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S CIENCE ET INDUSTRIE : UNE ORGANISATION DICHOTOMIQUE

1.1 L’institutionnalisation politique d’un cadre dichotomique entre la science et l’industrie

1.1.1 La science au regard des politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics

1.1.1.2. Les politiques scientifiques et technologiques en France

C’est pendant l’entre-deux guerres qu’émerge la première conception de la politique scientifique et sa partielle institutionnalisation ; et ce, sous l’engagement d’un groupe de savants et l’émergence d’un personnel politique soucieux de l’organisation de la recherche. Certes, des caisses et des instituts ont été créés dès la fin du 19e siècle pour subventionner la recherche française et pour tenter d’en définir les objectifs7, mais l’Etat intervient davantage

7 En ce sens 1901, qui correspond à la date de création de la Caisse des Recherches Scientifiques (la CRS), marque les prémisses de l’organisation moderne de la recherche en France dans la mesure où ce premier

dans le domaine de la recherche appliquée. De plus, jusque dans les années 1930, ni les pouvoirs publics, ni les scientifiques ne partagent vraiment l’idée de l’impératif d’une politique scientifique et le processus d’institutionnalisation est quasi inexistant, voire difficile. Handicapée par le cadre contraignant de l’université à laquelle elle était principalement rattachée, la recherche scientifique française va s’affirmer dans des établissements hors normes comme l’Institut Pasteur ou bien en liaison avec l’industrie (comme dans le cas de la chimie alsacienne). En effet, d’une part, encore marquée par l’héritage napoléonien, l’université française se consacre alors peu à la recherche scientifique et d’autre part, vers la fin du 19e siècle, sous l’impulsion de la révolution industrielle, elle développera des objectifs plus utilitaires, avec comme missions de contribuer au bien-être social. Elle deviendra aussi « une condition d’existence des Etats » (Pellé, 1999). L’objectif de la recherche scientifique est alors clairement de déboucher sur des innovations. Ainsi, par exemple, seul l’Institut Pasteur, créé en 1887 après la grande découverte du traitement préventif, a pu développer un pôle de recherche en médecine et en biologie, puissant mais cependant contesté par la Faculté. L’Institut Pasteur représente d’ailleurs un des premiers organismes au monde voué à la recherche scientifique. Pour ce qui est des grandes écoles (comme l’Ecole polytechnique ou l’Ecole normale supérieure), la recherche ne faisait alors pas partie de leurs prérogatives, ni de leurs missions qui est davantage de « façonner les élites du pays » (ibid.). En effet, la recherche nationale est laissée à l’initiative privée ou associative (Les Etats Généraux de la Recherche, 2004).

L’essentielle mise en œuvre d’une politique scientifique en France et de l’institutionnalisation de la recherche fondamentale va être structurée d’une part par la rivalité avec l’extérieur et d’autre part par la nécessité d’un soutien public pour conduire un niveau socialement acceptable de recherche fondamentale. Dans un premier temps, des relations internationales, avec ses conflits, émergera un questionnement concernant une politique scientifique. Le constat est en effet réalisé, dans les années 1920, d’un retard croissant avec les grandes nations rivales, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et surtout les Etats allemands avec la Prusse. Ce constat va alors accroître la volonté de développer la recherche, dans le sens de la création de puissants laboratoires de recherche en dehors de l’université. La raison pour laquelle ces laboratoires ont été créés en dehors de l’université s’explique a priori par la rigidité explicitée précédemment de cette institution et par le fait que l’objectif de ces laboratoires étaient plus précisément de développer et de coordonner des recherches dispositif d’aide à la recherche est destiné, non pas à récompenser une découverte, mais à encourager la recherche.

