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L’organisation des activités scientifiques et les relations science industrie. Une illustration par l’analyse des brevets demandés par le CNRS de 1995 à 2005 et par une problématique de la structuration des Génopoles en France

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L’organisation des activités scientifiques et les relations

science industrie. Une illustration par l’analyse des

brevets demandés par le CNRS de 1995 à 2005 et par

une problématique de la structuration des Génopoles en

France

Sandrine Selosse

To cite this version:

Sandrine Selosse. L’organisation des activités scientifiques et les relations science industrie. Une illustration par l’analyse des brevets demandés par le CNRS de 1995 à 2005 et par une problématique de la structuration des Génopoles en France. Sciences de l’Homme et Société. Université de Nice Sophia Antipolis, 2007. Français. �tel-02432197�

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NIVERSITE DE

N

ICE

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OPHIA

-A

NTIPOLIS

Faculté de Droit, de Sciences Politiques, d’Economie et de Gestion Laboratoire GREDEG/CNRS UMR 6627

Thèse de doctorat ès Sciences Economiques Présentée et soutenue par

Sandrine SELOSSE

L’

ORGANISATION DES ACTIVITES SCIENTIFIQUES ET LES RELATIONS SCIENCE INDUSTRIE

UNE ILLUSTRATION PAR L’ANALYSE DES BREVETS DEPOSES PAR LE CNRS DE 1995 A 2005 ET PAR UNE PROBLEMATIQUE DE LA STRUCTURATION DES GENOPOLES EN FRANCE.

MEMBRES DU JURY

Michel QUERE Directeur de recherche au CNRS, GREDEG (Directeur de thèse)

Jacques-Laurent RAVIX Professeur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis

Pier Paolo SAVIOTTI Directeur de recherche à l’INRA, GAEL (Rapporteur)

Eric VERDIER Directeur de recherche au CNRS, LEST (Rapporteur)

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L’Université de Nice Sophia-Antipolis n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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R

EMERCIEMENTS

Mes remerciements s’adressent tout particulièrement à Michel Quéré, ses qualités scientifiques et ses conseils m’ont été d’une aide précieuse pour mener à bien ce travail. Mais je le remercie également pour ses qualités humaines et la confiance qu’il m’a accordées depuis le début de ce projet. Il m’a donné la chance de participer à divers projets de recherche qui furent pour moi une expérience très enrichissante et qui sont venus nourrir cette formation doctorale. Il a guidé et orienté mon travail tout en me laissant la liberté de mes choix et de mes idées. Pour tout cela, je lui suis très reconnaissante.

Je remercie vivement Messieurs Jacques-Laurent Ravix, Pier Paolo Saviotti et Eric Verdier qui me font l’honneur de composer mon jury. J’espère être à la hauteur du temps investi à cette lecture.

Je tiens également à remercier l’entreprise SPAD pour leur ouverture d’esprit et leur souplesse en acceptant de me faire bénéficier de leur logiciel de traitement de données qui m’a permis de réaliser ces analyses. Même si mon choix ne s’est finalement pas porté sur cet outil, je me devais de remercier également, pour le « prêt » du Text miner et le rallongement gratuit de ma licence d’exploitation, aux deux interlocutrices de l’entreprise SAS dont la gentillesse a été à l’égale de leur professionnalisme.

Je voudrais également exprimer ma gratitude envers les membres du GREDEG et tout particulièrement « l’équipe des ITA » qui m’ont donné la chance de travailler dans un environnement de qualité. Je sais au combien tous les doctorants ne bénéficient pas de telles conditions. Alors merci à Daniel, Fabien, Laurence, Martine, Muriel, Pierre et Muriel pour leur disponibilité, leur soutien et leur gentillesse. Un clin d’œil particulier à Elisabeth pour sa prévenance et ses sourires qui nous donnent du courage dans les moments de doute.

Un grand merci également à mes compagnons d’aventure ! Je ne saurais oublier combien ils ont été précieux tout au long de cette thèse.

Tout d’abord, mes « collègues » de bureau. Bénédicte, merci pour ta gentillesse et ta générosité. Avec le soleil que tu as dans le cœur, tu es la meilleure ambassadrice de cette

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région qui t’est si chère ! Benoît, merci pour nos passionnantes discussions scientifiques et de m’avoir si souvent ouvert la fenêtre de ta planète ! Vanessa, merci pour ta spontanéité, ton sens de l’écoute et ton soutien qui ne furent pas du Luxe pour entreprendre et surtout terminer ce travail. Enfin, Coralie, c’est avec plaisir que l’on te retrouve parmi nous. Merci de nous faire profiter de tes « bons tuyaux » !

Merci également Sabine pour nos moments d’évasion, autour d’un thé…ou autre, et tes leçons de faune et flore varoises (même si je n’ai toujours pas vu les bébés mouettes apprendre à voler). Merci Samira, pour ton attention et tout simplement d’être toi et d’être là ! Enfin, Edouard, merci pour tes conseils et tes encouragements sans faille. Ton amitié est une vraie richesse à mes yeux.

Sans oublier la joyeuse équipe des doctorants du GREDEG : Cécile, Nathalie, Nicolas, Marc, Stéphanie, Anthony, ainsi que les « anciens » : Olivier, Dominique, Lipé, Brad et Olga. Votre présence et votre soutien ont été une force pour que ce travail aboutisse.

Merci aussi à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à rendre cette période doctorale plus enrichissante. Merci Jean d’avoir toujours répondu présent à mes interrogations en matière de sciences du vivant. Merci Michele pour tes macros Excel qui m’ont fait gagner un temps précieux. Merci à Emmanuel Tric et à Joël Denervaux pour m’avoir permis de porter un autre regard sur cette expérience. Merci à l’ADMEO pour tout ce qu’elle m’a apportée, j’espère qu’elle a encore de longues années devant elle. Un grand merci à Leila, qui même si loin, est toujours là pour moi. Je tiens aussi à remercie chaleureusement Jessica, pour son soutien, sa gentillesse et ses attentions. J’espère que nous pourrons reprendre nos pauses-déjeuners hebdomadaires que j’attends toujours avec impatience !

Merci à ma famille pour son soutien et ses encouragements et tout particulièrement, à ma sœur Laurie et à mes parents qui m’ont toujours laissé suivre ma voie et aller au bout de mes choix, même si cela m’a conduit à laisser un millier de kilomètres entre nous.

Merci à Micheline d’avoir été disponible pendant la période d’achèvement de ce travail et d’avoir ainsi veillé sur mon petit Clément que je remercie également de m’avoir permis de terminer sereinement en étant à l’image de son prénom et en m’ayant encouragé par ses superbes sourires.

Enfin, et surtout, un grand merci à Johann, l’heureux papa de celui qui restera ma plus belle réussite. Merci pour tes conseils et ton aide logistique mais aussi pour ton infinie patience et ton humour. Merci de m’avoir toujours encouragée à aller au bout de mes projets et de me montrer si souvent que tu crois en ce que je fais.

