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Entre science et industrie, des liaisons dangereuses

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01088543

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01088543

Submitted on 15 Dec 2014

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Entre science et industrie, des liaisons dangereuses

Pascal Marichalar

To cite this version:

Pascal Marichalar. Entre science et industrie, des liaisons dangereuses. Santé et Travail,

UGM Santé & Travail 2014, http://www.sante-et-travail.fr/entre-science-et-industrie–des-liaisons-

dangereuses_fr_art_1305_68630.html. �hal-01088543�

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Ce texte a été publié dans la revue « Santé et travail » (éditée par la Mutualité française) en 2014, n° 87, juillet.

Science et industrie : les liaisons dangereuses

Santé publique. Dès lors que des recherches scientifiques bénéficient de fonds issus de l’industrie, leurs résultats risquent fort d’être biaisés. Et ce, au profit des intérêts des financeurs. Tel est le constat sans appel dressé par de récentes études.

Par Pascal Marichalar, sociologue, chargé de recherche CNRS à l’Institut interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris).

Il y a quelques mois, la candidature d’un épidémiologiste à un poste important dans le champ de la recherche française en santé publique a déclenché une intense controverse (voir article page XX). Les critiques ont dénoncé l’habitude du chercheur de recourir à des financements issus de l’industrie. Celui que certains de ses pairs ont présenté comme un « mercenaire qui, depuis quelques années, enchaîne les missions de consultance pour les industries polluantes »

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s’est défendu de toute modification de ses résultats en fonction de l’intérêt des financeurs.

Au-delà du cas individuel, l’affaire interroge sur la coexistence possible entre les financements industriels et une recherche scientifique de qualité. Les chercheurs peuvent-ils conserver leur indépendance tout en ayant recours à de tels fonds ? Les procédures de déclaration des conflits d’intérêts suffisent-elles à prévenir toute dérive ? Et inversement, quel est l’intérêt des entreprises à financer des recherches qui pourraient potentiellement aboutir à démontrer la dangerosité de leur production, pour la santé des consommateurs mais aussi des travailleurs ?

Du tabac aux risques professionnels : procès et révélations

C’est à ces questions que s’efforce de répondre un champ d’études nouveau, qui s’est développé depuis une vingtaine d’années dans le sillage de plusieurs grandes affaires de santé publique aux Etats-Unis. Appliquant une méthodologie issue de l’histoire, des statistiques, de la psychologie ou de l’ethnographie, des chercheurs s’appuient sur des archives inédites, dévoilées à l’occasion de procès, pour mettre en évidence les canaux par lesquels la nature des financements en vient à influer sur la qualité des résultats scientifiques produits. Force est de constater que ces canaux sont multiples et, souvent, peu visibles.

L’image du chercheur « mercenaire » cynique, simplement intéressé par l’argent, n’ayant

aucun scrupule à falsifier ses résultats et indifférent au sort des victimes, reflète

indiscutablement certaines réalités, comme l’ont montré quelques affaires. Cependant, dans la

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majorité des cas, l’influence des intérêts industriels sur la pratique scientifique s’exerce de manière plus subtile, moins évidente, au point que les chercheurs n’en ont eux-mêmes pas toujours conscience.

Le cas des relations entre industrie cigarettière et recherche est à ce titre exemplaire. Aux Etats-Unis, 1998 est une date charnière dans l’histoire des procès du tabac. C’est en effet l’année où un accord est passé entre des dizaines de représentants du parquet et les principaux producteurs de cigarettes, qui contraint ces derniers à rendre publique l’intégralité de leurs archives. Les tobacco papers (« documents du tabac ») constituent une mine d’or pour les chercheurs en histoire, en sociologie et en santé publique qui s’intéressent au fonctionnement interne des industries potentiellement nuisibles pour la santé. Ces quelque 14 millions de documents révèlent en particulier tout un éventail de pratiques de modelage de la science, qui peut être « achetée » de manière explicite ou plus indirecte – les influences les plus imperceptibles étant d’ailleurs les plus efficaces.

