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Des procès pour l’exemple à la frappe systématique

Mise en perspective de l’approche visant à lutter contre le tout-gratuit sur le net

DE LA REPONSE LEGISLATIVE

3.1. L’automatisation des sanctions ne doit pas être la seule priorité

3.1.1. Des procès pour l’exemple à la frappe systématique

Dans sa lutte contre le téléchargement illégal, l’industrie du contenu se lance dans une « guerre » pour combattre le piratage et protéger le droit d’auteur. Guerre que les gouvernements rejoignent, influencés par les lobbies, souligne Lawrence Lessig710.

3.1.1.1. Les procès des industries contre leurs clients s’avèrent coûteux et désastreux

L’éditeur du site ReadWriteWeb France, entrepreneur et consultant en stratégie Internet, Fabrice Epelboin parle de « guerre froide711 », de « guérilla »712. Ainsi, « le 8 septembre

2003, 261 plaintes ont […] été déposées aux Etats-Unis par la RIAA »713. S’en suivent

différentes actions similaires, comme « LE procès historique de la lutte contre le téléchargement de fichiers protégés par le droit d’auteur sur les réseaux P2P714 » de

Jammie Thomas, obligée en juin 2009 de s’acquitter d’une amende d’environ deux millions de dollars pour avoir partagé vingt-quatre morceaux de musique sur Kazaa ; quatre-vingt mille dollars par chanson. En France, le SNEP (Syndicat national de l'Edition phonographique) et la SCPP (Société civile des Producteurs phonographiques) annonçaient le 7 octobre 2004, que cinquante procédures judiciaires avaient été engagées contre des internautes dans le cadre d’une vaste opération paneuropéenne de lutte anti-piratage représentant plus de sept cent plaintes (vingt-huit au Royaume-Uni, cent soixante-quatorze au Danemark, cent en Allemagne, cent en Autriche, cinquante en France et sept en

709 LESSIG Lawrence, Code: Version 2.0, New York: Basic Books, 2006, p. 73.

710 « To fight "piracy", to protect "property", the content industry has launched a war. Lobbying and lots of campaign contributions have now brought the government into this war. »

Voir : LESSIG Lawrence, Free Culture – The Nature and Future of Creativity, op. cit., p. 183.

711 EPELBOIN Fabrice, « La riposte graduée selon Odebi », ReadWriteWeb France [en ligne], 26 août 2009 [consulté le 4 septembre 2009].

http://fr.readwriteweb.com/2009/08/26/analyse/riposte-graduee-selon-odebi-hadopi-2/

712 Ibid.

713 Le Forum des droits sur l’internet – Rapport d’activité année 2004, op. cit., p. 21.

714 GIRARDEAU Astrid, « 80 000 dollars par chanson partagée », Ecrans [en ligne], 19 juin 2009 [consulté le 24 juillet 2009].

Italie715).

Certes, les promoteurs de la méthode forte estiment que les actions légales menées aux Etats-Unis ont refroidi les ardeurs des pirates, avec une « timide mais réelle évolution des comportements716 », d’après Stéphane Bourdoiseau, président de l’Union des Producteurs

français indépendants (Upfi). Pourtant, comme le rappellent les auteurs de l’étude néerlandaise qui concluait à un impact positif du P2P sur l’économie de la culture717 :

« Aux Etats-Unis, par exemple, le nombre de téléchargeurs a baissé après les premiers procès retentissants contre les "pirates", mais après peu de temps, le "piratage" est revenu à un niveau similaire à celui qui existe en Europe, bien que les risques encourus là-bas soient bien plus élevés. […] Cela semblerait indiquer que s’attaquer à ses consommateurs pourrait être particulièrement contreproductif […]718. »

A mesure que la pratique du téléchargement illégal se généralise, les procédures coûteuses deviennent moins efficaces et les procès se révèlent désastreux pour les relations des industries culturelles avec leur public. Dès lors, « constatant la faible efficacité dissuasive des poursuites judiciaires à l’encontre des "pirates", les associations professionnelles de producteurs ont promu l’approche dite de la "riposte graduée" […]. Pour ses promoteurs, l’envoi d’avertissements, assorti d’une menace de "déconnexion", devrait suffire à convaincre une majorité de pirates de renoncer à leurs pratiques »719.

