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P REMIERE P ARTIE

EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

2.3 Un contexte économique et technologique en transformation

2.3.1 Evolution des technologies et des stratégies d’innovation

L’explosion des nouvelles technologies depuis les années 1960, mais surtout les années 1970, va radicalement changer le régime d’innovation des entreprises ainsi que les dynamiques organisationnelles des universités et des institutions de recherche tendant à un rapprochement de ces deux mondes. On parle même d’un effacement des frontières les séparant, surtout dans les secteurs centrés sur la science, comme celui des biotechnologies et celui des technologies de l’information et des télécommunications. Au niveau académique, le développement très rapide de ces deux disciplines que sont donc la recherche biomédicale et l’informatique, va avoir notamment pour incidences d’intensifier les efforts en matière de transferts de connaissances des universités vers l’industrie, du fait qu’elles sont considérées comme présentant un « fort potentiel commercial » (Orsi, 2002, p. 70). D’un point de vue industriel, ces secteurs illustrent bien les évolutions organisationnelles générées par le développement des hautes et nouvelles technologies et par là même est représentatif des secteurs centrés sur la science. Pour la plupart des pays développés, ces secteurs seront alors caractéristiques du contexte appelé « économie basée sur les connaissances » qui s’épanouira essentiellement à partir du milieu des années 1990 et qui exprimera l’idée selon laquelle la

principale source de croissance réside dans la capacité à créer et/ou à acquérir et à utiliser les connaissances (OCDE, 1996). A partir de là, la principale source de la richesse n’est plus le capital, mais la connaissance (Gay et Picard, 2004).

Considérant l’intérêt qui est porté à l’impact de la création de connaissances scientifiques dans les dynamiques de croissance industrielle et économique, le secteur des sciences de la vie se montre particulièrement intéressant dans la mesure où il constitue un bon exemple d’une industrie suivant une croissance très rapide associée à un changement technologique radical (émanant de découvertes scientifiques) et basée sur la science fondamentale. Cette industrie compte en effet parmi celles qui interagit le plus avec son environnement scientifique. D’ailleurs depuis une vingtaine d’années, ce phénomène s’est accentué, eu égard notamment aux évolutions de la discipline et à un certain changement de stratégie opéré par les firmes évoluant dans le secteur des sciences du vivant. Ainsi, plus précisément, cette « révolution » du vivant survient avec l’émergence des nouvelles biotechnologies qui émanent elles-mêmes de la convergence du génie génétique et de la biologie moléculaire. En effet, les biotechnologies constituent un domaine qui est loin d’être nouveau (d’autant plus que la fermentation constitue un de ses procédés de production) mais la troisième génération30, telle qu’on a tendance à l’appeler, émerge quant à elle, dès le début des années 1950, en 1953 plus exactement, avec la description, publiée dans Nature par Crick et Watson, de la structure en double hélice de l’acide désoxyribonucléique, plus connu sous le nom de l’ADN. Commencera alors l’essor de la connaissance des mécanismes régissant le vivant (SESSI, 1996). La deuxième étape de cet envol scientifique intervient dans les années 1960-1970, avec la naissance du génie génétique et de la biologie moléculaire. Ainsi, deux bouleversements surviennent dans le domaine des sciences du vivant avec dans un premier temps, la découverte de nouveaux outils moléculaires du génie génétique (des enzymes de restriction à PCR, et en particulier l’avènement des premières techniques de clonages de l’ADN) et dans un second temps, l’émergence des approches en biologie moléculaire s’impliquant dans le champ de toutes les pathologies humaines et fournissant des outils de diagnostics à la compréhension physiopathologique, ainsi que des découvertes de cibles potentielles pour de nouveaux médicaments classiques et/ou nouveaux. Plus précisément, le génie génétique transforme le patrimoine héréditaire d’une cellule en modifiant des gènes, permettant ainsi de comprendre et de modifier le métabolisme des micro-organismes ou des cellules. Les progrès réalisés dans le domaine de la biologie moléculaire vont notamment

30 La seconde génération des biotechnologies remonte à 1928, année où Alexander Flemming découvrit le champignon qu’il appela pénicilline.

permettre d’élargir le champ d’application des biotechnologies à la fabrication de substances chimiques, et par là même de transformer les processus d’innovation de l’industrie pharmaceutique. Mais la troisième génération des biotechnologies – autrement dit les nouvelles technologies des sciences du vivant qui recouvrent, pour la définition la plus récente, l’ensemble des techniques qui utilisent les ressources du vivant (tissus, cellules, protéines) pour concevoir ou produire des substances actives – va également toucher d’autres secteurs que la santé humaine ou animale, comme l’agro-alimentaire, l’environnement, sachant tout de même que les deux tiers des dépenses de Recherche et Développement en biotechnologies concernent les médicaments (Rapport Rexecode, 2004).

