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Spécificité de la consommation de films et des divers médias du cinéma

Mise en perspective de l’approche visant à lutter contre le tout-gratuit sur le net

CREATION DE LA VALEUR

2.3. Analyse de l’impact économique du téléchargement illégal

2.3.1. Spécificité de la consommation de films et des divers médias du cinéma

2.3.1.1. Carractéristiques propres du cinéma

Rares sont les études consacrées uniquement à l’impact de l’échange illégal des films. Les analyses font souvent le parallèle entre plusieurs domaines culturels touchés par le téléchargement illégal, ou bien sont uniquement consacrées à la musique, domaine qui fut le premier touché par le phénomène. Or, comme le soulignent les trois chercheurs de Télécom ParisTech dans leur étude de 2006 sur le téléchargement illégal des films dans les universités françaises, « la consommation des films comporte d’importantes différences avec la consommation de musique ; de ce fait, les résultats obtenus pour l’industrie de la musique ne peuvent pas être appliqués en tant que tel pour analyser le piratage des films »644.

Les auteurs montrent ainsi qu’il est plutôt rare de visionner un film plusieurs fois. L’effet positif du test gratuit avant l’achat (sampling effect) semble plus faible pour les films que pour la musique, même si des externalités positives existent avec le phénomène du bouche à oreille. Par ailleurs, le téléchargement et le stockage d’un film demeurent plus coûteux en matériel et en temps, puisque le fichier est plus lourd et qu’à la différence d’un DVD, il faut trouver sur Internet la bonne version et éventuellement les sous-titres correspondants. Enfin, pour un même produit, les revenus sont générés sur plusieurs supports : la salle, le DVD, la TV et désormais Internet. Les effets du piratage de films peuvent alors varier selon les différents segments de l’économie du cinéma.

2.3.1.2. Comportement plus sélectif vis-à-vis de la salle

Le piratage de films entraîne un comportement plus sélectif vis-à-vis de la salle. Comme le souligne Eric Maigret, sociologue spécialiste de la communication et des médias, « le cinéma demeure largement irremplaçable pour de nombreux publics car il propose à la fois un acte social très particulier, une sortie culturelle souvent effectuée à plusieurs, et un rituel, l’immersion dans une salle obscure et silencieuse

644 « […] movie consumption has important differences from music consumption; therefore, results obtained in the music industry cannot be applied as such to analyze movie piracy. »

BOUNIE David, BOURREAU Marc & WAELBROECK Patrick, « Piracy and the Demand for Films: Analysis of Piracy Behavior in French Universities », Review of Economic Research on Copyright Issues [en ligne], vol. 3(2), 2006, p. 16 [consulté le 3 décembre 2009].

(ou bruyante, dans certaines culture !) »645. Selon l’étude du CNC de 2004 sur La

piraterie de films, tandis que « pour les deux tiers des pirates interviewés, le piratage

n’a pas influencé leur fréquentation des salles646 », « environ un interviewé sur cinq

déclare aller plus souvent au cinéma depuis qu’il voit des films piratés »647.

Néanmoins, nombre d’utilisateurs des réseaux P2P interviewés déclarent avoir moins envie d’aller au cinéma depuis qu’ils téléchargent illégalement des films. En raison du prix élevé des places, la sortie au cinéma est alors réservée aux films « exceptionnels »648. Et les utilisateurs se sont par ailleurs habitués à la souplesse du

visionnage à domicile649.

2.3.1.3. Impact plus prononcé sur la location DVD

Pour ce qui est de la location DVD, le piratage semble avoir un impact plus prononcé. D’après l’étude du CNC de 2004 sur Le téléchargement de films sur Internet, « près de quatre téléchargeurs sur dix déclarent avoir réduit leur rythme de location de vidéo depuis qu’ils téléchargent des films »650. Le téléchargement remplace à bon compte le video-club pour les films destinés à n’être vus qu’une seule fois. Les téléchargeurs

peuvent avoir accès aux films sans attendre la sortie en vidéo. La possibilité d’accès gratuit rend moins naturel le paiement de la location. Enfin, le pirate n’a plus à faire la queue, ne risque pas d’être confronté à l’indisponibilité du film et n’est pas contraint de le rapporter après l’avoir visionné. Toutefois, le téléchargement demande un effort de recherche et un investissement temporel parfois disproportionné par rapport à la qualité obtenue et aux contraintes de visionnage. « La location constitue, pour les pirates, une offre complémentaire à l’offre de films téléchargeables651. »