3.1.1.2. Changement de cap vers un échelonnement des sanctions

Les gouvernements, sollicités par les lobbies industriels, s’orientent vers une autre tactique. « Plutôt qu’une attaque massive contre les internautes téléchargeurs, […] et qui n’a eu pour seul effet que de détruire l’image de marque des majors à travers bon nombre de procès aussi retentissants que ridicules, on frapperait de façon plus légère mais plus systématique720. » Les actions légales se tournent alors vers la réponse graduée. Dans le

jargon militaire américain, la doctrine de la riposte graduée renvoie au besoin de « disposer de moyens pour mener des représailles douloureuses pour l'ennemi contre n'importe quelle

715 Voir : Le Forum des droits sur l’internet – Rapport d’activité année 2004, op. cit., p. 22.

716 SCHWARTZ Arnaud et al. « Le piratage sous le coup de la loi », La Croix [en ligne], 6 mars 2006 [consulté le 11 mars 2006].

http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2260960&rubId=5548 717 Voir : HUYGEN Annelies (project leader) et al., op. cit.

718 EPELBOIN Fabrice, « Impact positif du P2P : interview des auteurs de l’étude scientifique Néerlandaise », ReadWriteWeb France [en ligne], 18 mars 2009 [consulté le 5 avril 2010].

http://fr.readwriteweb.com/2009/03/18/a-la-une/impact-positif-p2p-interview-auteurs-etude-scientifique-neerlandaise/ 719 THIEULIN Benoît & RONAI Maurice, op. cit.

attaque »721. Le système prévoit un échelonnement des sanctions pour le téléchargement

illégal de contenu.

Pour Chris Anderson, les difficultés d’adaptation des industries du contenu peuvent se rapprocher de la théorie psychiatrique établie par Elisabeth Kübler-Ross concernant les étapes du deuil. Le nouveau paradigme numérique a ainsi provoqué une crise dans le fonctionnement des industries, un changement radical. En deuil, celles-ci sont alors passées par plusieurs phases : le déni, la colère, le marchandage, la dépression puis enfin, l’acceptation722. Ainsi, la RIAA annonce fin 2008 l’arrêt des plaintes déposées par milliers

depuis 2003 contre les utilisateurs de logiciels de P2P723.

3.1.1.3. La réponse graduée: un concept venu des Etats-Unis

Comme le rappellent Benoît Thieulin, président de l’agence La Netscouade, et Maurice Ronai, ingénieur de recherche à l'Ecole des hautes Etudes en Sciences sociales (EHESS), dans l’ouvrage collectif du think tank Terra Nova : « Nicolas Sarkozy n’a pas inventé le dispositif de la "riposte graduée". Son principe a germé, aux Etats Unis, chez les juristes des associations professionnelles de producteurs de musique et de films724. » En France, la

SCPP saisie les tribunaux de grande instance, qui ordonnent en décembre 2004 la coupure de l’accès à Internet d’une vingtaine d’abonnés ayant mis à disposition illégalement des fichiers sur les réseaux P2P725. Puis, l’industrie du disque envisage en 2005 d’automatiser

la recherche des utilisateurs. « "La SCPP a identifié des technologies permettant de mettre en œuvre des actions de prévention, notamment par l’envoi de messages d’avertissement aux internautes contrefacteurs", expliquent dans un communiqué les représentants des ayants droit726. »

En 2009, l’industrie cinématographique américaine semble attendre de la France des premiers pas officiels afin d’ouvrir la voie à des solutions graduées et efficaces ailleurs

720 EPELBOIN Fabrice, « La riposte graduée selon Odebi », art. cit.

721 « Riposte graduée », Wikipedia [en ligne] [consulté le 11 septembre 2009].

http://fr.wikipedia.org/wiki/Riposte_graduée

722 Voir : ANDERSON Chris, Free – The Futur of a Radical Price, op. cit., p. 106-112.

723 Voir : ROETTGERS Janko, « Why the End of the RIAA Lawsuits Won’t Change Anything », NewTeeVee [en ligne], 19 December 2008 [consulté le 5 mars 2009].

http://newteevee.com/2008/12/19/why-the-end-of-the-riaa-lawsuits-wont-change-anything/ 724 THIEULIN Benoît & RONAI Maurice, op. cit.

725 Voir : NUMÈS Éric, « Automatiser la chasse aux "P2Pistes" », Le Monde [en ligne], 11 janvier 2005 [consulté le 15 janvier 2005].

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_article/0,1-0@2-3238,36-393851,0.html

dans le monde727. Le Gouvernement français sera pionnier dans l’institutionnalisation de

la réponse graduée.