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« La science n’a pas de patrie, ou plutôt

la patrie de la science embrasse l’humanité toute entière »

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S

OMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE

PREMIERE PARTIE -ECONOMIE DE LA SCIENCE : D’UN SYSTEME DICHOTOMIQUE A UN SYSTEME DE CO-PRODUCTION DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES

CHAPITRE 1 - Science et industrie : une organisation dichotomique confortée par les analyses économiques de l’innovation

CHAPITRE 2 – Le développement des relations science industrie expliqué par des contextes juridique, financier, économique et technologique en

évolution

CHAPITRE 3–Un système alternatif de production des savoirs

DEUXIEME PARTIE -LA CO-PRODUCTION DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES EN FRANCE.UNE ILLUSTRATION PAR LES DEMANDES DE BREVETS DEPOSES PAR LE CNRS DE 1995 A 2005 ET LA POLITIQUE FRANÇAISE DES GENOPOLES MISE EN PLACE A LA FIN DES ANNEES 1990

CHAPITRE 4–Une analyse des données bibliographiques des brevets demandés par le

CNRS de 1995 à 2005

CHAPITRE 5–Une analyse des brevets CNRS co-demandes par les entreprises de 1995

à 2005

CHAPITRE 6–La politique des Génopoles en France comme figure emblématique de la situation française en matière de relations science industrie

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Depuis le milieu des années 1990, les connaissances ont pris une importance telle pour l’économie des pays développés que les enjeux de croissance reposent désormais sur la capacité à les acquérir, les créer et les utiliser (OCDE, 1996). En effet, les économies fondées sur les connaissances, comme elles sont entre autres appelées1, induisent que les pays produisent et utilisent davantage de connaissances, mais aussi que se développe un régime d’innovation permanent reflétant le niveau toujours plus complexe des technologies et l’importance accrue des connaissances scientifiques dans les processus d’innovation. Dans ce contexte, de nombreuses technologies issues des avancées de la recherche scientifique fondamentale ont transformé la société, comme l’Internet et le laser, pendant que d’autres, comme les sciences de la vie, contribuent à un progrès toujours plus rapide dans les secteurs de la santé et des biotechnologies (OCDE, 2000). En outre, ces économies voient apparaître divers acteurs de l’innovation qui n’est plus uniquement le fait des grandes firmes, mais également de petites entreprises innovantes dont on assiste à l’émergence. Issues de la sphère académique, elles constituent une des expressions de la valorisation économique des résultats de recherches scientifiques financées par fonds publics à laquelle se livrent les institutions scientifiques. Ces dernières, et notamment les universités, sont appelées à jouer un rôle croissant et surtout un rôle économique dans l’innovation et la croissance. Dans cette optique, de nouvelles structures émanant d’initiatives publiques sont mises en place afin de soutenir cette transition. D’autant plus que la pression que font peser les pouvoirs publics sur les institutions scientifiques afin de produire une connaissance qui sera ensuite valorisée par le marché survient alors comme une légitimation des financements qui leur sont alloués et comme un changement profond de leurs pratiques (Kreimer, 2003). Les interactions entre les différents acteurs de la production des connaissances scientifiques, qu’ils soient publics ou privés, se montrent ainsi de plus en plus importantes et de plus en plus complexes, tout comme les lieux de la création des connaissances se sont également accrus (Gay et Picard, 2004). Par ailleurs, au fur et à mesure que la frontière entre milieu académique et sphère industrielle devenait de plus en plus floue, témoignant des évolutions et des changements de perspective de la nature de l’activité inventive (Hert, 2003), diverses théories économiques se sont développés afin d’appréhender ces phénomènes. Elles ont notamment révélé le caractère problématique de la définition et de l’usage des frontières entre recherche publique et recherche privée, entre recherche fondamentale et recherche appliquée, d’autant plus qu’un

1 Comme le font remarquer Gay et Picard (2004), on assiste en effet à une prolifération terminologique entourant l’expression « Economie basée sur les connaissances », témoignant par la même de la difficulté de réellement bien la cerner. Nous parlerons ainsi indistinctement d’économies basées sur les connaissances, d’économies centrées sur la science, d’économies du savoir…

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amalgame s’est imposé au fil du temps. Il résulte notamment de la vision strictement linéaire de l’innovation et de circulation des résultats de la recherche académique vers la recherche industrielle, et s’est vu conforté par les analyses économiques qui ont émergé vers le milieu du 20ème siècle et qui ont accompagné la (re)structuration du système de recherche.

Les innovations régies par un processus linéaire

En effet, après la seconde guerre mondiale, un modèle d’organisation de la production des connaissances scientifiques s’est progressivement mis en place, reposant sur une vision linéaire du processus d’innovation. Il a convergé vers un principe d’organisation dichotomique des activités de recherche au sens où science et industrie évoluent parallèlement de manière cloisonnée, en entretenant essentiellement des relations ponctuelles (Bertha, 1996). Les relations science industrie s’expriment davantage par des « allées et venues » entre les deux mondes que constituent le milieu académique et la sphère industrielle et qui conduisent alors à des apports réciproques. L’innovation quant à elle résulte ainsi d’un processus linéaire qui se situe en aval de l’invention dont l’innovation en est l’application industrielle et commerciale, tel que l’indique le schéma suivant :

Figure 1 : Le processus linéaire de l’innovation

Source : Echaudemaison, 1996, p. 229

Concept clé chez Joseph Schumpeter, l’innovation se présente pour lui comme de nouveaux produits, de nouvelles méthodes de production et de transports, de nouveaux marchés, de nouveaux types d’organisation industrielle, de nouvelles sources de matières premières ou d’énergie. Elle résulte de l’initiative de l’entrepreneur dynamique et constitue le principal facteur du cycle des affaires et du changement économique propre au capitalisme : « la destruction créatrice ». Il est courant de distinguer la recherche fondamentale qui tente d’élargir le stock de connaissances de l’humanité, de la recherche appliquée orientée vers la réalisation d’innovations concrètes. La recherche et développement mise en œuvre par les

Recherche fondamentale Découverte fondamentale Recherche appliquée Invention Innovation

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firmes reprend l’ensemble du processus qui, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée et au développement industriel, permet la découverte, l’invention et ses applications économiques. Plus précisément, elle se manifeste suivant trois étapes (Echaudemaison, 1996): - La recherche fondamentale. Elle est à l’origine des découvertes élargissant le champ des connaissances scientifiques. On peut citer la découverte des principes de la mécanique ondulatoire et des propriétés des particules lumineuses par exemple ;

- La recherche appliquée. Elle est à l’origine d’une invention, c’est-à-dire d’un procédé technique, brevetable, d’une application pratique de la découverte scientifique fondamentale, et correspondant à un besoin comme le laser par exemple ;

- Le développement. Il consiste à concevoir et mettre au point un prototype pour s’assurer de sa faisabilité industrielle (conception du procédé technique de fabrication industrielle) et économique (étude du coût). Il s’agit de la phase initiale de l’innovation, celle-ci se poursuivant par la production en série du produit et sa mise sur le marché. On citera l’exemple de la mise au point d’un laser chirurgical permettant les opérations de la rétine.

Il est largement admis, au regard de l’organisation dichotomique de la recherche, que le milieu académique a la charge ou la mission de la recherche fondamentale, alors que la sphère industrielle se focalise sur la recherche appliquée et le développement. Cette répartition s’est imposée du fait du problème du financement de la recherche fondamentale dont le retour sur investissement s’avère trop faible pour les entreprises. Ces dernières ne peuvent en effet globalement pas entreprendre ce type de recherche, en dehors d’un très petit nombre de grandes entreprises qui aurait les moyens humains et financiers de courir l’aventure pavée d’incertitude que ce soit sur les « chances » ou sur l’échéance de résultats. On notera d’ailleurs qu’en France, en 1920, on ne compte qu’une douzaine de laboratoires privés développant également des activités de recherche fondamentale (Woronoff, 1998). Le financement de celle-ci en revient ainsi à l’Etat, comme les articles de Nelson (1959) et de Arrow (1962) en ont apporté la justification économique et ont par là même imposé la vision dichotomique de la production des connaissances.

