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Le gratuit comme point de départ du modèle économique

Mise en perspective de l’approche visant à lutter contre le tout-gratuit sur le net

CREATION DE LA VALEUR

1.2. La gratuité n’est pas qu’une question de génération

1.2.2. Le gratuit comme point de départ du modèle économique

Dans son ouvrage Free, Chris Anderson dénonce l’abus du mot gratuit pour égarer le consommateur et dresse une distinction très nette entre les arnaques et la réelle gratuité.

ANDERSON Chris, Free – The Futur of a Radical Price, op. cit., p 56. 404 « […] gluttony, hoarding, thoughtless consumption, waste, guilt, and greed. » Ibid., p 67.

405 « […] lest it cause more harm than good. » Ibid.

406 SAGOT-DUVAUROUX Jean-Louis, art. cit.

407 « […] the pirate [is] a paying customer looking for a reason to come out. » ANDERSON Chris, Free – The Futur of a Radical Price, op. cit., p 72.

408 Colloque du Forum des droits sur Internet « Réponses aux défis du P2P » (2004, Paris), Le point de vue de l’économiste, FARCHY Joëlle, Table ronde n° 3 – Les modes de rémunération, Sénat [en ligne], 28 septembre 2004 [consulté le 4 décembre 2004].

http://www.defis-p2p.org/actes.phtml

409 BEINEIX Jean-Jacques, « On assiste à la [duplication] du monde », propos recueillis par FIEVET Cyril, Netizen, n° 10, février 2006, p. 41.

Comme le souligne Joëlle Farchy, « la gratuité en économie de marché n’existe pas ; elle correspond à des formes de financement indirectes »410. Cependant, à l’heure d’Internet,

comme l’écrit Alban Martin :

Si la gratuité des biens a toujours existé, dans une logique de don, d’échange ou encore de vente liée, elle prend une toute nouvelle envergure avec la dématérialisation des contenus : certains services deviennent intégralement gratuits, fixant un standard de prix pour un marché entier, composé d’acteurs ne provenant pas tous du monde d’Internet. Que le gratuit soit utilisé pour « vendre » un service, ou bien qu’il soit une composante d’un modèle économique plus large, ce seuil psychologique est aussi attractif qu’il peut être rémunérateur, pour peu qu’on en maîtrise les ressorts411

1.2.2.1. Modèles économiques du gratuit

Chris Anderson décrit plusieurs stratégies traditionnellement utilisées pour générer des revenus directs en proposant un bien ou un service gratuitement. Tout d’abord, le marché non monétaire, analysé dans la sous-section précédente, permet à l’économie du don de prospérer autour du gratuit. Ensuite, le « financement croisé direct412 » (direct cross- subsidies) permet d’offrir quelque chose pour vendre autre chose, comme lorsque les

opérateurs de téléphonie mobile offrent le téléphone pour ensuite vendre un abonnement.

Puis, apparaît le « three-party market413 », un marché composé de trois acteurs.

Typiquement, il s’agit du modèle des médias financés par la publicité avec par exemple du placement de produits dans les films, des annonces publicitaires au début d’une vidéo sur Dailymotion, ou encore des bandeaux publicitaires sur un site de VoD. Cependant, les annonceurs ne sont pas forcément les seuls à payer pour le contenu. « Les industries des médias gagnent de l’argent grâce au contenu gratuit d’une douzaine de façons différentes, de la vente d’informations sur les consommateurs à celle de licences de marque, d’abonnements "enrichis", en passant par le commerce en ligne direct […]. Désormais, tout un écosystème de compagnies sur Internet est en train de se développer autour de ce type

410 Colloque du Forum des droits sur Internet « Réponses aux défis du P2P » (2004, Paris), Le point de vue de l’économiste, op. cit.

