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EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

3.1 Les nouvelles théorisations de la science

3.1.1 La Nouvelle économie de la science

La Nouvelle économie de la science doit ainsi son nom à l’article de 1994 de Dasgupta et David, qui se veut la suite revisitée du « courant » initié par Nelson (1959) et Arrow (1962), et dont l’objectif principal est de réintroduire les activités dans le champ de l’analyse économique. Depuis les années 1960, divers travaux sont apparus constituant essentiellement « une réflexion sur la manière d’assurer la production des connaissances scientifiques et sur

la manière dont ces connaissances peuvent se diffuser pour nourrir le progrès économique »

(Turner, 2003, p. 11). En effet, la question concernant l’activité scientifique concernait principalement, on l’a vu, d’une part, le problème de l’allocation des ressources, notamment publiques, afin de financer la production des nouvelles connaissances, et d’autre part, la question des contributions de la science à l’industrie, en tant que fonds de connaissances. L’économie de la science, guidée par la vision traditionnelle de la science, empruntait ainsi aux outils de la théorie des biens publics pour analyser les connaissances qui ne répondaient pas aux théories de marché et de biens privés. Puis, au fil des évolutions connues par l’environnement dans lequel évolue la science, « à mesure que les interactions entre la

science, la technologie, l’innovation et la croissance devenaient plus évidentes » (ibid.), le

regard sur celle-ci a changé lui aussi, que ce soit de la part des politiciens de la science et de la technologie ou des économistes, lui conférant une toute autre fonction, un tout autre rôle, ainsi que de nouveaux enjeux. La nouvelle économie de la science s’attache ainsi à doter la science économique d’outils lui permettant de mieux saisir la place de la science et des institutions scientifiques dans la dynamique économique. Les objets de recherche au sein de ce courant sont divers, traitant par exemple de la mesure du travail scientifique et de la productivité des chercheurs, de la valorisation et de la certification des connaissances scientifiques, des mécanismes de financement de la recherche, ou encore des nouvelles formes d’organisations des rapports entre universités et entreprises. Mais, ils expriment tous la prise de conscience de l’intérêt économique de la science. Les contours de ce nouveau courant sont d’autant plus divers que le champ d’étude est vaste, récent et côtoie les périmètres d’autres disciplines, comme la sociologie qui s’est intéressée à la question des activités scientifiques bien avant l’économie. La nouvelle économie de la science répond donc quelque peu à une volonté d’unification des diverses approches et des divers travaux développés ça et là, tout en

marquant bien l’évolution du regard porté sur les connaissances scientifiques. Elle permet aussi de repenser les relations science industrie en ce sens que ce même cadre d’analyse est appliqué à l’examen des relations entre firmes et chercheurs académiques. Il permet par ailleurs d’expliquer et d’inventorier les différentes formes institutionnelles possibles, ainsi que leur efficacité relative. Cela résulte du fait que les chercheurs académiques voient se multiplier les incitations (quelles soient financières ou juridiques) à valoriser leurs découvertes auprès des entreprises, ou suivant une logique de marché.

La mise en place de ce genre de relations implique un dépassement des frontières existant entre le milieu scientifique et la sphère industrielle, ces frontières se plaçant notamment au niveau des objectifs recherchés par ces divers acteurs, ainsi qu’au niveau de leurs mécanismes d’incitation à produire des connaissances scientifiques nouvelles. Concernant les objectifs recherchés, les problèmes se placent notamment au niveau de l’appropriation des connaissances, ainsi qu’au niveau des impératifs de chacun des deux mondes (secret pour l’industrie et divulgation pour les institutions scientifiques). La nouvelle économie de la science apparaît comme une clé de lecture pour bien comprendre les impacts, les conséquences de ces considérations sur l’efficacité des institutions scientifiques. Un autre point semble important dans cette thématique, il s’agit de la question du financement de la recherche académique. En effet, Dasgupta et David (1994) pensent que le financement croissant de la recherche académique par l’industrie altère les normes et les valeurs de la communauté scientifique. Il en résulte que cette dernière devient moins ouverte, tente de protéger son information plus énergiquement et tend à se comporter davantage comme des firmes à la recherche de rentes, ce qui n’est donc pas sans conséquences sur les stratégies organisationnelles des institutions scientifiques en matière de création et de diffusion de connaissances scientifiques. La question de l’impact de ces évolutions sur l’organisation de la science s’inscrit donc dans les préoccupations de la nouvelle économie de la science. Comme Turner (2003, p. 12) le souligne, Stephan et Audretsch ont édité un ouvrage en 2000 qui reprend les principaux travaux développés en économie de la science. On retrouve ainsi treize thèmes, dont l’intérêt de les citer réside dans l’idée qu’ils donnent des contours et des préoccupations de ce courant :

