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Paragraphe 1. Concours des qualifications et crimes contre l'humanité

B- La pertinence de qualifier le terrorisme de crime contre l’humanité

Le fait de qualifier l’infraction terroriste de crime contre l’humanité va permettre de le soumettre à la loi en vigueur pour punir ce genre d’acte. Dans cette hypothèse, les règles appliquées font partie de la loi pénale interne. Cependant, le terrorisme peut être soumis à la loi pénale internationale s’il contient les éléments du crime international d’après les critères du Tribunal International spécialisé en la matière.

Il convient de faire remarquer que qualifier le terrorisme de crime international permet de juger les criminels devant des instances internationales, alors que leur comparution devant des tribunaux nationaux se fait dans le cas où ils commettent des infractions à l’intérieur de leur pays, même si les actes ont l’aspect de crimes internationaux. La loi nationale pourrait être retenue en application des règles internes ou en application des règles internationales auxquelles le pays a adhéré. Ces dernières permettent à un pays de poursuivre un criminel, même en dehors de ses frontières, quelles que soient les nationalités des criminels ou des victimes90.

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Cf. Cons. const., n° 86-213 DC du 3 septembre 1986, loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'État [Non-conformité partielle], JORF du 5 septembre 1986, p. 10786.

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Cf. T. F. SEROUR, La compétence universelle en matière pénale, Le Caire, Maison d’Edition Araba Annahdha, 2006, p. 23.

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En l’absence d’un tribunal international spécialisé dans le jugement des terroristes en tant que criminels internationaux, l’acte terroriste est maintenant du ressort du Tribunal Pénal International qui le soumet à des catégories juridiques autres que le terrorisme, tels les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou les crimes d’épuration ethnique. Ceci nous amène à nous interroger à quel point le crime qui répond aux descriptions de crime international peut-il être considéré comme crime de guerre ou crime contre l’humanité ?

La lutte contre le terrorisme ne se limite pas aux textes des conventions internationales. Certains actes terroristes relèvent du droit international humanitaire dans son sens le plus large, qui regroupe les crimes de guerre et les crimes d’agression contre l’humanité. Dans ces cas, l’acte terroriste peut être jugé par des tribunaux internationaux sans que cela n’altère la souveraineté des tribunaux nationaux. L’infraction terroriste, telle qu’elle a été mentionnée par les conventions internationales, était un projet du Tribunal Pénal International, et de nombreux efforts ont été fournis pour le faire réussir. Mais, tous voués à l’échec en raison de l’absence d’une définition consensuelle du terrorisme et de l’incapacité de l’ONU à parvenir à l’adoption de cette définition.

Afin d’éviter l’apparition d’autres types de crimes internationaux, la Russie a proposé de classer le terrorisme parmi les crimes contre l’humanité au lieu de le considérer comme un crime à part. Mais, l’obstacle qui a empêché l’application de cette proposition est que le crime contre l’humanité signifie l’attaque organisée et à grande échelle contre les habitants civils. Ce qui limite l’étendue de l’acte terroriste qui est du ressort du Tribunal Pénal International, dans l’hypothèse où l’infraction terroriste n’atteint pas le degré de crime contre l’humanité.

C’est pour cette raison que l’on a évité de « délayer » la description spéciale de l’acte criminel dans la description générale du crime contre l’humanité. Le document relatif à la création du tribunal recommande au congrès, qui doit se tenir pour revoir la loi constitutionnelle, d’inclure les crimes terroristes dans la liste des crimes déjà mentionnés dans ses colonnes mais après avoir trouvé une définition acceptable, claire et globale du terrorisme91.

Il faut signaler que les infractions terroristes s’inscrivent dans le cadre des crimes contre l’humanité sous ces deux conditions :

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Cf. R. CRYER et al., And introduction to criminal law and procedure, Cambridge, Cambridge university press, 2007, p. 105 ; A. F. SEROUR, op cit., p. 92.

