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EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

2.1 Un renforcement des mécanismes d’appropriation des connaissances Les années 1980 vont marquer un tournant dans le sens d’un renforcement des

2.1.3 La Loi française sur l’Innovation : l’aboutissement des réflexions issues du Bayh Dole Act

Dans la plupart des pays industrialisés, comme la France, des politiques ont été mises en œuvre dans le but de stimuler les dépôts de brevets et la concession de licences par les universités et les centres de recherche publics. Ces politiques, pour beaucoup d’entre elles, ont été modelées suivant le Bayh-Dole Act. Un rapport de l’OCDE (2002, p. 3) précise d’ailleurs que “emulating a policy change in the United State [Bayh-Dole Act], several OECD

countries…have introduced new legislation or implemented new policy measures in the late 1990s to clarify and make more coherent the policies towards ownership and exploitation of academic inventions and other creative works. The main focus of the legal and policy changes has been to grant PROs [Public Research Organizations] title over the IP… The basis for this is that ownership by PROs… provides greater legal certainty, lowers transaction costs, and fosters more formal and efficient channels for technology transfer ». En effet, les universités

américaines apparaissent souvent comme l’exemple qui devrait être suivi par les grands organismes publics de recherche de l’OCDE, au vu notamment de leurs performances en termes de publications scientifiques mais aussi de relations nouées avec le milieu industriel, et donc en termes de dépôts de brevets, de licences accordées, de start-up créées. Ces performances relatives à des interactions avec les entreprises résultent en partie, du moins sont considérées comme résultant de la nouvelle réglementation mise en œuvre aux Etats- Unis, et notamment du Bayh-Dole Act (certes donc avec les réserves que ce dernier peut engendrer), par laquelle les universités peuvent, et on pourrait même dire, sont incitées à détenir la propriété intellectuelle de leurs découvertes et le droit de passer des licences exclusives de manière à les valoriser industriellement elles-mêmes.

Dans le cas de la France, cette volonté s’affiche à travers plusieurs lois qui verront le jour essentiellement entre 1982 et 1999, date à laquelle le tournant relatif au droit de propriété intellectuelle dont peuvent prétendre les organismes publics de recherche va être marqué. Ces lois successives illustrent la nouvelle dynamique que souhaite faire prendre le gouvernement à la recherche publique, autrement dit une ouverture accrue de la recherche académique vers l’industrie et réciproquement, et le modèle américain que la France souhaite suivre. Cette nouvelle direction apparaît tout d’abord dans la loi d’orientation et de programmation pour la

recherche et le développement technologique en France du 15 juillet 1982 (loi n°82-610). Dans un premier temps, cette dernière, à travers l’article 14, fait de la valorisation des résultats de la recherche un objectif majeur de la recherche publique en énonçant clairement que « la recherche publique a pour objectifs le développement et le progrès de la recherche

dans tous les domaines de la connaissance ; la valorisation des résultats de la recherche ; la diffusion des connaissances scientifiques et enfin la formation à la recherche et par la recherche ». Ainsi l’idée d’une recherche publique qui satisfait davantage les attentes de la

société, et plus particulièrement les besoins de l’industrie en matière d’innovation, commence à survenir dans les textes modifiant, justement, les missions et donc le fonctionnement des structures publiques de recherche. L’article 21 de cette même loi va plus loin en faisant apparaître les bases de la création d’une structure dont l’objectif est de faciliter les partenariats de recherche entre sphères publique et privée. Il s’agit des Groupements d’Intérêt Public (GIP) qui constitue un cadre de coopération doté de l’autonomie juridique et financière. Il répond à la volonté de créer un cadre juridique adapté afin d’encadrer les partenariats et d’encourager la collaboration entre des laboratoires privés et publics « pour

exercer ensemble pendant une durée déterminée, des activités de recherche ou de développement technologique, ou gérer des équipements d’intérêt commun nécessaires à ces activités ». Puis, l’article 20 de la loi du 26 janvier 1984 (loi n°84-52) sur l’enseignement

