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P REMIERE P ARTIE

EXPLIQUE PAR DES CONTEXTES JURIDIQUE , FINANCIER , ECONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE EN EVOLUTION

3.3 Caractéristiques des relations science industrie et du système de co production des connaissances scientifiques

Par définition, une grande partie de ce que réalise l’université consiste en des activités de transferts, qui s’expriment à travers l’enseignement, les publications et le service public (Lee, 1996). Mais les mutations connues par les institutions publiques de recherche, associées aux changements organisationnels de l’industrie, ont donné une nouvelle dimension à ces transferts, moins linéaire, les portant dans une logique particulière de co-production des connaissances scientifiques. Emergeant essentiellement aux Etats-Unis dans les années 1980, en réponse à la tendance au déclin de leur compétitivité technologique et de leur faiblesse en matière de transferts de connaissances vers l’industrie, le concept même de « transfert » a pris de nos jours un sens nouveau, comme l’exprime la définition qui en a été donnée lors du forum entreprise-université qui s’est déroulé aux Etats-Unis en 1988 et qui était composé de dirigeants de grandes entreprises et des présidents d’université : « …une collaboration

fructueuse entre l’université et l’industrie est susceptible de créer un flux continu de connaissances et d’idées nouvelles, plutôt qu’un transfert occasionnel de technologie. Bref, l’ancienne notion de transfert de technologie, considérée comme la transmission ponctuelle d’une certaine technologie à l’entreprise, a cédé le pas à une vision plus large du transfert de technologie, conçu comme un échange bilatéral permanent entre deux partenaires. Dans un tel environnement, les relations durables qui s’établissent entre les chercheurs individuels – relations fondées sur la confiance et les intérêts mutuels – sont d’une importance capitale ».

Suivant ainsi les évolutions du système de production des connaissances scientifiques, il n’exprime plus uniquement un déplacement linéaire des nouvelles découvertes de l’université vers l’industrie, puis vers le marché, mais des échanges rétroactifs, des interactions. En effet, les relations entre la science et l’industrie ne reposent pas uniquement sur une volonté d’échanger ponctuellement des résultats de recherches entreprises isolément, elles s’appuient également sur la mise à disposition de compétences et de savoir-faire particuliers (Pavitt, 1991) et sur une volonté de relations durables de type « partenariat ». Ainsi, alors qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les priorités avaient été portées à une production académique de connaissances plus fondamentales et dirigées vers des problèmes de long terme, cette activité scientifique avait alors pris une importante distance avec des questions de résolution de problèmes industriels à plus court terme. Mais le besoin et l’enjeu de renouer des liens et de favoriser la diffusion et l’utilisation des connaissances scientifiques au sein de la sphère

industrielle ont conduit à ce que l’accent soit mis sur le transfert vers l’industrie de la connaissance, de la technologie, du savoir-faire et des personnes qualifiées, ceci dans l’intérêt du développement économique. Ce phénomène que Lee (1996, p. 850) appelle le « neotransferism » va ainsi s’exprimer par l’intensification des échanges de connaissances entre ces divers agents, pouvant se manifester de diverses manières, à travers diverses formes de collaborations entre les sphères académique et industrielle, comme des contrats de concession de licences, des échanges de personnel, de la sous-traitance d’activité de R&D, des partenariats de recherche. Ainsi, au regard de ces nouvelles dynamiques, les acteurs académiques et industriels de la production de connaissances scientifiques mettent en œuvre diverses formes de relations qui se placent dans un cadre particulier de marchandisation et de co-production des connaissances scientifiques.

