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P REMIERE P ARTIE

EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

3.2 L’émergence d’un nouvel output scientifique

3.2.3 La nouvelle perception de l’output scientifique

3.2.3.2. La question du caractère gratuit de l’output

Les connaissances scientifiques qui sont issues de la recherche fondamentale universitaire présentent traditionnellement deux caractéristiques majeures, à savoir la non excluabilité et la non rivalité. Ces deux propriétés, qui ont été soulignées dans les deux papiers qui posent les fondations de la « récente » économie de la science39, empêchent le créateur de nouvelles connaissances scientifiques de s’approprier complètement les retours sur investissements de cette création. De plus, comme les coûts marginaux de duplication de la connaissance scientifique sont très bas, celle-ci peut être caractérisée comme un bien public qui empêche le producteur de capturer les bénéfices provenant de la production de nouvelles connaissances. C’est la raison pour laquelle les forces de marché se montrent inadaptées pour fournir le niveau socialement optimal de recherche scientifique. Cette défaillance de marché conduit à un investissement privé qui est socialement insuffisant et l’Etat a alors un rôle légitime en prenant la responsabilité du soutien d’une fraction assez grande de la recherche scientifique (Geuna, 2001). En outre, s’engager dans la recherche induit de parvenir à un changement technologique dont la nature est de produire de la nouveauté. Le fait que ce changement engendre cette nouveauté signifie que l’incertitude et l’imprévisibilité

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l’accompagnent inévitablement. En effet, les prévisions sont réalisées à partir du connu alors que la nouveauté implique forcément une discontinuité dans les connaissances (Mesthene, 1995). Cette incertitude inhérente à l’activité de recherche peut entraîner que des firmes hésitent à s’investir dans certains sentiers scientifiques dans la mesure où elles ne perçoivent pas bien les retombées possibles ou car elles jugent que le risque est trop important. Dans cette optique, articuler les aspects de « bien public » de la science, auquel, comme le fait remarquer Pavitt (1991), les économistes ont apporté une importante contribution, est crucial pour la question de l’éligibilité de la science à des soutiens publics et donc pour ce qui a trait à la raison d’être de l’investissement public et privé de la recherche fondamentale.

Cependant, un amalgame s’est installé entre information et connaissance scientifique pour traiter des connaissances issues des processus de production académique, autrement dit comme Pavitt (1991, p. 112) l’a souligné, il y a eu une considérable confusion dans les discussions publiques « between the reasonable assumption that the results of science are a

public good…and the unreasonable assumption that they are a free good ». L’hypothèse de

« bien public pur » concernant la science fondamentale néglige le fait qu’une capacité de recherche substantielle (tout comme une participation effective à la recherche en cours) est nécessaire pour «understand, interpret and appraise knowledge that has been placed on the

shelf - whether basic or applied… The most effective way to remain plugged into the scientific network is to be a participant in the research process » (ibid.). Cette difficulté à s’approprier

la connaissance s’explique notamment par les aspects tacites qui sont inhérents à la connaissance scientifique et qui rendent sa diffusion plus difficile. « L’information

scientifique est donnée par un énoncé, reproductible sans coût, capable de circuler durablement sans être approprié, autrement dit elle est non rivale et non exclusive. En revanche, la connaissance a la dimension d’un savoir, souvent indissociable de l’individu ou du laboratoire qui la possède, ne pouvant être transmise que par voie d’apprentissage et de mobilisation de ressources cognitives » (Turner, 2003, p. 15). En effet, si on considère la

nature tacite de la connaissance scientifique, il apparaît que celle-ci n’est pas facilement diffusable, car indissociable de celui qui l’a créée, et donc ne répond plus aux conditions de non excluabilité et de non rivalité inhérente à un bien public. Plus précisément, concernant la connaissance, de part ses fonctions, celle-ci est naturellement excluable et appropriable. De nature cumulative, lorsqu’elle est codifiée – c’est-à-dire construite sur une série de mots, de codes et de symboles existants -, elle implique peu ou aucune barrière à la communication, en ce sens où écouter une conférence ou lire un texte peut suffire à la capturer. Mais la connaissance tacite nécessite souvent qu’un des scientifiques qui possède cette connaissance