En effet, pour Arrow (1962), une frontière existe et doit être maintenue entre les deux mondes exprimant d’un côté, les activités de recherche de base et de l’autre, les autres activités inventives conduisant aux innovations. Revenant plus précisément sur la recherche fondamentale, elle vise à la production d’informations amont et à degré de généralité élevée, utilisables comme inputs informationnels dans les autres activités inventives. Ces informations passent ainsi librement du monde de la « science ouverte » dont elles sont issues au monde de la technologie où elles sont exploitées afin d’aboutir à des innovations. Au vu de

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ce système, on est alors loin de celui qui était à l’œuvre dans les pays industrialisés depuis le 19ème siècle où l’industrie nouait de nombreuses relations, notamment financières, avec les tenants de la science et où à l’image du laboratoire central de Saint Gobain créé en France en 1923-1924, universitaires et ingénieurs y travaillaient de concert, même si la recherche de terrain, en usine, n’était pour autant pas abandonnée (Woronoff, 1998). En effet, des relations liant la science et la sphère industrielle existent depuis des siècles mais les formes qu’elles revêtent, tout comme les environnements dans lesquels elles se développent ne sont que peu comparables avec celles à l’œuvre au sein du système dichotomique de recherche qui se structure au milieu du 20ème siècle, ou avec celles qui émergent et qui traduisent la transition vers un modèle alternatif de production des connaissances scientifiques, tel qu’il survient dans les économies du savoir.

Les relations science industrie du 19ème siècle au début du 20ème siècle

Notamment au cours de la seconde industrialisation, dès 1880, les liaisons entre science et techniques industrielles, qui étaient encore problématiques au 19ème siècle, sont apparues davantage assurées, presque systémiques, ceci résultant du fait que soit des théories déjà considérées comme classiques ont trouvé leurs applications, soit la « science en marche » a suggéré ou facilité un développement de la technique. L’électricité et les matériaux constituent de bons exemples de domaines où « les découvertes scientifiques ont éclairé le

chemin des industriels », la science procurant alors la compréhension des phénomènes

(Woronoff, 1998, pp. 404-405). Mais pour autant, les relations science industrie ne sont comparables ni à la situation connue par les économies centrées sur la science ni à celle qui s’est imposée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en ce sens que, non seulement les contextes technologique et industriel ne sont pas les mêmes, mais surtout, les acteurs de la recherche fondamentale ne s’inséraient alors pas encore dans un système institutionnalisé, structuré et organisé, bénéficiant qui plus est d’un financement majoritairement, si ce n’est exclusivement, public. Jusqu’au milieu du 20ème siècle, la science était en effet surtout le fait de savants, d’inventeurs indépendants pour qui « science was a country gentleman’s pastime,

not a job that he needed to sustain himself » (Aszodi, 2007, p. 25). En fait, Gay-Lussac est le

premier savant du début du 19ème siècle à s’inscrire en rupture avec les « amateurs éclairés » qu’étaient la plupart des autres scientifiques de l’époque tant en France qu’à l’étranger. Il est le premier professionnel de la science à temps complet et il n’a de cesse de rechercher des liaisons entre science pure et science appliquée notamment au profit de l’industrie. Ses activités s’apparentent alors aux comportements des scientifiques et des ingénieurs de la fin

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du 19ème siècle qui résolvaient des problèmes de nature économique à court terme en effectuant des tests, des essais et de la standardisation pour les entreprises. D’ailleurs, ces dernières, tout comme l’Etat et les structures d’enseignement étaient alors caractérisées par la volonté de se coordonner pour palier aux problèmes du marché et favoriser les capacités d’adaptation des entreprises aux changements technologiques. D’un point de vue scientifique, en pleine période de révolution industrielle, les industriels cherchèrent le concours des savants pour améliorer la qualité des produits manufacturés, la qualité des produits chimiques utilisés ainsi que leur processus d’utilisation. D’ailleurs, Auger (2003) a étudié des entreprises localisées dans les villes le long de l’axe du Rhin, comme Mulhouse, Stuttgart et Mannheim, qui connurent une industrialisation croissante au cours de la seconde révolution industrielle en Europe, entre 1880 et 1920, dans les secteurs des textiles, de la chimie, de l’électrotechnique et de la métallurgie. Parmi les facteurs explicatifs de cette croissance, il attire l’attention sur les scientifiques, les ingénieurs et les industriels qui organisèrent la recherche industrielle au niveau régional. Force est de noter en outre que la place des ingénieurs est toute particulière en France. Au lendemain de la première guerre mondiale, le constat fut fait que nul progrès ne pouvait survenir sans faire participer l’élite scientifique mais ce sont surtout les ingénieurs qui sont alors venus incarnés cette dernière. En effet, on observe à cette période une transformation des modes d’enseignement supérieur technique avec la multiplication d’écoles spécialisées en étroite relation avec l’industrie. Déjà vers les années 1870, les carences de l’enseignement supérieur et de la recherche avaient été constatées et avaient engendré un premier mouvement de création d’écoles d’ingénieurs à Paris, et dans de nombreuses villes de province, comme Grenoble, Lille, Nancy, etc. L’initiative revient alors surtout aux industriels, aux facultés ou aux chambres de commerce. Les industriels régionaux contribuent en effet largement, avec l’Etat, au financement des premières écoles de formation d’ingénieurs, souvent dans des secteurs liés aux ressources de la région. Ces écoles recevront alors souvent les soutiens du mécénat industriel et régional (Woronoff, 1998, Ali Benali, 2003).

Ainsi, il est intéressant de noter combien l’organisation dichotomique de la recherche publique/privée qui s’est imposée au milieu du 20ème siècle rompt avec ces schémas antérieurs. Notamment, elle marque une rupture avec l’influence des industriels qui décroît alors que l’Etat s’investit dans le financement de la recherche académique et plus précisément dans la recherche fondamentale. En même temps, ces relations science industrie diffèrent de celles à l’œuvre dans les économies centrées sur la science, en ce sens où non seulement les environnements technologique, financier et économique ne sont plus les mêmes, mais aussi,

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elles impliquent des acteurs « traditionnellement2 » cloisonnés. En outre, les liens se tissant entre les sphères académique et industrielle s’expriment à travers l’émergence de nouveaux types d’acteurs, comme les petites firmes innovantes, alors même qu’au 19ème siècle, et jusque la fin du 20ème siècle (autrement dit avant l’avènement des économies centrées sur la science), la recherche privée était essentiellement le fait de grands industriels. Pour autant, ce détour historique est doublement intéressant en ce sens que premièrement, il nous apparaît alors d’autant plus pertinent de voir comment ce système dichotomique de production des connaissances scientifiques a émergé pour comprendre comment se sont réorganisées par la suite les relations entre la science et l’industrie. Cela peut également nous aider à comprendre comment elles se forgent et/ou se heurtent à des obstacles inhérents à des habitudes de fonctionnement qui sont venues s’ancrer dans une communauté scientifique qui tient à son autonomie et à sa liberté de penser, de rechercher. Deuxièmement, il nous fait entrevoir une première particularité du contexte français, sous les traits de l’importance des ingénieurs dans le système de recherche, par rapport aux systèmes à l’œuvre en Europe et surtout aux Etats-Unis. Le modèle de développement des relations science industrie est inspiré par celui suivi par les Etats-Unis, les universités américaines apparaissant plus largement engagées et avancées dans des stratégies de commercialisation des connaissances scientifiques qu’en Europe et plus particulièrement qu’en France qui peine encore à développer un environnement favorable à l’émergence de relations entre sphères académique et industrielle. Ainsi, dans ces économies du savoir, les politiques publiques sont alors l’expression de nouveaux enjeux qui s’expriment par une volonté d’accroître la contribution scientifique à l’innovation et in fine le bien-être social (Konrad et Truffer, 2006), d’autant plus que les relations science industrie s’expriment également à travers des arrangements hybrides par lesquels les sphères académique, industrielle et gouvernementale s’entremêlent (Etzkowittz et Leydesdorff, 1997, 2000 ; Nowotny et al., 2001).