supérieur va encore plus loin en introduisant la question des DPI dans cette démarche d’encouragement aux relations partenariales entre sphères publique et privée de recherche, en prévoyant que les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) « dans le cadre des missions qui leur sont dévolues […] et afin de faire connaître

leurs réalisations […] peuvent assurer, par voie de convention, des prestations à titre onéreux, exploiter des brevets et licences, commercialiser les produits de leurs activités et, dans la limite des ressources disponibles dégagées par ces activités, prendre des participations et créer des filiales ». Ainsi, dans les années 1980, un cadre juridique est mis

en place afin de fournir aux acteurs de la recherche publics et privés des modalités leurs permettant de dépasser le fossé traditionnel qui les séparaient en raison de modes organisationnels distincts répondant eux-mêmes à des logiques et des objectifs différents. L’accès des acteurs de la recherche publique aux DPI, et plus précisément aux brevets et aux concessions de licences, est ainsi ouvert, mais ne constitue alors pas une révolution marquant le début d’une nouvelle gestion des activités de recherche scientifique et académique. La création d’entreprises par les chercheurs reste notamment faible, et pour cause, la combinaison de deux textes législatifs (loi du 13 juillet 1983 et l’article 423-13 du nouveau

code pénal) interdit à un fonctionnaire qui créé une entreprise d’avoir des relations avec son organisme d’origine. La prise de risque trop importante pour le chercheur que constitue cette rupture se pose comme un véritable obstacle à la création d’entreprises par les acteurs de la recherche et plus généralement à leurs collaborations avec des entreprises privées (Jacquemin, 1999).

Dans les années 1990, le constat sera fait que les modalités de gestion de ces activités se sont en fait révélées inadaptées (Franceschi, 2004). Concernant la création de services d’activités industrielles et commerciales au sein des établissements d’enseignement supérieur, le rapport Laffitte sur le projet de loi sur l’innovation et la recherche (1999, p. 15) précise par exemple que « le recours à des services internes ne constitue pas à l’évidence une solution

satisfaisante dans la mesure où les règles budgétaires et comptables qui s’appliquent à ces services ne sont ni claires ni adaptées à la gestion d’activités commerciales. Par ailleurs, les missions que doivent assumer ces services requièrent des compétences techniques et spécifiques qui exigeraient le recrutement de personnels spécialisés. Or les établissements n’ont que des possibilités limitées de recruter du personnel sur les ressources propres tirées de ces activités ». Le sénateur Laffitte souligne de plus la solution insuffisante que constitue

l’exercice des activités de valorisation au travers de filiales, en raison du caractère temporaire ou de l’insuffisante rentabilité de certaines activités. Les formules mises en place ne répondent pas à des structures appropriées et présentent, dans de nombreux cas, des risques financiers et juridiques. Ces faiblesses soulignent l’idée selon laquelle le « suivisme » par rapport aux Etats-Unis ne suffit pas, d’autant plus que le système français, à la différence du système américain qui est régulé suivant des règles de marché, présente une régulation interventionniste, et que donc des actions spécifiques sont nécessaires. Pour Hamdouch et Depret (2003, p.1), les réponses institutionnelles apportées sont principalement « locales » (nationales) et surtout très partielles, superficielles ou incertaines, si elles ne remettent pas en cause les principes fondamentaux et les mécanismes institutionnels qui encadrent traditionnellement les activités concernées. D’ailleurs, ils notent que « la persistance d’un

différentiel juridique et réglementaire important entre pays (en particulier des deux côtés de l’Atlantique) […] constitue une source massive de « concurrence imparfaite » au profit des pays les plus permissifs – ceux privilégiant une vision libérale du Progrès et de sa valorisation par le marché, et, par voie de conséquence, une régulation essentiellement marchande des industries du vivant dans le cadre d’un « commerce stratégique » aiguisé ».