travaille avec ceux qui ne la possèdent pas, afin de la leur enseigner par des processus de transmission. En effet, la nouvelle connaissance tendant à rester non codifiée, elle est difficile à obtenir sauf par le biais de « hands-on learning » au sein du laboratoire, c’est-à-dire au moyen d’un apprentissage par la pratique (Zucker et Darby, 1996, p. 12710 ; Zucker, Darby et Armstrong, 2001, p. 21). La reproduction de la connaissance se montre donc coûteuse. De là, on peut aussi dire qu’elle reste naturellement excluable et appropriable40. Ainsi, le transfert de connaissances peut être très effectif, cependant, c’est un processus qui demande non seulement du temps, mais aussi la participation active du détenteur de la connaissance. C’est la raison pour laquelle la production par équipes permet aux scientifiques des firmes de « capturer » davantage de connaissances émanant des découvertes complexes et tacites. Cela permet aux scientifiques industriels de surmonter ce manque d’accès à la connaissance tacite, et cela incite donc à développer des processus de recherche partenariale. Un autre argument prônant une production par équipe pour les transferts de connaissances tacites est que d’une part, l’organisation par équipe rend routinière le transfert de la connaissance tacite du détenteur aux autres membres de l’équipe et que d’autre part, si ces membres de l’équipe franchissent des frontières organisationnelles, alors la connaissance tacite est transférée plus efficacement (Zucker, Darby et Armstrong, 1998). De plus, il est à noter que plus les scientifiques universitaires, auteurs des découvertes, fournissent de grands efforts de travail avec les équipes composées de scientifiques industriels, plus la connaissance tacite pourra être transférée. Il en résulte par ailleurs que, comme le transfert de connaissance tacite augmente, le succès de la firme s’accroît lui aussi.

En outre, pour qu’un partage de connaissance puisse s’effectuer entre le milieu académique et la sphère industrielle, il est nécessaire que ces deux mondes partagent une base de connaissance commune qui rend la nouvelle connaissance potentiellement compréhensible et utilisable. Cette caractéristique de la connaissance fondamentale explique en partie les collaborations qui se tissent entre les scientifiques de ces deux milieux. Elles visent en effet à permettre la diffusion de la connaissance incluant ses aspects tacites, le savoir-faire qui lui est inhérent… Le travail en équipe est, là encore, une des manières les plus adaptées à ce type de transferts. Plus précisément, le passage de la découverte scientifique à l’innovation commerciale au sein des firmes implique un autre passage, celui de la connaissance tacite à la connaissance codifiée. En effet, la nouvelle connaissance tend à être produite dans une forme

40 Considérer la dimension tacite de la connaissance affaiblit en outre les hypothèses de Arrow en ce qui concerne la question de la non appropriation et de la libre circulation des connaissances scientifiques (qu’il considérait comme l’information). On voit bien ainsi la progression dans une transition de bien public à un bien partiellement privatif et donc l’apparition d’enjeux de marchandisation de l’activité scientifique.

