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Des contributions respectives montrant une perception disjointe des deux mondes et renforçant l’idée du caractère auto-entretenu de la science

P REMIERE P ARTIE

S CIENCE ET INDUSTRIE : UNE ORGANISATION DICHOTOMIQUE

1.2 Les rapports entre la science et l’industrie dans l’analyse économique : la prédominance de la technologie.

1.2.1 Des contributions respectives montrant une perception disjointe des deux mondes et renforçant l’idée du caractère auto-entretenu de la science

Si on se réfère au modèle des processus d’innovation, les nouvelles idées technologiques émergent des nouvelles découvertes en science et évoluent selon une progression de la recherche appliquée, du design, de la commercialisation et du marketing. La distinction qui est opérée traditionnellement conduisant ainsi à associer la science à la recherche fondamentale et la technologie à la recherche appliquée et à l’industrie, le corps de la connaissance de recherche est pensé, dans cette optique, comme une sorte de banque intellectuelle. C’est cette conception qui a longtemps dominé, dans les débats publics concernant la science et l’industrie et qui reste ancrée dans la rhétorique politique qui la considère comme typique du processus entier de l’innovation technologique. Ainsi, c’est encore la science politique qui domine l’implication de la science à la technologie. Suivant cette idée, force est de constater la pluralité des relations existant entre la science et l’industrie qui sont non seulement fortement interdépendantes, au regard des allers-retours réalisés par les connaissances nouvelles, qu’elles soient issues de la sphère privée ou publique, mais aussi souvent distinctes dans différents domaines et à différentes phases du cycle de vie technologique. En résumé, la relation qui existe entre le monde scientifique et le monde

industriel est une relation de profonde interdépendance, même si ces deux catégories demeurent distinctes et continuent à développer des règles de fonctionnement autonomes. Brooks (1994, p. 479) parle de cette relation comme de « two parallel streams of cumulative

knowledge, which have many interdependencies and cross relations, but whose internal connections are much stronger than their cross connections », qu’il illustre par une

métaphore à savoir, celle de deux brins d’ADN qui peuvent exister indépendamment, mais qui ne peuvent véritablement fonctionner qu’en étant par paire. En tant qu’entités interdépendantes, il n’est pas surprenant de constater qu’elles contribuent l’une à l’autre respectivement. Ainsi, il apparaît que non seulement la science contribue à l’industrie de différentes manières, rappelant l’idée du fonds de connaissances scientifiques qui vient nourrir la technologie jusqu’au développement d’innovations, mais aussi, qu’inversement, la technologie a un impact important sur l’évolution de la science qui elle-même va se nourrir d’éléments émanant de l’industrie. Autrement dit, la science contribue à l’industrie, mais aussi contribue à la science, en se réinjectant des contenus qui lui sont propres. Ainsi, par exemple, dans les domaines comme la chimie et la pharmacie, les technologies sont profondément dépendantes de la science, et la plupart des inventions sont faites par des personnes étant hautement qualifié en science. Mais de manière générale, il est possible de répertorier diverses contributions mutuelles entre la science et l’industrie, contributions mettant en évidence qu’autant l’industrie est perçue comme puisant sa source dans la science, autant la science va se nourrir de l’industrie et, sous entendu, de la technologie dans son processus d’autorégulation scientifique. On est alors loin d’une co-production des connaissances scientifiques, fondée par exemple sur des partenariats mis en œuvre entre l’institution de la science et celle de l’industrie.

Ainsi, dans un premier temps, considérant l’impact de la science sur l’industrie, la science peut constituer une source directe d’idées pour de nouvelles possibilités technologiques. Ces connaissances nouvelles sont, dans ce cas, considérées comme la conséquence d’une découverte scientifique faite au cours de l’exploration d’un phénomène naturel, qui avait été entrepris sans application potentielle en tête. Dans le domaine biomédical, par exemple, l’exploration d’un nouveau domaine peut être entrepris, certes en anticipant que cela va certainement conduire à des applications utiles, mais sans toutefois qu’il y ait de « destination finale » en tête. La science peut également fournir une instrumentation de recherche, des techniques de laboratoire et des méthodes analytiques utilisées en recherche trouvant, en fin de compte leur sens, soit directement, soit indirectement