La formation de réseaux prend par ailleurs une importance toute particulière dans ce système de co-production des connaissances scientifiques. Tout d’abord, en raison du caractère technologiquement localisé de ces dernières, les chercheurs, publics ou privés, ne sont en mesure de créer de nouvelles connaissances que dans leur domaine d’appartenance. Il résulte de cette contextualisation des connaissances que l’« adhésion » à un réseau apparaît avoir un effet important sur la performance des acteurs en matière d'innovation et d'autant plus que la base de connaissances est complexe et évolue rapidement, comme c’est le cas dans l’industrie des sciences du vivant. Au sein de ces réseaux, les échanges, et par là même l’accès aux nouvelles connaissances, peuvent se voir facilités et des effets de club42 (ou de réseau) apparaissent alors comme un stimulateur de développement. Par exemple, dans l'industrie pharmaceutique, les jeunes entreprises de biotechnologies le plus souvent portés par des chercheurs académiques, en anticipant des besoins thérapeutiques futurs, (re)dessinent une véritable répartition des rôles et une complémentarité avec les « Big pharma » (de Varax, 2003), confortant l'idée développée par Larson (1992) selon laquelle l'appartenance à un réseau, constitue une alternative flexible à l'intégration. Egalement, concernant ces jeunes entreprises, elles nécessitent souvent des accompagnements ciblés leur permettant de développer leurs compétences managériales, de bénéficier des fertilisations croisées issues de l’insertion dans des réseaux divers (universitaires, industriels, institutionnels), de premières structures de recherche et de laboratoires. D’ailleurs, pour Geneviève Berger, Directrice

42 Plus précisément, un « club » consiste en une association d’agents visant à pourvoir à la fourniture d'un bien déterminé et dans lequel existe une interdépendance hors-marché entre les différents membres. Les connaissances créées au sein de ce réseau constituant un enjeu économique important et un élément fondamental des stratégies développées par les membres du réseau, elles ne sont pas « librement » divulguées. La constitution d´un « club » permet ainsi d´endogénéiser certaines externalités positives rendant l´approvisionnement hors du jeu du marché plus efficiente (Herscovici, 2005, p. 14).

générale du CNRS de 2000 à 2003, « la mise en place de ces outils et mesures s’est traduite

par un développement important des créations d’entreprises issues de la recherche académique. Pour le seul CNRS, plus de 50 start-up ont été créées dans le secteur des sciences du vivant », (de Varax, 2003). Or, les chercheurs faisant le plus souvent appels aux

dispositifs d’accompagnement qui sont situés à proximité de leur institution scientifique d’origine, le réseau dans lequel s’insèrent les acteurs est également porteur d’enjeux au niveau local. En effet, produit des interactions sociales entre la multitude d'agents individuels qu’il réunit, l’effet de réseau agit alors comme un mécanisme économique intégrateur, à la fois territorial et social. Cette logique territoriale s’exprime également à travers l’enjeu que représentent les échanges et/ou la co-production de connaissances scientifiques contextualisées entre acteurs publics et privés. En effet, s’agissant des connaissances scientifiques présentant un caractère tacite, elles sont indissociables du savoir-faire qui a conduit à leur création et qui est détenu par les chercheurs qui en sont à l’origine. Aussi, leur transmission appelle de fait à une certaine proximité géographique. La spécialisation sectorielle d’un pôle de compétitivité ou le développement de science parks reposent sur la volonté de créer de tels effets de club dont la portée est d’une part celle du réseau ainsi développé et d’autre part celle du territoire dans lequel ils se forment (Henzig et Probst, 2006) et témoignent des enjeux que représente l’articulation entre réseau et territoire.

La problématique des relations science industrie et les formes qu’elles peuvent revêtir dans le système de co-production des connaissances scientifiques présentent ainsi une dimension locale assez marquée. Celle-ci s’exprime également à travers le rôle de l’université qui a évolué, on l’a vu, dans les fonctions qui lui sont assignées, mais également au niveau de la dimension géographique dans laquelle il intervient. L’université doit en effet concilier un double rôle d’acteur international et régional. Ses missions se placent certes, par définition, à une échelle internationale, de par ses chercheurs et ses étudiants, ou encore d’un point de vue de la production et de la diffusion des connaissances, à travers par exemple les échanges développés avec d’autres acteurs évoluant dans le monde entier, mais son rôle est également devenu davantage régional. En effet, il y a plusieurs manières par lesquelles les universités peuvent contribuer au développement régional : en créant des innovations, en déposant des brevets, par des communications informelles entre les firmes d’une même région, par l’éducation, en créant des spin offs (Miyata, 2000). Ainsi, instrument régional de croissance, ses missions répondent de nos jours à des enjeux qui ne sont pas traditionnels, au regard des attentes des pouvoirs publics en matière de développement économique local, et des espoirs mis en elle en matière de création d’emplois… « L’extension de ses missions affecte son rôle

en tant que catalyseur des transferts réciproques et des connaissances entre les chercheurs et les acteurs socio-économiques. […] Ainsi, l’éducation, la formation de haut niveau et la recherche sont enfin reconnues comme vecteurs d’efficacité micro et macro-économiques. Les universités sont dès lors au centre du cercle vertueux de la dynamique économique » (Thys-