411 MARTIN Alban, op. cit., p. 127.

412 ANDERSON Chris, Free – The Futur of a Radical Price, op. cit., p 23.

de modèles414. »

La gratuité demeure ainsi « le meilleur moyen d’atteindre un marché le plus large possible et d’arriver à une adoption de masse »415. Cette « stratégie de maximisation416 » (max strategy) élimine les barrières à l’entrée et réduit les risques d’insatisfaction clients. Rien

de nouveau.

1.2.2.2. Le gratuit pour attirer des audiences monétisables

A l’ère de l’abondance numérique, le coût marginal de distribution d’un contenu est nul. « Ce modèle publicitaire s’est imposé sur Internet. Il a été adopté avec succès [par] des poids lourds comme Google ou Yahoo!. Il s’agit, en offrant des services gratuits aux internautes (courriel, partage de vidéos, moteur de recherche), de générer des audiences propres à attirer les annonceurs417. » Ainsi, comme l’analyse Alban Martin, le gratuit

optimise la dissémination des contenus et peut être fortement rémunérateur s’il est utilisé comme prix et produit d’appel afin d’atteindre plus rapidement son public. « Il est indéniable que l’impact psychologique de la gratuité en tant que signal, est de loin le véhicule publicitaire le plus fort418. »

De cette façon, à l’instar de la bande annonce, mettre en ligne gratuitement les premières minutes ou la totalité d’un film, peut se révéler être un excellent outil de marketing viral pour les studios de cinéma. « L’enjeu est de trouver le bon format à donner au contenu d’appel, afin de ne pas cannibaliser les ventes de l’œuvre sous d’autres formes ou formats. » C’est dans ce sens qu’UbicMedia a par exemple développé sa technologie PUMit qui permet aux ayants droits de bénéficier du marketing viral à moindre coût en utilisant la diffusion multisupports de leurs films, sur Internet (sites web, envoi de fichiers par e-mails, réseaux sociaux et P2P) et sur support physique (DVD, clé USB, carte mémoire).

PUMit sépare le fichier en deux parties. D'un côté, un « fichier nomade »

414 « Media companies make money around free content in a dozen of ways, from selling information about consumers to brand licensing, "value-added" subscriptions, and direct e-commerce […]. Now an entire ecosystem of Web companies is growing up around the same set of models. »

Ibid., p 25.

415 « […] the best way to reach the biggest possible market and achieve mass adoption. » Ibid., p 123.

416 Ibid.

417 DUCOURTIEUX Cécile, « Aux Etats-Unis, Ubisoft teste la distribution de jeux gratuits », Le Figaro, 12 septembre 2007, p. 10.

MPEG-4419 contenant 95 à 99 % du contenu librement copiable et rediffusable. De l'autre, un flux de contrôle envoyé par le serveur PUMit à très faible débit, qui va reconstituer le contenu original. L'ayant droit définit les conditions de diffusion, la zone géographique, les prix. Il peut ensuite à tout moment modifier ces conditions directement sur le site420.

Baisser le prix au minimum, quitte à le proposer gratuitement, permet d’éliminer tout frein au visionnage du contenu et d’élargir au maximum la cible potentielle. Comme le remarque Alban Martin, « tant que l’objectivation d’un talent […] n’a pas eu lieu, il vaut mieux réduire au maximum les barrières à la découverte du contenu, notamment via de premières prises gratuites »421.

1.2.2.3. Développer le rebond vers le payant

Une fois l’attention ou l’intérêt suscité, il est alors essentiel de développer le rebond du gratuit vers le payant à travers les économies de compléments, de produits ou services qui tendent à être consommés ensembles, comme un film en salles et un pot de pop-corn, ou bien l’équipement en home cinema et l’achat de DVD. Ce type de stratégies permet ainsi aux acteurs du web de prospérer avec le gratuit. Google est un exemple édifiant : « Plus il y a de gens qui utilisent Internet, mieux c’est pour le cœur de métier de Google. Donc si Google peut se servir du gratuit pour encourager les gens à passer plus de temps en ligne, cela lui fera gagner plus d’argent au final422. » Pour les industries du contenu, cela se

traduit par du merchandising, des objets dérivés ou complémentaires.