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1 - Le facteur matériel, qui doit répondre à deux sous-conditions

a- L’acte criminel est accompli en temps de paix ou en temps de guerre. Il cause des morts, des douleurs profondes, des dégâts corporels ou moraux, des dégâts organiques, la torture, le viol ou la séquestration des personnes.

b- Une partie des agressions est organisée à une grande échelle contre les habitants civils (ou une grande partie d’entre eux). Les agresseurs savent que leurs actes font partie d’une agression générale contre les civils (des éléments d’une même organisation)92

. Ces actes ont été accomplis sous une direction bien organisée. Ces crimes étaient supposés être organisés seulement par l’État, mais cette condition n’apparaît pas dans la loi constitutionnelle, ni dans la loi du Tribunal Pénal International (le tribunal permanent), ni celle du Tribunal Pénal International de l’ex-Yougoslavie ou le Tribunal pénal du Rwanda.

Si toutes les conditions ci-dessus mentionnées sont réunies, l’acte est considéré comme crime contre l’humanité.

2 - Le facteur moral qui nécessite la présence de l’intention terroriste

Auparavant, pour qualifier un acte terroriste de crime contre l’humanité, il y avait la condition de prouver l’agression sans distinction. Mais, ce mobile n’est plus présent dans le Statut du Tribunal Pénal International. Il est donc primordial, pour que le terrorisme soit considéré comme un crime, qu’il y ait l’intention criminelle. Celle-ci consiste en la volonté de répandre la terreur parmi la population ou d’obliger un pouvoir général ou particulier à entreprendre une action ou à délaisser une autre. Malgré cette simplification des facteurs du crime contre l’humanité, tous les actes criminels ne sont pas forcément réunis sous ces descriptions93.

La nature et le contexte des attentats perpétrés ces derniers mois au nom d'un État islamique ou d'une puissante organisation terroriste internationale, suggèrent d'envisager à nouveau la pertinence de la qualification de crime contre l'humanité. Pour recevoir la qualification de crime contre l'humanité en droit international, un acte - meurtre, torture, viol ou privation grave de liberté - doit avoir été commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile », selon l’article 7 du Statut de Rome. Le crime contre l'humanité peut ainsi prendre la forme de la mise en œuvre d'une politique instaurée par une organisation privée ayant acquis « suffisamment de pouvoir pour neutraliser

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Cf. A. CASSESSE, International criminal law, Royaume-Uni, Oxford university press, 2ème éd., 2008, p. 176.

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l'État dans un territoire déterminé »94. Au regard de cette condition, « quiconque est capable de mener une attaque de l'ampleur requise peut, du point de vue de la capacité subjective, commettre un crime contre l'humanité. Cela est vrai aussi pour des organisations terroristes comme Al Qaïda, quand elles s'avèrent, de fait, capables de lancer une attaque comme celle perpétrée contre les tours jumelles du World Trade Center à New York en 2001 »95.

Le crime contre l'humanité s'inscrit donc dans une politique criminelle définie par un État ou une organisation puissante, qui se traduit par une attaque généralisée systématique contre une population civile96. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a précisé cette condition : « le caractère « généralisé » résulte du fait que l'attaque présente un caractère massif, fréquent, et que, menée collectivement, elle revêt une gravité considérable et est dirigée contre une multiplicité de victimes. Le caractère systématique tient, quant à lui, au fait que l'acte est soigneusement organisé selon un modèle régulier en exécution d'une politique concertée mettant en œuvre des moyens publics ou privés considérables. Il n'est nullement exigé que cette politique soit officiellement adoptée comme politique d'État. Il doit cependant exister une espèce de plan ou de politique préconçus »97.