Clément, 2001, p. 5). Les activités scientifiques se sont donc transformées en activités économiques, induisant des formes spécifiques et des règles particulières de fonctionnement, sans pour autant être régulées suivant un cadre économique. En effet, la co-production des connaissances entre le milieu académique et la sphère industrielle implique un fonctionnement régit par des règles particulières empruntant aux deux milieux.

3.3.1 Des relations science industrie s’exprimant par des formes diverses

L’évolution de ce que recouvre le concept de « transfert » au regard de la période récente met en exergue les changements relationnels entre les sphères académique et industriel, et les nouvelles modalités par lesquelles les connaissances scientifiques nouvelles sont produites, diffusées et transmises aux entreprises en vue d’une plus grande exploitation commerciale des résultats scientifiques. Dans le système de co-production des connaissances scientifiques, ceci se manifeste d’une part, dans le nouveau mode de communication que constituent les brevets, dans le sens notamment d’un besoin accru en connaissances codifiées, et d’autre part, dans la participation du capital humain scientifique dans les processus d’innovation industrielle. Les relations qui se tissent entre les milieux académique et industriel sont en effet de natures diverses, même si, pour Mowery et Sampat (2004, pp. 1-2), une caractéristique commune à la plupart de ces initiatives réside dans l’idée selon laquelle les universités soutiennent l’innovation industrielle principalement par la production de « deliverables » à commercialiser, autrement dit des découvertes brevetées. De plus, ils ajoutent que les plus importants canaux par lesquels les interactions entre les universités et l’industrie contribuent à l’innovation industrielle et à la croissance économique, consistent en des canaux formels de cessions de licences et dans quelques cas, de création de spin-off issues des universités. Mais, il est important de ne pas négliger les diverses autres formes d’interactions qui s’expriment par le capital humain intellectuel. En effet, la mobilité de ce capital se pose comme vecteur de diffusion des connaissances scientifiques et des savoir-faire. Les interactions entre les acteurs académiques et industriels s’expriment ainsi notamment à travers la mobilité des différents chercheurs, mais aussi, le rôle joué par les étudiants doctorants et post-doctorants (Quéré, Ravix, 1997) comme vecteurs de diffusion de

connaissances entre ces deux mondes. Ils constituent une passerelle entre les deux types d’environnements et favorisent ainsi la diffusion de la connaissance, que ce soit dans l’une ou l’autre des deux directions : acquisition de connaissance fondamentale académique pour des problèmes industriels et apparition d’opportunités industrielles émanant de résultats de recherche fondamentale. Antonelli (2003) souligne d’ailleurs que le rôle de la mobilité du capital humain est de plus en plus perçu comme un enjeu, tout comme, considérant les formes d’interactions entre milieu académique et industriel, il note également que le rôle des droits de propriété est reconsidéré en matière d’appropriation des connaissances.

3.3.1.1. Le brevet, une forme de relation science industrie répondant à un besoin en connaissances codifiées

Le système des droits de propriété intellectuelle, et plus particulièrement des brevets, constitue une réponse institutionnelle aux défaillances de marché, comme par exemple le problème de l’impossibilité pour un agent de s’approprier toutes les retombées économiques des connaissances scientifiques qu’il a produites, le décourageant ainsi d’investir dans un processus de recherche. En instaurant un monopole temporaire sur l’invention, le brevet lève en partie ce défaut d’incitation par la protection qu’il offre à l’inventeur. Au final, pour Le Bas (2002, p. 250), « le système de brevet s’interprète comme un instrument qui divulgue