Pourtant, d’autres pas avaient été franchis, comme en 1994, lorsque l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (1994, p. 11) proposa que la politique contractuelle soit considérée comme « la clé de voûte de tout le dispositif de

mobilisation stratégique de la recherche publique ». Les orientations préconisées, en ce qui

concerne la recherche française, avaient pris en considération les points de vue des responsables de la recherche publique et industrielle. C’était par ailleurs, la première fois que l’Office était conduit à se prononcer sur ces choix en les considérant dans leur globalité. Peut- être alors serait-il plus convenable de dire que ce n’est qu’en 1994 (les premières mesures datant alors de 1982) que cette problématique a été considérée dans sa globalité. Toujours est- il que le fossé reste présent et que l’organisation dichotomique entre la recherche académique d’un côté et la recherche privée de l’autre peine à mettre en place des mesures adaptées de collaborations, notamment en raison du manque de clarté qui entoure ces diverses mesures, comme les GIP. La valorisation des résultats de la recherche publique est en autre chose freinée par l’absence de structures efficaces permettant l’exploitation commerciale de ces résultats. D’où la recommandation en 1997 (p. 30), de la commission européenne aux Etats membres d’établir un cadre juridique permettant aux universités et aux centres de recherche de passer des contrats exclusifs avec des industriels pour l’exploitation des résultats, y compris au travers de participations financières (Franceschi, 2004). Ce cadre juridique sera alors fourni par la Loi sur l’innovation et la recherche du 12 juillet 1999 qui est considérée comme une des plus grandes avancées juridiques, en France, en matière d’ouverture de la recherche publique à l’industrie et au marché, à travers notamment l’accès aux droits de propriété intellectuelle qui lui est ouvert, confirmant alors, « le rôle de générateur de

croissance dévolu à la recherche publique » (ibid., p. 46).

Plus précisément, la Loi sur l’innovation et la recherche du 12 juillet 1999 permet aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs de valoriser eux-mêmes les résultats de leurs travaux en participant à la création d’une entreprise, en détenant une participation dans son capital social, en devenant membre du conseil d’administration ou de surveillance d’une société anonyme ou en apportant leur concours scientifique à une entreprise. Désormais, ils peuvent le faire sans devoir rompre définitivement les liens avec leur organisme d’origine grâce à des mesures d’incitation à la mobilité (mise à disposition, détachement auprès d’une entreprise). On retrouve ici l’esprit du Bayh-Dole Act de 1980, la Loi sur l’innovation survenant à la suite de diverses réflexions portant sur ce dernier et sur l’observation du système américain. De décembre 1999 (date de mise en œuvre de ces dispositions) à juillet 2000, 54 dossiers de création d’entreprises avaient reçu un avis favorable de la commission de

déontologie (Schwartzenberg, 2000). L’objectif de cette loi est ainsi de favoriser la mobilité des chercheurs vers le milieu industriel, comme à travers des conditions fiscales particulières pour les entreprises innovantes qui résulteraient de cette valorisation (commerciale) des résultats de la recherche publique et la création d’incubateurs d’entreprises. Elle vise également à inciter les entreprises elles-mêmes à se rapprocher des universités et des centres de recherche publics, par diverses actions de valorisation et la création de cellules de valorisation dédiées à cet effet. Dans cette même optique, le deuxième volet de la loi sur l’innovation et la recherche de 1999 va assouplir et adapter le cadre juridique des relations entre les établissements d’enseignement supérieur ou de recherche et les entreprises. Notamment, ce cadre juridique plus clair va consister en un allégement des procédures de création de filiales et de GIP qui, rappelons-le, regroupent des organismes de recherche, des universités et des entreprises. Ainsi, l’approbation par arrêté interministériel sera remplacée par un régime d’autorisation tacite (Jacquemin, 1999).

