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Snack culture et convergence : le divertissement partout et tout le temps

comportements de consommation

1.2. Tendances constitutives de la génération connectée

1.2.4. Snack culture et convergence : le divertissement partout et tout le temps

Avec le numérique, la production industrielle et commerciale des biens culturels atteint un certain paroxysme de la culture de masse, « […] l’art s’engloutit comme une bonne glace, divertit comme un bon thriller, rassure quand advient la crise […]126. » « L’art devient un

abri contre le réel127 », annonce le magazine Beaux Arts dans un dossier sur « Ce qui a

changé en 2000-2010 ».

1.2.4.1. La culture par petites bouchées

Avec l’entertainment, les arts sont de moins en moins une affaire de sérieux, de culte et de sacré pour devenir de plus en plus une affaire d’hédonisme et de plaisir, de loisirs et de divertissement. Yves Michaud parle de « "touristification" de la culture128 ». Ce

« "butinage" intellectuel129 » que représente la snack culture, comme l'a décrite en 2007 le

magazine Wired, révèle une société de l'instant, de la consommation fragmentée. Il s’agit d’une culture à grignoter où le public consomme un divertissement par petites bouchées. Tout comme le fabriquant de coockies, Nabisco inventait en 1991 les mini portions Oreos qui permettaient de consommer partout et tout le temps ses gâteaux préférés, Apple avec son iPod Nano par exemple ouvre la voie au « cultural snacking130 ».

« Nous dévorons maintenant notre culture populaire de la même façon que nous nous régalons avec des bonbons et des chips – dans des mini portions commodément empaquetées faites pour être mâchées facilement de plus en plus fréquemment et le plus rapidement possible131. »

Le format court devient un mode de vie pour les générations haut débit. On passe alors de

126 LEQUEUX Emmanuelle, « La culture "marchandisée" », Beaux Arts Magazine, n° 309, mars 2010, p.56.

127 LEQUEUX Emmanuelle, « L’art, le design et l’architecture sont devenus des "must" », Beaux Arts Magazine, n° 309, mars 2010, p.54.

128 BOUSTEAU Fabrice, op. cit.

129 SCHLENKER Jean-Marc, « Internet et la révolution du savoir », La Tribune [en ligne], 18 mai 2010.

http://www.latribune.fr/opinions/20100518trib000510168/internet-et-la-revolution-du-savoir.html 130 « Consommation d’un casse-croute culturel »

Ibid.

131 « We now devour our pop culture the same way we enjoy candy and chips – in conveniently packaged bite-size nuggets made to be munched easily with increased frequency and maximum speed. »

l'album, au single, à la sonnerie ; du film, à la série, au « minisode132 ». Cependant, la snack culture n’est pas seulement affaire de raccourcissement de l’offre de divertissement.

En fait, il s’agit plutôt de pouvoir avoir « plus de tout133 » (more of everyghing), que ce

soit en format court ou long. La variété de choix et de services fait toute la valeur du produit. « Libérés des contraintes de temps des médias traditionnels, nous sommes en train de développer une conscience plus nuancée de la longueur appropriée pour différentes sortes d’expériences culturelles134. »

1.2.4.2. Boulimie et attitude blasée face à l’abondance

Le téléchargement illégal d’œuvres instaure un nouveau type de relation entre le film et son public. Ce « formidable outil de découverte culturelle135 » permet d’élargir sa culture

cinématographique à moindres frais. « Les pirates valorisent et défendent l’idée d’une consommation culturelle pour tous, à laquelle ils revendiquent de participer136. » Cela

entraîne des formes de « boulimie face à la richesse des stocks disponibles137 ». « Si nous

n’avons pas à payer pour les choses, nous avons tendance à les consommer à l’excès »138,

souligne Chris Anderson dans son ouvrage sur le Gratuit.

Cette abondance d’offre conduit alors certains utilisateurs à une « attitude blasée ou critique. Ils "zappent" d’un film à l’autre, faute de temps pour tout voir. Ils peuvent même se lasser de voir des films en abondance avec une telle facilité »139. Dans un rapport sur La piraterie de films, le Centre national du Cinéma et de l’Image animée (CNC) qualifie ce

phénomène de « cinéma "kleenex" »140. Le DivX141 instaure ainsi avec les films un

rapport plus quantitatif, banalisé, voire dévalorisé. Par ailleurs, les « pirates » acceptent de regarder des films dans des conditions dégradées, inférieures à celles offertes par la

132 Voir : GUÉRIT Christophe, « Minisodes : des séries périmées en cinq minutes chrono », Écrans [en ligne], 2 mai 2007 [consulté le 11 mai 2007].

http://www.ecrans.fr/Minisodes-des-series-perimees-en.html

133 JOHNSON Steven, « Snacklash », Wired [en ligne], 15 March 2007 [consulté le 25 mars 2007].

http://www.wired.com/wired/archive/15.03/snacklash.html

134 Ibid.

135 PHILIPPIN Yann, À quoi sert vraiment le peer-to-peer ?, Fondation Internet nouvelle Génération (Fing) [en ligne], 8 septembre 2003 [consulté le 5 mai 2004].

http://www.fing.org/index.php?num=40164

136 La piraterie de films : Motivations et pratiques des Internautes – Analyse quantitative, op. cit., p. 17. 137 EUDES Yves, « Envoyez la musique ! », Le Monde, 29 avril 2004, p. 29.