Le financement de la recherche scientifique par l’industrie du tabac est alors publiquement montré du doigt. L’étude statistique de larges corpus d’articles médicaux permet d’établir une corrélation nette entre le financement par les cigarettiers et des résultats favorables à leurs intérêts. C’est pourquoi, en 2002, le département de santé publique de l’université Harvard décrète pour ses équipes l’interdiction de tout recours à des fonds issus des groupes de tabac ou de leurs filiales. Des décisions similaires sont prises par d’autres établissements universitaires ainsi que par des fondations de soutien à la recherche médicale. Certains chercheurs vont plus loin en prônant l’interdiction de tout financement industriel pour des recherches en santé publique. Ils arguent qu’il n’y a aucune raison que les pratiques d’influence mises en évidence dans le cas du tabac n’existent pas également autour d’autres productions dangereuses pour la santé.

Cette intuition est confirmée par les documents présentés lors de procès qui se déroulent dans les mêmes années, autour des ravages sanitaires de l’amiante et de la silice (responsables de pathologies pulmonaires mortelles, dont le cancer), du plomb (qui cause le saturnisme) ou du chlorure de vinyle monomère (composant de base du PVC, à l’origine notamment d’une forme de cancer du foie, l’angiosarcome). Historiens et sociologues ont écumé les notes internes et fait émerger la variété des pratiques stratégiques d’influence de la science, en tout point semblables à celles mises en œuvre pour la cigarette.

Versements clandestins

Les archives des groupes industriels révèlent quelques cas manifestes de corruption de

scientifiques. Le terme n’est pas trop fort, dans la mesure où les fonds sont donnés

directement à l’individu, de façon clandestine. Ainsi, lors d’un procès en 2000, il est révélé que

le géant de l’emballage Owens-Illinois (O-I) a versé, à partir de la fin des années 1980, environ

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6 000 dollars par mois à Christopher Wagner. Ce chercheur sud-africain avait mené dans les années 1950 et 1960 des travaux pionniers sur le mésothéliome – dit « cancer de l’amiante » – qui lui avaient valu l’inimitié durable de l’industrie minière locale, au point de le pousser à quitter le pays. Pour le groupe O-I, en butte à des milliers de plaintes de consommateurs exposés à l’amiante, la conquête n’en a été que plus belle. Et le financement direct paye : Christopher Wagner s’est employé dès lors à démonter systématiquement les résultats du début de sa carrière, expliquant s’être trompé en employant le terme « amiante », alors que seules certaines formes minoritaires du matériau causeraient des cancers.

Les cas de corruption individuelle sont néanmoins minoritaires, l’industrie se contentant plutôt de financer des équipes de recherche, en toute légalité. L’aide matérielle peut être apportée sous la forme de subventions à des projets, mais aussi en nature, par des « cadeaux » ponctuels (prise en charge de frais de mission pour des colloques, fourniture gratuite d’échantillons de produits, financement d’équipements lourds indispensables pour la recherche). Cette aide devient de plus en plus précieuse dans le contexte de baisse continue des dotations publiques aux universités et aux instituts de recherche. Les partenariats garantissent toujours le respect formel de l’indépendance des chercheurs, et ces derniers n’hésitent pas à le rappeler lorsque leur intégrité est mise en cause.

Rétractation et autocensure

C’est dans les détails des partenariats conclus que le diable se niche. S’il est rare que les industriels se réservent un droit de veto sur les textes, il est en revanche courant qu’ils prévoient un droit de « commentaires ». Dans certains cas, le financeur peut bloquer la publication des articles ou obtenir la rétractation des auteurs. C’est ce qui est arrivé en 1980, aux Etats-Unis, lorsqu’un regroupement d’industriels de la chimie, mécontent d’un article que des chercheurs qu’il finançait avaient publié dans l’American Journal of Industrial Medicine, a convaincu les auteurs d’amender certains résultats. « Il est peu probable que l’excès de cancers du cerveau parmi les travailleurs américains du chlorure de vinyle, dont nous avons fait part auparavant, soit lié au produit chimique », ont consenti à écrire les scientifiques.