De nouveaux enjeux pour les politiques publiques

L’un des principaux enjeux pour les politiques publiques repose sur le fait que la recherche publique, dans les économies centrées sur la science, va alors être soumise à des règles, des normes de rentabilité et de valorisation économique. En 2000, les universités américaines, avec plus de 1,2 milliards de dollars de bénéfices annuels et 4 025 accords de licences (dont plus des deux tiers avec des entreprises de moins de 500 personnes), arrivent en

2 Par la suite, le terme « traditionnellement » fera référence à la période d’après seconde guerre mondiale et donc au système dichotomique de production des connaissances scientifiques.

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tête, même si on notera que les recettes générées par les concessions de licences sur des inventions universitaires demeurent faibles, comparées aux budgets globaux de la recherche (Observateur de l’OCDE, 2003). Selon un rapport annuel de l’Association of University Technology Manager (AUTM)3, les concessions de licences et les royalties avaient fait gagner 592 millions de dollars aux universités nord-américaines en 1996, avec un nombre record de 2 741 licences. Les analystes de l'AUTM tiennent pour cause principale de cette envolée des concessions de licences, le boom des biotechnologies. Mais différents facteurs ont également contribué à l’évolution suivie par le système de production de connaissances scientifiques aux Etats-Unis, l’un deux réside dans une politique qui a concédé aux universités des droits de propriétés intellectuelles afin qu’elles puissent exploiter commercialement les découvertes issues des recherches ayant reçues des financements publics. Cette politique, le Bayh-Dole Act, a été initiée en 1980 afin d’inciter et de favoriser les universités à commercialiser la recherche académique et de fait, à développer les transferts de connaissances de la science vers la sphère économique. Cette politique était alors axée sur l’émergence des spin-offs académiques et les brevets. Une politique similaire en France consiste en la Loi sur l’Innovation, mais elle n’a été mise en place qu’en 1999. Malgré un décalage entre les situations américaine et française (et plus largement européenne4) en matière d’industrialisation des connaissances scientifiques, vers la fin du 20ème siècle, dans les pays développés, cette frontière entre les systèmes académique et économique est apparue de plus en plus floue au regard de l’utilité croissante des connaissances scientifiques pour les processus d’innovation et la croissance. C’est alors cette utilité, cet aspect « pratique » des connaissances, qui vient justifier l’allocation publique des financements aux institutions scientifiques. Les politiques scientifiques et technologiques visent alors à décloisonner les deux mondes et à favoriser les relations science industrie. Les innovations découlent, dans cette optique, de connaissances scientifiques produites, mais non pas suivant un processus linéaire de production mais par des « arrangements hybrides » par lesquels les sphères académique et industrielle, mais aussi la sphère politique viennent s’entremêler (Etzkowitz et Leydesdorff, 2000 ; Nowotny et al., 2001). Les politiques de recherche étant l’action de l’Etat visant à favoriser des découvertes et leurs applications (laboratoires publics de recherche, subventions, incitations fiscales, commandes publiques aux entreprises innovantes, etc.) (Brémond et Gélédan, 1995), toute politique de recherche et développement, outre

3 Source : http://www.cnrs.fr/DRI/Washington/Actualite/Notes/98/N988W.html

4 Même si force est de constater, si on se réfère aux travaux de Konrad et Truffer (2006) qui viennent confirmer ceux de Goldfarb et henrekson (2003), qu’il n’existe pas de modèle européen en matière de systèmes ni de politiques scientifiques.

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l’accroissement des budgets, cherche alors à raccourcir la durée du processus : en améliorant les liaisons entre la recherche et l’industrie, entre les laboratoires publics (plus axés sur la recherche fondamentale) et les laboratoires privés, en favorisant la diffusion des inventions (exemple de l’OSEO – anciennement ANVAR – en France), voire en réunissant en technopoles ou parcs scientifiques (cités des sciences) chercheurs et industriels. L’enjeu des politiques publiques actuelles est alors d’encourager le rapprochement des acteurs des recherches publique et privée et donc de dépasser la frontière qui s’est ancrée entre le milieu académique et la sphère industrielle afin notamment d’accroître et d’accélérer la diffusion des connaissances scientifiques et leur exploitation et donc les retours sur investissements publics. L’enjeu est d’autant plus important que les relations se nouant entre la science et l’industrie n’ont jamais été aussi complexes qu’au regard du système de production des connaissances qui s’est imposé dès le milieu du 20ème siècle. Notamment, la recherche fondamentale n’apparaît plus uniquement comme le pourvoyeur d’un stock de connaissances venant alimenter la recherche appliquée, mais également comme la détentrice de savoirs. Or savoir ne signifie par seulement connaître, les savoirs sont porteurs d’une valeur subjective et de la marque d’une inclination en ce sens où les savoirs désignent l’aptitude des connaissances à fonder une pratique ou à permettre une opération quelconque (Lévy et Lussault, 2003). L’enjeu des relations science industrie dans les économies centrées sur les connaissances, que l’on appelle également les économies du savoir, ne réside ainsi pas uniquement dans la diffusion et la transmission des connaissances, mais il porte aussi sur les savoirs. C’est en ça que les relations science industrie sont si complexes et se présentent sous des formes si variées. En outre, elles s’insèrent dans des contextes technologique et économique particuliers et en évolution. Une autre évolution touchant au système de production des connaissances scientifiques et aux relations science industrie, réside dans la manière dont ils sont appréhendés par la science économique. En effet, les transformations du système de production des connaissances scientifiques ont fait émergé de nouveaux courants d’analyse. Ainsi, d’une conception de l’économie de la science qui défendait l’allocation publique de ressources pour la science, constituant la justification économique des politiques publiques de la science de l’époque, se sont développées diverses approches touchant à l’étude de la science, à sa mesure, à son impact sur la croissance, à ses relations avec l’industrie. Autrement dit, la science est économiquement (re)pensée.

C’est dans cet esprit que nous nous inscrivons et que nous analysons la manière dont s’organisent les activités de recherche dans les économies centrées sur la science et les

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inflexions connues depuis deux décennies, et tout particulièrement dans le secteur des sciences de la vie qui apparaît comme l’un des domaines les plus « surexposés » par les évolutions rencontrées par les systèmes de production de connaissances scientifiques dans les pays développés.

La première partie de cette thèse consiste en une revue de la littérature touchant à l’Économie de la science et de la technologie replacée dans son contexte historique et mise en perspective par une comparaison France / États-Unis. Plus précisément, elle propose de retracer l’évolution du système de production des connaissances scientifiques, depuis son « institutionnalisation » qui résulte de sa reconnaissance publique jusqu’à son « industrialisation » qui résulte de l’intérêt croissant porté par l’industrie et les pouvoirs publics qui lui ont assigné de nouvelles fonctions.

Le premier chapitre vise à expliciter comment, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la recherche scientifique s’est institutionnalisée sous les traits d’une recherche fondamentale et publique. En effet, en raison des enjeux que représente la recherche fondamentale dans un contexte de conflits et de compétition internationale et justifié par les économistes de l’époque pour qui les connaissances scientifiques consistent en un bien public, la recherche scientifique s’est vue être en majeure partie financée par l’état. Cette période est ainsi marquée par une profonde (re)structuration du système de production des connaissances scientifiques qui s’est alors organisé et a évolué de manière dichotomique par rapport à la recherche appliquée, dite technologique ou privée sur laquelle s’est focalisée l’analyse économique.