Néanmoins, si le crime contre l'humanité exclut toute action isolée, l'auteur d'un meurtre contre une seule victime relève de la qualification de crime contre l'humanité si son acte « s'insère dans le plan criminel », pour peu que l'auteur agisse « en connaissance de cette attaque ». Lorsqu'un individu se revendique de ce groupe et applique la politique criminelle prescrite, il n'est plus isolé mais participe au crime contre l'humanité.

À l'heure actuelle, l'intérêt de recourir à la qualification de crime contre l'humanité pour qualifier certains actes de terrorisme est double98. Il est symbolique. Dans le contexte actuel, qualifier de crime contre l'humanité une action terroriste éventuellement individuelle parce qu'elle se rattache à la politique criminelle d'un groupe terroriste, est porteur d'un message : même commis individuellement, le crime est des plus graves. En droit interne

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S. MESEKE, « La contribution de la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex- Yougoslavie et le Rwanda à la concrétisation de l'incrimination du crime contre l'humanité », in M. CHIAVARIO (dir.), La justice pénale internationale entre son passé et son avenir, Milan, Giuffrè, Paris, Dalloz, 2003, p. 195.

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R. KOLB, Droit international pénal, Bâle, Helbing Lichtenhahn, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 101.

96

Cf. J. ALIX, « Réprimer la participation au terrorisme », RSC, 2014/4 (N° 4), p. 849-865.

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Ces comportements sont énumérés par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui les considère comme susceptibles de revêtir la qualification de crime contre l'humanité, cf. l’art. 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF.183/ 9 du 17 juillet 1998, en vigueur le 1er juillet 2002, Nations Unies, Rec. des Traités, Vol. 2187, N° 38544, dépositaire : Secrétaire général des Nations Unies, http://treaties.un.org.

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comme en droit international, le crime contre l'humanité renvoie à des valeurs de l'humanité, mais encore de l'essence même de l'humanité.

L’intérêt est aussi répressif. En 2001 comme en 2015, l'ampleur et la gravité extrême des actes terroristes commis ont révélé la nécessité d'outils répressifs adaptés : la nature des réponses apportées par le droit international. La qualification de crime contre l'humanité permet, lorsque les actes sont commis sur le territoire d'États défaillants, d’interpeller la justice pénale internationale et de réserver un traitement spécifique aux plus graves actions terroristes. Certes, des lacunes existent, dès lors que la qualification de crime contre l'humanité, en droit interne comme en droit international, n'a pas pour effet à l'heure actuelle, de déclencher une procédure spécifique qui se manifesterait par des moyens d'investigation accrus et plus efficaces. L'intégration de certaines manifestations du terrorisme dans la catégorie des crimes contre l'humanité pourrait inciter les États à combler ces lacunes et à intensifier les moyens d'investigation applicables à la lutte contre les crimes contre l'humanité. La spirale répressive ne se justifie, en effet, que par la nécessité d'adapter le droit aux plus graves manifestations du phénomène terroriste. Isoler ces manifestations et les rapprocher des crimes contre l'humanité fait disparaître la nécessité d'adapter en permanence les dispositifs antiterroristes, déjà très complets.

Lorsqu’on compare la définition des crimes contre l'humanité donnée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation à l'article 706-16 du Code de procédure pénale, on constate que ces crimes répondent aussi aux critères des infractions de terrorisme. Les infractions de terrorisme ne diffèrent en rien des crimes contre l'humanité, d’où l’intérêt de rendre imprescriptibles les crimes de terrorisme. La question pourra donc se poser un jour de savoir s'il faut choisir entre la prescriptibilité des crimes de terrorisme et l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité ; entre la compétence de la Cour d'assises sans jury prévue pour les crimes de terrorisme et celle de la Cour d'assises ordinaire dont relèvent les crimes contre l'humanité99.