Sans avoir à aller jusque-là, les mécènes peuvent avant tout compter sur l’autocensure des scientifiques, qui se doutent que la publication de résultats trop dommageables compromettrait leurs chances de bénéficier à l’avenir d’un soutien financier. D’autres clauses fréquemment incluses dans les contrats prévoient que les industriels ont accès aux données brutes produites par les chercheurs. Cela leur permet, si l’analyse proposée de ces données ne leur convient pas, de faire effectuer une contre-analyse plus favorable à leurs intérêts.

Enfin, nul n’est besoin de nier le risque pour favoriser l’industrie. La création d’incertitude, le

développement de fausses controverses ou le financement excessif des points de vue

minoritaires suffisent amplement à permettre à certaines entreprises de continuer une

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production dangereuse pour la santé. Cette « manufacture du doute » peut être illustrée par l’équipe du Pr McDonald, du département d’épidémiologie de la prestigieuse université McGill de Montréal, dont les travaux sont financés depuis les années 1960 par un consortium d’entreprises productrices et utilisatrices d’amiante. Les historiens Jock McCullock et Geoffrey Tweedale montrent que cette équipe, loin de nier en bloc le risque amiante, s’est toujours caractérisée par une défense constante, contre la quasi-totalité de la communauté scientifique, de l’innocuité relative de l’amiante chrysotile… qui se trouve être le type de minerai extrait des mines québécoises jusque très récemment et le plus commercialisé dans le monde.

Face à ces phénomènes, l’obligation de déclarer ses conflits d’intérêts, de plus en plus présente dans les revues et les institutions scientifiques, est peu efficace. Comme l’explique Sheldon Krimsky, les « déclarations d’intérêts » ne servent le plus souvent qu’à éviter l’apparence d’un conflit d’intérêts, sans avoir d’effet sur le conflit d’intérêts lui-même.

Capture culturelle et désengagement moral

Au-delà des liens économiques, les relations humaines qui s’installent sur la longue durée entre les chercheurs et leurs mécènes privés jouent un rôle qu’il ne faudrait pas sous-estimer.

Le fait que deux individus se fréquentent régulièrement, entretenant des liens de reconnaissance ou d’amitié, a un effet sur leurs manières respectives d’envisager le monde social, et en particulier les questions de santé publique. Le correspondant industriel comprendra mieux les contraintes de l’activité scientifique, mais, inversement, le chercheur fera siennes certaines des préoccupations de l’industrie. Une fréquentation assidue, assortie d’une forte gratification économique et symbolique (par exemple, une admiration sincère), peut conduire certains scientifiques à adopter le point de vue de leurs correspondants. C’est ce que des chercheurs ont appelé le phénomène de « capture culturelle ». Un exemple en est l’intérêt de nombreux scientifiques pour la détermination de valeurs limites d’exposition aux produits toxiques, alors même qu’il s’agit d’une manière de penser venue de l’industrie, qui suppose qu’il existerait un niveau d’exposition permettant de poursuivre la production avec un risque sanitaire relativement réduit.

Sur ces liens d’affinité se greffent des considérations morales. Tout chercheur qui accepte des financements d’un groupe industriel dont l’activité est potentiellement dangereuse pour la santé publique se demandera, à un moment de sa trajectoire, s’il n’agit pas à l’encontre de l’éthique.

Ces scrupules, désagréables, sont en général évacués rapidement, soit en rompant tout lien

économique avec l’industrie, soit en se convaincant par des arguments qui minimisent la

dangerosité des produits. Comme l’expliquent des chercheurs dans l’analyse de ce qu’ils

appellent le « désengagement moral », un scientifique financé par l’industrie peut avoir intérêt

à produire des résultats qui dédouanent celle-ci, simplement pour calmer sa conscience en se

disant que l’argent perçu n’est pas si sale que cela.

