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EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

3.1 Les nouvelles théorisations de la science

3.1.3 Le modèle de la Triple Hélice

A la différence de l’approche du mode 2 de la production de connaissances scientifiques dont on peut dater l’origine à l’ouvrage de Gibbons et al., le modèle de la triple hélice a été développé au cours d’une série de workshops, de conférences durant la seconde moitié des années 1990 (Leydesdorff and Etzkowitz, 1998). Plus précisément, le modèle de la triple hélice, dont les principaux auteurs sont Etzkowitz et Leydesdorff, part du principe que la production de connaissances scientifiques est réalisée dans un contexte spécifique né de l’interaction de trois sphères distinctes, à savoir les universités, l’industrie et les gouvernements ; ces trois milieux (qui sont également les trois acteurs principaux d’un système national d’innovation) formant ainsi les trois branches d’une hélice. Pour Grossetti (2002, p. 2), l’approche par la triple hélice est nettement mieux fondée empiriquement que la thèse du « mode 2 », même si elle est beaucoup moins homogène. En effet, « elle associe des

travaux de type néo-mertonniens comme ceux de Etzkowitz, qui défend depuis longtemps les notions d’« université entrepreneuriale » et de « seconde révolution académique » pour rendre compte de l’implication croissante des universités dans des activités directement marchandes (dépôts de brevet, créations d’entreprises, etc.) et les idées d’inspiration évolutionniste de Leydesdorff qui met l’accent sur l’émergence de langages intermédiaires entre les trois composants de l’hélice ». Par contre, à l’instar du mode 2 de Gibbons et al., elle

repose sur l’idée d’un fonctionnement hétérarchique des institutions. On a vu en effet précédemment que le système traditionnel de production des connaissances scientifiques reposait sur un mode hiérarchique suivant lequel chaque structure avait un rôle déterminé. De nos jours, au vu des transformations connues par l’environnement de la recherche scientifique, qu’elle soit publique ou privée, ces structures s’hybrident et peuvent assumer plusieurs rôles. Ces derniers se placent alors dans les réseaux complexes auxquels ces

institutions appartiennent, de multiples réseaux se mettant ainsi en place. Suivant le modèle de la triple hélice, l’université, l’industrie et le gouvernement constituent des systèmes ou des sous-systèmes qui co-évoluent et co-produisent des connaissances, chacun pouvant alors assumer les fonctions de l’autre. En effet, comme le précisent Leydesdorff et Etzkowitz (2001, pp. 2-3), « a transformation in the functions of university, industry, and government is

taking place as each institution can assume the role of the other. Under certain circumstances, the university can take the role of industry, helping to form new firms in incubator facilities. Government can take the role of industry helping to support these new developments through funding programs and changes in the regulatory environment. Industry can take the role of university in developing training and research, often at the same high level as university ». Dans cette configuration organisationnelle, trois sous-dynamiques

fonctionnelles, autrement dit la production de connaissances, la création de richesses et enfin le contrôle et la coordination entre des intérêts publics et privés, sont développées à la fois en parallèle et de manière interactive (ibid., p. 15). Les nouvelles connaissances, et in fine, les innovations résultent ainsi de l’action de ces trois sous-dynamiques (figure 12).

Figure 12 : Le fonctionnement hétérarchique des institutions dans le système de co-production des connaissances scientifique du modèle de la triple hélice.

Source : Synthèse de l’auteur UNIVERSITES

GOUVERNEMENT

INDUSTRIE

Contrôle et coordination entre intérêts publics et

privés Création de richesses Production de connaissances Sous- dynamiques fonctionnelles CREATION DE NOUVELLES CONNAISSANCES

