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P REMIERE P ARTIE

EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

3.2 L’émergence d’un nouvel output scientifique

3.2.2 Les nouvelles pratiques de la recherche

Le changement du cadre juridico-institutionnel dans lequel s’inscrivent les activités de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques, que l’on a pu mettre en évidence notamment avec les évolutions des environnements juridique, financier, technologique et économique, va conduire à de nouvelles pratiques de la recherche, tant académique qu’industrielle. Ainsi, le Bayh-Dole Act pour ne citer que lui, et les mutations de l’environnement économique dans lequel évoluent les universités et les firmes vont rompre avec cette pratique traditionnelle des activités de recherches appliquées et fondamentales, à travers, notamment, la possibilité qui est donnée que les résultats des recherches financées par fonds publics, autrement dit l’output scientifique traditionnel, soient attribués sous formes de licences exclusives à des firmes issues du secteur privé. A partir de là, l’output scientifique peut être « marchandisé » et correspondra davantage à un bien public marchand, en raison de la possibilité de bénéficier de l’exclusivité de son utilisation. De nouvelles relations pourront également se nouer autour de lui et prendront alors des formes différentes. Elles répondront notamment à de nouveaux objectifs qui tendront d’une manière générale à rapprocher les deux mondes et à résoudre, ensemble, des problèmes spécifiques. De plus, dans le cas des Etats- Unis, la mise en place de diverses mesures dans toutes les grandes universités américaines afin de favoriser les transferts de connaissances et de technologies, comme les Technological Transfer Offices, va entraîner une autre mutation fondamentale dans la pratique de la recherche académique. Ces instances vont en effet jouer un rôle décisif dans l’orientation

même de la recherche. Leur action aura pour objectif de favoriser les recherches qui sont susceptibles de permettre, dans des délais relativement courts, des dépôts de brevets. Dans de nombreux cas, elles chercheront aussi à exercer un poids afin de retarder la publication jusqu’à des dépôts de brevets préalables sur les thèmes couverts par la publication (Orsi, Coriat, 2003). Pour illustrer ces changements de pratiques de recherche qui sont survenus à la suite de toutes ces évolutions, nous pouvons par exemple citer le cas du secteur des sciences de la vie pour lequel l’évolution du régime des droits de propriété intellectuelle, qui a notamment abouti à la brevetabilité des gènes et des séquences partielles de gènes, a fini par estomper, en Europe du moins, la distinction entre découvertes et inventions, caractérisant jusqu’alors la frontière entre les deux mondes que sont le milieu académique et la sphère industrielle. A noter que c’est sur ces deux concepts que se fonde la législation européenne sur la brevetabilité du vivant. Orsi (2002) parle d’un « déplacement de frontières » inaugurant l’ère de la privatisation du fonds commun de la découverte scientifique (les scientific

commons). Hall (2001, p. 2) synthétise ces relations en disant que « these transactions are driven by simple supply and demand: the university partners are selling the output of their research and development in return for the funds to do it. The transaction is structured as an alliance because of uncertainty and the need of industrial firms to monitor the progress of the research in order to make full use of its output ».

Il apparaît en effet qu’au cours des dernières décennies, la frontière entre recherche fondamentale (perçue comme étant du ressort de la science) et recherche appliquée (davantage liée à la technologie) se brouille davantage, devenant un « flou » de plus en plus opaque. Ainsi, des découvertes fondamentales dans le domaine de la génétique, des mathématiques ou de la physique, peuvent déboucher en quelques années seulement sur des produits très rentables, comme des vaccins ou des logiciels… Inversement, des recherches appliquées peuvent conduire à des découvertes fondamentales, comme ce fut le cas des chercheurs d’IBM qui ont découvert les supraconducteurs dans le milieu des années 1980. Dans ce contexte, la valorisation de la recherche fondamentale publique, consistant à lui ouvrir des débouchés industriels tout en respectant sa mission d’accumulation et de diffusion des connaissances, représente un défi d’importance majeure que les gouvernements ont à relever. Ont ainsi été mis en place, dans la plupart des pays développés, des organismes et des mécanismes ayant pour objet de diffuser les connaissances publiques, de mettre les compétences de la recherche publique en contact avec les problèmes posés par des entreprises. Dans cette optique, les partenariats de recherche entre les secteurs public et privé visent à exploiter les complémentarités qui existent entre ces deux mondes (Aubin et Bascans,

