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Les médias sociaux : enjeux du contrôle de l’attention

comportements de consommation

1.2. Tendances constitutives de la génération connectée

1.2.2. Les médias sociaux : enjeux du contrôle de l’attention

Suite à l’éclatement de la bulle au début du millénaire79, Tim O’Reilly, auteur et éditeur

d’ouvrages et articles considérés comme des références par la communauté du World Wide

Web, invente en 2004 le terme « web 2.080 », qui décrit une nouvelle version d'Internet.

L’expression est en partie marketing mais les évolutions socioculturelles et économiques sont indéniables. Ainsi, « tributaire de certaines technologies, le web 2.0 est […] avant tout un changement de paradigme : les usagers deviennent les premiers responsables du contenu et Internet remplace l’ordinateur personnel comme plateforme »81.

1.2.2.1. A l’ère du web 2.0, la communication est le maître-mot

Quelques années plus tard, un nouvel âge du web est à nouveau annoncé, celui du flux. Nova Spivack, le premier à avoir mis en mots ce changement, décrit ainsi qu’Internet a connu trois phases d’évolutions distinctes. Dans les années quatre-vingt-dix, l’avènement du protocole HTTP82 et du langage HTML83 célèbrent la naissance du web et le

développement des sites Internet (web 1.0). Début 2000, l’intérêt se déplace vers les réseaux sociaux et le web sémantique (web 2.0). Désormais, au commencement de la troisième décennie, l’attention se focalise sur les flux (web 3.0)84.

La communication est le maître-mot du web 2.0. Les réseaux sociaux (MySpace, Facebook) et les blogs permettent à l’internaute d’exprimer ses préférences, de créer son

78 Voir : Communiqué de presse : « Internet : pratique ou ludique ? Portraits croisés des - de 25 ans et des + de 50 ans », Médiamétrie [en ligne], 5 mai 2011 [consulté le 27 mai 2011].

http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/internet-pratique-ou-ludique-portraits-croises-des-de-25-ans-et-des-de-50- ans.php?id=449

79 De 2000 à 2001, 4 300 sociétés cotées à la bourse NASDAQ ont subi des pertes de 148 milliards de dollars, entraînant des milliers de faillites et la disparition d’au moins 500 000 emplois.

80 Pour une histoire détaillée de l’invention du terme web 2.0, voir : « Web 2.0 », Wikipedia [en ligne] [consulté le 9 novembre 2008].

http://en.wikipedia.org/wiki/Web_2.0

81 BEAUDIN-LECOURS Martin, « Le web 2.0 », Clic [en ligne], n° 66, janvier 2008 [consulté le 8 novembre 2008].

http://clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=2071 82 Voir : Index.

83 Voir : Index.

84 SPIVACK Nova, « Bienvenue dans le Flux : un nouvel âge pour le web », Traduit de l’anglais par CLAYSSEN Virginie, Blog teXtes [en ligne], 22 mai 209 [consulté le 10 mars 2010].

profil, de poster des commentaires, de voter, de mettre à disposition des fichiers, de maintenir des « liens faibles85 » et d’interagir avec des communautés de pairs. La

catégorisation par tags86 et les fils de syndication RSS ou Atom87 sont autant de

techniques qui font d’Internet un espace convivial. Les téléphones portables reliés à Internet et l’apparition de services de microblogging comme Twitter88, permettent à

l’utilisateur de rester en contact avec sa communauté en temps réel, même en situation de mobilité, de s’échanger des flux d’idées, de réflexions, de conversations89. Manuel

Castells souligne que l’« on assiste, en fait, à une véritable privatisation de la sociabilité »90.