par le biais d’autres disciplines, dans les designs et les pratiques industrielles. Et ceci, bien que ces processus industriels soient sans rapport avec leur utilisation originale ou avec les concepts et les résultats pour lesquels ils étaient à l’origine inventés. Pour Rosenberg (1991, p. 155), « this involves the movement of new instrumentation technologies…from the status of a

tool of basic research, often in universities, to the status of a production tool, or capital good, in private industry ». Si on se réfère aux termes de Rosenberg, « the common denominator running through and connecting all these experiences is that instrumentation that was developed in the pursuit of scientific knowledge eventually had direct applications as part of a manufacturing process » et, considérant les bénéfices économiques potentiels, « there is no obvious reason for failing to examine the hardware consequences of even the most fundamental scientific research ». Ainsi, dans le cadre des designs d’ingénierie et surtout de

l’évaluation de leur faisabilité, dans la mesure où les coûts pour tester et évaluer empiriquement ces systèmes technologiques prototypes complexes sont non seulement importants, mais aussi ont fortement augmenté, les tests empiriques, réalisés à une large échelle de systèmes complets, tendent à être remplacés par des prédictions, des modélisations et des simulations théoriques de larges systèmes (souvent accompagnés de mesurage et de tests empiriques des sous-systèmes et des composants). La recherche scientifique permet alors de fournir ces outils, ces techniques et ces méthodes analytiques, qui permettent de minimiser les coûts. La science offre également une méthode de recherche pour le développement et l’assimilation de nouvelles compétences et des capacités humaines utilisées finalement pour l’industrie. Cette interaction science/industrie résulte d’une fonction importante de la recherche fondamentale, mais qui est pourtant souvent négligée dans les estimations de ses avantages économiques, à savoir la transmission des compétences de recherche aux étudiants diplômés et à d’autres qualifications avancés. Un certain nombre de ces étudiants « go on to

work in applied activities and take with them not just the knowledge resulting from their research, but also the skills, methods, and a web of professional contacts that will help them tackle the technological problems that they later face » (Brooks, 1994, p. 481). Ceci est

d’autant plus important du fait que l’instrumentation de la recherche fondamentale trouve souvent, plus tard, une application non seulement en ingénierie ou dans d’autres disciplines plus appliquées (comme la médecine clinique), mais aussi, en fin de compte, dans les processus et les opérations industriels de routine. Pavitt (1991, p. 114) en conclut d’ailleurs « that most scientific fields are much more strategically important to technology than data on

direct transfers of knowledge would lead us to believe ». Dans cette optique d’évaluation, la

importante pour l’évaluation de l’industrie, et notamment en ce qui concerne ses impacts sociaux et environnementaux. Ce rôle croissant va de paire avec l’énorme croissance de l’intérêt et de l’inquiétude, que l’on a pu observer ces trois dernières décennies, pour la prédiction et le contrôle de l’impact social de l’industrie qui sont opérés en anticipant les nouvelles technologies et leurs implications sociales et environnementales et les conséquences toujours croissantes d’une gamme d’applications des technologies plus anciennes (Brooks, 197318). La contribution de la science intervient alors dans la mesure où l’évaluation de la technologie requiert une compréhension scientifique plus fondamentale et plus profonde que la base qui a été nécessaire à sa création. Plus précisément, l’industrie se déployant de manière plus complexe, une telle compréhension nécessite souvent plus de connaissances scientifiques fondamentales que celles requises pour le développement de la technologie. Cette interaction science/industrie a conduit Brooks (1994) à appeler la science, « la conscience » de la technologie. En outre, la constitution de cette base de connaissances autorise des stratégies plus efficientes de recherche appliquée, de développement et de perfectionnement de nouvelles technologies. Comme pour l’évaluation de l’industrie, la détermination de la stratégie la plus efficiente pour le développement technologique est souvent assez dépendante de la science, en ce que le fonds accumulé de connaissances scientifiques (et technologiques) existantes de plusieurs domaines, aide à éviter les sentiers sans aucune visibilité, qui sont donc beaucoup plus risqués, et par là même aide à éviter des dépenses de développement coûteuses et inutiles.