tacite et requiert des ressources pour être codifiée. Comme Polanyi (1962) et Schutz (1967)41 l’ont montré, la connaissance tacite tend à être hautement personnelle, initialement connue par une seule personne (ou une petite équipe de scientifiques). Il est ainsi difficile de la transférer aux autres (Zucker, Darby et Armstrong, 2001). La codification de la connaissance peut se faire à partir de codes ou de formules empruntés à la connaissance préexistante et/ou nouvellement créée. En effet, la connaissance antérieure est cumulative et peut être facilement comprise et transférée une fois acquise une bonne compréhension de la littérature précédente, il est donc possible de lui emprunter des codes, des expressions et des relations mathématiques. Le problème peut survenir néanmoins que dans la mesure où la connaissance accroît en complexité, il est de plus en plus probable qu’une distance se crée entre l’ancienne et la nouvelle connaissance, ceci induisant, comme Nelson (1959) et Nelson et Winter (1962) le montrent, qu’une « deviation from « textbook » description of action will be required » (ibid.). En effet, dans la mesure où la connaissance tacite se codifie de manière croissante – ou, comme dit Schutz (1962), est « translated into « recipe knowledge » » (ibid., p. 7) – l’aspect tacite décroît et le transfert de connaissance devient plus facile. Il n’en demeure pas moins des obstacles dans le processus de codification des nouvelles connaissances scientifiques, comme le fait que la complexité croissante de ces dernières rend de plus difficile l’ancrage dans un système de connaissance antérieur. Cet obstacle de diffusion de la connaissance des scientifiques auteurs des découvertes vers d’autres scientifiques est la conséquence de l’exclusivité naturelle qui caractérise la nouvelle connaissance scientifique. Celle-ci, se définissant par une combinaison de rareté et d’aspects tacites, associée à la haute valeur commerciale potentielle de la nouvelle découverte, explique le rôle important des scientifiques découvreurs pour les transferts de technologie. Ainsi, la connaissance complexe et tacite fournit une protection partielle naturelle de l’information (ibid.).

De plus, dans la mesure où la connaissance est à la fois rare et tacite, elle constitue un capital humain intellectuel conservé par les scientifiques auteurs des découvertes qui, par conséquent, deviennent la principale ressource autour de laquelle les firmes sont construites ou transformées (Zucker, Darby, Brewer, 1998 ; Zucker, Darby, Armstrong, 1998). A partir de là, la connaissance tacite peut être considérée comme une information excluable et au moins partiellement rivale et alors, « appropriable » aussi longtemps qu’il demeure difficile (voire impossible) de l’apprendre. Ceci n’est pas sans rappeler l’idée mise en avant par Pavitt

41 Les développements de la pensée de Alfred Schutz, mort en 1959, se trouvent essentiellement dans ses

Collected Papers, publiés en trois volumes par Martinus Nijhoff, The Hague, en 1962, 1964 et 1966. Cet

ouvrage de 1967 est une traduction de Der sinnhaffe Aufbau der sozialen Welt, qui a été publié pour la première fois à Vienne, en 1932. On y retrouve ainsi sa théorie de la compréhension intersubjective.

(1991) concernant l’hypothèse de « bien public pur » caractérisant la science fondamentale, qui néglige le fait qu’une capacité de recherche substantielle, tout comme une participation effective à la recherche en cours, peut s’avérer nécessaire pour bien appréhender et assimiler les nouvelles connaissances scientifiques ainsi produites. Cela résulte plus précisément du fait qu’une proportion significative de la connaissance qui est requise pour l’innovation technologique est tacite ou ancrée dans les individus. Ce problème d’accès à la connaissance tacite nécessite ainsi la participation active de son détenteur, la capture de cette connaissance constituant une des raisons expliquant pourquoi la connaissance tacite tend à être hautement localisée, en ce sens où elle sera davantage géographiquement localisée là où les découvertes sont réalisées, et là où les détenteurs de cette connaissance se trouvent (Zucker, Darby et Armstrong, 2001). En effet, le fait qu’elle ne soit pas codifiée implique qu’elle n’est pas communicable, excepté pour les personnes qui travaillent à côté de la source de cette connaissance, d’où l’importance du contact personnel et de la proximité géographique entre ceux qui génèrent la connaissance et ceux qui cherchent à l’utiliser dans le processus d’innovation. Il est à noter que des études concernant des dépôts de brevets mettent en lumière le fait que la recherche académique qui est citée dans les brevets industriels émane, pour une grande part, des universités qui se situent géographiquement proche du laboratoire industriel déposant (Pavitt, 1991 ; Jaffe, Trajtenberg and Henderson, 1993). D’un point de vue spatial, l’aspect tacite de la connaissance induit l’existence de limites géographiques aux externalités de connaissance, certes, alors même que la science tend à être de plus en plus mondiale, imbriquée dans des réseaux d’échanges internationaux. La connaissance induit donc une certaine nature localisée, mais pas uniquement à un niveau géographique, également à un niveau technologique, dans la mesure où la compréhension des nouvelles découvertes de plus en plus complexes obligent à l’acquisition et à l’assimilation préalable d’une base suffisante de connaissances. Gay et Picard (2004, p. 10) précisent, en se plaçant dans l’analyse de Antonelli (2003), que la connaissance est en effet localisée, et ce, dans de nombreux « espaces » : « dans l’espace des techniques mais aussi dans le « temps