Egalement, ces deux domaines que constituent l’ingénierie génétique et la biologie moléculaire vont poursuivre leur évolution et converger pour faire émerger, dans les années 1990, la biologie à grande échelle qui va faire passer la biologie d’une science descriptive à une science plus explicative. Les approches et les méthodes employées évoluent suivant une volonté de plus grande compréhension de ce qui est recherché. Ceci résulte en partie des moyens techniques, des concepts nouveaux qui émergent et qui sont développés depuis 50 ans. C’est le nouveau paradigme de l’innovation qui se met en place dans les secteurs centrés sur la science, paradigme qui caractérise également les industries des télécommunications et de l’instrumentation qui ont par ailleurs contribué aux développements de l’industrie des sciences de la vie. En effet, le développement des techniques d’automation31 et de robotisation va permettre une miniaturisation des tests pharmacologiques et la recherche d’une activité dans des millions d’échantillons en un temps réduit. Ainsi, là où des mois, voire des années, de travail se seraient avérés nécessaires, les nouvelles méthodes de synthèse de molécules, à haut ou ultra haut débit, permettent à présent, de vérifier le potentiel pharmacologique de 50 à 100 000 molécules par mois et par chercheur (ibid.,. 89). De la même manière, le développement des techniques informatiques de simulation vont permettre la modélisation assistée par ordinateur des molécules. Eu égard à la mutation que connaît la recherche sur le médicament, l’objectif est ainsi d’aboutir à un diagnostic génétique rapide et personnalisé pour chaque patient. Concrètement, l’idée est de découvrir et de concevoir des médicaments, de très haute technologie, plus ciblés et offrant la possibilité d’accélérer les temps de développement, tout en étant plus sûrs et plus efficaces. L’enjeu pour l’industrie du médicament consiste en une diminution des délais de développement pré-clinique et clinique

31 L’automation consiste à utiliser les services d’un logiciel pour une application informatique. Autrement dit, il s’agit d’une technologie combinant la mécanique et l’informatique afin de produire des marchandises et des services.

(pour rappel, il faut compter de 10 à 15 ans avant d’obtenir une AMM), mais aussi des coûts, à travers d’une part, ces délais plus faibles et d’autre part, grâce à l’identification de meilleurs candidats potentiels (ibid., p. 87). Les progrès des techniques de traitement de l’information, l’assimilation de la bioinformatique, de la robotique ou encore de l’optique ont permis le passage d’une science fondée sur l’observation, à une science fondée sur la gestion de bases énormes de données et sur la compréhension des phénomènes.

Ainsi, deux périodes peuvent être mises en avant dans le cadre des stratégies d’accumulation des connaissances mises en œuvre par l’industrie des sciences de la vie (IDEFI/ULB, 2002). La première, dite de « random screening », représente la période, allant jusqu’au milieu des années 1980, pendant laquelle l’industrie du médicament a reposé sur une recherche industrielle dépendant purement de mécanismes d’essai et d’erreur. Cette méthode du « screening » consiste à tester autant de molécules que possible, par un criblage aléatoire sur toutes les cibles possibles, dans le but d’isoler une seule molécule, qui deviendra alors un candidat médicament, souvent par le fruit du hasard d’ailleurs. Au regard de ce processus d’innovation, le recours à des partenariats avec les laboratoires de recherche académiques ne parait alors pas se justifier (en dehors de collaborations ponctuelles particulières). Même si ce mode d’organisation des processus de recherche demeure dans cette industrie le principal moteur de l’innovation, un changement significatif a pu être observé dans les années 1990 concernant les stratégies de recherche et d’accumulation de connaissances mises en œuvres par les firmes du secteur. En effet, cette situation va changer avec le développement des nouvelles technologies et le passage à une recherche moins aléatoire et plus rationnelle, nécessitant davantage de connaissances scientifiques. Les firmes tentent alors également de comprendre les principes qui gouvernent le comportement des objets et des structures. Plus précisément, un énorme effort de recherche a été réalisé pour accroître leurs compréhensions dans le domaine de la génomique. Cette stratégie d’accumulation de connaissances concernant notamment le séquençage des objets humains ou non, constitue la seconde période identifiée et appelée « ère post-génome » (Quéré, 2002 ; Quéré et Saviotti, 2002). Les firmes se trouvent ainsi être très influencées par les évolutions et les dynamiques insufflées par la recherche scientifique, tant en science de la vie, que dans d’autres disciplines, comme la physique ou l’informatique, l’instrumentation. Par ailleurs, face à ces besoins croissants d’accumulation de connaissances, la prise en compte des avancées technologiques multidisciplinaires offre de nouvelles opportunités scientifiques et technologiques. Au cours de cette seconde période, non seulement des partenariats entre recherche scientifique publique et sphère industrielle vont se nouer, mais des start-ups, spin-offs d’entreprises ou de

laboratoires publics, vont également émerger, rendant encore plus floues les frontières qui séparent le monde de la science et l’industrie.