Selon le modèle de la triple hélice, les relations résilliaires entre le triptyque universités- industrie-gouvernement constituent en effet la clé du développement des économies centrées sur les connaissances. A noter, comme le développent Leydesdorff et Etzkowitz (2001, p. 16), que les institutions représentées par chaque élément de ce triptyque peuvent présenter diverses formes. Ainsi, la triple hélice comprend les universités, mais aussi les autres institutions publiques productrices de connaissances. Au niveau de l’industrie, les acteurs considérés peuvent aussi bien être des start-ups de haute technologie que des grandes firmes multinationales, comme les big pharma dans le cas de l’industrie pharmaceutique. Enfin, le gouvernement peut être présent à diverses échelles, locale, régionale, nationale ou internationale. Toutes ces unités institutionnelles s’engagent alors dans des relations d’échange « in order to participate in the innovation system by innovatively transforming

themselves in accordance with changes in the codification structures » (Leydesdorff et

Etzkowitz, 2001, p. 16).

En effet, l’approche de la triple hélice fait de nombreuses références à celle des systèmes d’innovation, à la différence qu’elle y introduit une nouvelle composante, le gouvernement. Elle s’en diffère également, dans la mesure où le modèle des systèmes d’innovation insiste davantage sur l’entreprise comme jouant le premier rôle en matière d’innovation. « « National » organization of the systems of innovation has historically been

important in determining competition, but reorganizations across industrial sectors and nation states are induced by new technologies (biotechnology, ICT). University research provides a locus of exploration in these knowledge-intensive network transitions » (Etzkowitz

and Leydesdorff, 2000, p. 1). Ainsi, selon le modèle de la triple hélice, dans une économie fondée sur la connaissance, l’université est en mesure et doit jouer un rôle élargi pour ce qui a trait à l’innovation. En effet, ils partent de cette hypothèse du rôle potentiellement prédominant joué par l’université en s’appuyant sur le fait que « la fonction de production de

connaissances est de plus en plus intégrée dans l’infrastructure de la connaissance » (Godin

et Gindras, 2000). Etzkowitz et Leydesdorff se focalisent ainsi sur les réseaux de communication, d’échanges et d’anticipations qui remodèlent les arrangements institutionnels établis entre les universités, l’industrie et les pouvoirs publics. Ceci implique que le modèle de la triple hélice s’intéresse non seulement aux relations qui se développent entre ces trois institutions, mais également les transformations qui s’opèrent à l’intérieur même de chacune de ces interfaces, de ces hélices. Un de ces changements est l’émergence de « l’université

entrepreneuriale » dont les missions dépassent celles, académiques, de la formation et de la

increasingly added to that of the reproduction of the knowledge base and the systematic production of scientific novelty » (Etzkowitz, 2001). Ainsi, le modèle de la triple hélice

constitue une bonne illustration des nouveaux mécanismes organisationnels qui sont mis en œuvre afin de promouvoir l’innovation et la nouvelle formation orientée « business ». Ces nouvelles missions, mais plus généralement, cette nouvelle configuration des relations entre l’université, l’industrie et le gouvernement, sont le fruit de la simultanéité de diverses transformations qui ont conduit à l’émergence, depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, d’un nouvel environnement, et que Leydesdorff et Ezkowitz (2001, p. 3) résument en trois points majeurs : (1) l’interconnexion entre des laboratoires de recherche publique et les utilisateurs de ces recherches – à différents niveaux – qu’illustre très bien notamment la croissance rapide des agences de transferts de technologie et des centres communs à l’industrie et à l’université, au sein desquels les chercheurs, publics et privés, développent conjointement des priorités ; (2) l’émergence, la diffusion et la convergence des paradigmes technologiques et de communication, tels que l’informatique, la téléphonie mobile et Internet. Ces interactions sont devenues elles-mêmes plus importantes entre organisations et, par conséquent, relativement plus importantes que l’élaboration de perspectives au sein de sa propre institution basée sur des routines et de la connaissance tacite ; (3) le passage qui en résulte de modes de coordination verticaux à des modes latéraux, qui est exprimé d’une part, par l’émergence de réseaux et d’autre part, par la pression visant à réduire les strates bureaucratiques. Pour résumer, cet environnement repose ainsi sur le fait que la production de connaissances académiques est, de manière croissante, un facteur structurant dans les processus d’innovation centrés sur la science.