Ainsi, la France a mis en oeuvre diverses mesures législatives, à partir des années 1980, afin de faciliter et d’inciter les relations qui pourraient se nouer entre le milieu académique et la sphère industrielle. Mais la France n’a pas de suite intégré la propriété intellectuelle, et en particulier le brevet, dans une politique dynamique d’innovation. Il faut en effet attendre 1999 et la Loi sur l’innovation pour introduire un réel changement de régime au niveau des DPI, dans le sens notamment de l’accès des chercheurs académiques au brevet et à l’exploitation commerciale de leurs découvertes, devenant ainsi davantage des producteurs de nouvelles connaissances scientifiques. Ce décalage au niveau de la priorité que peut ou non constituer le brevet n’a rien d’étonnant au final quand on sait « tout ce qu’il reste à faire pour

que les entreprises, tout particulièrement les PME, soient convaincues de l’intérêt économique du brevet et y accèdent plus facilement. […] Le système international de brevets a accompli des progrès très significatif depuis deux décennies. Au niveau mondial, il intègre désormais la quasi-totalité des pays. L’harmonisation du droit et des procédures progresse. En Europe, un système « régional » a été mis en place avec un certain succès. Cependant de nombreux acteurs (PME, laboratoires de recherche et inventeurs individuels) ne sont pas véritablement en mesure de tirer le meilleur parti du système » (Lombard, 1997). La question

de la valorisation des résultats de la recherche avait déjà été soulevée auparavant et avait déjà suscité quelques changements législatifs (vus ci-dessus) pour répondre à ces difficultés, comme favoriser la mise en commun de moyens financiers et humains des organismes et des universités. La Loi sur l’innovation de 1999 va également apporter un cadre réglementaire plus adapté et ainsi, de nouveaux éléments de réponse en facilitant et sécurisant les transferts

de connaissances entre milieux académique et industriel, à travers le brevet, la concession de licences et la création d’entreprises sur la base de ces brevets issus de la recherche publique.

Mais concernant plus précisément la création d’entreprises innovantes issues du milieu académique, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, un autre point va être crucial dans la réussite de ces essaimages, il s’agit de la question de leur financement. Cette question va renvoyer au développement d’un nouveau régime financier qui émergera tout d’abord aux Etats-Unis, notamment eu égard aux nouvelles opportunités apportées par l’accès des acteurs de la recherche publique à la valorisation de leurs travaux et au droit de propriété intellectuelle. En effet, les effets du changement de régime des DPI, notamment aux Etats- Unis, au cours de ces vingt dernières années, qui ne sont certes pas aussi spectaculaires que certains l’annoncent, ont été une augmentation du nombre de brevets sur des inventions réalisées au sein des universités (Hall, 2001). On a également pu assister à la création de start- ups issues des organismes publics de recherche créées pour exploiter commercialement les résultats de leurs travaux. Ce qui apparaît évident c’est que ce n’est pas l’unique facteur de la privatisation des connaissances observée. D’autres évolutions ont conduit à ce nouveau système de production des connaissances scientifiques, comme les nouvelles possibilités de financement. A travers la privatisation et la marchandisation possible de nouveaux types de connaissances, le Bayh-Dole Act a tout de même ouvert la voie à de nouvelles opportunités de profit, alimentant l’émergence de nouvelles formes et stratégies de financement des innovations. En effet, dans ce nouveau système financier en développement, les acteurs vont investir progressivement dans la production de recherche fondamentale. Tout un ensemble de nouvelles réglementations sur les marchés financiers, agissant en complémentarité avec le nouveau régime de DPI, va conduire à la mise en place, du moins aux Etats-Unis dans un premier temps, de mécanismes particuliers visant à promouvoir des firmes innovantes, qu’elles soient issues de la sphère industrielle ou académique. La France suivra et connaîtra elle aussi le développement de ces sources nouvelles de financement des activités innovantes mais ces dernières résulteront d’incitations publiques successives et prendront au final une forme quelque peu différente, sans connaître un tel essor.

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