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Au vu des études menées au cours des deux dernières décennies, on mesure donc l’emprise exercée par l’industrie sur les chercheurs et ses effets sur la qualité de leurs travaux. Pour qu’ils puissent s’en dégager – du moins en partie –, la mesure prioritaire serait, bien sûr, de substituer des fonds publics aux financements privés. Et puisque la recherche ne peut se passer de ces deniers, une redevance perçue sur les industries à risque et redistribuée par les pouvoirs publics pourrait être envisagée.

1. Le Monde, 18 décembre 2013.

Sous-papier

« Affaire » Boffetta : la fronde des scientifiques

Fin 2013, le Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), qui est l’un des principaux lieux de la recherche épidémiologique en France, se cherche un nouveau directeur. Après un examen des candidatures, Paolo Boffetta, 55 ans, professeur à la faculté de médecine Mount Sinai de New York, reste seul en lice, quasiment assuré de prendre ses fonctions début 2015.

L’annonce publique du nom du candidat va provoquer la fronde d’une partie de la communauté scientifique. En effet, Boffetta a coutume d’accepter des financements industriels pour ses travaux ; des entreprises de l’agroalimentaire, des mines et de la chimie font partie des généreux donateurs. Il est aussi de notoriété publique qu’en 2011 l’épidémiologiste a été recruté comme expert par les avocats d’une ancienne entreprise d’amiante italienne, Montefibre Verbania, dans le cadre d’un procès pénal suite à la mort de nombreux ex-salariés.

Les frondeurs laissent entendre que les travaux du chercheur seraient biaisés par la nature des financements reçus. Ce dont Paolo Boffetta s’indigne dans une lettre ouverte aux personnels du CESP datée du 15 janvier : « Suggérer que mes conclusions dépendraient des sources de financement est une insulte à mon intégrité scientifique. »

Le chercheur est un familier de ces controverses, ayant déjà été critiqué en 2007 pour avoir accepté des fonds de l’industrie européenne du pétrole et du bitume alors qu’il était en poste au Centre international de recherche sur le cancer. Il s’était alors défendu en expliquant qu’il n’avait jamais caché qu’il recevait des financements industriels et que les clauses des contrats garantissaient toujours l’indépendance scientifique : s’il devait soumettre ses articles aux financeurs avant parution, il n’était pas obligé de tenir compte de leurs commentaires.

Consultant pour l’industrie

Début 2014, les détracteurs de Boffetta ne se contentent pas de ces arguments, ni de sa

promesse de se retirer du cabinet de consultants au travers duquel il vend ses services aux

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industriels mis en cause dans des procès. Sont notamment pointées du doigt deux publications dans lesquelles l’épidémiologiste conteste le caractère cancérogène de la dioxine et des vapeurs de diesel, ainsi qu’un article sur l’absence de lien entre durée d’exposition à l’amiante et cancer qui vient conforter la défense dans le procès Montefibre. Le 28 janvier, Boffetta décide finalement de retirer sa candidature, au motif que le poste proposé est trop

« politique ».

P. M.

A lire

« Corporate manipulation of research : strategies are similar across five industries », par Jenny White et Lisa A. Bero, Stanford Law and Policy Review, vol. 21, 2010.

« L’histoire au prétoire. Deux historiens dans les procès des maladies professionnelles et environnementales », par David Rosner et Gerald Markowitz, Revue d’histoire moderne et contemporaine n° 56-1, janvier-mars 2009.

La recherche face aux intérêts privés, par Sheldon Krimsky, Les Empêcheurs de penser en rond, 2004.

Exergues

Dans la majorité des cas, l’influence des intérêts industriels sur la pratique scientifique s’exerce de manière subtile, au point que les chercheurs n’en ont eux-mêmes pas toujours conscience.

L’obligation de déclarer ses conflits d’intérêts, de plus en plus présente dans les revues

et les institutions scientifiques, est peu efficace.

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