Le modèle de la triple hélice fournit en fait un cadre théorique de référence aux travaux sur l’évaluation des options de développement basé sur la connaissance. Reposant sur un mode heuristique, il peut être enrichi de diverses contributions émanant de différentes perspectives théoriques qui peuvent ainsi spécifier certaines sous-dynamiques. Les travaux des deux auteurs séminaux étaient à l’origine focalisés sur les relations université-industrie aux Etats-Unis, puis, se rendant compte que ces dernières ne pouvaient être complètement comprises partout, ils ont pris conscience et ont pris en compte le rôle du gouvernement. Elaborée suivant un modèle systémique, l’approche de la triple hélice permet de combiner la thèse du mode 2 de production des connaissances scientifiques développé par Gibbons et al. et l’étude des systèmes d’innovation (Leydesdorff, 2006b, p. 1). Plus précisément, « while the

systems-of-innovation approach defined innovation systems exclusively in terms of (aggregate of) institutional units of analysis, « Mode 2 » defined innovations exclusively in terms of

reconstructions on the basis of emerging perspectives in the communication. The Triple Helix approach combines these two perspectives as different subdynamics of the systems under study » (ibid., pp. 14-15). L’approche de la triple hélice représente ainsi un modèle néo-

évolutionniste du processus d’innovation, dont les relations université-industrie- gouvernement fournissent l’infrastructure en réseau à des systèmes d’innovation centrés sur les connaissances. Le modèle capture ainsi les multiples relations réciproques à différents points du processus de capitalisation des connaissances. Etzkowitz (2002) précise que la première dimension du modèle de la triple hélice réside dans les transformations internes connues au sein de chacune des hélices. La seconde consiste en l’influence qu’une « hélice » peut avoir sur une autre, comme l’influence que peuvent avoir des mesures par les pouvoirs publics sur le fonctionnement de la science. On peut citer par exemple l’adoption par le gouvernement américain du Stevenson-Wylder Technology Innovation Act qui exigea des laboratoires fédéraux qu’ils cherchent à transférer la technologie qu’ils ont pu développer vers les entreprises et les gouvernements locaux ou les Etats, et qui a conduit à l’établissement, au sein de chaque université américaine, d’un bureau de transfert de technologies, les Office of

Technology Licensing (OTL). Enfin, la troisième dimension consiste en la prise en compte des

réseaux trilatéraux et des interactions à l’œuvre entre les trois hélices.

Figure 13 : le recouvrement des interactions entre les trois interfaces

Source : Leydesdorff, Dolfsma and van der Panne, 2004, p. 6

Comme l’illustre la figure 13 ci-dessus, la triple hélice indique les relations qui se tissent entre les trois sphères que sont l’université, l’industrie et le gouvernement, dans une perspective de relative égalité entre les trois institutions qui peuvent ainsi jouer les rôles des autres interfaces (Etzkowitz, 2002). Leydesdorff et Etzkowitz introduisent ainsi la notion d’un « overlay » de relations d’échange qui rétroagit sur les arrangements institutionnels, afin de capturer les dynamiques de communication et d’organisation. Comme Viale et Campodall’Orto (2000) le

précise, ces dynamiques peuvent s’être développées de manières différentes selon les pays. Ainsi, aux Etats-Unis, ce système émane des interactions entre les individus et les organisations de ces différentes sphères institutionnelles, alors qu’en Europe, ces interactions ont été encouragées par des mesures politiques.

Ce modèle d’interactions, dont les trois principales institutions considérées représentent les porteurs d’un système d’innovation basé sur la connaissance, intègre des relations institutionnelles qui contraignent les comportements de chacune des institutions et des relations fonctionnelles dans lesquelles sont formées leurs attentes. Ces fonctions « that

have to be recombined and reproduced evolutionarily can be specified as (a) wealth generation in the economy, (b) novelty generation by organized science and technology, and (c) control of these two functions locally for the retention and reproduction of the system »

(Leydesdorff, 2006a, p. 60). La figure 14 ci-dessous schématise ainsi les trois dimensions qui peuvent être distinguées, au regard du modèle de la triple hélice, dans un système d’innovation.