Pour justifier la qualification de terrorisme comme crime international un dernier aspect doit être mis en évidence : le principe universel de sa répression. Certes, la CPI n'est pas compétente pour en juger et il n'y a pas un Tribunal International qui ait une compétence générale à son égard. Sa répression incombe dès lors aux juridictions nationales. Toutefois, le

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droit international impose cette obligation de répression puisqu'il permet le jugement des présumés terroristes selon un système de compétence universelle. Par conséquent, aujourd'hui, un double corps de règles assure la répression du terrorisme. Le droit interne aussi bien qu’international, tend à créer un corps de règles applicables à l'infraction terroriste qui comblent à la fois les vides de la répression et ceux de la protection des droits de la défense. C'est la double lutte du droit, contre la barbarie et l’arbitraire.

Pourtant, cette démarche a quelque chose de profondément insatisfaisant : d'abord, il est difficile de qualifier le genre à partir d'une espèce : dire que le 11 septembre est un crime contre l'humanité n'apporte rien de significatif à la qualification du terrorisme en général. Tous les actes terroristes n'atteignant pas l'ampleur du 11 septembre, cette option de qualification laisse la place à des vides juridiques que l'on voulait justement combler.

En outre, d'un point de vue méthodologique, le choix est malvenu car il participe à une extension du concept de crime contre l'humanité. Ces écarts interprétatifs ne sont probablement plus nécessaires aujourd'hui. En l'espace de dix ans, la perception du terrorisme en temps de paix a graduellement changé : le droit a encore été rattrapé par les faits et des catégories juridiques sont venues répondre à des phénomènes sociaux.

Il n'en reste pas moins que les États s'opposent bien souvent sur la qualification à donner aux actes et aux auteurs100. Le terrorisme ne désigne pas qu'une action matérielle, il s'agit aussi d'un terme accusatoire utilisé dans un combat symbolique jouant sur la stigmatisation. Aucune organisation clandestine n'accepte de se nommer « terroriste ». Toutes se définissent comme « résistantes » ou « libératrices ». Il y a là une stratégie décisive, puisque « terrorisme » est un mot qui vise à délégitimer, alors que « résistance » ou « libération » sont des mots qui visent à légitimer. Faut-il distinguer les États sur le territoire desquels sont commis les attentats selon le critère démocratique, les actes de terrorisme seraient inadmissibles dans les États démocratiques, où le peuple a le droit de libre contestation pacifique, mais admissibles dans les États où le peuple n'a pas un droit de libre contestation pacifique ? À ce critère du régime démocratique, on peut ajouter ou opposer d'autres critères : le caractère colonial ou non, raciste ou non, sioniste ou non, de l'État. Il appartient à chaque État de déterminer son régime politique, ainsi que les limites à la liberté de contestation, conformément au droit international applicable. Lorsqu'un acte de violence

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est commis et que l'auteur se réfugie à l'étranger, il appartient à l'État de l'arrêter et de le poursuivre, ou de l'extrader, ou de lui donner asile. Il est cependant possible de justifier objectivement l'extradition ou l'asile.

Qui est « terroriste » ? Celui qui use d'une violence qualifiée d'illicite par son adversaire. Au-delà de la subjectivité, peut-on trouver une définition objective ? Certains craignent que la définition du terrorisme ne serve à incriminer d'autres actes de violence, tels ceux des membres de mouvements de résistance à l'occupation militaire ou de mouvements de libération nationale. Néanmoins, il ne s'agit pas de juger une cause, il s'agit de juger des actes. Le droit pénal du terrorisme n'est pas un droit politique : il ne juge pas la cause ni la représentativité, mais les faits. Or, le terrorisme désigne une tactique, c'est-à-dire une certaine méthode d'action. En temps de paix, dans un régime oppressif interdisant la contestation pacifique, cela signifierait que seuls les autorités et les agents armés pourraient constituer des cibles, à l'exclusion de toute autre personne. Objectivement, les auteurs réfugiés dans un État tiers pourraient alors réclamer la non-extradition pour infraction politique et l'État tiers leur accorder l’asile

Paragraphe 2. L’adaptation des législations nationales tenant compte du caractère

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