissances intervient directement dans la production de connaissances nouvelles (elles-mêmes non rivales et cumulatives) et s’enrichit indéfiniment. La connaissance consiste alors en une accumulation d’expériences (Romer, 1986) et chaque chercheur a accès aux découvertes de l’ensemble de ses collègues, présents et passés, afin d’effectuer ses propres travaux. Il en résulte que ce qui se diffuse et qui peut-être utilisé un nombre infini de fois, ce n’est pas seulement un output, c’est surtout un input susceptible d’engendrer de nouveaux biens qui seront eux-mêmes infiniment utilisables. C’est cette cumulativité qui fait la différence entre une connaissance « frivole » (« small talk and

pass time », Machlup, 1984) et une connaissance scientifique ou technologique (Aubin et

Bascans, 2002, p. 3). Dans cette optique, l’output scientifique est également assimilé à des « scientific commons », comme les appelle notamment Nelson (2003), autrement dit des biens communs scientifiques qui servent de base aux autres recherches. Il doit ainsi être librement disponible, notamment dans des revues académiques, sans coût et le plus rapidement possible. En effet, l’output scientifique constitue un input pour les autres recherches pour lesquelles les scientifiques vont chercher à exploiter les informations. Les résultats des recherches sont ainsi mis à la disposition de la communauté scientifique et de la sphère publique. La sphère industrielle y a donc également accès sous forme gratuite et libre, du moins si on ne considère pas les coûts inhérents à son absorption et à son exploitation. Les firmes doivent en effet être capables de comprendre et d’utiliser ces connaissances communes, et doivent donc au préalable investir pour développer ces capacités.

Les connaissances scientifiques produites suivant le système dichotomique de production constituent ainsi un fonds de connaissances, autrement dit une base de connaissances sur laquelle les acteurs de la recherche, qu’ils soient publics ou privés, peuvent s’appuyer pour mener à bien d’autres projets de recherche. Il en découle qu’une autre particularité de l’output scientifique, tel qu’il est traditionnellement perçu, consiste à se demander si les connaissances ainsi produites constituent un fonds fini ou infini. Plus précisément, la question consiste à déterminer si les nouvelles connaissances ne viennent que

s’accumuler au sein du fonds existant de connaissances scientifiques, découvertes de fait auparavant, ou au contraire, viennent modifier ce fonds, comme par effet de rétroaction, afin de l’actualiser au vue des nouvelles découvertes. En effet, au regard des travaux de Popper, la production de connaissances scientifiques peut être assimilée à une suite infinie de résolutions de problèmes, la résolution d’un problème donné créant de nouveaux problèmes à résoudre. Cette suite peut ainsi être considérée comme infinie dans la mesure où, suivant alors la logique de Popper, une théorie scientifique ne peut jamais prétendre à la vérité. Elle peut, à un instant donné, être plus proche de la vérité que d’autres théories concurrentes ; il n’en demeure pas moins toutefois possible qu’elle soit ensuite réfutée par une nouvelle théorie qui n’est pas encore connue à l’instant présent (Moroz, 2004). De même, une découverte peut se voir « réutiliser », a posteriori, au fil des nouvelles recherches et des nouveaux résultats et constituer ainsi une solution ou une explication survenue bien après son origine. Il en résulte que les scientific commons sont en perpétuelle évolution, au rythme des nouvelles découvertes et des nouvelles avancées scientifiques et technologiques. Leur diffusion est généralement réalisée par le biais des publications et des citations (constituant un indice de large diffusion ou non des nouvelles connaissances produites), mais aussi au moyen de colloques, de conférences pendant lesquelles les nouvelles découvertes peuvent être dévoilées, partagées, échangées entre les acteurs du système de production des savoirs.

Au regard de ses caractéristiques de biens publics, l’output scientifique doit être produit suivant les mécanismes inhérents à la science ouverte. Cependant, il est important de noter que dire qu’un bien est un bien public, ou qu’il possède des caractères de bien collectif, ne signifie pas pour autant que le seul producteur possible soit l’Etat, ni que sa production privée s’avère impossible, ni même qu’il n’existe pas de marchés pour ce bien. Par contre, cela signifie qu’il n’est pas possible de s’appuyer exclusivement sur un système de marché concurrentiel pour en assurer de manière efficace la production privée (Aubin et Bascans, 2002). Il est en effet évident que les entreprises privées ne financeront jamais tous les types de recherche fondamentale abandonnée par le secteur public. En outre, des institutions émanant du marché ne pourraient que très partiellement combler le besoin de formation scientifique. Sans oublier que, comme le soutiennent Cohen et al., les effets d’entraînement de la Recherche et Développement, effectuée en aval par des entreprises prenant part à la recherche fondamentale, ne pourront vraisemblablement pas remplacer complètement les échanges d’information qui existaient auparavant, et ce, d’autant plus que les entreprises chercheront à restreindre ces effets d’entraînement pour conserver leur avantage privatif. Ensuite, des écarts

finiront par être observés entre le moment où une entreprise recevra de l’information confidentielle et celui où cette information parviendra aux autres entreprises (Foray, 2002). Ainsi, une substitution privé/public, au regard de laquelle le secteur privé assumerait tout simplement les fonctions relevant autrefois du secteur public, s’avère impossible. Ce point a d’ailleurs été démontré et justifié précédemment. Dans cette optique, les transformations organisationnelles dans la conduite de la recherche fondamentale, qui vont toucher les milieux académique et industriel et qui résultent notamment des évolutions que les environnements juridique, financier, technologique et économique ont connues, vont constituer une bonne illustration du fait que la production des connaissances scientifiques peut être réalisée de manière collaborative entre ces deux mondes. Mais nous le verront, les recherches sont entreprises au regard d’objectifs et de stratégies différents, induisant que l’output lui-même ne répond pas à la même logique, à la même fonction et donc, ne présente pas la même nature.

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