Le second chapitre est intermédiaire en ce sens qu’il relate, toujours en opérant un parallèle France / États-Unis, les changements connus par ces deux pays dès les années 1980 et ayant eu des répercussions sur l’organisation des activités de recherche publique. Ainsi, les avancées technologiques ont conduit à l’émergence de secteurs centrés sur les connaissances, comme celui des sciences du vivant, et de fait à un repositionnement des stratégies d’innovation allant dans le sens d’incitations à des collaborations entre la science et l’industrie. L’évolution du contexte économique a alors accentué cette situation en incitant le milieu académique à se rapprocher davantage de la sphère industrielle et donc à une ouverture plus grande vers des considérations privées et de valorisation économique. Ces nouvelles perspectives se verront elles-mêmes appuyées par les évolutions juridiques allant dans le sens d’un renforcement des mécanismes d’appropriation des connaissances, et par l’émergence de nouvelles opportunités de financement pour les entreprises innovantes avec les évolutions connues par les marchés financiers. Par contre, c’est à partir de là qu’un décalage va se créer

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et se creuser entre les situations américaine et française. En effet, notamment les contextes juridique et financier aux Etats-Unis se sont alors montrés, et se montrent toujours, davantage favorables à assurer une transition au système de production des connaissances scientifiques vers une valorisation économique de ces dernières et à développer des relations science industrie.

Enfin, l’objet du troisième chapitre est alors de présenter les caractéristiques inhérentes à ce système alternatif de production des connaissances scientifiques qui se met progressivement en place. Pour se faire, nous avons tout d’abord opéré une revue de littérature des nouvelles théories économiques ayant trait à la science qui se sont développées à mesure des transformations connues par le monde académique. Ces nouvelles approches reposent sur une autre conception des activités scientifiques dont la contribution à l’innovation et de fait à la croissance, ne s’exprime alors plus suivant un processus linéaire, tout comme les résultats des recherches ne sont plus considérés comme des biens publics. D’ailleurs, la question du caractère gratuit de l’output, indissociable des biens publics, a été discutée au regard des nouvelles pratiques de la recherche et de l’émergence d’un nouvel output scientifique. Enfin, nous terminons ce chapitre et cette première partie par une présentation des différentes formes que peuvent revêtir les relations se nouant entre le milieu académique et la sphère industrielle dans le système de co-production des connaissances scientifiques. Les rapports existant entre la communauté académique et l’industrie ne se résument ainsi plus à des contributions respectives montrant une perception disjointe des deux mondes et un caractère auto-entretenu de la science. Les relations science industrie présentent des formes différenciées et pour certaines un caractère localisé et contextualisé, ainsi que différents degrés d’intégration des prérogatives de chacun dans les activités mises en œuvre de manière partenariale ou non.

Ainsi, les années 1980 ont amorcé une nouvelle ère dans la pratique des activités inventives, qu’elles soient publiques ou privées. Notamment il est apparu nécessaire aux décideurs publics de décloisonner les recherches académique et industrielle afin que cette dernière puisse s’appuyer sur les ressources de la recherche fondamentale, et non plus uniquement sur les connaissances constituant le fonds de base de leurs activités inventives, mais aussi sur ses cerveaux. Ce remodelage de la recherche survient tout particulièrement dans les secteurs liés aux sciences du vivant comme l’industrie pharmaceutique où le rythme de découverte de molécules à usage thérapeutique s’est réduit parallèlement à l’émergence des biotechnologies, du génie génétique qui ont ainsi ouvert un champ nouveau d’exploration

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(Monod, 1990). Ainsi, les actions publiques visent à créer un « terrain harmonieux » entre le milieu académique et la sphère industrielle, entre les recherches fondamentales et appliquées. Dans la seconde partie, nous recentrerons notre analyse sur la situation française et chercherons à expliciter la manière dont la France, et plus précisément dans un premier temps la communauté scientifique représentée par le CNRS et dans un second temps les pouvoirs publics, appréhendent cet enjeu de valorisation économique des connaissances scientifiques et s’insèrent dans la problématique de développement des relations science industrie.

En premier lieu, nous nous intéresserons tout particulièrement au cas du CNRS. Dans ce contexte incitant à la valorisation économique des activités de recherche publiques, nous nous focaliserons sur une expression déterminante des relations science industrie et de la marchandisation des connaissances scientifiques opérée par ce dernier, autrement dit les brevets académiques. Dans un second temps, confortés par les caractéristiques inhérentes à l’environnement entourant les demandes de brevets du CNRS, nous chercherons à expliciter la manière dont les pouvoirs publics répondent à cet enjeu de valorisation économique à travers l’illustration de la politique des Génopoles en France. L’étude des Génopoles se présentera de manière complémentaire à l’analyse des brevets CNRS en ce sens qu’un des principaux enjeux de cette politique réside dans l’émergence d’entreprises innovantes issues de la sphère académique, autre forme emblématique de la co-production de la science. Les contrats de partenariats, les dépôts de brevets, les brevets co-produits par des acteurs relevant des milieux académique et industriel, l’émergence de start-ups académique sont en effet autant de formes concrètes de la transformation économique de la science, marquant la diversité des relations science industrie par laquelle se traduit la co-production des connaissances scientifiques. Or, l’analyse des Génopoles n’ayant pas révélée une population suffisante de brevets à traiter, à l’inverse du CNRS qui apparaît fortement impliqué dans des logiques de valorisation économique de ses résultats par le biais de dépôts de brevets, ces deux éléments d’analyse que sont les brevets CNRS et la politique des génopoles marquent une forte complémentarité dans notre quête de mieux comprendre le positionnement de la France en matière de relations science industrie.

Ainsi, le quatrième chapitre se donne pour objectif de préciser la manière dont le CNRS met en œuvre la valorisation économique des connaissances scientifiques qu’il a produites à travers les demandes de brevets qu’il a déposées entre 1995 et 2005. Plus précisément, par une analyse des données bibliographiques contenues dans les demandes de brevets CNRS, nous avons cherché à caractériser l’environnement-brevet dans lequel ce dernier s’insère et fournit des efforts en matière de « marchandisation » des connaissances

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scientifiques. Nous nous centrerons tout particulièrement sur les couvertures géographique et technologique de ces brevets, ainsi que sur les collaborations dont ils sont issus afin de comprendre les relations entre cet organisme de recherche et les logiques de marché.

Dans le cinquième chapitre, nous poursuivrons ce même objectif et cette même logique, mais nous nous focaliserons sur les brevets co-demandés par des entreprises. La question des relations science industrie s’exprimant certes à travers les brevets, mais aussi pour une large part à travers les relations qui se nouent entre les institutions scientifiques et les entreprises, nous proposerons d’une part une spécification de l’environnement-brevet dans lequel ces dernières se sont associées avec le CNRS, d’autre part une analyse des firmes partenaires. Nous nous interrogerons également sur la présence de caractéristiques particulières quant à la manière dont sont menées les recherches du CNRS lorsque des entreprises sont impliquées. Autrement dit, nous chercherons à déterminer la manière dont la science a évolué et a pu être ou non « déviée » par l’industrie dans ses choix de recherche et notamment des trajectoires et des cibles qu’elle a décidés de suivre. Les frontières entre la science et l’industrie subissent en effet de profondes transformations et ce, tout particulièrement dans ce champ des sciences du vivant.