1- La nature publique du savoir scientifique ;

2- Les mécanismes de production de la connaissance ; 3- Les structures d’incitation dans la science ;

4- Les caractéristiques des découvertes ; 5- Les droits de priorité et de propriété ; 6- Les carrières dans la science ;

7- Les spécificités du marché du travail des scientifiques ; 8- La place des scientifiques dans l’industrie ;

9- Les modes de valorisation de la science ; 10- La relation science/technologie ;

11- Les liens entre science et croissance économique ; 12- Les externalités de connaissances ;

13- Les politiques publiques d’intervention en matière scientifique et technologique.

On peut constater d’une part l’importance des problématiques socio-économiques traitées par la nouvelle économie de la science, allant dans le sens de ce qui a été dit précédemment concernant le fait que ce champ d’analyse recouvrait plusieurs disciplines liées. D’autre part, il apparaît que les diverses thématiques que l’on peut rencontrer en économie de la science sont interdépendantes et ont des incidences les unes sur les autres. Ainsi, la question des incitations des chercheurs à produire de nouvelles connaissances scientifiques n’est pas sans rapport avec celle du financement de la recherche académique, qui elle-même est liée à la question des relations qui s’instaurent entre les institutions scientifiques et l’industrie des sciences de la vie. A leur tour, les relations science industrie ont des conséquences sur les incitations à la recherche en ce sens où les impératifs industriels concernant la diffusion des connaissances nouvelles ne sont pas toujours en adéquation avec la volonté de divulgation émanant des chercheurs académiques en vu d’une reconnaissance par ses pairs, mécanisme entrant dans les structures de récompenses et d’incitation de ces derniers. Ces relations ont de plus des incidences sur le financement de la recherche académique, dans la mesure où une partie de cette dernière tend à être financée par l’industrie par le biais de contrats de recherche liant les institutions scientifiques aux firmes. Nous ne pouvons bien sûr présenter ici, même brièvement, tous les thèmes attenants à ce nouveau courant d’analyse, mais, nous pouvons tenter d’en souligner, plus ou moins transversalement, les principales directions.

Ainsi, de manière générale, la nouvelle économie de la science s’intéresse au fonctionnement interne de la science : les incitations à la recherche, les structures de récompenses, la productivité des chercheurs… Ce dernier point en constitue d’ailleurs un des thèmes centraux. Le travail et les incitations des chercheurs ne répondant pas uniquement aux mêmes déterminants que ceux régissant les comportements des autres agents économiques, et notamment à « l’arbitrage travail-loisir sur lequel repose initialement l’analyse des

déterminants de l’activité professionnelle et de la rémunération du travail » (Turner, 2003, p.