scientifiques appliquées au développement et au progrès de l’industrie. Puis, le second tournant survient dans les années 1930 et 1940. La nécessité d’une politique scientifique grandit alors, avec d’une part, le besoin d’accroître les performances de l’industrie et d’autre part, la perspective d’un nouveau conflit armé (l’un et l’autre étant bien évidemment liés). Ainsi, eu égard au contexte international, la science apparaît alors comme la réponse attendue, l’élément sur lequel on compte pour affronter les événements. L’organisation de la recherche est alors structurée suivant le principe de ce que l’on a appelé en France, « la mobilisation scientifique ». Cela a par ailleurs entraîné de profondes accélérations dans la mise en place de la politique scientifique. Par exemple, est créé en 1939 le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS)8. Son objectif est alors de fédérer les divers laboratoires de recherche qui avaient été créés auparavant (décret d’avril 1939 sur les modalités de rattachement des laboratoires créés en 1936-1937). Bien que constitué progressivement, le CNRS a finalement abouti, du fait du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, pour la mobilisation scientifique de la nation. La réussite de l’institutionnalisation de la recherche vient alors de la transformation de ce principe de temps de guerre en dynamique d’organisation. La mobilisation scientifique en temps de paix a permis à la France de prendre le tournant de la

Big Science (autrement dit les grands projets de recherche fondamentale menés par des

équipes pluridisciplinaires), impliquant de vastes programmes et des équipements lourds, sans sacrifier pour autant la recherche de pointe moins intégrée. Puis, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on assiste à un changement de déontologie de la part notamment du CNRS qui s’exprime par un retour des priorités vers la recherche fondamentale.

Il faut cependant attendre les années 1960 pour qu’aboutisse une solution d’institutionnalisation de la politique scientifique ainsi que l’organisation de la recherche publique. En effet, même si la politique est une notion plus ancienne en France, elle n’a eu droit de citer qu’en relation avec les deux guerres mondiales, pour intervenir de manière définitive qu’à la fin des années 1950. C’est le besoin de financement qui s’avèrera être l’élément structurant l’institutionnalisation de la recherche scientifique et qui va finalement conduire à une politique plus systématique de la science. En effet, à la fin des années 1920, on note deux sources principales de financement de la recherche fondamentale9 :

8

Les informations concernant le CNRS sont extraites du compte rendu du colloque Sur l’Histoire du CNRS des 23 et 24 octobre 1989, qui s’est déroulé à l’occasion du 50ème anniversaire de la création du centre, [en ligne],

http://picardp1.ivry.cnrs.fr/HistCNRS.html, (page dernièrement consultée en octobre 2007).

9 Source : Aux origines du CNRS, [en ligne], http://picardp1.ivry.cnrs.fr/origines_cnrs_1.html (page

(1) Le « sou du laboratoire », (autrement dit la loi de finance) institué en 1924 à l’initiative du ministre Emile Borel. Il consistait en un prélèvement sur la «Taxe d’apprentissage » et fut la première ressource régulière pour financer la recherche fondamentale et plus précisément les appareillages nécessaires aux laboratoires (jusqu’alors, la procédure consistait à faire des virements illégaux au crédit d’entretien de matériel) (Perrin, 1936). On peut citer également le recours à la souscription, comme celle lancée pour l’anniversaire de Pasteur.

(2) Les fondations privées, d’origines françaises mais souvent étrangères. Ainsi, par exemple, ce fut grâce à un don Carnegie que Marie Curie a pu monter l’Institut du Radium avant la guerre de 1914. En outre, Edmond de Rothschild était le mécène de l’Institut de Biologie Physico-Chimique créé en 1926.