L’impact de la science sur l’industrie est analysé ici, mais aussi considéré par l’analyse économique, et de manière générale par les pouvoirs publics, comme connexe au processus même d’innovation, et donc n’intervenant pas dans son analyse. La science est une source disponible de connaissances, de techniques, d’outils, dans laquelle l’industrie vient y puiser des opportunités de développement. Mais ces relations ne sont pas entreprises de concert. Dans cette vision standard de contributions de la science à l’industrie, ces deux mondes ne co- produisent pas de nouvelles connaissances ou de nouveaux outils. L’industrie tire profit des avancées scientifiques mises à sa disposition, tout comme la science puise dans ses propres découvertes pour se développer, tel un processus d’auto-régulation et d’auto-entretien. Ainsi, la science apporte de nouvelles opportunités à l’industrie, et s’en apporte ainsi personnellement. Mais la respective est également vraie et l’industrie peut s’avérer être une

18 « The state of the art : technology assessment as a process », International Social Science journal 22 (3), UNESCO, Paris.

source de potentiels pour le monde académique qui va alors y puiser, à des fins personnelles d’évolution propre et suivant sa propre organisation, les éléments dont elle a besoin.

Ainsi, alors que l’impact de la science sur l’industrie apparaît largement reconnu par tous, la contribution inverse (portant à la fois sur le programme de la science que sur ses outils) semble beaucoup plus négligée, même si quelques auteurs ont, par la suite, tenté de la mettre en évidence, comme Kline et Rosenberg (1986) avec leur modèle interactif « chain-

link ». Ils ont en effet cherché à souligner ces liens « à double sens » entre science et industrie,

cette dernière développant de nouveaux produits ou instruments permettant de supporter la recherche académique. Ainsi, dans cette optique, l’industrie a des répercutions sur la science tout d’abord en fournissant une source fertile de nouvelles questions scientifiques, ce qui, par conséquent, aide à justifier l’allocation des ressources nécessaires pour adresser ces questions d’une manière efficiente et pertinente, en étendant les programmes de la science. Ensuite, l’impact résulte du fait que l’industrie constitue une source d’instrumentations et de techniques, autrement indisponibles, nécessaires pour résoudre de nouvelles et plus difficiles questions scientifiques, et ce, plus efficacement et plus rapidement.

Pour ce qui a trait à l’industrie en tant que source de nouveaux challenges scientifiques, cela se manifeste par le fait que les problèmes qui surviennent dans le développement industriel apparaissent souvent comme une source riche de défis pour la science fondamentale que la communauté de recherche académique poursuit, sans chercher à répondre aux exigences immédiates de l’application technologique d’origine, bien qu’ils aient été trouvés avec un problème technologique spécifique en tête (Rosenberg, 1991). La résolution de ces problèmes qui apparaissent au cours du développement industriel ne survient pas au sein de l’industrie d’une part parce que les personnes évoluant dans cette industrie ne sont peut-être pas à même d’apprécier la signification potentielle des observations faites dans le contexte industriel et d’autre part, car les ressources ou les incitations font peut être défaut pour poursuivre, généraliser et interpréter l’observation. Cette deuxième raison résulte du fait que l’organisation est dépendante des retombées commerciales de ses activités (comme la recherche), elle se focalise donc sur la poursuite de concepts prometteurs dont les applications potentielles sont suffisamment claires et immédiates. L’exemple classique pour illustrer cette idée est l’effet Edison qui exprime ces découvertes qui ne sont pas poursuivies parce que les chercheurs sont trop préoccupés par des considérations d’utilité à court terme. Ainsi, des observations importantes peuvent être faites accidentellement durant la course au développement technologique, tant militaire qu’industriel mais, en raison du contexte

hautement spécialisé dans lequel elles sont faites ou de la confidentialité inhérente au propriétaire ou au militaire, elles peuvent ne jamais apparaître dans la littérature scientifique générale, ni être documentées ou approfondies. A partir de là, elles ne pourront pas être comprises ni appréciées par d’autres chercheurs – qu’ils appartiennent au milieu scientifique ou à la sphère industrielle – qui seraient intéressés et capables de poursuivre leurs significations scientifiques de manière plus large et profonde (Brooks, 1994). Il faut ajouter également que le développement technologique stimule indirectement la recherche fondamentale en attirant de nouvelles ressources financières dans des aires de recherche, dans le but d’aboutir à des implications pratiques. Par ailleurs, il apparaît que la science la plus fondamentale a tendance à suivre la conception originale d’une invention plutôt que de la précéder. Ainsi, ceci se manifeste par le fait que plus l’invention est radicale, plus elle risque de stimuler de nouvelles aires de recherche fondamentale ou alors de raviver d’anciennes aires de recherche qui avaient perdu l’intérêt des scientifiques les plus innovants. C’est le cas notamment dans la biomédecine où les recherches se sont beaucoup centrées sur la technologie curative (la plus grande priorité a en effet été accordée, surtout aux Etats-Unis à ce qui peut améliorer les chances de survie d’un patient malade), ce qui a conduit les industriels à mettre l’accent sur la base de connaissances scientifiques des laboratoires académiques et du gouvernement, dans des domaines liés. Ainsi, la priorité industrielle a conduit les scientifiques académiques à centrer leur recherche sur les domaines en rapport avec les préoccupations des chercheurs industriels.