2002). Iris (2001) parle alors de recherche « partenariale » pour ce qui a trait à la recherche universitaire menée avec l’industrie, qui n’est alors ni fondamentale ni compétitive, mais qui se place plutôt dans une démarche où la connaissance scientifique est concrètement confrontée à la dimension industrielle. En outre, cette recherche partenariale est développée suivant un objectif explicite de résolution d’un problème particulier. Elle facilite de fait le transfert technologique notamment par les ressources humaines, avec par exemple la formation, puis l’essaimage de jeunes chercheurs vers l’industrie. Dans la mesure où elle consiste en la mise en relation de ces deux mondes si différents que sont la science et l’industrie, il n’est pas étonnant que la recherche partenariale relève de la négociation, chacun cherchant à s’assurer la garantie de ses intérêts, ni même qu’elle présente un certain risque au regard de la nature contractuelle de son activité. Par ailleurs, évoluant dans un environnement de plus en plus complexe, elle nécessite réactivité et capacité d’adaptation. Ses procédures doivent en outre être suffisamment souples pour convenir et s’adapter à tous ses protagonistes. La gestion de cette nouvelle catégorie de recherche étant devenue un métier en soi, diverses structures privées et associées aux universités ou aux écoles ont été créées afin de développer ces partenariats, dont les formes sont diverses. Cassier (1997) parle de compromis institutionnels et d’hybridations entre recherche publique et recherche privée. Aubin et Bascans (2002) évoquent quant à eux la croissance du nombre de consortiums de recherche qui associent des laboratoires publics et des entreprises, impliquant la nécessité de mettre en œuvre de nouvelles règles de diffusion et d’attribution des connaissances. La recherche partenariale aux Etats-Unis est plus développée et mieux armée (en termes de soutiens institutionnels), tout comme elle bénéficie d’une plus longue expérience. Mais, même si cette forme de valorisation de la recherche académique n’apparaît pas dans la loi de l’innovation de 1999, elle émerge néanmoins en France depuis environ une petite dizaine d’années.

En effet, aux Etats-Unis comme en Europe et dans les pays développés, au niveau de la sphère industrielle, les innovations étant de plus en plus rapidement obsolètes et relevant de plus en plus d’autres technologies, comme des technologies de l’information et des télécommunications ou encore des nouveaux instruments (notamment de calculs et de simulations), les firmes ont, de manière croissante, besoin de disposer d’un fonds de connaissances fondamentales ou connexes à ses propres recherches afin d’appréhender et d’acquérir au mieux et au plus vite ces évolutions technologiques. De même, il est nécessaire qu’elles se lancent dans des activités de veille technologique. Dans cette optique, elles doivent être à même de comprendre ce qui se passe dans leur environnement. En effet, leur survie

dépendant des améliorations continues qu’elles apportent à la qualité de leurs produits ou processus, c’est la raison pour laquelle ces améliorations, souvent toujours plus complexes et rapides, peuvent nécessiter que les firmes s’engagent dans des activités de recherche fondamentale. Cela peut également correspondre à une optique de veille, de développement ou tout simplement à la nécessité de disposer d’une base de connaissances suffisantes pour pouvoir absorber les connaissances disponibles (Beath, Owen, Poyago-Theotoky and Ulph, 2001). Plus précisément, plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les firmes s’engagent dans des activités de recherche fondamentale en liant notamment des relations avec le milieu académique. Tout d’abord, comme on l’a dit, elles peuvent chercher à s’assurer qu’elles disposent de la compréhension nécessaire pour absorber les résultats de la recherche académique, mais aussi de celle entreprise par d’autres firmes ou par ses concurrents. Elles peuvent aussi, par exemple, chercher à orienter la trajectoire de recherche des institutions publiques de recherche afin de combler un gap dans le portfolio de recherche de ces dernières ou de résoudre un problème technique auquel elles peuvent être confrontées. Egalement, elles peuvent chercher à acquérir de nouveaux brevets et tirer financièrement partie de cela (comme dans la recherche en génomique). D’autres raisons peuvent consister tout simplement à l’accès à de nouveaux pans de recherche, au développement de nouveaux produits, ou encore en la volonté de maintenir des relations avec des universités et de disposer par là même d’un plus large réseau, notamment lorsqu’elles chercheront à recruter du personnel hautement qualifié dans leur domaine. On peut noter également que les accords s’établissant entre des laboratoires de recherche et des firmes aboutissent généralement à la constitution de monopoles bilatéraux sur des pans de recherche qui étaient traditionnellement financés par fonds public et donc d’accès libre. Par ce biais, les firmes se dotent alors d’un accès privilégié à ce pan de recherche et donc aux connaissances de base qui en résultent (Orsi et Coriat, 2003). A titre indicatif, aux Etats-Unis, la part de financement de la recherche universitaire émanant de l’industrie (même si cette part, il faut le noter, reste relativement faible, soit un peu plus de 6%) a triplé entre 1970 et 1999 (Hall, 2001, p. 2).