30), il est ardu de les traiter en recourrant à ces outils de l’analyse économique. D’autres éléments influencent en effet leurs motivations à travailler et donc à chercher. Ce peut être la

curiosité, la recherche de reconnaissance (l’éponymie), ou tout simplement le goût pour la recherche. La plus grande satisfaction du chercheur repose en effet souvent sur la découverte en elle-même ou comme Pasteur écrivait dans « Etudes sur le vin », « la plus grande

satisfaction du savant est celle que lui procure la découverte de faits nouveaux, de lois inconnues avant lui. Il n’est pas moins heureux lorsqu’il entrevoit dans les résultats de ses recherches quelques applications aux arts, au commerce, à l’industrie ». Pasteur va plus loin

quand il dit, dans un discours donné en 1854 lors de l’installation de la Faculté des Sciences de Lille, que tout résultat d’une recherche est potentiellement important et que « c’est à nous

qu’il appartiendra de ne point partager l’opinion de ces esprits étroits qui dédaignent tout ce qui, dans les sciences, n’a pas une application immédiate ». De même, les incitations à la

productivité sont principalement non monétaires, comme la règle de priorité, et « ne

répondent donc que partiellement aux incitations mises en place par l’institution scientifique telles que la promotion, le salaire ou la mobilité. Enfin et surtout, les scientifiques obéissent à des normes qui sont par définition non contractables » (ibid., pp. 30-31). La nouvelle

économie de la science tente donc de fournir les nouveaux outils analytiques afin de répondre économiquement à cette problématique de la productivité des chercheurs, pourvoyeuse de croissance. Pour se faire, elle repose sur un autre principe déterminant dans l’analyse, le fait que l’objectif des scientifiques est d’établir la priorité des découvertes, autrement dit en étant le premier à communiquer un nouveau résultat. En effet, une part importante de la structure de récompense de la science est d’être le premier. Dans cette optique, Stephan (1996, p. 1206), dont l’article « Toward a new economics of science » constitue une référence importante de la nouvelle économie de la science, identifie trois parties dans la structure de récompenses des scientifiques : l’éponymie, les prix et la publication : « a reward system based on reputation

also provides a mechanism for capturing the externalities associated with discovery. The more a scientist’s work is used, the larger is the scientist’s reputation and the larger are the financial rewards. It is not only that the reward structure of science provides a means for capturing externalities. The public nature of knowledge encourages use by others, which in turn enhances the reputation of the researcher ». L’incitation à produire des chercheurs

académiques passe donc par des structures de récompenses qui impliquent une reconnaissance par les pairs (ce sont d’ailleurs eux qui jugent et indiquent la valeur des connaissances scientifiques et des nouvelles découvertes et qui en apportent une certaine crédibilité), la nécessité de divulguer ses travaux afin de les diffuser et de les faire reconnaître par le plus grand nombre, mais aussi, une course à la priorité selon le schéma, « le premier remporte tout ». Cette course à la priorité, qui équivaut à une compétition entre chercheurs est générée

par la règle selon laquelle le premier arrivé, c’est-à-dire le premier qui dévoile ses découvertes est « couronné », ce qui permet d’inciter les chercheurs à trouver avant les autres tout en diffusant leurs travaux afin de prouver justement qu’ils sont les premiers. L’importance de la publication ne doit ainsi pas être sous estimée car elle fournit une méthode, en dehors du cadre du marché, pour corriger les défaillances de marché associées à la connaissance. On peut noter également, dans l’étude du comportement du chercheur, qu’il faut aussi tenir compte de l’importance de la satisfaction retirée par le chercheur dans la résolution du problème, comme facteur d’incitation à la production de connaissances scientifiques nouvelles (Beath, Owen, Poyago-Theotoky and Ulph, 2001).

Afin de mettre en avant la contribution de la science à la croissance – idée qui est explicitement présentée dès les premières lignes de l’article de Stephan (1996, p. 1199), « science commands the attention of economists for at least three reasons. First and most

important, science is a source of growth » – un autre élément retient l’attention des