Ainsi, ce qui distingue ce type d’industries – autrement dit les industries centrées sur la science – des autres consiste notamment en ce qu’elles mettent en œuvre des dynamiques organisationnelles particulières pour leurs processus d’innovation. En fait, cette particularité apparaît ne serait-ce qu’en matière de recherche où on peut parler d’un véritable changement de stratégie de la part des firmes, ce dernier conduisant par ailleurs à une nouvelle approche de la recherche industrielle. Alors que la recherche industrielle dépendait purement de mécanismes d’essai et d’erreur – même si cela reste le principal moteur de l’innovation –, les firmes tentent aussi de comprendre les principes qui gouvernent le comportement des objets et des structures. Pour se faire, elles s’impliquent dans des activités de recherche fondamentale et grâce aux développements dans beaucoup de disciplines scientifiques (notamment en informatique et en physique) et aux progrès en matière de calculs et d’instrumentation, elles cherchent à observer les phénomènes, à tester les hypothèses à l’aide d’instruments plus sophistiqués et à simuler les processus sur ordinateur (Arora et Gambardella, 1994). Plus précisément, l’utilisation accrue de la connaissance scientifique académique dans la recherche industrielle résulte en partie des avancées de trois domaines complémentaires : la compréhension théorique des problèmes, l’instrumentation et la capacité de calcul. Non seulement les chercheurs ont la possibilité de tester les théories plus rapidement et plus efficacement au moyen d’instruments plus sophistiqués et plus puissants, comme les ordinateurs tout simplement, mais aussi ils peuvent tester des théories qui ne pouvaient pas l’être avec les technologies d’expérimentation antérieures. Les perfectionnements des instruments ont ainsi permis des avancées dans les domaines scientifiques utilisateurs de ces techniques, voire dépendants de celles-ci. Mais en même temps, la valeur des capacités d’exploitation des instruments, des ordinateurs, dépend à son tour de l’avancée que connaît la compréhension théorique. En effet, « the use of computer simulation requires that engineers

conceptualise problems in abstract forms. They have to formalise them in a mathematical language, and translate the mathematical model into software language. The ability to formalise problems in abstract terms depends critically upon a good theoretical understanding of the problems themselves » (ibid., p. 525). Ainsi, les scientifiques industriels

doivent chercher à approfondir et à bien comprendre les problèmes qu’ils veulent analyser. Pour se faire, ils ont besoin de connaissances scientifiques fondamentales. Arora et Gambardella (ibid.) donnent l’exemple de l’analyse de la structure de protéines pour illustrer

cette complémentarité. Ainsi, une chaîne protéinée de 150 acides aminés peut engendrer 5150 structures moléculaires possibles, c’est-à-dire un nombre impossible à étudier même à l’aide d’un ordinateur extrêmement puissant. Or, un théorème développé au début des années 1990 utilisant le principe de minimisation de l’énergie réduit le nombre d’alternatives valables à 150² (Bown, 1992). Ceci constitue encore un nombre trop grand de possibilités pouvant être manipulées manuellement mais pas en utilisant un ordinateur très puissant. Ainsi, comme l’exemple le montre, la valeur de la puissance de l’ordinateur est plus haute lorsqu’elle est combinée avec une compréhension théorique sophistiquée du phénomène à étudier, et vice versa. De là, on peut ainsi mettre en évidence que l’objectif raisonné des molécules remplace progressivement le facteur « chance » autrement dit le hasard qui émane des expériences d’essai et d’erreur, par d’importants matériels afin de trouver une ou quelque unes des propriétés recherchées. Tout ceci aboutit de fait à la commercialisation potentielle de la connaissance fondamentale qui devient appliquée. Au final, il en résulte que les régimes d’innovation basés sur la science s’appuient sur un processus d’innovation particulier, dont l’une des caractéristiques déterminante consiste en la capacité d’accès aux découvertes et aux connaissances « externes », sous-entendu, issues des recherches entreprises au sein des universités et des institutions publiques de recherche, mais aussi de la capacité des firmes à absorber les résultats de recherche fondamentale réalisée en interne. A partir de là, les firmes doivent s’assurer de disposer de capacités de compréhension nécessaires pour absorber ces résultats internes comme externes. Ceci peut constituer une raison pour lesquelles elles souhaitent, soit entreprendre des activités de recherche fondamentale, soit nouer des relations avec les acteurs de la recherche fondamentale, comme les universités. L’innovation dans les secteurs centrés sur la science apparaît ainsi dépendante des liens qui peuvent s’établir entre les firmes et la recherche académique. De plus, dans cette optique, l’innovation se définit alors comme « the commercial use (and appropriation ?) of a type of knowledge that often is

at the edge of state-of-the-art, and which comes from non-firms organizations » (Coriat, Orsi,