1.2.2.2. Importance des outils de traitement de l’information dans un monde de flux

« Pour gérer ces flux et pour nous aider à comprendre, rechercher, et suivre les tendances qui se propagent à travers eux91 », un nouvel écosystème de services émerge, qui inaugure

l’ère du flux : « des éditeurs de flux, des outils de syndication de flux, des flux en temps réel, des moteurs de recherche, des moteurs d’analyse et de statistique de flux, des réseaux de publicité dédiés aux flux, et des portails de flux »92. Nova Spivack décrit trois

caractéristiques fondamentales de cette ère. Alors que les sites web peuvent être statiques de part leur fonction de présentation de l’information, les flux se caractérisent, quant à eux, par le changement permanent. Ensuite, le fournisseur de contenu perd le contrôle de l’interface au profit de l’utilisateur. Enfin, la conversation règne et prend le pas sur le lien.

1.2.2.3. Nouveaux usages de l’Internet participatif avec l’UGC

Avec le User Generated Content (UGC93), « de simple consommateur, l’internaute est

85 Voir : CASTELLS Manuel, La galaxie Internet, Paris : éd. Fayard, 2002. 86 Voir : Index.

87 Voir : Index.

88 Twitter a débuté en mars 2006 à San Francisco comme projet de recherche et développement au sein de la start-up Odeo Inc., ancien répartiteur au numéro centralisé des urgences. Twitter est un service de microblogging qui permet aux utilisateurs de bloguer grâce à des messages ultra courts (une à deux phrases). Contrairement à un blog traditionnel, Twitter n'appelle pas directement une participation à commenter les messages postés. Le principe est de relater ce qu'on fait au moment où l’on écrit le message.

89 Voir : STONE Brad, « Social Networking Leaves Confines of the Computer », New York Times [en ligne], 29 April 2007 [consulté le 25 mai 2008].

http://www.nytimes.com/2007/04 /30/technology/30social.html 90 CASTELLS Manuel, La galaxie Internet, op. cit., p. 161. 91 SPIVACK Nova, op. cit.

92 Ibid.

93 L’UGC est un contenu rendu public sur Internet, qui reflète une certaine somme d’effort créatif et qui est créé en dehors des circuits et pratiques professionnelles.

passé au statut de contributeur »94. Le web se démocratise. Il faut cependant noter que

même si les internautes peuvent créer et publier leurs propres productions sur Internet, cela n’implique pas qu’ils participent forcément à produire du contenu généré par les utilisateurs. Ainsi, seulement 1 % des visiteurs de sites proposant de l’UGC créent et publient du contenu. Les 99 % restants ne sont que des visiteurs passifs95. Ce qu’il y a de

nouveau avec Internet c’est que « l’appropriation de l’œuvre par son destinataire peut aller plus loin, plus vite »96.

Le public dispose d’outils pour explorer, extraire, modifier, détourner, recombiner, copier et rediffuser l’œuvre qui lui est soumise. Ce qu’il faisait dans son cerveau, parfois sur des années, il peut désormais le concrétiser à l’aide d’un ordinateur. En mettant à disposition des outils simples et rapides, des sites comme YouTube ou Dailymotion généralisent ainsi la « culture du détournement ». Il ne s'agit plus de réaffirmer la crédibilité de l'œuvre originale mais d'illustrer sa propre démarche. L'intention n'est plus la contemplation passive, c'est un appel ouvert à la participation. Certaines critiques, comme Andrew Keen, blogueur britannique, dénonce alors l’utopie de l’Internet participatif et la culture de l’amateurisme élevée en idéologie :

Les sociétés du web 2.0, les YouTube, Google ou autre Facebook, n’utilisent le contenu généré par les internautes que pour augmenter leurs bénéfices. Tout le monde s’exprime certes, mais "narcissiquement", et la culture est de qualité de plus en plus médiocre. […] Le web 2.0 est en train de tuer notre culture, prendre d’assaut notre économie et détruire nos codes de conduite. Tout ça à cause de cette fois utopique dans l’information technologique.97

Les pratiques à l’œuvre sur le réseau s’inscrivent ainsi dans une logique culturelle dite « expressiviste », qui renvoie au processus de dé-traditionnalisation. De ce fait, « le mode de reproduction de la vie sociale ne mobilise plus de façon naturelle, irréfléchie et

Voir : VICKERY Graham & WUNSH-VINCENT Sacha, Participative Web and User-created Content – Web 2.0, wikis and social Networking, OECD [en ligne], 2007 [consulté le 9 décembre 2007].

http://213.253.134.43/oecd/pdfs/browseit/9307031E.PDF

94 ZILBERTIN Olivier, « Web 2.0 Le Net, deuxième génération », Le Monde [en ligne], 22 novembre 2006 [consulté le 23 novembre 2006].

