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Dématérialisation des contenus : l’accès se substitue à la propriété En rompant l’attachement de l’œuvre à son support, la révolution numérique

comportements de consommation

PRODUCTION ET DISTRIBUTION

2.1. Internet, super-média ou super-tuyau ?

2.1.1. Dématérialisation des contenus : l’accès se substitue à la propriété En rompant l’attachement de l’œuvre à son support, la révolution numérique

bouleverse le monde de l’édition et l’accès au savoir. Le lien contenu/contenant est rompu. L’information devient un bien économique autonome. La numérisation permet ainsi la circulation et la reproduction des œuvres en dehors des structures du marché. De plus, Internet donne potentiellement à chaque producteur de contenus une audience mondiale et immédiate. Films, morceaux de musique, articles, ouvrages, jeux vidéo peuvent être disséminés à l’infini sur la Toile, sans perte de valeur et à

moindre coût. Parallèlement, la nature décentralisée d’Internet a permis

l’apparition de systèmes d’échange de pair-à-pair. Les internautes s’échangent

181 CASTELLS Manuel, La galaxie Internet, op. cit., p. 10-11.

illégalement tous types de fichiers. L’ampleur de ce phénomène oblige dès lors les industries culturelles à revoir leurs stratégies pour la distribution de contenus par Internet.

Force est de constater que les modèles économiques classiques sont bouleversés par cette libération de l’information. Les TIC nous font passer d’une ancienne économie, dans laquelle les coûts fixes de création et d’édition sont faibles relativement aux coûts variables de reproduction et diffusion, à une nouvelle économie, dans laquelle ce rapport de coûts est totalement inversé. Alors que l’ère industrielle se caractérisait par l’accumulation de capital et de patrimoine matériels, la net économie privilégie désormais les formes de pouvoir immatériel constituées par des faisceaux d’informations et de connaissances183. Les réseaux prennent la place des marchés et la

notion d’accès se substitue alors à celle de propriété. Cependant, comme le souligne l’économiste Jeremy Rifkin : « Cela ne veut pas dire que l'âge de l'accès est celui de la disparition pure et simple de la propriété. Bien au contraire, celle-ci reste une réalité centrale de l'activité économique, mais elle est de moins en moins l'objet d'un échange sur un marché184. »

Durant l’ère industrielle, l’important était de vendre des produits. Le service gratuit au consommateur, représenté par la garantie attachée à ces produits, n’était qu’un argument de vente supplémentaire. Aujourd’hui, cette relation est totalement inversée. Les entreprises offrent leurs produits aux consommateurs dans l’espoir de les fidéliser à long terme par la fourniture de toute sorte de services185. Car, comme le souligne Andrée Muller, consultante en usage et appropriation des technologies de l’information, dans son ouvrage sur La net économie : « Un produit numérique ne se détruit pas avec sa consommation. Au contraire, plus il sera utilisé, plus il sera

utile »186. De nouveaux modèles économiques, basés sur des logiques d’usage,

émergent. L’abonné remplace le client. L’audience devient la richesse des entreprises. La logique d’usage, qui sous-tend la société de l’information, entraîne l’association de plus en plus systématique d’un service à un produit.

Pour fidéliser le client, « il faut l’amadouer et l’attacher »187. Ainsi, les

industriels fabriquent des produits ou offrent des services de plus en plus

183 Voir : RIFKIN Jeremy, op. cit., p. 44.

184 Ibid., p. 10-11.

185 Voir : MULLER Andrée, La net économie, 2e éd., Paris : éd. Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je, 2001., p. 12.

personnalisés, « faisant de la production à la demande l’un des fondements de la net économie »188. Internet met d’ailleurs en avant le principe contradictoire du « sur mesure de masse ». Pour tout producteur ou distributeur de contenu, il est indispensable de s’interroger sur ce qu’il peut inclure dans son offre qui « oblige » ses clients et donc les fidélise. Car, comme le soulignent Philippe Chantepie et Alain Le Diberder dans leur ouvrage sur la révolution numérique et les industries culturelles, « l’enjeu principal est d’abord celui de contrôler le porte-monnaie, la facture du client »189. Un « paradigme paradoxal190 » voit alors le jour, avec d’un côté

une technologie qui autorise et de l’autre des stratégies de verrouillage, de péages et de clubs qui interdisent.

Par ailleurs, la numérisation, en permettant la « virtualisation de l’information191 »,

conduit non seulement à une mutation des conditions de production, conservation, traitement et transmission des contenus, mais potentiellement aussi à un renouvellement assez profond des produits eux-mêmes. Les avantages de la distribution numérique des œuvres sont indéniables, mais ne suffisent pas à déterminer les stratégies des entreprises qui ont à tenir compte de multiples facteurs : habitudes des consommateurs, gestion des droits, rentabilisation des circuits de distribution existants, incertitudes technologiques, et surtout « hésitations à s’engager de façon massive dans la proposition de nouveaux produits »192. Car il convient de faire la distinction entre commerce électronique de produits existants et promotion de nouveaux produits. De même que les nouveaux contenus culturels ne sont pas nécessairement appelés à prendre la place de ceux que nous connaissons, on ne doit pas imaginer qu’une expansion des consommations nouvelles va procéder d’une croissance pure et simple des produits existants. C’est donc moins à un accroissement quantitatif des marchés existants qu’il faut s’attendre, qu’à leur élargissement. D’ailleurs, l’économie de l’immatériel se caractérise par un principe d’optimisation, qui rompt avec la logique de substitution des modes de production précédents.

187 Ibid., p. 81.

188 MULLER Andrée, op. cit., p. 8.

189 CHANTEPIE Philippe & LE DIBERDER Alain, op. cit., p. 20.

190 CHANTEPIE Philippe & LE DIBERDER Alain, Révolution numérique et industries culturelles, Paris : La Découverte, coll. Repères, 2005, p. 20p.

191 MIEGE Bernard, Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, Grenoble : éd. Presses Universitaires de Grenoble, janvier 2000, p. 80.

Ainsi, comme l’explique Andrée Muller dans son ouvrage sur La net économie, « vente traditionnelle et e-commerce se renforcent mutuellement, […] les niches et le marché de masse ne sont pas incompatibles, les grands groupes et les très petites entreprises […] se partagent la scène internationale »193. Au final, il est impératif pour l’industrie de prendre la mesure du nouveau média Internet pour lui-même et par rapport aux autres médias, afin de proposer des offres de distribution numériques adaptées et innovantes.

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