Le sixième chapitre vise ainsi à se focaliser sur une autre forme déterminante dans la problématique des relations science industrie, à savoir la création de start-ups académiques dont l’enjeu pour les pouvoirs publics apparaît largement dans la politique des Génopoles qu’ils ont mis en place à la fin des années 1990. L’étude de cette dernière nous permettra également d’introduire l’Etat dans cette problématique et dans ces changements. Dans ce dernier chapitre, nous chercherons à présenter l’intervention directe de l’Etat dans cette volonté de valorisation économique s’exprimant par la mise en place de biopôles dont l’expression française consiste à mettre en œuvre une politique particulière, celle des Génopoles. Considérant que la science est par définition une activité collective instituée, une activité organisée en des lieux et à travers des institutions (Pestre, 2006), les politiques scientifiques et technologiques répondent aux règles de rentabilité auxquelles est soumise la recherche académique en tentant de réformer son système afin d’améliorer l’offre scientifique aux entreprises. Dans le contexte des sciences du vivant, cette politique illustre les actions des pouvoirs publics visant à favoriser la mobilité des chercheurs et leur implication dans la commercialisation des connaissances qu’ils ont produites notamment à travers la création de start-ups. En effet, comme cela a été évoqué précédemment, outre les brevets qui constituent un enjeu important dans la problématique des relations science industrie, une autre forme qui a reçu une attention particulière de la part des pouvoirs publics mais aussi des économistes,

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depuis surtout une quinzaine d’années, consiste en l’émergence et le développement des start-ups académiques dont les créateurs – des chercheurs, des post-docs ou des doctorants – tentent de commercialiser les résultats de leurs recherches. Bien que ce qui était notamment en jeu avec la politique des Génopoles consistait en l’émergence de ces petites entreprises innovantes issues des institutions scientifiques, nous verrons que les génopoles ne parviendront pas à répondre aux espoirs qui étaient mis en eux. En effet, l’impact de cette politique sera principalement le développement de relations scientifico-scientifiques plutôt que des relations science industrie. De plus, l’environnement dans lequel les connaissances scientifiques et technologiques sont produites et utilisées n’est pas uniforme, il est structuré par des relations de proximité formées au cours du temps (Joly et Mangematin, 1996). On considère ainsi que la production des connaissances scientifiques dépend du contexte organisationnel local. La politique des génopoles nous a servi de terrain pour traiter la question de la coordination des pratiques scientifiques et marchandes des acteurs des systèmes de recherche, qu’ils soient publics ou privés. Dans ce chapitre, nous tenterons d’apporter des éléments de compréhension de la manière dont ces derniers parviennent à s’accorder en dépit des différences qu’ils affichent quant à leurs méthodes, leurs intérêts, leurs modes de fonctionnement. L’analyse des génopoles nous permettra ainsi d’aller plus loin que celle des brevets et d’appréhender les défauts de coordination qui peuvent apparaître à l’interface de la science et de l’industrie.

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CONOMIE DE LA SCIENCE

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UN SYSTEME DICHOTOMIQUE A UN SYSTEME DE CO

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NTRODUCTION DE LA

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ARTIE

L’intérêt pour les activités scientifiques, et plus précisément pour la production et la diffusion des connaissances scientifiques nouvelles, est apparu assez tardivement dans le champ de l’analyse économique. En outre, cet intérêt a revêtu plusieurs formes au cours du temps, aboutissant dans les années 1990 à la constitution de véritables courants consacrés à l’étude de la science, comme la nouvelle économie de la science ou encore l’approche dite de la triple hélice, au sein desquels la science intervient comme unité d’analyse. Jusque là, peu de travaux se sont concentrés sur le rôle économique joué par les universités et les institutions de recherche scientifique voire sur la nature économique de la recherche académique. Fonctionnant suivant une régulation interne autonome et auto-entrenue, ne reposant pas sur des fondements économiques, la problématique de l’institution scientifique et de ses mécanismes ne se prêtait guère à des considérations économiques dont elle restait à l’écart. Les connaissances scientifiques étant considérées comme des biens publics, la question de l’allocation publique des ressources et du montant à allouer à la recherche académique a polarisé le champ de l’analyse économique. Ainsi, trois phases peuvent être identifiées pour retracer l’évolution de l’entrée de la science dans le champ de l’analyse économique : l’isolement, la primauté de la technologie et enfin le système de co-production entre la science et l’industrie tel qu’on peut l’observer de nos jours et qui exprime l’industrialisation et la généralisation des connections se nouant entre institutions scientifiques et entreprises. Cette nouvelle manière de penser la science résulte en partie du fait que les contextes économique et politique des économies développées ont fortement évolué depuis une vingtaine d’année. Depuis la fin de la Guerre froide, la compétition économique est venue supplanter la rivalité militaire s’exprimant par le fait que le marché est progressivement venu remplacer l’armée comme premier commanditaire de la science (Nowotny, 2001). Or, les restrictions budgétaires, ainsi que les nouvelles missions que se sont donnés les Etats ont des incidences sur les institutions de recherche, comme les universités qui ont connu une diminution constante de leur financement depuis plusieurs années. De plus, le développement des nouvelles technologies et la compétitivité économique obligent à l’instauration de priorités en matière de recherche et à une gestion plus « raisonnée » de ces activités. Non seulement l’innovation scientifique est perçue comme le facteur déterminant de la compétitivité économique, notamment dans les secteurs des biotechnologies et des technologies de

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l’information et des communications, mais la science se présente aussi désormais comme l’élément moteur de la modernisation. Il est clair que la concurrence internationale croissante en matière d’innovation a eu une certaine influence sur cette mise en avant des activités scientifiques et conduit à ouvrir la « boîte noire » que constituait la science (Szanto, 1996).

Les activités de recherche scientifique connaissent ainsi des transformations importantes qui en modifient les caractéristiques fondamentales. La recherche académique est notamment porteuse d’un nouvel enjeu consistant à mettre en avant l’impact et les retombées économiques des activités scientifiques sur l’innovation et par voie de conséquence sur la croissance, non plus en terme de progrès technologique ou de contributions à la technologie, mais en tant qu’unité d’analyse. Un des principaux changements consiste en ce que la recherche libre et ouverte va co-exister avec une recherche en quête de pertinence et de réponses aux besoins des utilisateurs. Les interactions entre les différents acteurs et lieux créateurs de connaissances sont de plus en plus importantes et de plus en plus complexes (entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée, la recherche et développement (R&D), l’innovation, mais aussi l’éducation, la formation, etc.) (Gay et Picard, 2004). Une nouvelle représentation de la science s’impose donc dans laquelle la contribution de cette dernière dans les processus d’innovation est mise en exergue. Deux systèmes de réalisation des activités de recherche se présentent alors dans le cadre d’une « science repensée » (Nowotny, Scott et Gibbons, 2001).

Le premier système de production des savoirs demeure celui répondant à la vision traditionnelle qui s’est établie de la science, à savoir celui construit sur une dichotomie science/industrie. Cette dichotomie s’exprime notamment par le fait que les connaissances fondamentales sont considérées comme des biens publics et traitées comme une externalité positive. La science et l’industrie fonctionnent et évoluent ainsi tels deux mondes séparés, la science restant dans sa tour d’ivoire pendant que l’industrie chercherait à résoudre les problèmes plus pratiques que connaît la société, en venant puiser dans le fonds de connaissances librement disponible que nourrit la science. Deux mondes séparés, évoluant en parallèle et aboutissant à deux modes distincts d’organisation, de production et de diffusion des connaissances. Les connections qui peuvent survenir entre ces deux milieux reposent alors essentiellement sur l’accès de l’industrie aux connaissances scientifiques académiques mises à la disposition de la société. En effet, une des formes traditionnelles de transfert de connaissances de la science vers l’industrie consiste en les publications, par lesquelles la science contribue à la recherche industrielle en lui en laissant le libre accès. Par exemple, Narin, Hamilton et Olivastro (1997) mettent en évidence que 73% des articles cités dans les

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brevets industriels américains déposés en 1993 et 1994 étaient issus de la science publique, écrits par des institutions académiques, gouvernementales ou d’autres institutions publiques. Seuls 27% de ces papiers étaient co-écrits par des scientifiques industriels. De même, dans le domaine pharmaceutique, les proportions étaient respectivement de 83% et 17%. Pour ces auteurs, ceci illustre notamment que « the linkage is […] quite basic, with the reference on

U.S. patents citing recent papers situated at the basic end of the research spectrum » (ibid., p.

318). Ils montrent ainsi une importante dépendance entre l’industrie américaine et la science publique américaine, à travers les publications citées dans les brevets industriels ; « U.S.

industry is far from self-sufficient in science » (ibid., p. 328), la grande majorité de la base

scientifique de l’industrie américaine provenant du secteur public. Cette auto-insuffisance confirme l’idée selon laquelle la science publique apparaît rester cruciale à l’avance de la technologie industrielle, du moins américaine. Elle met également en évidence que les publications académiques participent à la diffusion des connaissances au sein des industries, tout comme une autre forme traditionnelle qui consiste en un type important de relations associant chercheurs publics et chercheurs privés, à savoir les accords contractuels.