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-651865,50-837305,0.html

95 Voir : TANCER Bill, « Who’s Really Participating in Web 2.0 », Time [en ligne], 25 April 2007 [consulté le 4 mars 2007].

http://www.time.com/time/business/article/0,8599,1614751,00.html 96 STONE Brad, op. cit.

97 ROUSSEL Frédérique, « "Je suis contre cette culture de l’amateurisme" », Ecrans [en ligne], 22 août 2007 [consulté le 23 août 2007].

inquestionnée la religion ou la tradition. Dans ce cadre, l’identité personnelle devient le résultat d’un projet réflexif. D’où la notion avancée par Giddens de "l’individualisation réflexive" »98. Foucault souligne dans Le souci de soi que la « culture de soi » apparaît

depuis le dix-huitième siècle comme « une nouvelle stylistique de l’existence »99. Comme

le souligne la sociologue Laurence Allard, la « self culture » actuelle fabrique des formes culturelles par le biais du détournement et de la réappropriation personnalisée à des fins d’expression de soi. Cet « individualisme expressif100 » participe au désagrégement du

régime industriel de la production et diffusion de masse des biens symboliques, pour former la « post-culture de masse »101.

Dans un monde de flux, « le pouvoir désormais consiste à être capable de retenir l’attention, d’influencer l’attention des autres et de transformer l’information en trafic »102.

L’attention se focalise sur le présent immédiat. Sur Facebook par exemple, « nous pouvons voir les nouveaux billets publiés au fur et à mesure qu’ils apparaissent, et les conversations émerger autour d’eux, en direct, tant que nous y prêtons attention. […] Toute chose qui a été postée avant […] est "hors de vue, hors de l’esprit" »103. L’attention est toujours plus

réduite, la célébrité instantanée, les tendances subites et volatiles. « C’est […] un monde de conversations et de pensées à très court terme104. » Pour le philosophe Yves Michaud :

« On passe d’une perception attentive, relativement linéaire et relativement lente encore, à une perception de plus en plus rapide, hachée, scandée, inattentive, mais mobilisant des dimensions perceptives que l’on ne mobilisait pas jusqu’ici105. » Ne pouvant être attentifs

qu’à peu de choses en même temps, « les consommateurs ont besoin d’outils qui leur permettent de prendre ce dont ils ont besoin et rester à la périphérie, sans se sentir submergés »106. De plus, des innovations technologiques sont nécessaires pour donner aux

98 ALLARD Laurence, « Express yourself 2.0 ! Blogs, podcasts, fansubbing, mashups… : de quelques agrégats technoculturels à l’âge de l’expressivisme généralisé », Freescape [en ligne], Biblio du Libre, 27 décembre 2005 [consulté le 6 mai 2007].

http://www.freescape.eu.org/biblio/article.php3?id_article=233

99 Ibid.

100 Ibid.

101 Ibid.

102 GUILLAUD Hubert, « Danah Boyd : Ce qu’implique de vivre dans un monde de flux », op. cit. 103 SPIVACK Nova, op. cit.

104 Ibid.

105 BOUSTEAU Fabrice, « L’ère de l’art multisensoriel », entretien avec MICHAUD Yves, Beaux Arts Magazine, n° 309, mars 2010, p. 65.

internautes la possibilité de « contextualiser plus facilement du contenu pertinent […], d’entrer dans le flux, de vivre dans des structures d’information d’où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent »107. La culture participative du « monde du Libre » est également

constitutive de la génération connectée.

1.2.3. Le « monde du Libre » : consommer pour comprendre et produire

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