2.3.1.4. Impact relativement modeste sur la TV

L’impact est plus modeste sur la télévision, puisque « 2,4 téléchargeurs sur dix déclarent moins regarder la télévision en général »652. Ainsi, l’étude de 2009 du ministère de la Culture et de la Communication sur Les pratiques culturelles des

Français à l'ère numérique, révèle que « le temps consacré au petit écran, pour la

première fois depuis son arrivée dans les foyers, a cessé d’augmenter et a même

645 MAIGRET Eric, Sociologie de la communication et des médias, Paris : éd. Armand Colin, 2003, p. 265. 646 CNC, La piraterie de films : Motivations et pratiques des Internautes – Analyse quantitative, op. cit., p. 48. 647 Ibid.

648 Ibid.

649 Voir : Ibid., p. 49.

650 CNC, Le téléchargement de films sur Internet – Analyse quantitative, op. cit.

diminué chez les jeunes »653. En effet, l’offre télévisuelle de films apparaît « très usée par rapport aux films récents disponibles sur Internet »654. La diffusion télévisuelle est plus contraignante que le visionnage d’un DVD ou d’un DivX. Mais « les deux tiers des interviewés déclarent ne pas avoir modifié leurs habitudes télévisuelles »655. La qualité technique très décevante des films piratés fait ainsi apprécier les bonnes conditions de la diffusion des films à la télévision. Elle permet de les regarder en famille, contrairement au visionnage des films piratés, pratique plutôt solitaire. « Il y aura toujours des rendez-vous collectifs autour du poste de télé656 », promet ainsi

Marie-Laure Lesage, directrice d’Arte France Développement. De plus, le téléchargement se fait à partir d’une idée a priori, alors que la télévision propose des films. La télévision permet ainsi de voir des films qui n’auraient pas été envisagés.

2.3.1.4. L’achat de DVD tend à être remplacé par le P2P

L’achat de films en vidéo, pour un visionnage unique, tend, quant à lui, à être remplacé par le téléchargement illégal. « Les prix des DVD, jugés excessifs, sont

avancés comme la première raison de ce ralentissement657. » Pour les films très

appréciés, destinés à être vus plusieurs fois, l’achat est cependant une solution qui apporte plus de satisfaction. Ainsi, « environ la moitié des pirates déclare maintenir leur rythme d’achat de supports vidéo »658. Le téléchargement gratuit apparaît donc

complémentaire de cet achat. Les consommateurs apprécient les bonus, les sous-titres et la possession de l’objet physique. « Environ un quart des interviewés déclare acheter davantage de supports vidéo depuis qu’ils piratent des films car le piratage stimule leur soif de films659. » Le téléchargement permet alors de tester de très nombreux films et constitue un moyen de sélection avant l’achat. Par ailleurs, « nous téléchargerons de plus en plus, mais nous resterons attaché à l’objet physique DVD, notamment aux éditions collectors660 », prédit Renaud Delourme, PDG des Editions Montparnasse. Propos complétés par Jean-Yves Mirsky, délégué général du syndicat

652 CNC, Le téléchargement de films sur Internet – Analyse quantitative, op. cit., p. 7. 653 DONNAT Olivier, op. cit., p. 4.

654 CNC, La piraterie de films : Motivations et pratiques des Internautes – Analyse quantitative, op. cit., p. 47. 655 Ibid.

656 RICHARD Emmanuelle & DOUHAIRE Samuel, « C’est moi qui (télé) commande », Ecrans [en ligne], 20 mai 2006.

http://www.ecrans.fr/C-est-moi-qui-tele-commande.html

657 CNC, La piraterie de films : Motivations et pratiques des Internautes – Analyse quantitative, op. cit., p. 47. 658 Ibid.

659 Ibid.

de l’édition vidéo, qui indique qu’« un quart des DVD achetés le sont pour être offerts »661.

Parce qu’il présente des avantages et des inconvénients socio-économiques, le piratage des films par Internet prend place dans le paysage préexistant des médias sans nécessairement expulser ses devanciers, « contrairement à la thèse de

substitution des médias émises par McLuhan »662. Tout en étant conscient de la

spécificité des effets du piratage sur l’industrie du film, des tendances communes se dessinent entre les diverses industries du contenu. En outre, le phénomène du téléchargement illégal apparaît avoir évolué dans le temps.

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