historique », dans « l’espace de la connaissance », dans les « systèmes technologiques », dans les conditions structurelles de chaque « système économique », dans « l’espace géographique », dans « l’espace des caractéristiques des produits », dans les firmes… ».

Ainsi, le passage d’un processus linéaire amont-aval de production et de diffusion des connaissances scientifiques – qui viennent alors nourrir le fonds de connaissances disponibles à la société – à un processus de co-production scientifico-technique a modifié la manière de

percevoir l’output scientifique résultant de ces pratiques de recherche. Dans un premier temps, à l’output scientifique public, répondant aux principes de la science ouverte, vient s’ajouter un output « marchandisé » qui, bien qu’issu du milieu académique, s’inscrit dans une logique de commercialisation empruntant à des mécanismes de marché, qu’il ait ou non été initialement produit à cette fin. La concession à des entreprises de licences exclusives (ou non) portant sur des résultats scientifiques issus de travaux de recherche financés par fonds publics, ou la création de start-ups académiques sur la base de découvertes scientifiques que les auteurs cherchent à exploiter eux-mêmes sur le marché en constituent de bonnes illustrations. Une autre tendance s’impose également impliquant l’industrie dès la phase de recherche, et non plus seulement une fois que l’output a été créé, il s’agit de la recherche partenariale. Suivant ce système, l’output résulte d’une recherche, partenariale, réalisée de concert entre des chercheurs académiques et des entreprises. Dans ce cadre, la distinction entre recherche fondamentale et recherche appliquée tend à perdre toute pertinence dans la mesure où les recherches sont communes aux deux mondes. L’inapplicabilité d’autres réflexions antérieures a également pu être montré, ou conforté, pour ce qui a trait à la nature intrinsèque de bien public de l’output scientifique. En effet, la nature tacite des connaissances les rend excluable et appropriable et participe au développement des rapprochements entre science et industrie. En outre, cette nature met en lumière le caractère distribué de la connaissance en ce sens où la proximité, géographique comme technologique, des sources de production ou de co-production en permet une meilleure assimilation, mettant par là même en évidence une caractéristique particulière des relations s’établissant entre les sphères académique et industrielle. Egalement, la nature de bien public qui lui avait été conférée déterminait alors les modes de fonctionnement et d’organisation du système. Or, on a vu que ce n’était pas sa nature qui donnait à l’output scientifique des qualités de bien public, mais sa fonction. Ainsi, dans le système de co-production des connaissances scientifiques, la nature de l’output scientifique résultant de sa fonction et de la manière dont il a été produit, ce seront alors les conditions mêmes de sa production qui, d’une part détermineront les caractéristiques de l’output, et d’autre part, se montreront être les éléments structurants du système. Autrement dit, ce sont les caractéristiques des relations s’établissant entre la science et l’industrie, déterminant la manière dont sera produit l’output, qui constituera l’élément structurant du système de co-production, de diffusion et d’utilisation des connaissances.

3.3

Caractéristiques des relations science industrie et du système de co-

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