Mais on ne peut pas parler d’organisation proprement dite de la recherche française à cette époque, en terme de financements qui seraient structurés autour d’une politique de recherche et les dispositifs publics mis en place dès les années 1930 ne font que souligner le besoin de structuration et surtout de financement de la recherche scientifique. C’est le cas par exemple de la Caisse des Recherches Scientifiques qui fut fondée en 1930 par le gouvernement que Jean Perrin était parvenu à convaincre. Ce dernier, prix Nobel de physique en 1926, souhaitait en effet mettre en place au ministère de l’Instruction Publique, un service national de la recherche scientifique qui recruterait et soutiendrait de jeunes chercheurs. La CRS eut donc comme mission d’accorder des bourses aux chercheurs hors des cadres universitaires10. Sinon, les fonds émanaient surtout de la sphère privée et davantage sur des actions ciblées et ponctuelles. Il ne semblait pas non plus y avoir de programmations en terme de recherche scientifique. Concernant la recherche militaire, là encore, on ne note pas la mise en place de grands programmes de recherche. Le premier service chargé de recherche en France fut la Commission des Inventions créée en 1887 par la République après la défaite de la France contre la Prusse en 1870. Son objectif n’était alors pas de donner des lignes directrices ou de planifier la trajectoire de la recherche mais d’examiner les inventions pouvant intéresser l’armée. Cette Commission deviendra en 1915 la Direction des Inventions intéressant la défense nationale. Plus précisément, des recherches sont mises en œuvres au regard des inventions ou des propositions pouvant être faites par des inventeurs. Ensuite, lorsque l’intérêt militaire est mis en exergue, les recherches sont menées par des scientifiques militaires et/ou des savants civils et des ingénieurs mobilisés (pendant les périodes de conflit). D’ailleurs, une

10Source : [en ligne], http://www.cnrs.fr/Archives/Fonds/origine.htm (page dernièrement consultée en septembre 2005).

fois le conflit terminé, la plupart des ingénieurs et des savants mobilisés pendant la guerre quittent les institutions militaires dans lesquelles ils avaient été affectés pour y mener des travaux de recherche, ce qui n’est pas sans engendrer, sinon l’arrêt brutal d’un grand nombre d’études en cours, du moins un net ralentissement des recherches. (Soubiran, 2000)

Puis, la Direction des Inventions sera englobée en 1922, avec la Caisse des Recherches Scientifiques de 1901, au sein de l’Office National des Recherches Scientifiques et Industrielles et des Inventions (ONRSII), connu aussi sous le nom d’Office Breton du fait qu’il était dirigé par J.-L. Breton. Cet office marque déjà une première avancée institutionnelle en ce sens où ce type d’organisme est récent en droit administratif français, de part la certaine autonomie financière dont il fait preuve, même s’il reste attaché à l’Etat. Sa mission est de « développer et coordonner spécialement les recherches scientifiques

appliquées au progrès de l’industrie nationale » et « provoquer, coordonner et encourager les recherches scientifiques de tout ordre » (Pellé, 1999). Mais si la nation commence à

exprimer, à travers les organismes qu’elle crée, l’enjeu que constitue pour elle la recherche scientifique, l’accent reste largement mis sur la recherche appliquée et on est encore loin de la mise en place d’une politique de financement de la recherche académique. D’ailleurs, lors de son discours d’investiture à la présidence de l’Académie, en lecture lors de la séance publique du 6 janvier 1936, J. Perrin parle de la croisade commencée qui doit se poursuivre. Il venait en effet de réussir « à obtenir, après établissement d’un devis précis, grâce surtout (…) au

Président Herriot, le premier crédit annuel des quelques millions nécessaires à l’existence des chercheurs désignés à titre temporaire par un Comité dont la compétence devait être indiscutable » (Perrin, 1936, p. 20). Il en a d’ailleurs accru l’importance et obtenu la

transformation en Conseil supérieur de la Recherche scientifique. Ce Conseil avait pour principale mission de « préparer, et de faire aboutir auprès des Pouvoirs publics, les projets

qu’il aura discutés et évalués en dépenses ». En raison de « ressources non encore proportionnées aux besoins du pays » (ibid.) et pour organiser et faciliter les recherches

scientifiques, Jean Perrin entreprend une « croisade », dont Emile Borel avait posé les premières marches avec son « Sou du Laboratoire » et en observant « qu’on fait de la