138 « If we don’t have to pay for things, we tend to consume them to excess. »

ANDERSON Chris, Free – The Futur of a Radical Price, New York : Hyperion, 1st ed., 2009, p. 226. 139 La piraterie de films : Motivations et pratiques des Internautes – Analyse quantitative, op. cit., p. 14. 140 La piraterie de films : Motivations et pratiques des Internautes – Analyse quantitative, op. cit., p. 42. 141 Voir : Index.

télévision, le DVD ou la salle. Ils développent une attitude très critique et sont prêts à « zapper » si le début du film ne les captive pas. Ils réservent alors pour la salle ou le DVD, les films auxquels ils accordent une plus grande valeur. Cependant, cela ne concerne pas que le P2P. Les offres de « carte cinéma », qui permettent aux cinéphiles, pour un prix forfaitaire, d’avoir accès de façon illimitée à toutes les séances d’une chaîne de cinéma, entraînent le même phénomène de zapping pour les films en salles.

1.2.4.3. Nouvelles formes de l’art paticipatif comme expérience

L’œuvre n'est plus dans l'objet mais dans les possibilités de l'objet, l'avoir a moins d'importance que le saisir. Il s’agit d’une culture de l’expérience. « L'œuvre d'art est dans l'événement toujours recommencé dont on ne peut conserver que des traces142. » Ainsi la

formule d’Antoine Moreau, qui fait écho à celle de McLuhan : « L’œuvre, c’est le

réseau »143. Yves Michaud décrit cette tendance comme une « vaporisation

esthétique144 », un « état gazeux145 » de l’art dans lequel il est question de plus en plus

d’achat d’expérience plutôt que d’objets. En outre, comme le montre le théoricien de l’art Edmond Couchot, dans son ouvrage sur L’art numérique, il existe une forte « volonté de fonder un nouveau paradigme artistique sur un autre régime spatial et temporel de l’œuvre d’art »146. Dans le « cyberespace147 », l’interactivité devient une dimension centrale de

l’usage des médias. L’espace du réseau fait naître un type de « liaison multimodale148 »

sans précédent entre les utilisateurs. Il s’agit d’un type de liaison de tous vers tous, qui diffère des médias de masse, qui fonctionnent sur un type de liaison un vers tous. Par ailleurs, la liaison est tout de suite car elle tend vers le temps réel, incline fortement vers des formes d’art participatives, collectives, collaboratives. L’environnement technoculturel émergeant suscite alors le développement d’une nouvelle espèce d’art qui ignore la séparation entre l’émission et la réception, la composition et l’interprétation. Il s’agit d’un

142 Ibid., p. 65.

143 Ibid., p. 72.

144 BOUSTEAU Fabrice, op. cit.

145 Une esthétisation diffuse et globale qu’il a décrite dans : MICHAUD Yves, L’art à l’état gazeux – Essai sur le triomphe de l’esthétique, Paris : éd. Stock, 2003.

146 Ibid., p. 64.

147 Pierre Lévy, dans son ouvrage L’intelligence collective – Pour une anthropologie du cyberespace, définit le cyberespace comme les modes originaux de création, de navigation dans la connaissance et de relation sociale que les nouveaux supports de l’information permettent.

Voir : LÉVY Pierre, L’intelligence collective – Pour une anthropologie du cyberespace, Paris : La Découverte, 1997, 240 p. 148 COUCHOT Edmond & HILLAIRE Norbert, L’art numérique – Comment la technologie vient au monde de l’art, Paris : Flammarion, 2003, p. 63.

événement collectif qui implique les destinataires d’une « œuvre ouverte »149.

Le numérique transporte le monde dans une nouvelle ère. Internet en constitue le cœur. Le réseau des réseaux bouleverse ainsi en seulement quelques années la société dans son ensemble. Dans le sillage du web 2.0, des sites communautaires et de partage des contenus, un nouvel écosystème de services émerge, qui inaugure l’ère du flux, en perpétuelle mutation, avec un pouvoir accru de l’utilisateur et une forte demande pour l’interaction. En parallèle, une nouvelle forme d’organisation sociale apparaît en ligne, issue de la contre-culture, apte à produire et échanger des biens, à créer de la valeur. La philosophie du logiciel libre, basée sur l’esprit hacker, promeut alors la notion de communauté coopérative de partage des connaissances au détriment de la notion de communauté compétitive de production. La gratuité et l’accessibilité accrues des œuvres dématérialisées encouragent une culture de l’expérience où l’utilisateur veut pouvoir accéder à tout, immédiatement et sans contraintes. Dans le sillage de Napster, le peer-to-peer se développe de façon fulgurante et apparaît massivement adopté pour procéder au téléchargement illégal de contenus. Pour les multinationales, c'est « un instrument diabolique qui a mis le piratage à la portée de tous »150. Pour d'autres, un nouveau moyen révolutionnaire d'accès à la culture et à

l’information.

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