Du côté des scientifiques universitaires, l’incitation à nouer des liens avec l’industrie peut venir d’une part, de la possibilité offerte de nouvelles sources de financements qu’ils peuvent alors utiliser pour financer leurs propres programmes de recherche (d’autant plus qu’ils sont confrontés à des restrictions budgétaires quant au soutien à la recherche des pouvoirs publics) et d’autre part, de la mise à disposition d’équipements dont peuvent disposer les firmes, de l’accès également à de nouveaux réseaux. En effet, les relations

s’établissant entre la science et l’industrie prennent généralement la forme de collaborations. Dans ce cas, les transferts de ressources des firmes vers les universités se présentent sous la forme de revenus, ce qui permet aux universités de pallier aux restrictions budgétaires auxquelles elles doivent faire face. Mais en pratique, les firmes transfèrent également, de véritables ressources, comme par exemple en donnant aux scientifiques académiques cet accès à des équipements très chers dont ils ne disposent pas dans les universités. En effet, les équipements sont non seulement très onéreux mais également rapidement obsolètes et dépassés. Les universités n’ont alors pas forcément les moyens nécessaires pour s’équiper avec le matériel le plus innovant, le plus développé et abouti. A noter cependant que, généralement, l’essentiel de ces transferts de technologie est le fruit des plus grosses universités. Concernant le fait qu’un rapprochement avec les firmes peut leur permettre d’accéder à ces équipements, ceci est également vrai dans la réciproque où les firmes font appel aux universités dans le but de bénéficier de leurs matériels, ponctuellement ou non, afin de le tester, par exemple avant d’investir et donc de les acquérir en interne, ou pour être formées à leur utilisation. C’est ce qui se passe par exemple au sein de plates-formes Génopoles. Pour Hall (2001), les chercheurs académiques peuvent également chercher à acquérir des connaissances pratiques qui leur seront utiles par exemple dans le cadre de leurs activités d’enseignement ou pour positionner un de leurs étudiants sur un poste dans le secteur privé. Ce rapprochement peut également être un moyen pour eux de tester et de réfléchir sur leurs pratiques de recherche ainsi que leurs évolutions. Mais la nature de la recherche entreprise dans le cadre de ces relations avec l’industrie n’est pas forcément fondamentale. Les chercheurs académiques peuvent également avoir la possibilité de mener de la recherche appliquée. Dans ce contexte, le temps de travail des chercheurs académiques se répartit entre du temps pour la recherche fondamentale qui s’inscrit dans le cadre de leur métier, du temps pour de la recherche appliquée ou fondamentale entreprise dans le cadre de relations avec l’industrie, mais aussi du temps qu’ils consacrent, on peut dire qu’ils investissent, pour développer des capacités d’absorption des idées et résultats d’autres chercheurs, publics ou privés. Ceci concerne le temps investi mais aussi des ressources investies (Beath, Owen, Poyago-Theotoky and Ulph, 2001). En outre, la possibilité qui est donnée aux chercheurs de déposer un brevet pour leurs résultats va également favoriser ces changements institutionnels s’exprimant à travers ces rapprochements avec l’industrie et la privatisation des connaissances qui constituaient autrefois des biens publics. Ainsi, des engagements solides vont se mettre en place entre la recherche académique et des entreprises privées dans certains secteurs, comme par exemple dans le domaine de la génomique, où on peut observer l’émergence d’une

nouvelle génération de petites entreprises, spécialisées dans des activités high tech et de recherche fondamentale. Ces dernières constituent une autre des formes issues des relations entre les institutions académiques et les firmes. La circulation de la connaissance au sein de ce système est elle-même spécifique. Elle concerne à la fois les connaissances codifiées et tacites et s’opère par le biais principalement de relations hors marché, à travers divers modes de relations personnelles voire informelles et de réseau. Cette « libre » diffusion de la connaissance contribue clairement à entretenir l’innovation. A noter qu’elle peut même concerner des relations inter-firmes dans le cas où cette culture de science ouverte finit par pénétrer la sphère industrielle (Coriat, Orsi et Weinstein, 2002). La multiplication de ces diverses formes de relations science industrie ont ainsi abouti à l’émergence d’un nouvel output scientifique ne s’inscrivant plus dans une logique linéaire amont-aval, mais dans une logique partenariale, de co-production scientifico-technique.

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