Pour ce qui a trait au second système de production des connaissances scientifiques, il exprime l’importance des relations s’établissant entre la science et l’industrie, tant dans les travaux de recherche que dans les politiques publiques. Il prend alors la forme d’un système de co-production des savoirs entre le milieu académique et la sphère industrielle. Au sein de ce système de co-production se mettent donc en œuvre diverses formes de relations science industrie dont l’enjeu principal réside dans la conduite de recherche fondamentale guidée par une volonté de résoudre un problème spécifique qui requiert l’acquisition par l’industrie de connaissances scientifiques. Ces relations science industrie expriment ainsi l’idée selon laquelle les universités, qui étaient jusqu’alors détentrice d’une forme de monopole en tant que lieu de production du savoir, doivent désormais composer avec divers acteurs, comme de nombreux centres de recherche spécialisés, qu’ils soient publics ou privés, et avec de nouvelles formes de production et de diffusion des connaissances. D’autre part, elles marquent l’entrée dans la sphère académique de considérations industrielles et de règles inhérentes au marché, notamment à travers les droits de propriété intellectuelle.

Ainsi, les relations science industrie vont s’étendre à plusieurs types d’interactions, comme la création de start-ups académiques ou la mise en place de partenariats de recherche impliquant chercheurs publics et industriels. Dans le cadre des processus de recherche des firmes de haute technologie, les besoins croissants de compréhension scientifique ont en effet conduit ces dernières à intensifier les interactions qu’elles pouvaient développer avec les

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chercheurs évoluant dans le milieu académique, devenant par là même des acteurs économiques. En raison de l’incertitude et du besoin des firmes de contrôler les progrès de la recherche, l’échange est alors structuré comme une alliance afin de faire un usage complet de l’output qui en ressortira (Hall, 2001). D’ailleurs, Thys-Clément (2001, p. 56) précise que la connaissance, au sens de l’accession au savoir et concernant plus spécifiquement la capacité cognitive, « est intimement liée au processus d’apprentissage, d’éducation, de recherche et

d’utilisation des compétences ». A noter également que la difficulté de circulation des

résultats de la recherche publique vers la recherche privée, de la recherche fondamentale vers la recherche appliquée, va contribuer à remettre en cause la vision strictement linéaire de l’innovation et la conception de la nature strictement informationnelle de la technologie (Gay et Picard, 2004). D’autre part, les investissements considérables alloués par les grandes firmes à leur recherche interne, afin d’absorber les nouvelles capacités permises par les percées technologiques, ont conduit ces dernières à devenir de véritables concurrentes de la recherche publique dans certaines trajectoires et thématiques de recherche. Ainsi, les scientifiques évoluant dans la sphère privée, et plus précisément ceux bénéficiant de contextes favorables de recherche (financier et matériel) sont à même de réellement concurrencer les scientifiques publics, mais surtout en deviennent des partenaires pertinents de recherche. Il en résulte, dans la dernière décennie du 20ème siècle, un accroissement des résultats communs, qu’il s’agisse des brevets mais également des publications et des citations, des accords contractuels entre les milieux académique et industriel, ces derniers ayant par ailleurs évolué, certes, au niveau quantitatif, mais également au niveau de leur contenu. De leur côté, le développement de relations avec le milieu industriel va également bénéficier à l’activité académique, en ce sens où « close UI [University Industry] collaboration will benefit the university in many ways, e.g.

providing the opportunity to make a visible impact on the local, regional, and state economy, enhancing its revenue streams, and increasing training and employment opportunities for students » (Lee, 1996, p. 857). De plus, dans le cas des relations science industrie prenant la

forme de collaborations, on considère souvent que les transferts de ressources des firmes vers les universités se présentent sous la forme de revenus, permettant ainsi à ces dernières de pallier aux restrictions budgétaires auxquelles elles doivent faire face. Mais en pratique, les firmes transfèrent également de véritables ressources. Ainsi, par exemple, elles peuvent donner aux scientifiques académiques l’accès à des équipements très onéreux dont ils ne disposent pas dans leurs laboratoires. En effet, les équipements sont non seulement très chers, mais aussi ils sont rapidement obsolètes. Les technologies évoluant avec une rapidité croissante, les universités n’ont alors pas forcément les moyens nécessaires pour s’équiper du

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matériel le plus innovant, le plus développé, le plus performant. Dans ces situations, un rapprochement avec les firmes peut leur permettre d’accéder à ces équipements (Beath, Owen, Poyago-Theotoky and Ulph, 2001). De la même manière, les firmes peuvent également faire appel aux universités afin de bénéficier de leurs matériels, ponctuellement ou non, pour le tester avant d’investir, pour remédier à un problème dont elles souffriraient. Cette variété de collaborations a des conséquences importantes sur la dynamique de la connaissance dans l’industrie, et notamment dans celle des sciences de la vie. Par exemple, dans ce dernier cas, la biotechnologie moderne exige des changements au niveau de l’organisation de la R&D des grandes compagnies, intégrant les scientifiques académiques dans leur logique stratégique de développement. Dans cette optique, Darby et Zucker (1996) montrent comment la disponibilité locale de « bons » scientifiques augmente la vitesse de l’adaptabilité de ces grandes firmes à la nouvelle donne industrielle. En d’autres termes, ils avancent l’importance de la connaissance localisée pour faire face à l’adaptation de grandes compagnies à cette troisième génération de la biotechnologie. En effet, toujours dans ce secteur et notamment aux Etats-Unis, « les choix de localisation et du moment d’entrée sur le marché des entreprises

innovantes sont expliqués pour beaucoup par la présence de chercheurs universitaires contribuant fortement à leur discipline par des découvertes importantes publiées dans les journaux académiques » (Turner, 2003, pp. 25-26). Le capital humain intellectuel a ainsi joué

un rôle important dans la croissance du secteur des biotechnologies aux Etats-Unis.

Certes, l’organisation bipolaire des activités scientifiques existe toujours mais des relations se sont établies et se développent de plus en plus entre ces deux milieux. Il en résulte que, parallèlement aux avancées technologiques ou encore à l’évolution du cadre juridique sur lequel reposent en grande partie les activités économiques et scientifiques, l’organisation de la science va évoluer et avec elle la manière dont vont être appréhendées les connaissances scientifiques nouvelles. Ces dernières vont devenir non seulement un objet d’analyse, mais également un réel enjeu de développement et de croissance. L’idée d’un « marché » de la science va émerger. Certes, il s’agira d’un marché répondant à des critères et des modes de fonctionnement particuliers, mais l’évocation d’une marchandisation de la science va survenir dans certaines théories économiques. Les frontières entre la science et l’industrie vont apparaître de plus en plus floues et l’amalgame entre recherche fondamentale et recherche publique va être dépassé. En effet, suivant la vision traditionnelle de la science qui s’est imposée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les frontières entre la science et l’industrie repose sur la distinction qui est faite entre recherche académique et publique d’une part et recherche industrielle et privée d’autre part. De plus, et traditionnellement, on identifie la

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recherche fondamentale à la recherche qui est entreprise par les institutions scientifiques par opposition à la recherche appliquée qui est mise en œuvre par les entreprises. Ainsi, alors que la recherche fondamentale porte sur la compréhension générale des phénomènes et des objets vivants ou non, la recherche appliquée répond à des besoins spécifiques et particuliers permettant de développer des produits concrets. Autrement dit, elle cherche une « application

of knowledge to specific contexts, goods and markets » (Arora and Gambardella, 1997, p. 64).