3.1.1.4. L’après DADVSI

Déjà proposé en 2006 lors du vote de la loi DADVSI, le système de réponse graduée avait laissé la place à des peines de prisons pour les téléchargements commis à l'aide de logiciels d'échange P2P. L’ARP et la SACD regrettent alors « l’abandon d’une réponse graduée au téléchargement illicite, remplacée, selon eux, par "une répression massive728" ».

Trois ans après, face à l’échec relatif de l’application de la loi DADVSI qui n’a pas réussi à endiguer le téléchargement illégal (les statistiques d’Eurostat montrent que 60 % des 16-24 ans ont téléchargé des contenus audiovisuels sur Internet en 2009 sans payer729), la

réponse graduée refait surface avec le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, dit « Création et Internet ». Issu des accords Olivennes de novembre 2007, le projet de loi est basé sur les travaux de la commission d’étude sur le téléchargement, présidée par Denis Olivennes, alors président-directeur général de la Fnac et auteur de l’ouvrage La gratuité c’est du vol paru aux éditions Grasset en 2007.

L’accord tripartite signé par l’Etat, les professionnels de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique et les FAI, prévoit alors la mise en place d’une autorité administrative chargée de superviser la lutte contre le téléchargement illégal, avec en contrepartie la fin des DRM sur les catalogues de la production musicale française, ainsi que l’alignement de la sortie des films en VoD sur celle des DVD.

Rebaptisé « HADOPI » du nom de l’autorité administrative en charge de la réponse graduée (Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet), le projet de loi entend instaurer une procédure en trois temps. Un message électronique est adressé à l’abonné ayant manqué à son obligation de veiller à ce que sa connexion ne soit pas utilisée à des fins de contrefaçon. En cas de réitération du comportement frauduleux, une deuxième recommandation sous forme de lettre recommandée est envoyée. Dernière étape en cas de réitération, une sanction est ordonnée,

727 Voir : GIRARDEAU Astrid, « La riposte graduée va-t-elle s’exporter ? », Ecrans [en ligne], 12 mai 2009 [consulté le 2 juin 2009].

http://www.ecrans.fr/La-riposte-graduee-va-t-elle-s,7191.html

728 « A la une : Droits d’auteurs : les opposants consternés par la censure constitutionnelle », ZDNet [en ligne], 28 juillet 2006 [consulté le 28 juillet 2006].

http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39362429,00.htm

sous la forme d’une suspension de l’abonnement pour une période de deux mois à un an730. Les ayants droit signalent les infractions à la HADOPI, qui décide des sanctions à

appliquer selon chaque cas, avec la coopération des FAI. « C’est la politique des radars automatiques sur la route appliquée au P2P731 » avec les fournisseurs d’accès à Internet

transformés en « gendarmes de la Toile »732.

Illustration 6

Le système de réponse graduée

Source : RONY Hervé, « De la loi HADOPI à la mission Zelnik », La Lettre, n° 37, Scam, février 2010, p. 5.

Comme l’écrivent Benoît Thieulin et Maurice Ronai :

Pour ses partisans, la suspension de l’abonnement Internet présentait de nombreux avantages : sa lisibilité (la déconnexion entretient un rapport direct avec les actes de téléchargement), son effectivité (privé de connexion, l’internaute ne peut plus procéder à des actes de téléchargement), sa simplicité (la suspension peut être mise en œuvre par le fournisseur d’accès, pour peu qu’il accepte de mettre en œuvre cette sanction sur simple demande des organisations représentatives des ayants droit, ou qu’il y soit contraint par une

730 Voir : Le Forum des droits sur l’internet – Rapport d’activité année 2008, op. cit., p. 115.

731 ALIX Christophe, « "Soit la création trouve les moyens de sa rémunération à l’ère des réseaux, soit elle meurt" », Libération [en ligne], 19 décembre 2005 [consulté le 20 décembre 2005].

http://www.liberation.fr/page.php?Article=345592

732 PHILIPPE Cécile, « HADOPI : méfions-nous des protections qui paralysent », La Tribune [en ligne], 8 septembre 2009 [consulté le 9 septembre 2009].

autorité administrative ou par un juge), son coût (inferieur à celui des poursuites judiciaires)733.

Cependant, avant même son entrée en application, la loi Création et Internet apparaît fortement critiquée pour son caractère excessivement répressif et ses difficultés techniques de mise en application.

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