Recherche en second lieu avec des appareils, mais en premiers lieux avec des cerveaux, fâcheusement pourvus d’estomacs » (ibid., p.21). C’est ce besoin de financement qui va ainsi

impulser la mise en place d’une politique de la science, sous la pression notamment de groupes de savants. Puis à partir du moment où l’Etat va commencer à allouer des fonds à la recherche, la politique de la science va se développer aussi de par la volonté des pouvoirs publics de contrôler l’usage des fonds mis à la disposition de la science. D’ailleurs, comme

l’énonce Pierre Aigrain (ancien ministre de la recherche et conseiller scientifique de la société Thomson), « à partir du moment où il y a un bailleur de fonds pour faire de la recherche, et,

jusqu’à nouvel ordre il s’est révélé extrêmement difficile depuis maintenant assez longtemps de faire de la recherche sans argent ; il y a donc toujours quelque part quelqu’un qui est amené à décider de donner de l’argent. A partir de ce moment là, il y a nécessairement à son niveau une « politique de la science » »11.

Mais ce n’est qu’à partir de 1958, à l’avènement de la Vème république, que la recherche scientifique se voit reconnaître, aux yeux du gouvernement, une place prépondérante dans le progrès économique et social. C’est à ce moment que l’Etat prend réellement conscience (du moins où il met en place des actions allant dans ce sens) du fait que l’allocation de ressources supplémentaires est essentielle à la poursuite des travaux de recherche scientifique mais aussi qu’il est alors important de restructurer l’organisation de la recherche scientifique en déterminant notamment plus clairement son statut. Il en résulte, par exemple, la réorganisation du CNRS en 1959, avec la définition justement de ses nouveaux statuts et missions. Ainsi, les chercheurs et les Ingénieurs Techniciens et Administratifs (ITA) se voient garantir une relative stabilité de l’emploi et de valorisation de carrière par le biais du statut de personnel contractuel de droit public. Pour ce qui a trait à ses missions, le CNRS se doit de « développer, orienter et coordonner les recherches scientifiques de tous ordres et

analyser pour le gouvernement d’une manière permanente la conjoncture scientifique »

(Pellé, 1999). Le CNRS se voit ainsi être intégré dans le nouveau dispositif d’élaboration d’une politique de la recherche française que l’Etat met alors en place et la fonction de chercheur est clairement reconnue et établie. En 1966, le CNRS connaît à nouveau une réorganisation, dans le sens d’un assouplissement de ses règles administratives et financières, d’un renforcement de ses structures de direction, d’une redéfinition de ses modes d’intervention, d’une recomposition de ses relations avec l’Enseignement supérieur s’exprimant par des conventions CNRS-Université. A partir de cette date, « le CNRS couvre

toutes les disciplines scientifiques et peut aider l’ensemble de la recherche française » (ibid.).

La question essentielle qui se cache ainsi derrière la mise en œuvre de politiques scientifiques françaises apparaît donc être, comme aux Etats-Unis, celle du financement de la recherche fondamentale et donc de l’allocation des ressources, problématique chère à l’analyse économique. Le domaine de la recherche est devenu un enjeu politique et

11 Source : Le CNRS, moyen d’une politique de la science, [en ligne],

économique pour le gouvernement et il s’est structuré en France, après la Seconde Guerre mondiale notamment, suivant deux logiques. La première est de confier à des entreprises ou des administrations nationales, comme la défense, la DGT, l’EDF ou encore la SNCF, la gestion du développement et de la technologie. La seconde, que l’on retrouve aux Etats-Unis avec la création des agences, est de mettre en place de grands organismes d’Etat, comme le CNRS, à qui des financements publics seraient alloués, pour répondre à la nécessité de (re)construire le potentiel de recherche français. Plusieurs économistes, dès la fin des années 1950, vont rationaliser ce débat scientifico-politique de l’allocation publique des ressources, en y apportant une justification économique s’exprimant à travers l’inéluctable sous investissement du secteur privé en matière de recherche fondamentale.

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