(« disclosure ») à l’ensemble de la société un peu d’information (une fois la demande de brevet acceptée) sur la nouvelle idée pour recevoir un droit d’exploitation et donc exclure « exclude ») temporairement d’autres agents », créant ainsi des incitations à investir

davantage en R&D. Or, dans tous les domaines technologiques, depuis une vingtaine d’année, l’évolution du nombre de brevets, déposés ou livrés, témoigne de l’existence d’une dynamique générale de renforcement de la propriété intellectuelle. Cette dynamique se manifeste surtout aux Etats-Unis, mais commence à se développer en Europe, essentiellement dans le domaine des sciences du vivant. On assiste ainsi au rôle croissant de la propriété intellectuelle dans la production et la circulation des connaissances, et ce, notamment à la faveur du développement de la recherche en génomique (Cassier, 2002). En effet, dans le cadre notamment de l’économie basée sur les connaissances scientifiques, de nombreux pays industrialisés tentent d’accroître le taux d’exploitation commerciale des avancées académiques, que ce soit par l’industrie ou par le milieu académique lui-même. De nombreuses initiatives ont ainsi été lancées, depuis essentiellement les vingt dernières années, afin de resserrer les liens entre l’industrie et le milieu académique et de fait, de s’adapter au nouvel environnement dans lequel évolue la recherche scientifique, qu’elle soit publique ou

privée. Beaucoup de ces mesures, pour ne pas dire la plupart, se sont focalisées sur la possibilité de s’approprier les nouvelles découvertes scientifiques et sur la codification de ces dernières, à travers le développement des droits de propriété intellectuelle, plutôt que sur les diverses autres formes de relations science industrie, qui s’étendent à divers types d’activités et d’outputs (Mowery, Sampat, 2004). La concession de licences par les universités, en effet, ne constitue pas le seul canal par lequel la recherche académique peut interagir avec l’industrie et lui transmettre ses nouvelles connaissances. Le transfert des résultats de la recherche académique peut revêtir d’autres formes : la publication de résultats, la dissémination des connaissances à l’occasion de conférences, d’une activité de consulting, de thèses, de « formation » de diplômés (Le Bas, 2002) sont autant de moyens de permettre aux acteurs industriels d’acquérir la connaissance scientifique produite en milieu académique. Cependant, les relations public-privé reposent souvent sur des relations marchandes à travers la vente de licences (Lhuillery et Carpentier, 2006). Thursby et Thursby (2003) montrent par exemple que les firmes américaines ayant acquis des licences provenant des universités estiment que les connaissances publiques obtenues sont aussi, voire plus, importantes pour le développement d’un nouveau produit que leurs brevets internes.

Ainsi, après avoir obtenu le droit de détenir la propriété intellectuelle de leurs découvertes mais aussi de passer des licences exclusives afin de valoriser industriellement ces dernières, les universités ont mis en œuvre des dynamiques de transfert de technologie et d’exploitation commerciale de leurs découvertes. Ce phénomène s’est manifesté et a été rendu possible, aux Etats-Unis, par la création des OTL (« Offices of Technology Licensing ») ou encore par l’essaimage de petites entreprises innovantes, des start-ups académiques, dans lesquelles elles possèdent des participations, en échange d’un droit sur l’exploitation de la découverte, autrement dit un brevet (Le Bas, 2002). Plus précisément, pour ce qui a trait au brevet, cet outil juridique est utilisé à plusieurs desseins dont l’un d’eux, bien connu, consiste à essayer de limiter les spillovers (externalités de la recherche) vers les concurrents. Cet effet classique des droits de propriété intellectuelle repose sur le fait qu’il permet à son détenteur, une fois que le produit a été développé ou que la licence a été cédée, de bénéficier de retour sur investissement, l’objectif étant alors, dans ce cadre, d’inciter à la Recherche et Développement. Dans l’industrie pharmaceutique notamment, l’utilisation du brevet demeure conforme à cette vision traditionnelle, à savoir une fonction d’incitation par le biais de l’exclusion qu’il permet. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans ce domaine, les interrogations et les débats se montrent les plus vifs, dans la mesure où les entreprises pharmaceutiques utilisent essentiellement le brevet afin d’exclure des imitateurs potentiels. En

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