1.2.2.4. Encourager l’adoption la plus large possible des services

En outre, dans l’univers numérique, proposer un service plus simple et moins cher permet de se positionner rapidement comme leader sur un marché souvent dominé par les effets de réseaux et les technologies de verrouillage, où les gagnants raflent tout le marché (« winner-take-all markets423 »). L’exemple des réseaux sociaux est éclairant en ce sens.

Comme l’écrit Alban Martin :

419 Voir : Index.

420 BOUDET-DALBIN Sophie, « La distribution des films par Internet avance », Intermedia [en ligne], 21 janvier 2008 [consulté le 21 janvier 2008].

http://intermedia.homo-numericus.net/archives/7 421 MARTIN Alban, op. cit., p. 141.

422 « The more people use the Internet, the better it is for Google’s core business. So if Google can use Free to encourage people to spend time online, it will make more money in the end. »

ANDERSON Chris, Free – The Futur of a Radical Price, op. cit., p 125.

La simplicité et la gratuité ont permis à MySpace de se répandre comme une vraie innovation dans la population cible. Puis l’énorme audience amassée par l’attrait du service a permis de le rendre viable via la publicité. Ce succès du gratuit comme moyen de cumuler une large audience monnayable est bien reproductible, comme le montre la croissance phénoménale de Twitter dans l’information, ou de YouTube dans la vidéo424.

Tandis que certains systèmes s’imposent d’eux-mêmes, par leur simplicité et leur prix imbattable, d’autres poussent les utilisateurs désireux d’échanger entre eux à utiliser le même système. Et une fois la position de leader et les comportements établis, il est toujours temps de trouver un modèle de monétisation. La réduction des coûts à l’ère du numérique abaisse fortement les barrières à l’entrée, autant pour les consommateurs que pour les acteurs économiques. Cependant, alors que le fait de baser son modèle économique sur le gratuit demeure à la portée de tous, bien souvent, seul le groupe numéro un peut arriver à en tirer des bénéfices. Or, comme l’écrit Chris Anderson : « Si le gratuit à l’ère du numérique démonétise les industries avant que de nouveaux modèles économiques puissent les monétiser à nouveau, alors tout le monde perd425. » Il apparaît donc essentiel

pour les fournisseurs de contenus et de services sur Internet, que les industries du contenu continuent à produire. Ainsi, le moteur de recherche Google acquière toute sa valeur dès lors que des informations et des contenus sont produits – par d’autres – et disponibles pour être classées.

Par ailleurs, pour Chris Anderson, le problème du « passager clandestin426 » (free rider)

n’existe pratiquement plus à l’ère du numérique. Cette forme de gratuité imposée peut même être parfaitement tolérée dans la perspective de maximiser l’audience. Florent Latrive prend pour exemple les déclarations de Bill Gates qui affirmait « à propos des nombreuses copies sauvages de ses logiciels par les Chinois : "Tant qu’ils volent des logiciels, nous préférons que ce soient les nôtres. Ils deviendront en quelque sorte dépendants et nous trouverons bien un moyen de les faire payer durant la prochaine décennie" »427.

424 MARTIN Alban, op. cit., p. 153.

425 « If digital Free de-monetizes industries before new business models can re-monetize them, then everyone loses. » ANDERSON Chris, Free – The Futur of a Radical Price, op. cit., p 132.

426 Ibid., p 178.

Pour les entreprises du net, la gratuité n’apparaît plus comme une étape intermédiaire vers un modèle économique mais plutôt comme le point de départ des modèles économiques, le cœur de leur philosophie dans le développement de nouveaux produits et services. L’industrie du cinéma, qui a toujours su s’adapter aux évolutions technologiques, doit prendre la mesure des nouvelles stratégies autour de la gratuité afin de faire évoluer ses modèles économiques et s’adresser à cette « génération du gratuit428 » (generation free).

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