Weinstein, 2002, p7). La nature cumulative des innovations vient renforcer ce besoin d’acquisition de connaissances nouvelles. En effet, les innovations cumulatives impliquent l’idée qu’une invention va être le point de départ ou le point de passage d’inventions futures. Cette invention n’est ainsi pas destinée à une application unique sur un marché donné, c’est le cas d’ailleurs de nombreuses inventions. Il en résulte que les firmes doivent avoir eu connaissances, compris et assimilé les connaissances nouvelles induites afin de suivre l’évolution des technologies, le progrès étant séquentiel dans la plupart des industries. En effet, « les inventions d’aujourd’hui permettent non seulement l’émergence de nouvelles

techniques ou de nouveaux produits, mais constituent aussi le point de départ des inventions de demain » (Deffains, 1997, p. 10).

Il apparaît donc que les industries centrées sur la science, comme les sciences du vivant, constituent des secteurs particuliers, des secteurs de haute technologie, très dépendants des connaissances scientifiques, d’où l’importance qui leur est accordée dans les processus d’innovation mis en œuvre par les acteurs privés et par là même, le poids important que ceux- ci accordent à la recherche, tant académique qu’appliquée, pour la découverte de nouvelles connaissances, de nouvelles techniques, tout comme la volonté qui se manifeste de rapprocher la science du monde industriel. Cette particularité engendre des modalités particulières de coordination économique qui résultent de cette adéquation entre ces deux milieux, de l’adéquation entre la connaissance scientifique et la connaissance industrielle qui s’imbriquent toutes deux au cœur des processus d’innovation. Ainsi, l’industrie des sciences de la vie se caractérise par une croissance rapide associée à un changement technologique radical émanant de découvertes scientifiques académiques et basées sur la science fondamentale. Etant donnée cette particularité du secteur, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on puisse constater des liens, des relations entre les institutions scientifiques et les firmes. En effet, alors que l’innovation était essentiellement du ressort des entreprises, et surtout de celles de grande taille avec leurs centres de R&D, on assiste à un changement d’articulation entre les grands groupes et les laboratoires de recherche. Ainsi, les acteurs à participer à ces processus d’innovation sont de plus en plus nombreux et divers, entre les universités, les start-ups, les institutions de soutien à l’innovation. Il en résulte notamment un caractère plus distribué de la recherche industrielle, caractère que l’on doit en particulier à l’émergence des start-ups. Les universités sont amenées à jouer un rôle de plus en plus important. Zucker, Darby et Armstrong (2001), dont le travail de ces quinze dernières années est centré sur l’utilisation de cette connaissance académique dans les firmes et sur l’impact de celle-ci sur leur performance, ont montré qu’aux Etats-Unis la meilleure science académique, c’est-à-dire essentiellement celle réalisée par les stars scientists32 qui font la plupart des découvertes, fournit le capital humain intellectuel qui définit la technologie de la firme. Certes, les transferts de technologie de l’académie vers l’industrie restent encore limités, mais ils contribuent à l’explication d’une grande partie du progrès technologique et c’est ce qui justifie leur intérêt et leur enjeu. Un certain nombre de relations, de différentes formes, se tissent donc entre le milieu scientifique

32 Les « stars scientists » sont des scientifiques académiques qui travaillent tous dans les meilleures universités et qui sont très réputés.

(dans lequel évoluent les universités et les institutions scientifiques) et la sphère industrielle. Leurs objectifs peuvent varier suivant le type de relations mis en œuvre, allant d’une plus grande diffusion de cette connaissance scientifique nouvelle, à la mise en place d’un réseau relationnel, en passant par une volonté des acteurs industriels d’une part, d’adapter ou d’orienter d’une certaine manière et dans une certaine mesure les thématiques de recherche et d’autre part, d’attirer les forces vives de la recherche dans leur enceinte. Ces relations s’établissant entre la science et l’industrie vont en outre être liées et répondre à la nouvelle contrainte que vont connaître les entreprises, mais aussi les universités et les organismes de recherche publics, à savoir des restrictions budgétaires qui vont les inciter, pour les premiers à chercher à partager les dépenses en recherche, et pour les seconds, à trouver d’autres moyens de financements et notamment par le biais de partenariats avec l’industrie.

2.3.2 Un contexte économique incitant à des collaborations entre la science et

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