économistes dont les travaux se placent dans la lignée de la nouvelle économie de la science. Il s’agit du lien entre la base scientifique des universités et l’application qui en est faite dans l’industrie (Beath, Owen, Poyago-Theotoky and Ulph, 2001). Ainsi, ce lien s’exprime sous diverses formes, comme les incitations mises en œuvre par les universités dans le but d’encourager les scientifiques académiques à s’engager dans des activités génératrices de revenus, telles que la recherche appliquée ou le consultanat. Ceci afin de pallier notamment les restrictions budgétaires auxquelles les institutions publiques de recherche doivent faire face. L’importance de ce lien est par ailleurs largement reconnue à la fois par les économistes et les pouvoirs publics. Mais la nouvelle économie de la science s’intéresse également aux limites et aux effets pervers de cet engagement, en ce sens où, par exemple, en développant des activités extérieures, les chercheurs diminuent le temps qu’ils peuvent consacrer à la recherche plus fondamentale dans la mesure où une partie de ce précieux temps est dédié à la recherche de contrats de recherche, de contrats de collaborations, d’activités de consultanat. Il leur faut alors trouver le bon équilibre entre toutes ces activités. Beath, Owen, Poyago- Theotoky and Ulph (2001) et Pavitt (1991) soulignent le fait que, dans cette optique, le travail des doctorants et des post-doctorants est déterminant afin de conserver une activité de recherche suffisamment riche. Certaines tâches leur sont ainsi déléguées, surtout dans le domaine des sciences de la vie où ils font partie intégrante des activités de recherche des laboratoires en tant que ressources humaines. A ce titre, ils se posent également comme vecteur de diffusion des connaissances et des compétences scientifiques du milieu académique vers la sphère industrielle. Ce qui nous amène à une autre préoccupation de la

nouvelle économie de la science qui cherche également à remédier aux problèmes de politiques de la science et à pallier les faiblesses de la littérature économique qui a trait à la science, à savoir l’allocation efficiente des ressources scientifiques fondamentales et les transferts de connaissances entre les milieux industriels et académiques. En effet, pour Dasgupta et David (1994), ce qui peut être reproché à cette littérature est que son interdépendance avec le progrès technologique manque de structuration conceptuelle pour guider non seulement les études empiriques, mais aussi les discussions de politiques publiques. La nouvelle économie de la science examine les implications des caractéristiques de l’information afin d’aboutir à une allocation efficiente dans les activités de recherche.

Sous la nouvelle économie de la science, divers travaux tentent donc d’analyser d’une part, les différences entre les deux institutions que représentent la science et la technologie, au regard de leurs mécanismes traditionnellement mis en avant et d’autre part, entre les deux sous-système de production, de diffusion et d’utilisation des connaissances scientifiques nouvelles. Le premier répondant aux mécanismes traditionnels d’incitation non monétaire (priorité et évaluation par les pairs), au financement public de la recherche et à la libre divulgation des résultats et le second correspondant au système de co-production des connaissances scientifiques tels que les évolutions de l’environnement de la science tendent à favoriser, notamment dans les secteurs de haute technologie centrés sur le savoir, comme les biotechnologies. A la différence de la science traditionnelle, la « nouvelle » science engendre un output pouvant répondre aux mécanismes de marché et pouvant être financé suivant ses règles de fonctionnement. Il est important de noter à nouveau que cette idée de « nouvelle » science n’a pas pour objectif de traduire le fait que ce système de co-production est apparu récemment, des relations impliquant milieu académique et sphère industrielle existant déjà bien avant toutes ces évolutions. L’idée exprimée ici est surtout celle de l’importance que ce phénomène a pris et surtout celle des prérogatives en termes de politiques de la science et de la technologie que ces relations ont engendrées, les pouvoirs publics tendant à privilégier cette seconde forme de production des connaissances, plus accès sur le marché et les applications industrielles et donc engendrant un meilleur retour sur investissement, du moins un retour plus visible. C’est ainsi la confrontation entre l’idée de la nécessaire autonomie de la science et, à l’opposé, celle de l’influence des considérations de marché qui caractérisent le système de co-production scientifique. Concernant les interactions entre les deux institutions que représentent la science et la technologie, le modèle développé dans l’ouvrage de Gibbons et

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