Figure 14 : Les interactions génèrent une économie basée sur la connaissance

Source : Leydesdorff and Meyer, 2003, p. 8

Ainsi, la dimension géographique organise la position des agents et de leurs agrégats, la dimension économique organise les relations d’échange et la dimension cognitive émerge des deux autres dimensions (Leydesdorff and Meyer, 2003). Cette perspective induit que la base de connaissance d’une économie n’est pas uniquement fondée sur les agents (« agent-

based »), mais aussi, à de nombreux égards, fondée sur la communication (« communication- based »), autrement dit « knowledge informs the exchanges and thus selectively reinforces the solutions found hitherto at interfaces. This latter operation potentially reduces the uncertainty, lowers transaction costs, and thus transforms interfaces within the system innovately » (ibid., p. 26).

Un dernier point apparaît intéressant pour mieux appréhender les contours de l’approche de la triple hélice, il s’agit de la question de l’échelle locale. En effet, cette nouvelle dynamique des économies centrées sur la connaissance, comme l’illustre la figure 14, engendre d’importantes conséquences au regard des régions. En effet, le niveau local peut intervenir afin de favoriser ces échanges, ces interactions. « The locales may serve as the

incubators where production, innovation and diffusion processes are closely coupled » (ibid.).

La densité des interactions locales, au sein de clusters ou de régions, accroît en effet les chances de maintenir des interactions entre les institutions considérées. Ainsi, les échelles, internationale, nationale, régionale, sont prises en compte, en ce sens où elles influencent la force et la densité des interactions entre ces interfaces. En effet, ces séries trilatérales de relations entre université, industrie et gouvernement émergent dans des régions, mais à différents stades de développement, suivant en partie, les valeurs, les habitudes et coutumes, les systèmes socio-économiques à l’œuvre (Etzkowitz, 2002). Ce type de relations, à l’échelle régionale, n’est évidemment pas un phénomène nouveau, mais « what is new is the spread of

technology policy to virtually all regions, irrespective of whether they are research or industrially intensive » (ibid). Cette prise en compte de ces considérations spatiales est

d’autant plus intéressante dans le cadre de l’analyse des « science park » qui s’assimilent à ces systèmes centrés sur les connaissances. Ainsi, de part ces contextes régionaux spécifiques, les trois hélices ne développeront pas les mêmes densités d’interactions, sans compter, par exemple, que certaines organisations hybrides, comme les incubateurs, sont créées à des échelles locales afin de favoriser ces dernières.

Ainsi, les connaissances scientifiques qui seront produites suivant ce mode interactif de co-production, associant des logiques académiques, industrielles et sociétales, induiront des enjeux et des objectifs différents de celles produites suivant le mode traditionnel que caractérise le mode 1 de production, de diffusion et d’utilisation des connaissances scientifiques de Gibbons et al., et qui répond à une organisation dichotomique entre la science et l’industrie. Les transformations dans les modes de production de la connaissance que mettent en évidence ces différents courants d’analyse économique vont ainsi, de manière évidente, avoir des répercussions sur l’output scientifique lui-même et notamment sur la manière dont il va être appréhendé par ces mêmes courants. La recherche publique se réalisant de manière croissante dans un contexte d’application, cette tendance va s’accompagner d’un phénomène de privatisation des nouvelles connaissances scientifiques et d’un renforcement des collaborations avec l’industrie. L’output scientifique va, par conséquent, se présenter sous

de nouvelles formes, il va évoluer en intégrant notamment des perspectives en terme de marché et n’incorporera donc plus uniquement des caractéristiques de biens publics. Egalement, il répondra à d’autres critères, correspondra à d’autres marchés et fera émerger une demande pour certaines formes de produits scientifiques.

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