Or, la différence dans les recherches mises en œuvre venant des mécanismes organisationnels à l’œuvre dans chacun de ces deux systèmes, la prise en considération du système de co-production des connaissances conduira à dépasser cet amalgame qui s’est instauré avec la mise en place d’un système dichotomique de production des savoirs. Dans cette optique, ce n’est pas la nature de la recherche qui a changé, mais la manière dont cette dernière est considérée et mise en œuvre et donc les objectifs qu’on lui assigne. Ainsi, d’une part, la science appliquée ne peut être assimilée à l’industrie, tout comme la science fondamentale ne peut l’être à la science (Coriat, Orsi et Weinstein, 2003) et d’autre part, la distinction entre les deux perd toute pertinence. D’ailleurs, déjà pour Pasteur, il fallait considérer les applications comme les fruits naturels de la recherche. Elles seront en effet l’objet d’attention dans toute recherche : « Non, mille fois non, il n’existe pas une catégorie de sciences auxquelles on

puisse donner le nom de sciences appliquées. Il y a la science et les applications de la science, liées entre elles comme le fruit à l’arbre qui l’a portée » (Pasteur, 1871). Les

frontières entre la science et l’industrie ne sont ainsi plus aussi « manifestes » dans la mesure où « le contexte de l’application se fond sans transition avec le contexte de l’implication » (Nowotny, Scott et Gibbons, 2003, p. 52). En outre, eu égard à l’étroitesse des frontières qui les séparent et les liens qui les unissent, il devient de plus en plus difficile de caractériser précisément à la fois la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Sans compter que toutes deux peuvent s’imbriquer réciproquement dans des processus de création de nouvelles connaissances et découvertes scientifiques.

La première partie de ce travail cherche ainsi à présenter la manière dont s’est structurée l’organisation des activités scientifiques et comment ces dernières sont appréhendées par l’analyse économique. En se focalisant sur les expériences des Etats-Unis et de la France, elle retrace l’évolution du système de production des connaissances, depuis l’institutionnalisation de la science à la fin de la Seconde Guerre mondiale, érigeant le système dichotomique entre science et industrie (Chapitre 1) jusqu’au système de co-production des connaissances scientifiques comme système de référence. Ce dernier s’est

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essentiellement développé dans les années 1980 et 1990 à la suite de transformations connues d’une part, dans les environnements dans lesquels les sphères académique et industrielle évoluent et d’autre part, dans les enjeux qui leur sont assignés (Chapitre 2). Le Chapitre 3 se focalise quant à lui sur la présentation de ce système partenarial associant la science et l’industrie à travers diverses formes de relations « entraînant la science dans des zones de

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C

HAPITRE

1

S

CIENCE ET INDUSTRIE

:

UNE ORGANISATION DICHOTOMIQUE

CONFORTEE PAR LES ANALYSES ECONOMIQUES DE L

INNOVATION

.

Ce chapitre se propose d’une part, de présenter la manière dont se sont structurées les institutions scientifiques et les processus de production des connaissances scientifiques qu’elles mettent en œuvre au regard de la question de l’innovation et de la recherche industrielle et d’autre part, d’étudier comment s’est organisée la réflexion autour de l’évolution de ces deux enjeux. L’idée est ainsi de mettre en évidence la place et l’importance des politiques publiques dans la manière dont s’est instaurée, vers le milieu du 20ème siècle, une organisation dichotomique entre la science, représentant la recherche publique et fondamentale, et l’industrie, correspondant à la recherche appliquée et privée. En effet, aux Etats-Unis comme en France (nos deux pays de comparaison), les institutions scientifiques et, de fait, la production des nouvelles connaissances scientifiques, ont commencé à se structurer telles qu’on les connaît aujourd’hui à la suite des politiques visant la science et la technologie mises en œuvre au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’enjeu principal de ces politiques consistait alors en la défense de la nation et en des préoccupations en matière de santé (pour beaucoup liées au secteur militaire). Jusqu’à cette époque, les institutions scientifiques et notamment les universités, évoluaient de manière autonome ne recevant que peu de financements publics. Mais dans ce contexte de tensions politiques et de primauté à la recherche scientifique, les préoccupations en terme de défense vont venir justifier une allocation publique des ressources scientifiques. Les institutions scientifiques et les connaissances que ces dernières produisent se situent alors en dehors d’une problématique de régulation économique des activités et c’est à travers le problème de l’allocation des revenus que l’économique sera injectée dans ce débat politique. Plus précisément, l’économie va venir rationaliser la question politique en montrant que, les connaissances scientifiques constituant des biens publics, le marché ne peut conduire qu’à une sous-production des connaissances scientifiques et donc qu’il est crucial que le gouvernement intervienne sous forme de financements publics à la recherche fondamentale afin de pallier à ces défaillances (Nelson, 1959 ; Arrow, 1962). Cette allocation publique des ressources à la science se verra également justifier par les conditions d’incertitude intrinsèque sous lesquelles se mettent en placent les processus de production des connaissances scientifiques fondamentales. Ainsi, la question de

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la science et des connaissances scientifiques est demeurée une préoccupation externe à la science économique. La réflexion sera dominée par un enjeu politique pour lequel l’analyse économique apporte son expertise en terme d’allocation des ressources publiques. D’ailleurs, jusqu'aux années 1980, la question de la régulation interne de la science n’est pas traitée par l’analyse économique. On la retrouve éventuellement en sociologie. A l’inverse, la technologie étant prédominante dans les analyses économiques de l’innovation, un décalage existe donc entre la manière dont on se saisit de la science et celle dont on se saisit de l’industrie. Ce décalage s’explique par l’amalgame qui s’est alors mis en place et selon lequel la science réalise de la recherche fondamentale et publique et l’industrie de la recherche appliquée et privée. Cet amalgame conduira alors à une vision dichotomique de la science et de l’industrie, en ce sens que ces deux mondes seront considérés comme évoluant isolément, suivant des mécanismes propres de fonctionnement. Certes, ils contribuent l’un à l’autre respectivement, l’industrie allant puiser ses sources potentielles d’innovation dans la science par le biais du fonds de connaissances qu’elle constitue et la science se nourrissant des connaissances qu’elle a elle-même produites suivant ses propres processus et de celles produites suivant les mécanismes inhérents au développement de la technologie. Mais, ne répondant pas à des mécanismes de marché, la science n’entre pas dans des considérations économiques. On retrouve cette idée dans l’analyse économique de l’innovation, qui ne considère que la technologie et donc l’industrie. Elle constitue une accentuation de l’idée selon laquelle le problème économique repose du côté de la technologie, la science restant alors mineure. Ainsi, jusqu’aux années 1980, les approches économiques traitant des avancées scientifiques et technologiques viennent conforter une vision dichotomique de la science et de l’industrie, en ce qu’elles considèrent que seul le progrès technologique permet de déboucher sur des innovations. Le fonctionnement et l’organisation de la science, tout comme la manière dont elle impacte sur l’industrie sortent du cadre d’analyse des théories économiques et demeurent des processus exogènes. Les connaissances scientifiques nouvelles produites dans le cadre de la science constituent un fonds de connaissances librement disponible à l’industrie se situant en amont de leurs processus de production de connaissances et donc d’innovation. Ce fonds de connaissances représente un input externe à la firme et la manière dont cette dernière assimile ces connaissances n’est pas analysée en économie ; de même la façon dont se structure ce fonds de connaissances n’est pas plus traitée. La science est alors perçue comme un monde cloisonné, auto-régulé et auto-entretenu, en dehors des mécanismes de marché et donc des considérations économiques. Les relations qui se mettent en place entre la

Figure

Figure 1 : Le processus linéaire de l’innovation
Figure 2 : Efficacité et inefficacité de la duplication de l’effort de recherche
Figure 3 : Le circuit du capital scientifique
Figure 4 : Venture Capital activity measures as the number of deals per year (left)   and growth in nodes over time (right)
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