L’autre répercussion de l’industrie sur la science réside dans le rôle joué par l’industrie en matière d’instrumentation et de techniques de mesures. Elle a en effet permis de mesurer des phénomènes naturels qui n’étaient pas accessibles auparavant à la recherche scientifique. De nouvelles opportunités sont ainsi rendues disponibles aux scientifiques fondamentaux. Elles émanent pour la majorité des cas, d’instruments de laboratoires qui sont développés tout d’abord par des scientifiques de recherche, mais qui sont commercialisés par la suite pour être vendus à une communauté de recherche plus large. Ce processus a par ailleurs été très important pour la diffusion rapide des nouvelles techniques expérimentales et constitue probablement un premier mécanisme de transfert de connaissances entre différentes disciplines qui, à son tour, a accéléré fortement le progrès de la science dans son ensemble. A titre d’illustration, un extrait du Physics Survey Commitee (1972) peut être cité, bien qu’il concerne les transferts de techniques émanant du domaine de la physique vers celui de la chimie, ces derniers sont similaires à ceux entre deux disciplines et ainsi, concernent la diffusion opérée entre des chercheurs et des sous domaines d’une discipline : « when the

method is first discovered, a few chemists, usually physical chemists, become aware of chemical applications of the method, construct their own homemade devices, and demonstrate the utility of the new tool. At some point commercial models of the device are put on the market. These are sometimes superior, sometimes inferior, to the homemade machines in terms of their ultimate capabilities to provide information. However, the commercial instruments generally are easier to use and far more reliable than the homemade devices. The impact of the commercial instruments is rapidly felt, is often very far-reaching, and sometimes virtually revolutionizes the field. Chemists with the new instruments need not be concerned with developing the principle of the device; they are free to devote their efforts to extracting the useful chemical information that application of the device affords. This pattern characterizes the development of optical, infrared and radio frequency spectroscopy, mass spectrometry, and X-ray crystallography ». L’efficacité de ce modèle peut dépendre des

collaborations qui existent entre les vendeurs et les utilisateurs scientifiques et entre les ingénieurs et les scientifiques. Mais, même si les frontières qui délimitent les champs des recherches entreprises par les milieux scientifique et industriel demeurent étroites et que ces derniers soient dépendants l’un de l’autre, la dichotomie demeure présente et les deux milieux contribuent l’un à l’autre, mais sans pour autant chercher à co-produire de nouvelles connaissances scientifiques. La logique suivie est davantage celle d’une veille scientifique et technologique, par laquelle les deux mondes suivent les évolutions respectives de l’un et l’autre et vont y puiser les éléments qui leur semblent importants ou pertinents à leur propre développement. Mais à la différence de l’industrie dont le fonds de connaissances scientifiques constitue un élément crucial de son développement, la science évolue dans un monde auto-entretenu suivant sa propre régulation puisant tant dans les avancées technologiques de l’industrie que dans ses propres avancées. Ne suivant pas des règles économiques, pouvant se suffire à elle-même (d’un point de vue scientifique) et surtout pouvant être régulée sans faire intervenir des règles émanant du marché, il en résulte que la place de la science comme élément structurant une dynamique d’innovation n’apparaît alors pas encore clairement. La théorie économique a d’ailleurs privilégié l’analyse de l’industrie, de la technologie et du changement technologique pour établir les fondements de la théorie de la l’innovation. L’apport de la science consiste alors en un fonds de connaissances dans lequel le marché peut y puiser ses sources, mais sans en expliciter ses impacts en terme technologique.

1.2.2 La problématique économique insiste davantage (voire exclusivement) sur la

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