• Aucun résultat trouvé

Paragraphe 1. Le renforcement de l’arsenal juridique et institutionnel

C- La spécialisation des autorités judiciaires en charge du terrorisme

Aussitôt après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis se sont engagés, bientôt suivis par d'autres États comme le Royaume-Uni, dans une « guerre » contre le terrorisme dans laquelle la fin a souvent justifié les moyens. Ainsi, par le « Patriot Act (26 octobre 2001) » et le « Military Order (13 novembre 2001) », les citoyens non américains soupçonnés de terrorisme peuvent être détenus sans condition de durée, puis jugés par des juridictions spéciales. De même, les États-Unis ont réorganisé leurs administrations fédérales et institué un Département de la sécurité intérieure, qui regroupe notamment les services de l'immigration, des douanes et des gardes-côtes. Bien que le « Patriot Act » ait subi plusieurs revers judiciaires en raison de son inconstitutionnalité, notamment par un arrêt du 28 juin 2004 de la Cour suprême, il a été maintenu jusqu'au début de l'année 2006 après une âpre bataille politique entre le Sénat et la Chambre des représentants.

À l’opposé, la France a toujours maintenu dans sa lutte contre le terrorisme une approche de « droit commun » sur le plan répressif. En effet, depuis les lois de 1982 et 1986, l’activité judiciaire a été placée au cœur du dispositif national spécialisé dans la lutte contre le terrorisme. Le Gouvernement a souhaité, d’une part, renforcer les capacités de recours aux techniques de renseignement et adopter un cadre juridique complet et, d’autre part, rendre plus efficace l’action de police administrative. Ces deux faces de l’action publique sont complémentaires sans être placées sur le même plan. Face à la

86

prééminence de l’action judiciaire, la police administrative présente un caractère subsidiaire et s’efface dès que la justice est saisie ou se saisit.

Grâce à ce socle législatif, la France dispose de capacités judiciaires de prévention et de répression du terrorisme très développées. Plusieurs caractéristiques essentielles contribuent à l’efficacité du dispositif français : l’existence d’une juridiction antiterroriste centralisée à Paris, l’incrimination d’association de malfaiteurs à caractère terroriste, la spécialisation des services de police judiciaires habituellement saisis, la double compétence de police judiciaire et de police administrative de la Direction générale de la sécurité intérieure.

En effet, à titre de rappel, tous les actes de terrorisme commis sur l’ensemble du territoire français, ou accomplis à l’étranger lorsque la loi pénale française est applicable, relèvent de la compétence de magistrats spécialisés, basés à Paris, en l’occurrence le Tribunal correctionnel et la Cour d’assises163

, composée exclusivement de magistrats professionnels, sans participation de jurés populaires164. En ce qui concerne les mineurs, le procureur de la République antiterroriste, le juge d'instruction, le juge des enfants, le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des dispositions de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante165.

Néanmoins, la compétence du juge administratif n’est pas totalement écartée en la matière. Au contraire, le rôle de ce juge s’est accru depuis l’adoption de la loi n° 2017- 1510 du 30 octobre 2017, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui a fait entrer l’état d’urgence dans le droit commun166

. Ses pouvoirs ont déjà accru dans le cadre du dispositif de l'état d'urgence qui vise à prévenir les actes terroristes. Il s'inscrit donc dans une logique préventive qui appelle des actions de police administrative. C'est pourquoi c'est le juge administratif qui est chargé de la supervision et du contrôle de ces mesures décidées par le ministère de l'Intérieur et les préfets. L'intervention du juge judiciaire n'est pas complètement écartée, il peut être sollicité lorsque des poursuites pénales sont engagées. Le rôle du juge administratif en la matière

163 Cf. les art. 706-16 et 706-17 du CPP. 164 Cf. l’art. 698-6 du CP. 165 Cf. l’art. 706-17, al. 2 du CPP. 166

87

a été beaucoup discuté167, compte tenu des intérêts en jeu. Il faut reconnaître que l’État français cultive une certaine défiance pour le juge judiciaire, lui préférant le juge administratif qui n'offre pas les mêmes garanties d'indépendance et d'impartialité168.

Outre les magistrats du siège, une spécialisation a été adoptée au sujet des magistrats du parquet par la création du Parquet national antiterroriste (PNAT). Brièvement ce dernier est créé par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice169. Ce nouveau parquet, localisé à Paris et entré en vigueur le 1er juillet 2019170, exerce le ministère public des affaires terroristes. Sa création répond à une exigence de spécialisation, de maîtrise de la complexité des techniques d'enquête utilisées, de la connaissance du contexte géopolitique, des mécanismes de coopération et d'entraide pénale internationale mis en œuvre quotidiennement.

Le procureur de la République antiterroriste, est placé auprès du tribunal de grande instance de Paris, et est installé géographiquement au Tribunal de Paris. De façon générale, en matière de lutte contre le terrorisme et de crimes contre l’humanité, le Parquet national antiterroriste exerce une compétence partagée avec celle des parquets locaux. Cependant, s’agissant des infractions les plus graves, il dispose d’une compétence spécifique. Dans ce cas, les parquets locaux n’ont pas vocation à engager ou à conduire des enquêtes. En pratique, les procureurs de la République locaux, lorsqu'ils sont avisés de la commission d’un acte potentiellement terroriste sur leur ressort, prennent attache avec le Parquet national antiterroriste afin que celui-ci apprécie s’il entend exercer sa compétence partagée. Le dispositif est le même en ce qui concerne les faits de crimes contre l’humanité.

Outline

Documents relatifs